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14/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50872

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 août 2024, 50872


Tribunal administratif N° 50872 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50872 Chambre de vacation Inscrit le 5 août 2024 Audience publique de vacation du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50872 du rôle et déposée le 5 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SA

YS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif N° 50872 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50872 Chambre de vacation Inscrit le 5 août 2024 Audience publique de vacation du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50872 du rôle et déposée le 5 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 1er août 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 août 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en ses plaidoiries à l’audience publique de vacation de ce jour.

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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale du commissariat de Luxembourg, Région Capitale, Commissariat Luxembourg Groupe 2, daté du 1er août 2024, référencé sous le numéro …, que Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre à Luxembourg-Gare, sans qu’il n’ait été en mesure de présenter un document de voyage en cours de validité, l’intéressé n’ayant présenté qu’une carte d’identité italienne valable jusqu’au 11 mars 2031, portant la mention « non valida per l’espatrio ».

Par arrêté du 1er août 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ayant l’Immigration et l’Asile en ses compétences, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois comme étant irrégulier, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai tout en prenant une mesure d’interdiction d’entrée pour une durée de cinq ans dans son chef.

1Par arrêté séparé du même jour, également notifié en mains propres à l’intéressé en date du 1er août 2024, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 1er août 2024 établi par la Police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat Luxembourg Groupe 2 ;

Vu la décision de retour du 1er août 2024, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 1er août 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 » institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement.

Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son « extradition » ne lui aurait été proposée.

Enfin, le demandeur fait valoir que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vol ne sauraient justifier un placement en rétention.

2Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, le tribunal rappelle de prime abord, que si le fait pour une partie de se rapporter à prudence de justice équivaut en principe à une contestation, encore faut-il qu’une telle contestation soit suffisamment précise et circonstanciée, puisqu’une contestation non autrement développée est à écarter. En effet, d’une part, il y a lieu de rappeler que la raison d’être du contentieux administratif est de faire sanctionner par le juge administratif un acte administratif qui fait concrètement grief, le juge administratif étant à cet égard amené à analyser les moyens proposés par le demandeur dans la limite par lui tracée, mais non à examiner de son propre chef, indépendamment de tout moyen concret, la légalité d’une décision lui déférée ; d’autre part et corrélativement, il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de faire des suppositions sur le moyen que ce dernier a voulu concrètement soulever, son rôle ne consistant en effet pas à procéder indépendamment des moyens à un réexamen général et global de la situation du demandeur. Il ne suffit dès lors pas de contester une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif au contenu du dossier administratif, mais il appartient au demandeur d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale pour des raisons concrètes.

Dans ce même ordre d’idée, il y a lieu de rappeler que l’exposé d’un moyen requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué, un moyen ne pouvant se réduire à une motivation stéréotypée indéfiniment transposable à tout autre recours en la même matière, sans la moindre indication de base légale ni indication d’éléments concrets, spécifiques à la situation particulière du demandeur ou à la décision déférée.

Comme les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, il y a lieu de rejeter le moyen en question, l’avocat du demandeur n’ayant par ailleurs été ni présent, ni représenté à l’audience publique des plaidoiries, de sorte à ne pas avoir pu, le cas échéant, préciser ses prétentions.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal rappelle qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement.

C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que 3l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, condition en l’espèce non critiquée par le demandeur.

Il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant rappelé à cet égard que ce dernier a fait l’objet d’une décision de retour du ministre du 1er août 2024 qui est assortie d’un ordre de quitter le territoire et d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, - décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse -, et qu’il ne dispose pas de documents d’identité valables.

Il est encore constant en cause que le demandeur ne dispose ni de passeport, de visa, d’autorisation de séjour valable ni d’autorisation de travail, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe (2), point 1, de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de disposer notamment d’un passeport et, le cas échéant, d’un visa en cours de validité. Enfin, il ne dispose pas d’adresse légale au Luxembourg.

Il en résulte l’existence dans le chef de la personne retenue d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008, si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Cette conclusion n’est pas énervée par les contestations, non circonstanciées, du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef.

4Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant au fait que le ministre aurait entamé les démarches nécessaires à son éloignement, force est de constater qu’il ressort du dossier administratif versé en cause que dès le 2 août 2024 les autorités luxembourgeoises ont adressé une demande de réadmission du demandeur aux autorités italiennes, Monsieur … étant en effet titulaire d’une carte d’identité italienne valable jusqu’au 11 mars 2031 et d’une carte de sécurité sociale italienne valable jusqu’au 3 janvier 2024, et que celles-ci les ont informées par courriel du 5 août 2024 qu’elles allaient prochainement leur envoyer leur accord de réadmission du demandeur.

Les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement sont partant également rejetées.

Concernant finalement la possibilité d’application de mesures moins coercitives, encore que non sollicitées par le demandeur, les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe 1er, à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe 1er, pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

Or, le tribunal ne s’est pas vu soumettre un quelconque élément de preuve lui permettant de conclure à l’existence de garanties de représentation suffisantes pour garantir que le demandeur se tienne à la disposition des autorités luxembourgeoises dans le cadre de l’exécution de son éloignement, le demandeur, comme retenu ci-avant, n’ayant pas renversé la présomption du risque de fuite pesant sur lui, et n’ayant ni adresse ni aucune autre attache au Luxembourg, de même qu’il ne possède pas d’un document de voyage valable et qu’il n’offre pas le dépôt d’une garantie financière.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par la loi, en ce compris l’obligation de se présenter régulièrement, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

5Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 août 2024 par :

Marc Sünnen, président, Michèle Stoffel, vice-président, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50872
Date de la décision : 14/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-14;50872 ?

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