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14/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50899

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 août 2024, 50899


Tribunal administratif N° 50899 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50899 Chambre de vacation Inscrit le 8 août 2024 Audience publique de vacation du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50899 du rôle et déposée le 8 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel

MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 50899 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50899 Chambre de vacation Inscrit le 8 août 2024 Audience publique de vacation du 14 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50899 du rôle et déposée le 8 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Togo), de nationalité togolaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 31 juillet 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 août 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian BARANDAO-

BAKELE, en remplacement de Maître Marcel MARIGO, et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation de ce jour.

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Monsieur …, de nationalité togolaise, bénéficia d’un titre de séjour pour ressortissant de pays tiers en qualité d’étudiant, respectivement pour raisons privées jusqu’au 31 juillet 2023.

Monsieur … introduisit en date du 13 juillet 2023 une demande en obtention d’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié, laquelle fut toutefois refusée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 novembre 2023, cette décision ayant comporté, outre le constat du séjour irrégulier de l’intéressé sur le territoire luxembourgeois, l’ordre de quitter le territoire endéans un délai de trente jours. Un recours gracieux afférent fut rejeté par le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après « le ministre », par décision du 5 janvier 2024.

En date du 9 janvier 2024, Monsieur … fit l’objet d’un signalement national en vue de l’exécution de la décision de retour.

1Le 1er février 2024, Monsieur … se présenta à un entretien en vue de son éventuel retour volontaire.

Toutefois, par courrier de son mandataire du 28 mai 2024, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l’article 78 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Par arrêté du 31 juillet 2024, notifié en mains propres à l’intéressé en date du 5 août 2024, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu la décision de retour du 16 novembre 2023, lui notifiée par courrier recommandé le 18 novembre 2024 ;

Considérant que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ;

Considérant que l’intéressé s’est présenté au Ministère des Affaires intérieures en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine en date du 1er février 2024 ;

Considérant que l’intéressé n’a jusqu’à présent pas fait des démarches pour un retour volontaire dans son pays d’origine ;

Considérant que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 31 juillet 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur rappelle d’abord les faits et rétroactes, consistant essentiellement à expliquer avoir vainement recherché un emploi correspondant à son domaine de formation, de sorte à avoir ensuite, sur les conseils de son conseiller de l’Agence pour le développement de l’emploi, cherché du travail dans un domaine autre que celui correspondant à sa formation universitaire, et avoir pu ainsi conclure un contrat de travail dans le domaine de la restauration.

2Il affirme que sa situation administrative difficile actuelle serait indépendante de sa volonté, qu’il aurait toujours collaboré avec les autorités ministérielles et que, plutôt que d’introduire une procédure contentieuse à l’encontre de la décision ministérielle du 16 novembre 2023, il aurait introduit une nouvelle demande en obtention d’un titre de séjour.

En droit, il donne à considérer qu’au vu des faits énoncés ci-avant, la décision ministérielle ordonnant son placement au Centre de rétention au Findel aurait été prise sur base d’une appréciation erronée, le demandeur estimant à nouveau que la perte du bénéfice de son titre de séjour résulterait d’une situation indépendante de sa volonté et plus particulièrement d’un dysfonctionnement au niveau de l’Agence pour le développement de l’emploi, tout en rappelant avoir introduit une demande de titre de séjour pour vie privée auprès du ministre, demande qui n’aurait jamais connu la moindre réponse de la part des autorités ministérielles.

Il donne encore à considérer qu’il n’aurait opposé aucune résistance lors de son interpellation à son domicile par la police grand-ducale.

Quant à l’impossibilité d’appliquer efficacement les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, il estime là également que cette conclusion résulterait d’une appréciation erronée de sa situation, le demandeur soulignant disposer d’une adresse légale au Grand-Duché de Luxembourg en tant que locataire d’une chambre située à … et ne pas présenter de risque de fuite, et, après avoir invoqué encore l’article 7, point 3 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, il conteste l’existence d’un risque de fuite dans son chef et estime justifier de garanties de représentation suffisantes du fait de l’existence d’une adresse légale et d’un domicile au Luxembourg.

Il en conclut que son assignation à résidence à son domicile serait la mesure la plus appropriée contrairement à la mesure de placement au Centre de rétention, tout en donnant à considérer qu’il se soumettrait encore à toutes mesures restrictives découlant de la décision d’assignation à résidence, notamment celle relative à la surveillance électronique et qui emporte pour lui l’interdiction de quitter un périmètre fixé par l’autorité administrative.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal rappelle de prime abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être 3reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, condition en l’espèce non critiquée par le demandeur.

Il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant rappelé à cet égard que ce dernier a fait l’objet d’une décision de retour du 16 novembre 2023, assortie d’un ordre de quitter le territoire, décision confirmée sur recours gracieux en date du 5 janvier 2024, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse et qui n’ont pas été énervées ou suspendues. Ces décisions, au contraire, doivent être considérées à défaut de tout recours contentieux comme coulées en autorité de chose décidée, conclusion qui n’est pas non plus énervée par l’introduction d’une nouvelle demande en obtention d’un titre de séjour, une telle demande n’étant pas de nature à conférer au demandeur un quelconque droit de demeurer sur le territoire luxembourgeois.

Il est partant constant en cause que le demandeur ne dispose ni d’autorisation de séjour valable ni d’autorisation de travail, et qu’il ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34 de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé et de justifier de ressources personnelles suffisantes.

Il en résulte l’existence dans le chef de la personne retenue d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008, si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi.

4Cette conclusion n’est pas énervée par les contestations du demandeur quant à l’existence d’un tel risque de fuite dans son chef.

En effet, cette présomption légale peut être écartée sur base non pas de la preuve négative que la personne concernée n’entend pas prendre la fuite, mais par l’établissement positif de garanties de représentation suffisantes, l’élément fondamental pour caractériser la « fuite » étant la volonté de se soustraire « intentionnellement » à la mesure d’éloignement.

Or, le seul fait de disposer d’un logement au Luxembourg en tant que locataire n’est pas de nature à lui seul, à défaut de toute autre circonstance, de nature à renverser la présomption en question, tandis qu’il échet de constater, au contraire, que le demandeur insiste à vouloir rester au Luxembourg et que, tel que résultant du procès-verbal de notification de la décision de rétention déférée, le demandeur, confronté à la perspective de son éloignement, a refusé de récupérer ses affaires personnelles et à remettre son passeport togolais aux forces de police, comportant ayant encore perduré en date du 7 août 2024, puisque le demandeur a persisté dans son refus de remettre son passeport aux agents du ministère et à soutenir sur l’iniquité de sa situation, le demandeur estimant en effet, d’après un rapport daté du 7 août 2024 figurant dans le dossier administratif, être en droit de demeurer au Luxembourg au vu de son contrat de travail.

Il convient à cet égard de relever que la remise aux autorités du passeport répond à des impératifs de légalité et de sécurité, notamment administrative, que l’Etat entend légitimement voir garantir1.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle sa situation administrative serait due à un dysfonctionnement de l’Agence pour le développement de l’emploi, une telle considération est étrangère à la décision de rétention déférée, prise en vue de la préparation de l’éloignement du demandeur en exécution de la décision de retour, coulée en autorités de chose décidée.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

Concernant finalement la possibilité d’application de mesures moins coercitives, les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe 1er, à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe 1er, pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

1 Cour adm. 30 janvier 2020, n° 44055C.

5La prise de ces mesures moins coercitives requiert toutefois de la part de l’étranger concerné le renversement de la présomption légale d’un risque de fuite une fois qu’elle est vérifiée dans son chef, tel que c’est le cas en l’espèce, moyennant la justification de garanties de représentation suffisantes.

Or, comme retenu ci-avant, le tribunal ne s’est pas vu soumettre par le demandeur un quelconque élément de preuve lui permettant de conclure au renversement de la présomption légale d’un risque de fuite pesant sur lui.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par la loi, en ce compris l’assignation à résidence de l’intéressé ou l’obligation de se présenter régulièrement, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 août 2024 par :

Marc Sünnen, président, Michèle Stoffel, vice-président, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50899
Date de la décision : 14/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-14;50899 ?

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