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24/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50734

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 juillet 2024, 50734


Tribunal administratif N° 50734 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50734 chambre de vacation Inscrit le 12 juillet 2024 Audience publique du 24 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50734 du rôle et déposée le 12 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette

NGONO YAH, avocat à la Cour, assistée de Maître Hakan KAPLANKAYA, avocat, tous les de...

Tribunal administratif N° 50734 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50734 chambre de vacation Inscrit le 12 juillet 2024 Audience publique du 24 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50734 du rôle et déposée le 12 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, assistée de Maître Hakan KAPLANKAYA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Côte d’ivoire), de nationalité ivoirienne, actuellement assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 27 juin 2024 de le transférer vers la Slovénie, comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Amadou NDIAYE, en remplacement de Maître Yvette NGONO YAH, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 4 mars 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité, ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait déjà auparavant introduit deux demandes de protection internationale en Espagne en date du 6 mai 2019 et en Slovénie le 15 juillet 2022.

En date du 11 mars 2024, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en 1vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 17 avril 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III à leurs homologues slovènes, demande qui fut acceptée par ces derniers, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, en date du 9 mai 2024, après un refus initial notifié en dates des 23 avril et 7 mai 2024.

Par un arrêté du 5 juin 2024, le ministre des Affaires intérieures, dénommé ci-après « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à … à partir de la notification jusqu’au 7 août 2024.

Par un courrier du 6 juin 2024, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues slovènes que la date limite pour le transfert devrait être étendue jusqu’au 9 novembre 2025 en raison de la disparition de Monsieur …, qui a cependant ensuite réintégré son foyer à partir du 12 juin 2024, tel que cela ressort d’un courrier électronique de la part du greffe de … du 13 juin 2024, pour ensuite disparaître à nouveau à partir du 9 juillet 2024, tel que cela ressort d’un relevé de … du même jour.

Par décision du 27 juin 2024, notifiée à l’intéressé par un courrier envoyé le lendemain, le ministre informa Monsieur … du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la Slovénie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 mars 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Slovénie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 4 mars 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 11 mars 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2 En date du 4 mars 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Espagne en date du 6 mai 2019 et une demande en Slovénie en date du 15 juillet 2022.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 11 mars 2024, Sur cette base, une demande de reprise en charge sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités slovènes en date du 17 avril 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités slovènes en date du 9 mai 2024, sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert 3 En l'espèce, il ressort des résultats du 4 mars 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Espagne en date du 6 mai 2019 et une demande en Slovénie en date du 15 juillet 2022.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Côte d'ivoire en mai 2019 en avion à destination de l'Espagne, avec une escale en Turquie. Vous auriez passé environ une semaine à l'aéroport de Barcelone. Vous avez introduit une demande de protection internationale, qui aurait été rejetée, et vous auriez été éloigné en Turquie par les autorités espagnoles. Après avoir passé un certain temps en Turquie, vous auriez eu la possibilité de vous rendre en Grèce dans une embarcation clandestine. Selon vos dires, vous auriez introduit une demande de protection internationale en Grèce et vous seriez resté trois ans et demi en Grèce. Votre demande ayant été rejetée, vous auriez quitté la Grèce par la route des Balkans en direction de la Slovénie. Vous avez par la suite introduit une demande de protection internationale en Slovénie et auriez été hébergé dans un foyer à Ljubljana pendant environ un an et demi. Vous auriez quitté la Slovénie de votre propre volonté en raison des conditions de vie et vous seriez parti en train en direction du Luxembourg où vous seriez arrivé le 28 février 2024.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 mars 2024, vous mentionnez que vous auriez des vertiges et des douleurs dans la poitrine depuis six mois. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Slovénie qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons que la Slovénie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Slovénie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Slovénie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Slovénie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Slovénie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

4Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Slovénie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Slovénie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3.

Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la Slovénie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Slovénie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré.

Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Slovénie en informant les autorités slovènes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités slovènes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation de la décision ministérielle, précitée, du 27 juin 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un 5recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours principal en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur, outre de passer en revue les rétroactes repris ci-avant, explique avoir vécu dans une famille musulmane en Côte d'Ivoire, mais s’être converti au christianisme, raison pour laquelle il aurait subi des persécutions qui l’auraient poussé à quitter son pays d’origine pour arriver finalement au Luxembourg, après avoir traversé plusieurs pays et notamment la Slovénie.

Il donne à considérer qu’en juillet 2023, il aurait fait la connaissance d’une dénommée …, de nationalité portugaise, habitant à L-…, lors d’un voyage de cette dernière en Slovénie, relation qui se serait intensifiée très rapidement, de sorte qu’ils auraient décidé de se marier, un premier contact y relatif avec la mairie de … ayant déjà eu lieu.

En droit, le demandeur conclut à la réformation de la décision déférée pour violation de son droit à la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », alors que le ministre aurait précipité l'initiation de la procédure Dublin sans l’interroger sur ses liens familiaux.

Ce serait dès lors à tort que le ministre aurait retenu qu’il n'existerait pas de raisons pour une application ni de l'article 16, paragraphe (1) ni de l’article 17 du règlement DIII, alors qu’il aurait le projet de se marier avec la dénommée …, tel que cela ressortirait des premières démarches y relatives entreprises auprès de la mairie de …, laquelle n'aurait cependant pas encore donné de date précise pour le mariage.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens.

En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est, en l’espèce, basé pour conclure à la responsabilité des autorités slovènes, dispose que :

« L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] 6 d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre; ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où la précédente demande de protection internationale est en cours d’examen.

En l’espèce, force est en effet de relever que, par courrier du 9 mai 2024, la Slovénie a finalement bien accepté la demande de reprise en charge sur le fondement juridique de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a fait application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, pour conclure à la responsabilité de la Slovénie pour traiter la demande de protection internationale du demandeur, sans que ce constat ne soit énervé par les développements non autrement circonstanciés du demandeur dans sa requête introductive d’instance quant à une éventuelle application de l’article 16 du règlement Dublin III1, alors que le demandeur n’invoque pas avoir un enfant, des frères ou sœurs, respectivement des père ou mère résidant légalement au Luxembourg.

Force est ainsi de relever que la compétence de principe de la Slovénie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois n’est pas contestable, mais que le demandeur soutient, en substance, qu’un transfert vers la Slovénie violerait l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en ce que son droit à une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH ne serait pas respecté.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat responsable, - article non invoqué en 1 Article 16 du règlement Dublin III : « 1. Lorsque, du fait d’une grossesse, d’un enfant nouveau-né, d’une maladie grave, d’un handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l’assistance de son enfant, de ses frères ou sœurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États membres, ou lorsque son enfant, son frère ou sa sœur, ou son père ou sa mère, qui réside légalement dans un État membre est dépendant de l’assistance du demandeur, les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette sœur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d’origine, que l’enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit.

2. Lorsque l’enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère visé au paragraphe 1 réside légalement dans un État membre autre que celui où se trouve le demandeur, l’État membre responsable est celui dans lequel l’enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère réside légalement, à moins que l’état de santé du demandeur ne l’empêche pendant un temps assez long de se rendre dans cet État membre. Dans un tel cas, l’État membre responsable est celui dans lequel le demandeur se trouve. Cet État membre n’est pas soumis à l’obligation de faire venir l’enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère sur son territoire. […] ».

7l’espèce -, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat pour ce faire.

En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, auquel est susceptible d’être rattaché le moyen tenant à une violation de l’article 8 de la CEDH, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres2, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », du 16 février 20173. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge4, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration5.

Force est en l’espèce de relever que le demandeur fait plaider, en substance, que le ministre aurait dû faire usage de la clause discrétionnaire, alors que son transfert vers la Slovénie serait de nature à violer son droit à une vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la CEDH, correspondant à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », aux termes desquels « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance […] », respectivement « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. ».

Si le demandeur fait actuellement état d’un projet de mariage avec une certaine Madame …, force est cependant de relever que leur relation, qui aurait débuté, selon les explications fournies pour la première fois dans la requête introductive d’instance, en juillet 2023 déjà, ne ressort d’aucun élément concret et suffisamment objectif de la cause, alors que le demandeur se limite à verser une copie de la carte d’identité de Madame …, ainsi qu’un échange de messages électroniques entre lui-même et la commune de … au sujet des modalités de l’organisation d’un mariage. Ce constat est encore conforté par le fait que le demandeur ne déclare pas non plus résider actuellement ensemble avec la dénommée Madame …, et qu’il n’a lui-même jamais fait état de cette relation ni devant la police grand-

ducale à l’occasion de son arrivée au Luxembourg, ni devant l’agent du ministère dans le 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

4 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

5 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

8cadre de son entretien, où il a même affirmé vivre avec une autre compagne dénommée … à Dudelange6.

Il s’ensuit que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit que sa relation avec la dénommée … serait de nature à devoir être protégée par l’article 8 de la CEDH, respectivement article 7 de la Charte, de sorte qu’il laisse de démontrer qu’au regard notamment de sa situation individuelle, le ministre aurait violé l’article 8 de la CEDH ou commis un mauvais usage du pouvoir discrétionnaire dont il dispose en vertu de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, étant par ailleurs relevé que, l'article 8 de la CEDH ne conférant pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, le demandeur n’établit pas qu'il ne pourrait pas poursuivre sa relation, respectivement se marier avec la dénommée … en Slovénie.

Le moyen tenant à une violation de l’article 17 du règlement Dublin III, en combinaison avec l’article 8 de la CEDH, équivalant à l’article 7 de la Charte, est partant à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours principal en réformation encourt le rejet pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Laura Urbany, premier juge, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 6 Rapport d’audition du 11 mars 2024, page 3 : « Actuellement j'habite avec ma nouvelle campagne. Je loge chez elle à l'adresse sis … L-…. Elle s'appelle …. » 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50734
Date de la décision : 24/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-24;50734 ?

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