GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50151C ECLI:LU:CADM:2024:50151 Inscrit le 6 mars 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 5 février 2024 (n° 48483 du rôle) ayant statué par rapport à une demande de nomination d’un commissaire spécial Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 50151C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 6 mars 2024 par Maître Gaëlle RELOUZAT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-… …, …, rue ….., dirigée contre un jugement du tribunal administratif du 5 février 2024 (n° 48483 du rôle) par lequel celui-ci a rejeté sa demande de nomination d’un commissaire spécial suite au jugement du tribunal administratif du 14 juin 2021 (n° 42837 du rôle), ayant, dans le cadre d’un recours en réformation, annulé la décision du ministre de la Santé du 11 avril 2019 refusant de lui accorder l’autorisation d’exercer la profession de (b) et renvoyé l’affaire devant ledit ministre en prosécution de cause;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 3 avril 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 2 mai 2024 au nom de Madame (A);
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gaëlle RELOUZAT et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries à l’audience publique du 11 juin 2024;
Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 17 juin 2024 au nom de Madame (A);
Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING;
Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Gaëlle RELOUZAT et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries à l’audience publique du 2 juillet 2024.
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Le 24 janvier 2017, Madame (A) introduisit, par un formulaire de demande daté du 8 novembre 2016, une demande tendant à l’obtention de l’autorisation d’exercer la profession de (b).
Par décision du 13 juillet 2017, le ministre de la Santé, ci-après le « ministre », refusa de faire droit à ladite demande.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 août 2017, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 13 juillet 2017.
Par jugement du 18 juin 2018, inscrit sous le numéro 40014 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation justifié et annula la décision ministérielle du 13 juillet 2017 en renvoyant l’affaire devant le ministre en prosécution de cause. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal retint que le Collège médical avait manqué de convoquer, préalablement à la prise de la décision déférée, Madame (A) à un entretien portant sur les conditions légalement exigées pour l’accès et l’exercice de la profession de (b), tel que prescrit par l’article 4, paragraphe (3), du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2015 fixant la procédure à suivre pour obtenir l’autorisation d’exercer la profession de (b).
Ledit jugement n’ayant pas été frappé d’appel, Madame (A) s’adressa, par courriers de son mandataire des 21 août, 1er octobre, 6 novembre et 6 décembre 2018, au ministre pour s’enquérir des suites réservées à son dossier, et notamment pour savoir si l’entretien avec le Collège médical pouvait « être d’ores et déjà fixé ».
A défaut de réponse du ministre, Madame (A) déposa le 14 janvier 2019 au greffe du tribunal administratif une demande sur base de l’article 84 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après la « loi du 7 novembre 1996 », tendant à la désignation d’un commissaire spécial, avec la mission « de satisfaire aux prescrits du jugement du 18 juin 2018 précité et de prendre en lieu et place et aux frais de l’Etat la décision en lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci, après avoir mené à bien la procédure idoine ».
Par courrier électronique du 8 février 2019, le Collège médical convoqua Madame (A) à un entretien en date du 13 février 2019. A défaut de réponse de la part de Madame (A), le secrétariat du Collège médical recontacta l’intéressée par SMS en date du 14 février 2019 et proposa un nouveau rendez-vous le 6 mars 2019, lequel fut accepté par Madame (A).
L’entretien eut ensuite lieu à cette date.
Le même jour, le Collège médical avisa négativement la demande de l’intéressée.
Le 28 mars 2019, le Conseil scientifique de psychothérapie, ci-après le « Conseil », rendit, lui aussi, un avis défavorable par rapport à la demande de Madame (A).
Par décision du 11 avril 2019, le ministre refusa, à nouveau, de faire droit à la demande d’autorisation de Madame (A) d’exercer la profession de (b).
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2019, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 11 avril 2019.
Par jugement du 26 octobre 2020 (n° 42216 du rôle), le tribunal administratif déclara sans objet la demande prévisée de Madame (A) tendant à la nomination d’un commissaire spécial, au vu de l’adoption de la décision du ministre du 11 avril 2019 portant rejet de sa demande.
Par jugement du 14 juin 2021, inscrit sous le numéro 42837 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation justifié et annula la décision ministérielle du 11 avril 2019 en renvoyant l’affaire devant le ministre en prosécution de cause. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal retint en substance qu’il lui était impossible de vérifier le respect de la condition légale ayant trait à l’adoption de l’avis du Conseil à la majorité des membres présents, telle que prévue par l’article 6, alinéa 6, de la loi modifiée du 14 juillet 2015 portant création de la profession de (b), à défaut de toute mention en ce sens et de tout autre élément d’information y afférent lui soumis.
Ce jugement ne fut pas frappé d’appel.
Par courrier du 7 novembre 2022, le ministre s’adressa à Madame (A) dans les termes suivants :
« (…) Concerne : Jugement n°42837 rendu par le Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Réf : ……..
Madame, Par la présente, je me permets de vous contacter suite au jugement rendu le 14 juin 2021 par le Tribunal administratif dans l’affaire sous rubrique qui annule la décision ministérielle du 11 avril 2019 refusant de vous accorder l’autorisation d’exercer la profession de (b) et qui renvoie l’affaire devant mon ministère en prosécution de cause.
À titre liminaire, je tiens à attirer votre attention sur le jugement rendu le 2 février 2021 par le Tribunal administratif dans une affaire similaire (TA 2021-02-02;43555), où il a été retenu :
« (…) force est de retenir qu’à la date de la prise de la décision litigieuse, le ministre ne pouvait plus légalement faire droit, ni refuser la demande d’autorisation lui soumise par Madame … sur base de l’article 20 de la loi du 14 juillet 2015, et ceci nonobstant le fait que la demande en question avait été introduite le 19 décembre 2016, soit endéans le délai susmentionné de trois ans et il lui aurait appartenu d’examiner ladite demande au regard des dispositions légales applicables à la date de la prise de la décision litigieuse. ».
Conformément au jugement du 2 février 2021, le régime transitoire prévu à l’article 20 de la loi modifiée du 14 juillet 2015 portant création de la profession de (b) ne s’applique seulement lorsque la décision ministérielle a été prise avant l’écoulement du délai de trois ans à partir de la publication de ladite loi.
Dès lors, votre demande d’autorisation d’exercer la profession de (b) devra être analysée selon les dispositions de l’article 2 de la loi précitée. Cependant, il faut savoir que cette procédure change par rapport au régime transitoire prévu à l’article 20 de ladite loi. À noter que le demandeur d’autorisation d’exercer la profession de (b) doit préalablement solliciter la reconnaissance de la formation étrangère en psychothérapie auprès du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche avant de pouvoir introduire une demande d’autorisation d’exercer la profession de (b) au sein de mon ministère.
En restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de ma considération distinguée. (…) ».
Par courrier électronique de son mandataire du 1er décembre 2022, Madame (A) prit position comme suit :
« (…) Tout d’abord, je me dois de constater avec regret que le Ministère a pris un an et demi avant de reprendre contact avec ma mandante depuis le troisième jugement dans cette 4 affaire, et ce alors que la demande initiale date du 24 janvier 2017 et que la loi prévoit un délai de trois mois pour le Ministre pour se prononcer.
Par ailleurs, je me vois dans l’obligation de marquer mon désaccord avec votre argumentaire basé sur la position du Tribunal Administratif alors que celle-ci a été mise à néant par la Cour Administrative d’Appel dans son arrêt du 9 novembre 2021, rendu sur appel du jugement que vous citez, que je vous joins.
J’annexe également à la présente la décision C.577/20 du 16 juin 2022 de la CJUE de laquelle il ressort qu’un ressortissant de l’Union Européenne disposant des qualifications pour prétendre à l’exercice d’une profession réglementée dans un Etat membre ne saurait se voir refuser le titre en question par un autre Etat membre, sauf circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas données en l’espèce, et ce même s’il n’a jamais pratiqué dans l’Etat lui ayant délivré le diplôme. Sur ce point je me permets de vous renvoyer aux pages 5 et 6 du recours ayant abouti au jugement du 14 juin 2021.
Aussi et au vu de ce qui précède, je vous indique que ma mandante ne sollicitera pas de reconnaissance supplémentaire.
Je vous rappelle d’ailleurs que le diplôme de ma mandante fut homologué au Luxembourg avant même que la profession de (b) n’y soit réglementée, et ce alors qu’elle l’était déjà en France, pays de délivrance de son diplôme.
J’ose espérer que ce dossier trouvera une issue favorable (…). ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2023, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la nomination d’un commissaire spécial à la suite du jugement du tribunal administratif 14 juin 2021.
Par décision du 5 février 2024, le tribunal rejeta cette demande en nomination d’un commissaire spécial, tout en condamnant l’Etat au paiement en faveur de Madame (A) d’une indemnité de procédure de ……- €, de même qu’aux frais et dépens.
La décision de rejet des premiers juges est en substance motivée par le fait que le jugement d’annulation du 14 juin 2021 aurait été exécuté par l’autorité ministérielle à laquelle le dossier fut renvoyé par l’effet d’une décision matérialisée à travers le courrier précité du 7 novembre 2022.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 6 mars 2024, Madame (A) fit interjeter appel contre le jugement du tribunal administratif du 5 février 2024, précité, dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir déclarer sa requête en nomination d’un commissaire spécial recevable et fondée, en substance de manière à voir ordonner la nomination d’un commissaire spécial appelé à œuvrer en vue d’une exécution conforme du jugement du14 juin 2021, précité, le tout avec condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure de ……- €.
Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité de l’appel et, au fond, il conclut à son rejet pour manquer de fondement. Il convient encore de constater que si la partie étatique demande par ailleurs à voir rejeter, sinon réduire à de plus justes proportions la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la partie appelante, elle n’a pas interjeté appel contre la décision d’allocation d’une indemnité de procédure de …..- €, telle que prononcée par les premiers juges.
La Cour, consciente de ce que le moyen en question n’a jusqu’à la présente affaire jamais été soulevée par une partie, voire par la juridiction de céans, a soulevé d’office la question de la recevabilité de l’appel en ce qu’il vise une décision du tribunal administratif prise sur base des articles 84 et suivants de la loi du 7 novembre 1996 et tranchant une demande tendant à la désignation d’un commissaire spécial.
A travers son mémoire complémentaire, l’appelante conclut à voir déclarer son appel recevable.
Elle estime que l'article 84 de la loi du 7 novembre 1996 est à considérer comme une « variante » de l’article 4 de ladite loi, lequel ouvrirait généralement un recours devant le tribunal administratif, avec possibilité d’appel devant la Cour.
L’appelante précise qu’« une fois le jugement d'annulation du Tribunal avec renvoi en prosécution de cause devenu définitif, l'instance est terminée », de sorte que « l'administré se retrouve donc dans la même situation qu'à l'origine, en attente d'une décision de l'administration suite à sa demande ». Comme la procédure prévue par l’article 84 ne ferait pas revivre l'instance, mais nécessiterait un nouveau recours, son recours serait partant à déclarer recevable.
La partie appelante se réfère ensuite encore à l'article 44 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administrative, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », en vertu duquel « les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel. Il en est de même lorsque le jugement, qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, met fin à l'instance. », pour soutenir qu’en l’espèce, le jugement dont appel trancherait bien le principal et un appel à son encontre serait partant recevable.
L’appelante donne encore à considérer que dans le passé, la Cour aurait quasiment toujours reçu les appels en la matière en la forme et aucune des parties, ni par ailleurs la juridiction saisie, n’aurait soulevé le moyen afférent.
Dès lors, en l’absence d’une modification des textes applicables, « une décision qui dirait la requête de Madame (A) irrecevable au motif qu'un appel n'est pas autorisé en matière de nomination de commissaire spécial, viendrait heurter le principe de sécurité juridique ».
Le délégué du gouvernement rétorque en substance que dès lors que ni l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996, ni une autre disposition légale ne prévoiraient la possibilité d’interjeter appel contre une décision du tribunal administratif statuant sur une demande de nomination d’un commissaire spécial, l’appel interjeté par Madame (A) serait à déclarer irrecevable.
Cette conclusion serait d’ailleurs confortée par la raison d'être de l'article 84 de la loi du 7 novembre 1996. En effet, la possibilité de saisir le tribunal administratif en vue de la nomination d'un commissaire spécial, après annulation ou réformation d’une décision administrative, s'analyserait en une difficulté d'exécution du jugement afférent et il serait manifeste que chaque juridiction serait seule compétente pour régler les difficultés qui peuvent résulter de l'exécution de ses décisions. Ainsi, admettre qu'une partie puisse interjeter appel contre un jugement, par lequel la juridiction compétente a tranché une difficulté d'exécution, sur base du simple fait que cette difficulté d'exécution n'a pas été réglée par la juridiction dans le sens voulu par cette partie au litige, serait une hypothèse si particulière qu'une loi devrait prévoir une base légale spécifique pour ce cas de figure. Or, pareille base légale n'existerait pas.
Pour le surplus, dans un deuxième ordre d’idées, le délégué du gouvernement développe encore un prétendu moyen d’« irrecevabilité » supplémentaire tablant sur ce que les conditions pour la nomination d'un commissaire spécial ne seraient pas remplies en cause. Au-delà de toutes autres considérations y relatives, c’est à juste titre que le mandataire de l’appelante sollicite le rejet de ces développements pour dépasser manifestement le cadre posé du mémoire complémentaire, à savoir une prise de position des parties sur la seule question de la saisine valable de la Cour d’un appel en la matière.
Le cadre légal applicable en matière de désignation d’un commissaire spécial est posé par le chapitre 6 de la loi du 7 novembre 1996 intitulé « De l’exécution des jugements et arrêts en matière administrative », qui vise le règlement des difficultés d’exécution pouvant surgir au niveau des jugements et arrêts rendus par les juridictions de l’ordre administratif.
A travers les articles 84 à 87 y figurant, le législateur a prévu que « lorsqu’en cas d’annulation ou de réformation, coulée en force de chose jugée, d’une décision administrative qui n’est pas réservée par la Constitution à un organe déterminé, la juridiction ayant annulé ou réformé la décision a renvoyé l’affaire devant l’autorité compétente et que celle-ci omet de prendre une décision en se conformant au jugement ou à l’arrêt, la partie intéressée peut, à l’expiration d’un délai de trois mois à partir du prononcé de l’arrêt ou du jugement, saisir la juridiction qui a renvoyé l’affaire en vue de charger un commissaire spécial de prendre la décision aux lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci. (…) ».
Ce faisant, le législateur offre au justiciable victorieux au contentieux administratif, mais qui se heurte à une administration récalcitrante à exécuter, selon le cas, un jugement ou un arrêt d’annulation ou de réformation, la faculté de retourner devant « la juridiction qui a renvoyé l’affaire » afin qu’elle lève le blocage et œuvre en vue de l’exécution de sa décision moyennant la nomination d’un commissaire spécial chargé de prendre la décision aux lieu et place de l’autorité compétente, qui se voit alors dessaisie de l’affaire.
Le système de règlement de pareil incident post jugement ou post arrêt apparaît donc clair, il procure à l’administré une possibilité de faire avancer les choses en retournant devant le juge qui a annulé ou réformé une décision administrative par lui critiquée et solliciter son intervention pour voir exécuter son jugement ou son arrêt définitifs.
La décision d’envoi d’un commissaire spécial est ainsi appelée à être l’œuvre de la juridiction administrative qui a annulé ou réformé la décision attaquée.
La partie estimant que l’autorité administrative était tenue de prendre une nouvelle décision doit partant saisir la juridiction ayant annulé la décision au fond. Il est par ailleurs de jurisprudence bien établie qu’en présence d’un jugement d’annulation prononcé par le tribunal administratif, simplement confirmé en instance d’appel, la juridiction d’annulation est le tribunal administratif et non pas la Cour administrative (Rusen ERGEC in Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, n° 252, se référant à un arrêt de la Cour adm. du 1er mars 2018, n°40431C du rôle).
Le système mis en place est appelé à fonctionner sans recours.
En effet, ni les articles 84 à 87 du chapitre 6 de la loi du 7 novembre 1996, ni d’ailleurs une quelconque autre disposition de ladite loi ne prévoient une possibilité de recours contre la décision que le juge, tribunal ou Cour, selon le cas, pourra être amené à prendre, le législateur apparaissant avoir organisé un mécanisme de règlement d’un incident d’exécution d’une décision sans recours, indépendamment de ce que la décision répondant à une demande en nomination d’un commissaire spécial soit rendue par la première ou la deuxième instance.
Il convient d’insister sur le fait que s’il est vrai que l'article 2 de la loi du 7 novembre 19961 ouvre généralement un recours en annulation devant le tribunal administratif contre toute décision administrative contre lesquelles aucun autre recours n’est admissible et qu’il garantit un double degré en instaurant une possibilité d’interjeter appel devant la Cour contre le jugement rendu sur pareil recours, il ne saurait être entrevu comme ouvrant généralement une possibilité d’appel contre toute décision du tribunal administratif.
1 « (1) Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. (…) (3) Sauf disposition contraire de la loi, appel peut être interjeté devant la Cour administrative contre les décisions du tribunal administratif visées ci-avant. »Par ailleurs, la Cour n’entrevoit pas en quoi l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 serait à assimiler à son article 4, ni en quoi cette disposition légale serait de nature à ouvrir à l’appelante une nouvelle voie de recours devant le tribunal administratif, avec possibilité d’appel devant la Cour, contre le silence de l’administration suite au jugement d’annulation prétendument non exécuté, la vision afférente de la partie appelante ne saurait partant pas non plus être entérinée.
Concernant l’article 44 de la loi du 21 juin 1999, encore pointé par l’appelante, qui a trait aux possibilités de recours contre les jugements intermédiaires qui ne tranchent pas encore le litige, il reste nécessairement sans incidence concrète en l’espèce, la décision du tribunal administratif entreprise n’étant manifestement pas à considérer comme en relevant ou à y assimiler.
Le système de règlement d’un incident de non-exécution d’un jugement ou d’un arrêt d’annulation ou de réformation établi par le législateur table sur une logique certaine, tout comme il est de nature à garantir un traitement parfaitement égalitaire des justiciables dans les deux cas de figure.
Admettre qu’un recours soit admissible contre une décision répondant à une demande de nomination d’un commissaire spécial prise par le tribunal administratif, mais non pas contre une décision prise par la Cour administrative serait adopter une logique cautionnant une différence de traitement de situations pour le moins comparables d’inexécution de décisions de justice coulées en force de chose jugée.
Si le législateur avait voulu qu’il y ait un double degré aussi au niveau du règlement des éventuelles difficultés d’exécution, il aurait certainement organisé une procédure passant dans chaque cas de figure par deux instances, mais non pas une procédure à deux voies pour le cas où il convient de solutionner une difficulté d’exécution d’un jugement d’annulation décidé par la juridiction de première instance, mais seulement un seul degré de juridiction s’il s’agit de solutionner une difficulté d’exécution émergeant au niveau de l’exécution d’un arrêt d’appel. En tout cas, s’il avait voulu le faire il l’aurait certainement décidé et justifié expressément.
Quant à l’argumentaire de l’appelante basé sur ce qu’une décision d’irrecevabilité se heurterait à la pratique jurisprudentielle antérieure et que de la sorte, une déclaration d’irrecevabilité du présent appel contreviendrait au principe général de la sécurité juridique, il n’emporte finalement pas non plus la conviction de la Cour.
En effet, même si dans le passé, fût-il récent, la Cour a pu recevoir des appels interjetés contre des jugements en la matière, cela ne signifie pas que la question de recevabilité actuellement sous discussion ne se pose pas, d’une part, et admettre le raisonnement défendu par l’appelante serait sonner le glas du moindre revirement jurisprudentiel, d’autre part.
La Cour relève encore finalement que l’absence de recours direct contre une décision tranchant une demande en nomination d’un commissaire spécial sur base de l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 n’implique nullement l’absence préjudiciable de toute voie de recours en lamatière, étant donné que dans le cas de figure où le tribunal -ou la Cour- nomme un commissaire spécial, la décision de celui-ci sera de nouveau susceptible d’être attaquée devant les juridictions administratives, tandis que pour le cas de figure où le tribunal, comme c’est le cas en l’espèce, -ou la Cour- a constaté l’existence d’une décision administrative suite à un jugement d’annulation ou de réformation avec renvoi du dossier devant l’administration, cette nouvelle décision est à son tour susceptible d’être soumise au contrôle des juridictions administratives.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel interjeté contre la décision du tribunal administratif du 5 février 2024 est à déclarer irrecevable.
Compte tenu de l’issue du litige, il convient de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie appelante.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;
déclare l’appel interjeté contre la décision du tribunal administratif du 5 février 2024, inscrit sous le n° 48483 du rôle, irrecevable;
met les frais à charge de la partie appelante.
Ainsi délibéré et jugé par:
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …….
s. …..
s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 10