Tribunal administratif N°50762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50762 chambre de vacation Inscrit le 17 juillet 2024 Audience publique du 24 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50762 du rôle et déposée le 17 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 8 juillet 2024 ayant prorogé son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur Celik, en remplacement de Maître Sanae Igri, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », fit l’objet de plusieurs contrôles d’identité par la police grand-ducale, notamment en date du 8 janvier 2024, suivant rapports n° …, n° … et n° … dits « Fremdennotiz », tous établis à la même date, en date du 31 janvier 2024, suivant rapport n° … dit « Fremdennotiz », établi à la même date, en date du 6 février 2024, suivant rapport n° …, établi à la même date, en date du 9 mars 2024, suivant rapport n° … dit « Fremdennotiz », établi à la même date, et en date du 10 avril 2024, suivant rapport n° … dit « Fremdennotiz », établi à la même date, lors desquels celui-ci ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité et où il fut constaté qu’il avait fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen (SIS) par les Pays-Bas.
En date du 9 janvier 2024, une recherche initiée dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement (UE) N° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé « le règlement Dublin III », révéla que Monsieur … 1avait déposé des demandes de protection internationale en Italie le 29 novembre 2017, ainsi qu’aux Pays-Bas les 9 janvier et 27 octobre 2023.
Par arrêté du 10 avril 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 10 avril 2024, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport n°… du 10 avril 2024 établi par la Police Grand-Ducale, Région …, Commissariat … ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Italie et une aux Pays-Bas ;
Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé vont être engagées ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
En date du 11 avril 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … en application de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée en date du 17 avril 2024 par les autorités néerlandaises sur base de l’article 23, paragraphe (2) du même règlement.
Par arrêté du 8 mai 2024, notifié à l’intéressé le 10 mai 2024, le ministre prorogea la mesure de placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.
Par jugement du 14 mai 2024, inscrit sous le numéro 50455 du rôle, le tribunal administratif donna acte à Monsieur … qu’il se désiste de l’instance introduite en date du 8 mai 2024 contre la décision ministérielle de placement au Centre de rétention du 10 avril 2024 et déclara le désistement régulier et valable.
2Par jugement du tribunal administratif du 29 mai 2024, portant le numéro 50481 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 22 mai 2024 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 8 mai 2024.
Par arrêté du 5 juin 2024, notifié à l’intéressé le 10 juin 2024, le ministre prorogea à nouveau la mesure de placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.
Par jugement du tribunal administratif du 19 juin 2024, portant le numéro 50585 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 12 juin 2024 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 5 juin 2024.
Par arrêté du 8 juillet 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 10 juillet 2024, le ministre prorogea encore le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 10 avril, 8 mai et 5 juin 2024, notifiés le 10 avril, le 10 mai et le 10 juin 2024, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 10 avril 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 8 juillet 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose les rétroactes gisant à la base de la décision déférée.
En droit, tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l'étranger au Centre de rétention ne serait pas justifié, lorsqu'il n'existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l'existence de garanties de représentation, soumise à l'appréciation souveraine du juge.
3 Il donne à considérer dans ce contexte que lors de son interpellation, il aurait coopéré avec les services de police afin de permettre son identification, et qu’il aurait exprimé sa volonté de respecter les obligations lui imposées en vue d'organiser son éloignement.
Le demandeur affirme ensuite que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d’aller et venir, garantie tant par la Constitution que par l’article 5, paragraphe (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », de sorte qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, en ordonnant une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur citant, dans ce contexte, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, Guzzardi c. Italie.
A cet égard, le demandeur fait valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté » et sollicite son placement au sein du « … », désigné ci-après par « … », ou de la …, désignée ci-
après par « … », en citant un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2024, inscrit sous le numéro 50351 du rôle, qui aurait confirmé la possibilité d’être assigné à résidence dans ladite structure.
Il donne à considérer que le placement en structure fermée d'un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon à exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphe (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d'un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.
Par ailleurs, le demandeur insiste sur le fait qu’il afficherait un comportement irréprochable au Centre de rétention et serait une personne « responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse », de sorte qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef.
Il soutient que le principe selon lequel le placement d’un étranger doit être nécessaire au but légitime poursuivi figurerait non seulement dans la loi du 29 août 2008 mais également dans la directive 2008/115.
Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d'un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre, pour conclure que son placement à … ou à … serait plus adapté à sa situation personnelle, étant donné qu’il n’aurait « nullement troublé gravement l’ordre public » du Grand-Duché de Luxembourg.
Par ailleurs, le demandeur soutient qu’une assignation à résidence à … constituerait une garantie de représentation suffisante, étant donné qu’une seule garantie de représentation serait 4exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d'indiquer qu'il sera présent à une audience sans qu'il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n'a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».
Sur le fondement de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et de la « jurisprudence constante » de la CourEDH relative à l’article 5 de la CEDH, le demandeur affirme encore que le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement devrait être en cours ou exécuté avec toute la diligence requise, ce qui impliquerait que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais. Dans ce contexte, il affirme que le processus d’éloignement vers les Pays-Bas, Etat qui serait responsable de sa demande d’asile introduite conformément à l’article 18, paragraphe (1), point b), n’aurait pas abouti en raison d’un manque de diligence qui serait imputable aux autorités ministérielles luxembourgeoises, lesquelles auraient omis de formuler la demande de reprise en charge le concernant et de la faire parvenir à leurs homologues néerlandais à compter de la date des recherches initiées dans la base de données EURODAC, en l’espèce le 9 janvier 2024, partant jusqu’au 9 mars 2024.
Le demandeur ajoute que, depuis la demande d’identification et de délivrance d’un laissez-
passer adressée par les autorités luxembourgeoises au Consulat général du Royaume du Maroc à Liège en date du 19 avril 2024, les autorités consulaires marocaines n’auraient pas procédé à son identification officielle et seraient restées silencieuses depuis le 31 mai 2024, et ce, malgré les relances effectuées par les autorités luxembourgeoises. Il en conclut que son éloignement ne pourrait pas être mené à bien.
Le demandeur s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours.
A titre liminaire, il convient de rappeler qu’il appartient au tribunal de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties.
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la 5rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’il a fait l’objet d’une décision de retour en date du 10 avril 2024, décision non visée par le présent recours, et qu’il est démuni de tout document d’identité et de voyage valable.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), alinéa 6 de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne peut 6justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité […] ».
Ainsi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements ayant trait à son comportement irréprochable, à sa personnalité et à sa volonté de collaborer avec les autorités luxembourgeoises, lesquels sont, à défaut d’autres éléments, insuffisants à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, et il en est de même en ce qui concerne son argumentation selon laquelle il ne représenterait aucun danger pour l’ordre public.
S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève qu’à cet égard, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
7Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant. En effet, il est constant en cause que Monsieur … ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré ni d’attaches au Luxembourg et il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et notamment celle visée au point b) dudit article, s’impose.
C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence à … ou à …, alors qu’aucune de ces structures d’hébergement ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable.
Il en va de même du jugement du 6 mai 2024, inscrit sous le numéro 50351 du rôle, ayant pour objet la décision de transfert contre laquelle le concerné avait introduit un recours et non pas contre la mesure d’assignation à résidence, de sorte à ne pas être pertinent en l’espèce.
Le même constat s’impose encore quant à l’invocation par le demandeur de jurisprudences de la Cour de cassation française alors que, d’une part, des décisions de justice étrangères ne s’imposent pas au tribunal administratif, et, d’autre part, le demandeur reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure lesdites jurisprudences seraient pertinentes par rapport à sa situation personnelle.
Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.
1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.
8 En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal a retenu dans ses jugements, précités, du 29 mai 2024 et du 19 juin 2024 que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises jusqu’à ces dates devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.
Ces jugements ayant autorité de chose jugée, l’analyse du tribunal se limitera aux démarches accomplies à la suite de ces jugements en question, de sorte que les contestations du demandeur ayant trait à la tardiveté de la demande de reprise en charge adressée par les autorités luxembourgeoises à leurs homologues néerlandais le 11 avril 2024 sont à écarter.
Quant aux démarches postérieures au jugement susmentionné du 19 juin 2024, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises se sont enquises auprès de leurs homologues marocains sur l’état d’avancement du dossier du demandeur par courriels datés des 18 juin et 2 juillet 2024. Il en ressort encore que suite à un courrier du 2 juillet 2024, les autorités consulaires marocaines ont indiqué aux autorités luxembourgeoises qu’elles avaient formellement identifié le demandeur et qu’elles étaient disposées à délivrer un laissez-passer consulaire au profit de Monsieur …. Le 4 juillet 2024, l’Unité de Garde et d’Appui Opérationnel (UGAO), Service de Garde et de Protection (SGP), de la police grand-ducale a été chargée par le ministre d’organiser le départ du requérant vers le Maroc. Le 15 juillet 2024, la police a communiqué un plan de vol avec comme date d’éloignement du demandeur le 5 août 2024.
Au vu des diligences ainsi accomplies par les autorités ministérielles luxembourgeoises en vue de l’éloignement du demandeur, a priori fructueuses, dans la mesure où un vol de retour a pu être réservé au nom du demandeur pour le 5 août 2024, aucun reproche tiré d’un manque de démarches ne saurait être formulé à l’égard des autorités luxembourgeoises.
Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir que les démarches entreprises par le ministre doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter.
Au vu de ces considérations, le moyen du demandeur tendant à une prétendue absence de perspective raisonnable de son éloignement est partant également à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».
Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu 9dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays.2 Dans un arrêt du 15 décembre 20163, la Cour européenne des droits de l’Homme a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».
En l’espèce, étant donné, d’une part, que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour en date du 10 avril 2024, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, et d’autre part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure d’éloignement dont il fait l’objet en exécution de ladite décision de retour est menée avec la diligence requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Au vu des développements faits ci-avant, le tribunal conclut que les contestations du demandeur quant à la légalité, à la nécessité, au caractère justifié et à la proportionnalité de la mesure de placement en rétention litigieuse sont à rejeter dans leur ensemble.
Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/1154, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la mesure de placement en rétention litigieuse est légale – le tribunal ayant, plus particulièrement, 2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812, 1er volet, et les autres références y citées.
3 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.
4 Article 15 de la directive 2008/115: « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:
a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.
La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.
Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres:
a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.
Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale.
[…] 4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté. […] ».
10retenu qu’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention n’est pas envisageable, que le demandeur n’a pas renversé la présomption d’un risque de fuite dans son chef et que le dispositif d’éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise – et, d’autre part, que le demandeur n’a ni allégué ni a fortiori prouvé qu’il n’existerait en l’espèce pas de perspective raisonnable d’éloignement. Dans ces circonstances, une remise en liberté, telle que prévue aux paragraphes (2) et (4) de l’article 15 de la directive 2008/115 ne se conçoit en tout état de cause pas, indépendamment de la question de l’effet direct de ces derniers.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000,- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000,- euros, telle que formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 juillet 2024 par :
Olivier Poos, vice-président, Laura Urbany, premier juge, Nicolas Griehser Schwerzstein, attaché de justice délégué, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11