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22/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50934

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 août 2024, 50934


Tribunal administratif N° 50934 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50934 chambre de vacation Inscrit le 16 août 2024 Audience publique extraordinaire du 22 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50934 du rôle et déposée le 16 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité ...

Tribunal administratif N° 50934 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50934 chambre de vacation Inscrit le 16 août 2024 Audience publique extraordinaire du 22 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50934 du rôle et déposée le 16 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 8 août 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour du 20 août 2024 de Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 août 2024.

___________________________________________________________________________

Il ressort d’un rapport, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 9 juillet 2024, de la police grand-ducale, service de police judiciaire, que Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les agents de police alors qu’il se trouvait dans une maison inhabitée, lors duquel il ne put présenter de documents d’identité ou de voyage valides, autres qu’une carte d’identité belge falsifiée.

Une recherche effectuée le même jour dans la base de données du système d’information Schengen (« SIS ») révéla que Monsieur … y faisait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire français depuis le 7 décembre 2022 jusqu’au 7 décembre 2025.

Par arrêté du 9 juillet 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour 1irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport numéro … du 9 juillet 2024 établi par la Police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 9 juillet 2024, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l’intéressé a fait usage d’un faux document identité ;

Considérant que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC le 11 juillet 2024 indiqua un « No hit ».

Le recours contentieux introduit le 31 juillet 2024 contre l’arrêté, précité, du 9 juillet 2024 fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 7 août 2024, inscrit sous le numéro 50837 du rôle.

Par arrêté du 8 août 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 9 juillet 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 9 juillet 2024 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

2Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que l’intéressé a été identifié par les autorités algériennes en date du 3 août 2024 ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté, précité, du 8 août 2024.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être un ressortissant algérien, s’être trouvé depuis « peu de temps » sur le territoire luxembourgeois et avoir fait l’objet d’un contrôle d’identité conformément à l’article 136 de la loi du 29 août 2008, tout en soutenant que l’arrêté déféré lui causerait grief au motif qu’il serait contraire à l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par la « CEDH ».

En droit, le demandeur fait plaider que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que le caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120 (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur soutient qu’un placement en rétention devrait être écarté lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef du concerné, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumise à l’appréciation souveraine du juge.

Il affirme que lors de son « interpellation », il aurait coopéré avec les services de police afin de permettre son identification et aurait exprimé sa volonté de respecter les obligations que lui imposerait le ministre ou qui lui seraient imposées par la suite en vue d’organiser son éloignement, le demandeur insistant sur le fait qu’il aurait indiqué être prêt à quitter volontairement le Luxembourg lors de son audition.

Il affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle et qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention qui serait constitutif d’une entrave à sa liberté fondamentale d’aller et de venir qui serait garantie par la Constitution, ainsi que par l’article 5 (1) de la CEDH, le demandeur se référant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par la « CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie. A cet égard, le demandeur fait encore valoir que le ministre serait resté en 3défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté », et sollicite son placement au sein de la structure d’hébergement du Kirchberg (« SHUK »).

Après avoir cité l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur donne à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon à exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15 (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition en droit luxembourgeois, être d’application directe.

Le demandeur conteste l’existence d’un risque de fuite dans son chef et donne à considérer qu’il aurait eu un comportement irréprochable au Centre de rétention en se comportant comme une personne responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse.

Il ajoute qu’il ne serait pas un danger pour l’ordre public luxembourgeois, alors qu’il n’y aurait commis aucune infraction.

Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.

A cet égard, le demandeur fait valoir qu’un placement dans la SHUK serait plus adapté à sa situation personnelle et constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Tout en se référant à l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008 et à la jurisprudence de la CourEDH relativement à l’article 5 de la CEDH en matière de rétention administrative, le demandeur estime encore que son éloignement vers l’Algérie ne serait pas exécuté avec toute la diligence requise, respectivement qu’il ne pourrait être mené à bien. Il donne à considérer que malgré le fait qu’il aurait été identifié par les autorités algériennes en date du 3 août 2024, aucune pièce du dossier administratif ne permettrait d’établir cette circonstance, de même qu’aucun laissez-passer n’aurait été délivré « à ce jour » par le Consulat de la République algérienne.

Le demandeur s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».

4 Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal précise tout d’abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

5Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu par le tribunal administratif dans son jugement du 7 août 2024, prémentionné, il est constant que le demandeur qui a fait l’objet d’une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, en date du 9 juillet 2024, se trouve en situation irrégulière au Luxembourg.

Il s’ensuit que le risque de fuite dans son chef est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il reste, toutefois, toujours en défaut de faire.

Ce constat n’est remis en cause ni par l’affirmation du demandeur relative à son comportement irréprochable au sein du Centre de rétention, alors qu’un tel élément, même établi, n’est pas de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite dans son chef, ni par le fait qu’il n’aurait causé aucun trouble à l’ordre public, étant donné que l’arrêté de prorogation du placement litigieux n’est pas fondé sur ce motif, étant encore relevé à cet égard que le demandeur ne conteste pas avoir fait usage d’une carte d’identité belge falsifiée, tel que relevé par le ministre dans l’arrêté de placement initial.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, le tribunal relève que l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

6a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant et déjà retenu dans le jugement, prémentionné, du 7 août 2024, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

7En effet, il est constant en cause que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur tendant à une assignation dans la SHUK, alors qu’une telle structure ne saurait être considérée comme domicile stable, ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y est pas concevable.

Quant à l’invocation par le demandeur de jurisprudences de la Cour de Cassation française, ladite argumentation est à rejeter pour défaut de pertinence, alors qu’il n’existe aucune obligation de transposition et que le demandeur reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure elles seraient pertinentes par rapport à sa situation personnelle.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de prorogation du placement litigieuse, respectivement d’une application erronée des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux perspectives raisonnables de son éloignement par lesquelles il conteste, de l’entendement du tribunal, les démarches entreprises par le ministre à cet effet, le tribunal relève que dans son jugement, prémentionné, du 7 août 2024, il a été retenu que, jusqu’à cette date, le dispositif de l’éloignement était toujours en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise.

S’agissant des démarches entreprises depuis lors, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que l’Unité de Garde et d’Appui opérationnel (« UGAO ») a été chargé en date du 9 août 2024, d’organiser le départ du demandeur vers l’Algérie.

Eu égard aux éléments à la disposition du tribunal, et plus particulièrement compte tenu du fait que l’UGAO a été chargée d’organiser le départ de Monsieur … vers l’Algérie, le tribunal est amené à retenir qu’au moment où il statue, le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire pour procéder dans les meilleurs délais à l’éloignement de l’intéressé du territoire. Il ne se dégage, en outre, d’aucun élément du dossier que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement prévus, sans que cette conclusion ne soit énervée par la circonstance qu’un laissez-passer en vue de l’éloignement de Monsieur … n’a pas encore été délivré par les autorités consulaires algériennes.

Dans ces conditions, le tribunal retient que les démarches engagées par les autorités luxembourgeoises ainsi relevées doivent être considérées, à l’heure actuelle, comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que c’est à tort que le demandeur, d’une part, reproche un manque de diligences aux autorités luxembourgeoises, et, d’autre part, estime en substance qu’il n’y a pas de chance raisonnable de croire que son éloignement vers l’Algérie ne puisse pas être mené à bien.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15 (2) et (4) de la directive 2008/115, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps 8abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte2.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois serait effectivement resté en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, la simple affirmation non autrement circonstanciée du demandeur à cet égard étant insuffisante, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur, dans ce contexte, d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5 (1) f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.

Dans un arrêt du 15 décembre 20164, la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir.

Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce et tel que relevé ci-avant, le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans en date du 9 juillet 2024, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire. Par ailleurs, le 2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97, deuxième point, et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812, premier point, et les autres références y citées.

4 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

9tribunal a relevé ci-avant qu’une procédure d’éloignement est en cours et est poursuivie avec la diligence requise.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à rejeter le moyen relatif à une violation de l’article 5 de la CEDH.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande d’indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 22 août 2024 par :

Michèle STOFFEL, vice-président, Géraldine ANELLI, premier juge, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.

s. Xavier DREBENSTEDT s. Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50934
Date de la décision : 22/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-22;50934 ?

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