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17/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50637

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2024, 50637


Tribunal administratif N° 50637 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50637 chambre de vacation Inscrit le 25 juin 2024 Audience publique du 17 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50637 du rôle et déposée le 25 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algéri...

Tribunal administratif N° 50637 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50637 chambre de vacation Inscrit le 25 juin 2024 Audience publique du 17 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50637 du rôle et déposée le 25 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 6 juin 2024 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en ses plaidoiries à l’audience publique de ce jour, Maître Nour E. HELLAL n’ayant été ni présent, ni représenté, ni excusé.

Le 7 mai 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit des demandes de protection internationale en France le 2 novembre 2020, aux Pays-

Bas le 27 mai 2021 et les 31 janvier et 7 mars 2023, en Allemagne le 25 octobre 2021, en Suisse le 29 aout 2023 et en Autriche le 20 novembre 2023.

Le 8 mai 2024, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertudu règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 16 mai 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités autrichiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par lesdites autorités autrichiennes en date du 22 mai 2024, au motif que les autorités françaises avaient accepté de le reprendre en charge en date du 12 décembre 2023 et que Monsieur … aurait été transféré en France en date du 29 février 2024.

En date du 30 mai 2024, les autorités françaises acceptèrent la demande de reprise en charge de Monsieur …, leur adressée par les autorités luxembourgeoises en date du 16 mai 2024, en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III et précisèrent les modalités du transfert à suivre, à savoir un transfert via l'aéroport de Paris - Charles-de-Gaulle.

Par décision datée au 6 juin 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », sur base de la considération que les autorités françaises ont accepté de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 mai 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 7 mai 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 8 mai 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 7 mai 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 2 novembre 2020, trois demandes aux Pays-Bas en date des 27 mai 2021, 31 janvier 2023 et 7 mars 2023, une demande en Allemagne en date du 25 octobre 2021, une demande en Suisse 2 en date du 29 août 2023 et une demande en Autriche en date du 20 novembre 2023.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 8 mai 2024.

Sur cette base, la Direction générale de l'immigration a adressé en date du 16 mai 2024 une demande de reprise en charge aux autorités françaises en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 30 mai 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date du 2 novembre 2020, trois demandes aux Pays-Bas en date des 27 mai 2021, 31 janvier 2023 et 7 mars 2023, une demande en Allemagne en date du 25 octobre 2021, une demande en Suisse en date du 29 août 2023 et une demande en Autriche en date du 20 novembre 2023.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Algérie le 24 juillet 2020 à bord d'une 3 embarcation clandestine en direction de l'Espagne. Depuis votre entrée sur le territoire des États membres, vous avez introduit plusieurs demandes de protection internationale en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse et en Autriche et vous avez été transféré à plusieurs reprises en France dans le cadre de la procédure Dublin. Avant de venir au Luxembourg début mai 2024, vous auriez séjourné en France.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 21 février 2024, vous mentionnez que vous seriez asthmatique. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Selon vos dires, vous auriez quitté la France parce que vous auriez eu un ordre de quitter le territoire français. Vous ne souhaitez plus y retourner parce que vous y auriez eu « des problèmes avec des gens » (page 5 du rapport d'entretien).

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

4 Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions françaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles.

Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. […] ».

Par décision du 10 juin 2024, notifiée en mains propres le même jour, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté d’assignation à résidence à … pour une durée de trois mois.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 6 juin 2024, alors que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, prévoit dorénavant un recours en réformation, suspensif de plein droit, contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse.

Il convient à cet égard de souligner que l’objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance, le juge n’étant pas habilité à faire droit à des demandes qui n’y sont pas formulées sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra petita. En effet, comme l’indique avec pertinence sur ce point la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg,1« On peut légitimement attendre d’un professionnel du droit qu’il soit particulièrement rigoureux dans la rédaction d’un recours, et en particulier dans le choix des mots qu’il emploie ».

L’introduction d’un recours en annulation dans une matière prévoyant un recours au fond n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours, alors qu’il est de jurisprudence constante que si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit2.

Le recours en annulation est partant recevable, ledit recours ayant été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, Monsieur … ne soulève qu’un unique moyen en se prévalant d’une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en raison d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en France, dans la mesure où il serait asthmatique et que des traitements médicaux lui auraient été refusés « à maintes reprises ». Le demandeur précise à cet égard qu’il serait resté sans médication « pendant de longues périodes » et qu’il aurait « maintes fois [été refusé] aux services d’urgence de divers hôpitaux ». Il insiste encore sur le fait que les soins médicaux en France dégénèreraient de plus en plus et que sa santé se détériorerait faute de recevoir les soins nécessaires.

Le demandeur souligne finalement que, conformément à la jurisprudence constante, un mauvais traitement devrait atteindre un minimum de gravité, seuil qui serait atteint en l’espèce.

1 CEDH, 15 janvier 2009, Quillard c/ France, req. n° 24488/0.

2 Trib. adm., 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 2, et les autres références y citées.Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour reprendre en charge Monsieur … prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la France, où le demandeur avait, tel que soutenu par lui-même, infructueusement déposé une demande de protection internationale en date du 2 novembre 2020 et que les autorités françaises auraient accepté sa reprise en charge le 30 mai 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg. D’ailleurs, le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la France par application du règlement Dublin III, mais il considère que son transfert vers ledit pays violerait l’article 3 de la CEDH.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditionsd’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Force est de constater que si le demandeur n’invoque, et a fortiori n’établit pas, une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se prévaut toutefois d’une violation de l’article 3 de la CEDH en cas d’un transfert en France.

A cet égard, le tribunal est tout d’abord amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats membres, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

Il y a encore lieu de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH », que, même en l’absence de défaillances systémiques tel que c’est le cas en l’espèce - le demandeur n’invoquant et a fortiori n’établissant pas, une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III - dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable4.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte5, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant6.

3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.

4 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

5 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts. 65 et 96 6 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17. Il ne se dégage cependant pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dénommée « la directive Accueil », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves: « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-

ci. […]7 ».

Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […]8 ».

La CJUE a souligné que dans une telle situation il appartient alors à ces autorités « d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé » et qu’en particulier « lorsqu’il s’agit d’une affection grave d’ordre psychiatrique, de ne pas s’arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d’un État membre à un autre, mais de prendre en considération l’ensemble des conséquences 7 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.

8 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert » et que dans ce cadre, « les autorités de l’État membre concerné doivent vérifier si l’état de santé de la personne en cause pourra être sauvegardé de manière appropriée et suffisante en prenant les précautions envisagées par le règlement Dublin III et, dans l’affirmative, mettre en œuvre ces précautions »9, tout en relevant que suivant la jurisprudence de la CourEDH « l’article 3 de la CEDH n’oblige, en principe, pas un État contractant à s’abstenir de procéder à l’éloignement ou à l’expulsion d’une personne lorsque celle-ci est apte à voyager et à condition que les mesures nécessaires, appropriées et adaptées à l’état de la personne soient prises à cet égard »10.

Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, telles que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée11.

La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

En l’espèce, le demandeur a soutenu, dans le cadre de son recours, être asthmatique, de sorte que son état de santé s’opposerait à son transfert en France au motif qu’il serait constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 de la CEDH.

Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si l’état de santé de celui-ci présente une gravité telle qu’il y a de sérieux 9 Ibidem, points 76 et 77.

10 Ibidem, points 78.

11 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu, ayant repris ces principes.doutes de croire que son transfert entrainerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 3 de la CEDH12.

Il convient, à cet égard, tout d’abord de relever que si Monsieur … a certes déclaré lors de son entretien Dublin III concernant son état de santé qu’il serait asthmatique13, il reste toutefois en défaut de soumettre à l’analyse du tribunal un quelconque élément objectif sur son état de santé, dans la mesure ou il se limite à affirmer « [être] asthmatique », sans cependant fournir le moindre certificat médical de nature à établir qu’un transfert du concerné vers la France pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement si son état de santé s’opposerait à son transfert vers ledit pays.

Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur se limite à affirmer péremptoirement que « des traitements lui ont été refusés à maintes reprises », respectivement qu’il aurait « été refusé maintes fois aux services d'urgence de divers hôpitaux » ou encore qu’il serait « notoirement admis que les soins médicaux en France dégénèrent de plus en plus », de sorte qu’il reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en France d’un traitement en relation avec un prétendu asthme dont il serait atteint, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976. Le demandeur reste également en défaut d’étayer son affirmation selon laquelle il serait « resté sans médication pendant de longues périodes », celui-ci n’expliquant pas de quel traitement médical il s’agit et ne versant aucune pièce à l’appui de son affirmation. A cela s’ajoute qu’interrogé sur les raisons pour lesquelles il ne souhaiterait pas se rendre en France, respectivement les conséquences d’un transfert vers cet Etat, le demandeur s’est limité à affirmer qu’il aurait « des problèmes avec les gens en France »14 et que « même si je suis transféré, je ne peux pas rester là bas »15, tout en indiquant « [m]oi je ne veux pas retourner en France, j’aimerais rester au Luxembourg et faire ma procédure ici »16.

Il s’ensuit qu’en ce qui concerne l’état de santé du demandeur, celui-ci reste en défaut d’apporter un quelconque élément permettant au tribunal de saisir les conséquences d’une absence de traitement dans son chef, tout comme il n’a pas rapporté des indices concrets que son état de santé serait d’une gravité particulière, voire qu’un transfert vers la France pourrait entraîner des conséquences significatives et irrémédiables sur celui-ci, ni surtout ne fournit-il des indices concrets selon lesquels il ne pourrait pas bénéficier en France des soins médicaux dont il pourrait avoir besoin, étant encore relevé, dans ce contexte, que dans la décision déférée, le ministre a expressément indiqué être disposé d’informer les autorités françaises sur son état de santé.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage d’aucun élément tangible soumis à son appréciation que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale, voire les migrants en situation irrégulière en France n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin.

12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

13 Page 2 du rapport d’entretien Dublin III du 8 mai 2024.

14 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III du 8 mai 2024.

15 Ibidem.

16 Page 8 du rapport d’entretien Dublin III du 8 mai 2024.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide français serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système français ne serait pas conforme aux normes européennes; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte], ainsi que de la directive Accueil, directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que Monsieur … n’a pas démontré que le transfert vers la France l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, de sorte que le moyen fondé sur son état de santé est à rejeter pour ne pas être fondé.

Ainsi, force est de constater qu’en l’espèce, outre le constat fait ci-avant que le demandeur n’a pas établi, personnellement et concrètement, que ses droits n’auraient pas été respectés en France, il n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits en tant que personne déboutée de sa demande de protection internationale, ne seraient pas garantis en cas de retour en France, étant encore rappelé que la France est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, sont censés en appliquer les dispositions.

Il ne résulte, de surcroît, d’aucun élément du dossier administratif, ni des pièces versées en cause, que le demandeur aurait invoqué une autre cause rendant son transfert vers la France matériellement impossible.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard17.

Il s’ensuit que le ministre a à bon droit et sans violer l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, pu décider de transférer le demandeur vers la France, l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.

17 En ce sens : trib. adm., 30 mars 2022, n° 47115 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en annulation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juillet 2024 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Emilie DA CRUZ DE SOUSA, juge, en présence du greffier Paulo ANICETO LOPES.

s. Paulo ANICETO LOPES s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50637
Date de la décision : 17/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-17;50637 ?

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