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17/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50713

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2024, 50713


Tribunal administratif N° 50713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50713 chambre de vacation Inscrit le 10 juillet 2024 Audience publique du 17 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50713 du rôle et déposée le 10 juillet 2024 au greffe du tribunal admini

stratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc...

Tribunal administratif N° 50713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50713 chambre de vacation Inscrit le 10 juillet 2024 Audience publique du 17 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50713 du rôle et déposée le 10 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 24 juin 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Eric SAYS s’étant excusé.

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Il ressort de plusieurs rapports de la Police grand-ducale des 17 mars, 1er avril, 4 avril et 24 juin 2024, portant respectivement les références …, …, … et …, que Monsieur …, connu sous différents alias, fit l’objet de contrôles policiers lors desquels il ne put présenter de documents d’identité en cours de validité. Il ressort plus particulièrement du rapport précité du 24 juin 2024 que Monsieur … avait fait usage d’une carte de membre plastifiée avec une photo de lui ainsi que son nom, prénom et sa date de naissance, et qu’il faisait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) par les autorités néerlandaises.

Par arrêté du 24 juin 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après dénommé « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son encontre.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 24 juin 2024, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question, lequel est basé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 24 juin 2024 établi par la Police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat … ;

Vu la décision de retour du 24 juin 2023, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’Information Schengen (SIS) ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Suite à une recherche effectuée en date du 25 juin 2024 dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Monsieur … avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 27 juillet 2020, ainsi qu’aux Pays-Bas en date du 9 septembre 2020.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 24 juin 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 » institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte la prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement.

Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.

Enfin, le demandeur fait valoir que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vol ne sauraient justifier un placement en rétention.

Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision de placement litigieuse, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 24 juin 2024, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.

Etant donné qu’à cette même date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite. Au contraire, le risque de fuite est corroboré par le comportement du demandeur, alors qu’il s’est maintenu sur le territoire de l’Espace Schengen après le refus de sa demande de protection internationale par les autorités néerlandaises, que son transfert par les autorités belges n’a pas pu avoir lieu endéans les délais requis, qu’il a fait usage de plusieurs alias et qu’il a disparu du territoire néerlandais depuis juin 2023, de sorte qu’il s’est soustrait à sa mesure d’éloignement vers le Maroc.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, il y a lieu de relever que suite à une recherche effectuée en date du 25 juin 2024 dans la base de données EURODAC, laquelle a révélé que Monsieur … avait introduit des demandes de protection internationale en Allemagne en date du 27 juillet 2020 et aux Pays-Bas en date du 9 septembre 2020, l’autorité ministérielle s’est enquise dès le 25 juin 2024, c’est-à-dire dès le lendemain de la prise de la décision litigieuse, sur la procédure de retour auprès des autorités néerlandaises qui ont fait suite à leur demande le même jour en répondant que la demande de protection internationale de l’intéressé avait fait l’objet d’un refus, qu’elles avaient accepté une demande de reprise en charge leur adressée par les autorités belges, mais que Monsieur … ne put être transféré endéans les délais requis. Ils informèrent finalement leurs homologues luxembourgeois que l’intéressé avait disparu du territoire néerlandais depuis juin 2023.

Par courrier électronique du 25 juin 2024, l’autorité ministérielle s’enquit auprès des autorités néerlandaises au sujet du signalement de Monsieur …, lesquelles répondirent le même jour que Par courrier du 26 juin 2024, le ministre a contacté le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège en vue de l’identification du demandeur et de la délivrance dans son chef d’un laissez-passer, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales, deux photos d’identité, ainsi qu’une copie d’un laissez-passer émis par leur Consulat à Den Bosch aux Pays-Bas en date du 30 mai 2023, demande à laquelle les autorités consulaires marocaines ont répondu par courrier électronique du 3 juillet 2024 en sollicitant des informations complémentaires quant à la situation de Monsieur …. Par courrier du 4 juillet 2024, les autorités ministérielles luxembourgeoises ont transmis les informations supplémentaires sollicités, tout en réitérant leur demande de délivrance d’un laissez-passer.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier et au vu des éléments soumis à son appréciation, les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter.

S’agissant des mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, force est de constater que le demandeur n’invoque, et a fortiori n’établit pas qu’il remplirait les conditions nécessaires pour que le recours auxdites mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal qu’en l’espèce, l’une des mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 auraient pu être efficacement appliquées au demandeur.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-

fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juillet 2024 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Emilie DA CRUZ DE SOUSA, premier juge, en présence du greffier Paulo ANICETO LOPES.

s. Paulo ANICETO LOPES s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50713
Date de la décision : 17/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-17;50713 ?

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