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31/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50802R

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 juillet 2024, 50802R


Tribunal administratif N° 50802R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50802R Inscrit le 25 juillet 2024 Audience publique du 31 juillet 2024 Requête en sursis à exécution sinon en obtention d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’extradition

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50802R du rôle et déposée le 25 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître

Brian HELLINCKX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg,...

Tribunal administratif N° 50802R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50802R Inscrit le 25 juillet 2024 Audience publique du 31 juillet 2024 Requête en sursis à exécution sinon en obtention d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’extradition

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 50802R du rôle et déposée le 25 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Brian HELLINCKX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Brésil), actuellement détenu au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, tendant à ordonner le sursis à exécution, respectivement une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2024 autorisant son extradition vers le Brésil aux fins de poursuite en exécution du mandat d’arrêt n°0015787-27.2017.8.13.0005 du 23 janvier 2020 décerné par la Cour d’Appel d’Açucena, Minas Gerais, cette décision étant par ailleurs entreprise au fond par une requête en annulation introduite le 25 juillet 2024, portant le numéro 50801 du rôle;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries versée en cause par la partie étatique ;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée ;

Maître Brian HELLINCKX, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Laurent THYES entendus en leurs plaidoiries respectives en date du 30 juillet 2024.

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Par décision du 23 mai 2024, le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », faisant suite à une demande présentée par les autorités brésiliennes en vue de l’extradition, aux fins d’exécution d’un mandat d’arrêt du ressortissant brésilien Monsieur …, actuellement détenu au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, se basant sur l’avis conforme de la chambre du conseil de la Cour d’appel émis le 30 avril 2024, accorda l’extradition sollicitée.

Par requête déposée le 25 juillet 2024, inscrite sous le numéro 50801 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle du 23 mai 2024, et par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50802R du rôle, il a introduit une demande tendant à ordonner le sursis à exécution de la décision en question, sinon à voir bénéficier d’une mesure de sauvegarde, consistant à voir ordonner au ministre de la Justice de verser de plus amples pièces et précisions quant à une éventuelle exécution de la peine d’emprisonnement pour laquelle l’extradition et requise et quant à la garantie de l’intégrité physique de Monsieur … en cas d’extradition vers le Brésil.

A l’appui de son recours au fond, Monsieur … fait plaider que ce serait à tort que le ministre a fait droit à la demande d’extradition des autorités serbes.

Il fait, tout d’abord, valoir que le ministre aurait commis un excès de pouvoir en se référant à un « (…) mandat d'arrêt n°0015787-27.2017.8.13.005 décerné le 23 janvier 2020 par la Cour d'Appel d'Açuena, Minas Gerais (…) », alors qu’un tel mandat n’existerait pas et que la chambre du conseil de la Cour d’appel de Luxembourg n’aurait pas rendu d’avis positif y relatif, le seul mandat émis en l’espèce ayant été celui de février 2023.

Le demandeur conclut encore à l’annulation de l’arrêté ministériel du 23 mai 2024 pour violation de l’article 7, paragraphe (2) de la loi modifiée du 20 juin 2001 sur l’extradition, ci-

après désignée par « la loi du 20 juin 2001 », en faisant valoir qu’il résiderait au Luxembourg depuis plusieurs années. Il précise, dans ce contexte, avoir fui le Brésil en raison des menaces de mort proférées à son égard par les amis et membres de famille de sa victime, pour s’installer notamment au Portugal, puis, les cinq dernières années au Luxembourg. Ainsi, il travaillerait au Luxembourg afin de gagner de l’argent pour pouvoir s’offrir les services d’un avocat brésilien compétent afin d’obtenir la révision de son procès pénal. Il affirme encore résider ensemble avec sa compagne et ses deux enfants qu’il aurait cependant dû déscolariser afin de les protéger d’une éventuelle tentative d’enlèvement, le demandeur soutenant encore, dans ce contexte, d’une part, que son studio de tatouage aurait été vandalisée avec des graffitis véhiculant des messages menaçants à son encontre et, d’autre part, qu’il aurait reçu des messages téléphoniques l’informant que des personnes privées offriraient 5.000 reals à toute personne pouvant les renseigner sur son lieu de séjour.

L’arrêté ministériel déférée du 23 mai 2024 porterait également atteinte à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi qu’à l’article 3, paragraphe (1) de la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la CIDE », au motif que son extradition vers le Brésil le séparerait de ses deux enfants résidant avec lui au Luxembourg.

En se prévalant de l’article 12, paragraphe (2) de la loi du 20 juin 2001, ainsi que des articles 3 de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et 3 de la CEDH, le demandeur expose qu’il serait, de manière générale, exposé à un danger réel et sérieux de faire l’objet de mauvais, voire même de mourir en cas d’incarcération au Brésil au regard des conditions régnant dans les prisons brésiliennes marquées par une surpopulation chronique, ainsi que par une situation sanitaire et sécuritaire désastreuse. Ces problèmes seraient encore accentués dans son chef au regard de sa qualité d’ancien agent pénitentiaire, ainsi qu’au regard des menaces proférées à son encontre, le demandeur précisant encore, dans ce cadre, que sa victime aurait été issue d’une famille riche et puissante du Brésil. Monsieur … invoque, afin de décrire la situation carcérale au Brésil plusieurs articles de presse des années 2018 et 2019, voire non datés ainsi qu’un arrêt de la Cour de cassation italienne du 18 novembre 2013 ayant refusé une extradition vers le Brésil au motif que les droits de l’homme n’y seraient pas respectés.

Le demandeur fait finalement valoir qu’un certain nombre des droits les plus élémentaires auraient été violés dans le cadre de la procédure pénale menée au Brésil et ayant 2conduit à sa condamnation, violations ayant conduit Monsieur … à introduire une demande de révision. Ainsi, il n’aurait pas été régulièrement convoqué à l’audience, la plainte dirigée à son encontre aurait contenu de nombreuses incohérences et irrégularités, des éléments factuels retenus dans l’arrêt de condamnation seraient contredites par le dossier répressif, le procureur en charge du dossier aurait été la tante de la victime, ce qui constituerait une violation du principe d’impartialité, son assignation à résidence aurait, par erreur, été révoquée et l’argument de légitime défense n’aurait pas été pris en considération, ces éléments ayant dû conduire le ministre à annuler l’arrêté d’extradition litigieux et à solliciter des informations supplémentaires de la part des autorités brésiliennes.

Monsieur … estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’extradition risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond, reproduits ci-avant, seraient sérieux, d’autre part.

Pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, il met en exergue le fait que sa situation personnelle serait gravement affectée par la décision d’extradition dans la mesure où elle l’obligerait de quitter le Grand-Duché de Luxembourg où il serait parfaitement intégré, elle le confronterait à des contraintes quant à sa liberté d’aller et de venir et surtout elle l’exposerait à un risque réel et sérieux pour sa vie.

Le délégué du gouvernement conteste le sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours au fond.

En vertu de l’article 11, paragraphe (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

Une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.

L’affaire au fond ayant été introduite le 25 juillet 2024 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis à exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable 3et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée. Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

La compétence du président du tribunal est encore restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, comme l’intérêt à agir, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond.

En ce qui concerne, tout d’abord, le moyen du demandeur fondé sur un excès de pouvoir dans le chef du ministre pour avoir fait référence à un « mandat d’arrêt » n° 0015787-

27.2017.8.13.005 décerné le 23 janvier 2020 par la Cour d’appel d’Açuena, Minas Gerais, le soussigné doit retenir que ce moyen ne présente pas suffisamment de chances de succès pour justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité, dans la mesure où, tel que relevé tant par le demandeur lui-même que par le délégué du gouvernement, ladite référence semble être une simple erreur matérielle, alors qu’il ne s’agit pas d’un mandat d’arrêt du 23 janvier 2020 mais de l’arrêt prononcé par ladite juridiction le 23 janvier 2020.

Quant à l’invocation par le demandeur de l’article 7, paragraphe (2) de la loi du 20 juin 2001 aux termes duquel « L'extradition peut être refusée si la personne réclamée est un étranger qui réside durablement au Luxembourg et si l'extradition est considérée comme inopportune en raison de son intégration ou des liens qu'il a établis au Luxembourg pour autant toutefois qu'il puisse être poursuivi au Luxembourg pour le fait pour lequel l'extradition est demandée. », le soussigné constate de prime abord qu’il s’agit en l’espèce d’une faculté ouverte au gouvernement, et non pas d’une obligation.

A cet égard, il résulte de la jurisprudence des juges du fond que lorsqu’une disposition constitue une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu à l’autorité, si un tel pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des 4intérêts publics dont elles ont la charge1, il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée2, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu à annuler la décision en question, à condition que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal3.

Or, force est de constater au soussigné qu’en l’état actuel des débats, le moyen tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe (2) de la loi du 20 juin 2001 n’est pas à considérer comme suffisamment sérieux au sens de l’article 11, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999, étant donné que les pièces soumises à l’analyse du soussigné par le demandeur ne permettent pas de retenir que celui-ci réside durablement au Luxembourg depuis plusieurs années et qu’il s’y soit intégré, respectivement qu’il y ait établi des liens. Ainsi, Monsieur … se limite d’affirmer avoir vécu depuis six ans en Europe, notamment au Portugal et depuis cinq ans au Luxembourg, sans cependant verser le moindre document probant y relatif, si ce n’est qu’une copie de sa carte de sécurité sociale luxembourgeoise, un extrait bancaire portant sur un montant de … euros payé le 1er janvier 2024 et dépourvu de précision quant à l’objet du virement, une capture d’écran d’un téléphone portable renseignant sur deux paiements en faveur de l’administration communale de …, sans précision quant à la date et quant à l’objet des virements, et finalement la preuve d’inscription des deux enfants de Monsieur … dans une école primaire de la commune de … jusqu’au 2 mai 2023, ensemble avec un message téléphonique d’un enseignant selon lequel les enfants auraient réintégré ladite école à partir du 15 avril 2024.

Le soussigné doit en conclure qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond, ce moyen ne présente pas suffisamment de chances de succès pour justifier l’octroi d’un sursis à exécution, dans la mesure où les documents lui soumis ne paraissent pas de nature à établir une résidence durable, respectivement l’intégration de Monsieur … au Luxembourg, voire l’existence de liens avec ledit pays s’opposant à son extradition vers le Brésil, conformément à l’article 7, paragraphe (2) de la loi du 20 juin 2001.

En ce qui concerne l’invocation de l’article 8 de la CEDH de la part du requérant, ainsi que de l’article 3, paragraphe (1) de la CIDE, il y a lieu de rappeler que la Cour européenne des Droits de l’Homme a récapitulé comme suit les principes régissant l’application de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Gül c. Suisse4 : la Cour a ainsi rappelé que l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Il peut engendrer, de surcroît, des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’Etat au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation. Au-delà du cadre offert par ces principes, la jurisprudence n’offre pas de critères spécifiques pour l’application de l’article 8, la Cour procédant au cas par cas et l’examen de la jurisprudence montre qu’elle le fait systématiquement. Dans chaque litige dont elle est saisie, elle commence par chercher à établir l’existence d’une ingérence dans l’exercice 1 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

2 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

3 Voir notamment pour une application de ce principe : trib. adm. 1er juillet 2015, n° 36439.

4 CEDH, 19 février 1996, Gül c. Suisse.

5du droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8.1, avant de se demander si cette ingérence peut se justifier au sens de l’article 8.2, en tenant compte de l’ample marge d’appréciation dont jouissent les Etats pour se conformer à la Convention.

Or, à cet égard, il convient, d’une part, de tenir compte de la vie familiale effective du requérant, ainsi que de l’intérêt supérieur des enfants, dont la durée de séjour au Luxembourg, tel que constaté ci-avant, ni la situation familiale ne sont clairement établies, le demandeur se limitant d’affirmer résider ensemble avec sa compagne, leur enfant commun et un enfant propre, sans fournir le moindre élément de preuve à cet égard, et, d’autre part, de la gravité particulière des faits ayant justifié sa condamnation au Brésil, en l’occurrence le meurtre d’une personne.

Or, de telles questions d’appréciation requièrent une analyse plus poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait pas procéder. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux du moyen soulevé au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que ledit moyen est suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire, de sorte qu’il encourt le rejet.

Quant à l’invocation des articles 12, paragraphe (2) de la loi du 20 juin 2001, refusant l’extradition de personnes risquant de faire l’objet d’actes de torture, respectivement de traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi que des articles 1er et 3 respectivement de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la CEDH, le soussigné ne saurait retenir le caractère suffisamment sérieux de ces moyens, alors que le demandeur est a priori resté en défaut d’établir, dans son chef, un risque suffisamment caractérisé de faire l’objet de tels traitements en cas d’extradition vers le Brésil.

Il y a lieu de relever, dans ce contexte, que si Monsieur … décrit, de manière générale, la situation sécuritaire et sanitaire du milieu carcéral au Brésil, il se prévaut essentiellement d’articles de presse et de rapports d’une certaine ancienneté, le plus récent ayant trait à la gestion de la pandémie lié au virus du Covid-19 dans le milieu carcéral brésilien, de sorte à amener le soussigné à la conclusion que lesdits documents ne paraissent plus refléter la situation régnant actuellement au Brésil, conclusion qu’il y a également lieu de retenir au sujet de l’arrêt, précité, de la Cour de cassation italienne du 18 novembre 2013 ayant annulé une extradition vers le Brésil en raison des conditions carcérales y régnant.

Il faut, par ailleurs, constater que le rapport invoqué par Monsieur … et intitulé « La politique pénale et carcérale au Brésil, terreau du crime organisé et de la violence meurtrière », fait état de prisons où les condamnés sont dignement traités et relativement autonomes dans l’Etat de Minas Gerais dont le demandeur est originaire.

Le soussigné doit finalement relever que le demandeur est resté en défaut de fournir la moindre précision quant à la durée et quant au lieu d’exercice de sa fonction d’agent pénitentiaire au Brésil, si ce n’est de verser son acte de nomination du 13 avril 2012, de sorte à mettre le soussigné dans l’impossibilité de pouvoir concrètement apprécier le risque pesant sur lui, en cas d’extradition vers le Brésil, découlant de l’exercice de ladite fonction.

Le même constat doit a priori être retenu quant au risque provenant de la part des amis et de la famille de la victime de Monsieur …, en ce que le demandeur se limite à formuler des allégations à ce sujet, sans fournir le moindre élément probant y relatif, des actes de vandalisme 6sur la façade du studio de tatouage où le demandeur travaillait, respectivement des messages téléphoniques ne paraissant pas de nature à renverser ladite conclusion.

Sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen du demandeur de faire l’objet d’actes de torture, respectivement de traitements cruels, inhumains, voire dégradants, en cas d’extradition vers le Brésil, ne paraît pas, en l’état actuel du dossier, comme suffisamment sérieux pour justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité.

En ce qui concerne finalement l’argumentation du demandeur fondée sur l’existence d’un certain nombre d’irrégularités ayant affecté sa condamnation au Brésil et justifiant, à ses yeux, une demande en révision, demande devant avoir pour conséquence de faire échec à l’extradition litigieuse, il convient de rappeler que la jurisprudence retient que le contrôle du juge de l’annulation en matière d’extradition est un contrôle restreint, qui se limite à la vérification de la régularité de la procédure d’extradition, ainsi que de la légalité interne de l’arrêté d’extradition au regard de la loi du for, complétée, le cas échéant, par les conventions internationales, afin de vérifier si, notamment d’après l’examen de l’affaire par la chambre du conseil de la Cour d’appel, le ministre a pu légalement décider que les conditions de l’extradition, pour celles des infractions qu’il retient, étaient réunies. En revanche, il n’appartient pas au juge administratif de vérifier la matérialité des faits reprochés à la personne faisant l’objet de la mesure d’extradition5, tout comme la régularité de la procédure pénale s’étant déroulée dans le pays requérant, de sorte qu’il semble le moyen afférent du demandeur n’est pas de nature à conduire à l’annulation de la décision litigieuse.

Les moyens invoqués à l’appui de la requête au fond n’apparaissant pas suffisamment sérieux au stade actuel de la procédure, la demande en sursis à exécution est à rejeter.

Il y a finalement lieu de rejeter la demande subsidiaire du requérant tendant à voir ordonner au provisoire « toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts de la partie requérante et ordonner au Ministre de la Justice de verser de plus amples pièces et précisions quant à une éventuelle exécution de la peine d’emprisonnement pour laquelle l’extradition et requise et quant à la garantie de l’intégrité physique de … en cas d’extradition vers le Brésil », alors qu’une telle décision s’analyserait en mesure définitive de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter définitivement la question de la charge de la preuve, et ce tant théoriquement, au niveau des principes, que concrètement, les pièces produites ne pouvant plus être défaites. Or, saisi d’une demande de obtention d’une mesure provisoire, le président ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond, le juge devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-ci6.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués à l’appui de la demande d’annulation de la décision 5 Voir trib. adm. 22 février 2009, n° 24540.

6 Trib. adm. prés. 22 janvier 2010, n° 26457, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 637 et les autres références y citées.

7attaquée n’est pas remplie en cause et que la partie requérante doit être déboutée de sa demande en obtention d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure provisoire, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.

Par ces motifs, le soussigné, vice-président au tribunal administratif, en remplacement du président du tribunal administratif et des autres magistrats plus anciens en rang tous légitiment empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’un sursis à exécution, sinon d’une mesure de sauvegarde, condamne le requérant aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 juillet 2024 par Paul Nourissier, vice-président du tribunal administratif, en présence de Lejila Adrovic, greffier.

s.Lejila Adrovic s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50802R
Date de la décision : 31/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-31;50802r ?

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