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17/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50638

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2024, 50638


Tribunal administratif N° 50638 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50638 Chambre de vacation Inscrit le 25 juin 2024 Audience publique du 17 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50638 du rôle et déposée le 25 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, né le …, à … (Arabie Saoudite), de nationalité érythréenne, ...

Tribunal administratif N° 50638 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50638 Chambre de vacation Inscrit le 25 juin 2024 Audience publique du 17 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50638 du rôle et déposée le 25 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, à … (Arabie Saoudite), de nationalité érythréenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence de Kirchberg (SHUK), sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 juin 2024 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fideline BILOA BIBI, en remplacement de Maître Françoise NSAN-NWET, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juillet 2024.

___________________________________________________________________________

Le 12 février 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne, le 7 février 2024.

Le 19 février 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 1établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 20 février 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers par courrier du 22 février 2024 transmis par courrier électronique envoyé en date du même jour.

Par un arrêté du 17 avril 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUK jusqu’au 7 juin 2024.

Par un arrêté ministériel du 4 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 7 juin 2024, la mesure d’assignation à résidence de Monsieur … a été prorogée jusqu’au 6 septembre 2024.

Par décision du 10 juin 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, cette décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 12 février 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b et du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire du 12 février 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 12 février 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 12 février 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale sur le territoire des Etats membres en Allemagne en date du 7 février 2024.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 19 février 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 20 février 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 22 février 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 12 février 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 7 février 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté … en Erythrée pour vous rendre en avion à Istanbul en Turquie grâce à un visa émis par les autorités turques. Après un mois sur le territoire turc, vous auriez traversé la frontière grecque en décembre 2023 et seriez entré sur le territoire des Etats membres. Deux mois plus tard, après vous être procuré de faux documents d'identité, vous déclarez avoir pris un vol de la Grèce vers la Pologne. Arrivé en Pologne, vous auriez immédiatement pris un bus en partance pour l'Allemagne. Lors de votre 3trajet, vous auriez fait l'objet d'un contrôle par les autorités allemandes à la frontière entre l'Allemagne et la République Tchèque.

Vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 7 février 2024. Vous déclarez avoir quitté l'Allemagne après seulement deux jours et sans connaître l'état de votre procédure. Lors de votre entretien DIII vous déclarez que votre objectif aurait été de rejoindre votre cousin maternel qui réside au Luxembourg.

Lors de ce même entretien DIII du 19 février 2024, vous avez mentionné que vous allez bien, mais aussi que vous auriez des soucis psychologiques. Force est de constater que depuis, vous n'avez transmis aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l'Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles 4 3seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Notons dans ce contexte que bien qu'il soit compréhensible que vous voudriez rejoindre votre cousin qui réside ici au Luxembourg, il y a lieu de constater que vous êtes majeur d'âge et capable de vivre seul sans l'assistance d'un membre de famille. Ainsi, rien n'empêche votre transfert en Allemagne.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité à voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avérait nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 10 juin 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit 5 4dans les formes et délai de la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, le demandeur soulève l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, respectivement de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », devant, selon un arrêt C-411/10 et C-493/10 de la Cour de Justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », du 21 décembre 20111, être interprété en ce sens qu’il s’opposerait à ce qu’un Etat membre transfère un demandeur de protection internationale vers l’Etat membre normalement responsable en vertu du règlement Dublin III, lorsqu’il ne saurait ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre pourraient conduire le demandeur concerné à des traitements inhumains et dégradants.

Il critique plus particulièrement le fait que le ministre, loin d’examiner si l’Allemagne respecte en pratique les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, se serait contenté d’énoncer des affirmations génériques, ce qui démontrerait l’absence de prise en compte des informations disponibles sur les dysfonctionnements dans ce pays.

Il est ainsi d’avis que, l’Allemagne, laquelle aurait connu, en 2022, une année record en raison de l’afflux des réfugiés ukrainiens et aurait accueilli, en 2023, un tiers des demandes de protection internationale par rapport à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, serait entrée dans une phase critique de sa politique migratoire où elle ne serait plus en mesure de garantir les conditions d’accueil exigées par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), désignée ci-après par « la Directive Accueil », ayant instauré en faveur des demandeurs de protection internationale un certain nombre de garanties portant sur les conditions matérielles de leur accueil et les soins de santé auxquels ils pourraient accéder, tout en donnant à considérer que l’article 17 de ladite directive imposerait aux Etats membres d’assurer auxdits demandeurs un niveau de vie adéquat en matière de leur subsistance et de la protection de leur santé physique et mentale, tandis que l’arrêt C-79/13 de la CJUE du 27 février 20142 aurait précisé que l’hébergement des demandeurs de protection internationale, devrait être convenable.

Le demandeur s’empare, par ailleurs, dans ce contexte, d’un rapport de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile sur la situation de l’asile, paru en 2023, aux termes duquel le principal défi des Etats membres, dont certains auraient dépassé le record de leur capacité d’accueil, sans toutefois pouvoir fournir un hébergement adéquat à tous les demandeurs de protection internationale, resterait le manque de logements suffisants.

Or, il ressortirait d’une déclaration du directeur général de l’association des villes et communes allemandes de novembre 2023, que ces municipalités auraient depuis longtemps dépassé les limites de leurs capacités en matière d’hébergement, de soins et d’intégration.

1 CJUE, C-411/10 et C-493/10, 21 décembre 2011, N. S. contre Secretary of State for the Home Department et M. E., A. S. M., M. T., K. P., E. H. contre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality and Law Reform.

2 CJUE, C-79/13, 27 février 2014, Federaal agentschap voor de opvang van asielzoekers contre Selver Saciri.

6 En se référant encore à un reportage diffusé en 2023 sur la chaîne de télévision franco-

allemande « ARTE », intitulé « À Berlin, le (mauvais) accueil du centre de réfugiés de Tegel », le demandeur fait valoir que la saturation des structures d’hébergement aurait pour conséquences l’essor des tensions entre les migrants, de sorte que l’organe d’aide aux réfugiés aurait demandé la fermeture du plus grand centre d’accueil et d’enregistrement créé en 2022 dans l’enceinte de l’ancien aéroport Tegel, à Berlin.

Dans cet ordre d’idées et face à « l’incapacité des autorités allemandes à garantir des conditions d’accueil sécurisées et dignes aux personnes déjà présentes sur le territoire », Monsieur … s’interroge sur le sort réservé aux demandeurs de protection internationale ayant fait l’objet d’un transfert vers l’Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III, ce d’autant plus qu’en 2023, le gouvernement allemand aurait pris des mesures visant à réduire les aides financières destinées aux migrants.

Au vu des considérations qui précèdent, le demandeur estime qu’il aurait appartenu au ministre d’effectuer une analyse plus pertinente de sa situation particulière au regard de la situation réelle de l’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne et conclut de l’ensemble de ses développements qu’en tant qu’homme adulte seul, ne bénéficiant, de ce fait, d’aucune priorité en matière de sa prise en charge, en Allemagne, en tant que demandeur de protection internationale, il risquerait d’y faire l’objet de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte, en ce que cet Etat membre ne serait pas en mesure de lui fournir les conditions matérielles lui assurant un niveau de vie adéquat, en l’occurrence un hébergement.

Le demandeur reproche, par ailleurs, au ministre une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où celui-ci aurait dû, en raison des circonstances particulières de l’espèce et de sa situation personnelle, caractérisées par l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans le système d’accueil des demandeurs d’asile, et à la lumière de la jurisprudence de la CJUE en la matière, faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, alors qu’un transfert vers cet Etat membre l’exposerait à un traitement contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Il y a d’abord lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par la demanderesse, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, pour autant que le demandeur a entendu, par ses critiques suivant lesquelles le ministre se serait contenté d’énoncer des affirmations génériques sans vérifier si les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale étaient en pratique respectés en Allemagne, reprocher un défaut de motivation, voire une motivation insuffisante à la décision ministérielle en cause, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Toute décision négative est motivée en fait et en droit (…) ».

7Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers l’Allemagne, à savoir le fait que le demandeur a introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 7 février 2024 et que cette dernière a accepté sa reprise en charge le 22 février 2024 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, retracé l’itinéraire suivi par le demandeur pour venir au Luxembourg, en constatant qu’après avoir été appréhendé par la police allemande à la frontière entre l’Allemagne et la République Tchèque, il avait immédiatement demandé une protection internationale. Il a encore retenu que le demandeur s’est rendu au Luxembourg afin d’y rejoindre un cousin maternel et que lors de son entretien Dublin III, il avait indiqué qu’à part des soucis psychologiques, il allait bien, respectivement qu’il n’a transmis au ministre aucun élément concret sur son état de santé, sinon fait état d’autres problèmes généraux empêchant son transfert vers l’Allemagne.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que cette motivation suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, étant encore souligné qu’il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait, pour prendre la décision litigieuse, pas procédé à une analyse sérieuse du respect effectif par l’Etat allemand des normes invoquées, tel que le fait plaider le demandeur.

Il s’ensuit que le moyen afférent du demandeur est rejeté.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour examiner la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

En l’espèce, le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision ministérielle déférée a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du 8règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … est l’Allemagne, en ce que le demandeur y avait introduit une demande de protection internationale en date du 7 février 2024 et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge en date du 22 février 2024.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers cet Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg, étant souligné que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des autorités allemandes, ni l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans le pays de transfert qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat et doit poursuivre la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Quant au moyen du demandeur tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, ce dernier dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte – corollaire de l’article 3 de la CEDH –, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre3.

A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un 3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.

9contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives8, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE9, des défaillances systémiques au sens de l’article10, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201711.

4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

5 Ibidem, point. 79 ; voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que Trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

8 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

9 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10Quant à la preuve à rapporter, en l’espèce, par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201912 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine13. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant14.

En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques graves en Allemagne résulteraient des conditions d’accueil dans ledit pays, Monsieur … dénonçant plus particulièrement, à cet égard, l’absence d’hébergements en faveur des demandeurs de protection internationale.

Le tribunal se doit, à cet égard, de constater que le demandeur n’ayant séjourné sur le territoire de l’Allemagne, après avoir été appréhendé par la police allemande lors d’un contrôle d’identité effectué à son entrée sur le prédit territoire, que pendant deux journées, il ne saurait se prévaloir utilement de l’existence de prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester son transfert, étant par ailleurs précisé, que lors de son entretien Dublin III, il n’a fait état ni d’agissements qu’il aurait personnellement subis de la part des autorités allemandes lors du traitement de sa demande de protection internationale ou encore à l’occasion des formalités ayant suivi son appréhension à la frontière entre l’Allemagne et la République Tchèque, et qui permettraient d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence dans ledit pays de défaillances systémiques, ni d’un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, Monsieur … ayant affirmé lors du prédit entretien non seulement qu’il n’avait rien à déclarer par rapport au déroulement de son trajet vers le Luxembourg, mais également qu’il a quitté l’Allemagne, sans attendre l’issue de sa demande de protection internationale, pour rejoindre son cousin maternel, installé au Luxembourg, pays lequel était, selon ses déclarations, la destination initiale de son trajet entrepris depuis l’Erythrée.

Dans ce même ordre d’idées, le tribunal relève que le demandeur reste, par ailleurs, en défaut de mettre d’une quelconque manière en relation la documentation dont il se prévaut pour invoquer l’existence de défaillances systémiques en Allemagne avec sa situation personnelle.

Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH », relative à une 12 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

13 Ibidem, pt. 92.

14 Ibidem, pt. 93.

11suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de la prédite agence, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne de ressortissants érythréens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui l’exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient pour lui un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs de protection internationale vers ce pays.

A cela s’ajoute qu’outre le fait qu’il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal qu’au cours du séjour du demandeur en Allemagne, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant, Monsieur … n’a pas non plus fourni au tribunal des indices concordants permettant de retenir qu’en tant que demandeur de protection internationale transféré en Allemagne, il risquerait d’y être confronté à des difficultés d’accueil et d’accès aux soins médicaux atteignant un degré de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il ne se dégage, dès lors, pas des éléments à la disposition du tribunal qu’au vu de sa situation particulière, les droits du demandeur ne seraient pas garantis en cas de retour en Allemagne, de même qu’il n’est pas établi que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale transférés vers cet Etat membre sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient, en Allemagne, aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes, en usant des voies de droit adéquates.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide allemand était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes, en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand ne serait pas conforme aux normes européennes.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que Monsieur … n’a pas démontré que son transfert vers l’Allemagne serait contraire aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des 12critères fixés dans le présent règlement. (…) », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres15, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201716.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge17, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration18.

En l’espèce, le demandeur renvoie en substance, dans ce contexte, à son argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Or, dans la mesure où cet argumentaire a été rejeté ci-avant et que d’autres considérations n’ont pas été mises en avant par le demandeur sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juillet 2024 par :

15 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.

16 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

17 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (2e volet) et les autres références y citées.

18 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.

13Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Anna CHEBOTARYOVA, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Paulo ANICETO LOPES.

s. Paulo ANICETO LOPES s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50638
Date de la décision : 17/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-17;50638 ?

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