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28/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50876

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2024, 50876


Tribunal administratif N° 50876 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50876 chambre de vacation Inscrit le 6 août 2024 Audience publique de vacation du 28 août 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50876 du rôle et déposée le 6 août 2024 au greffe du tribunal administratif par M

aître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

Tribunal administratif N° 50876 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50876 chambre de vacation Inscrit le 6 août 2024 Audience publique de vacation du 28 août 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50876 du rôle et déposée le 6 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Burkina Faso), de nationalité burkinabé, alias …, né le … à …, de nationalité burkinabé, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer (SHUK), tendant, suivant le dispositif, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », du 19 juillet 2024 de le transférer vers la Belgique comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation de ce jour.

Le 28 mars 2024, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judicaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla un « no hit ».

Par courrier du même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », convoqua Monsieur … à un entretien pour le 2 avril 2024 en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement 1(UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », auquel il ne se présenta pas, tel que cela ressort d’une note au dossier du 2 avril 2024.

Par arrêté du 29 mars 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUK jusqu’au 7 juin 2024.

En date du 16 avril 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités belges en vue de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 12 (2) ou (3) du règlement Dublin III, demande qui fût refusée par les autorités belges en date du 22 avril 2024 au motif qu’elle ne contenait pas les résultats de la base de données VIS.

Par courrier du 23 avril 2024, les autorités luxembourgeoises transmirent à leurs homologues belges les résultats de la base de données VIS et les prièrent de réévaluer la demande de prise en charge de Monsieur … du 16 avril 2024.

En date du 25 avril 2024, les autorités belges acceptèrent la demande de prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 12 (2) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 3 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 7 juin 2024, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUK jusqu’au 6 septembre 2024.

Par décision du 19 juillet 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée en date du 22 juillet 2024, le ministre informa Monsieur … qu’il avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12 (2) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 mars 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire, ainsi que le résultat de la consultation de la base de données VIS du 28 mars 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2En date du 28 mars 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a fourni aucun résultat.

Cependant, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale et notamment de la consultation de la base de données VIS, que la Belgique vous a délivré un visa valable du 21 février 2024 jusqu’au 5 juin 2024 avec lequel vous avez pu entrer sur le territoire des Etats membres en Belgique.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, vous avez été convoqué à un entretien Dublin III pour le 2 avril 2024. Cet entretien n’a pas eu lieu, étant donné que vous ne vous êtes pas présenté au rendez-vous prévu.

Sur base des informations à notre disposition, une demande de prise en charge en vertu de l’article 12(2) du règlement DIII a été adressée aux autorités belges en date du 16 avril 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 26 avril 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

La responsabilité de la Belgique est acquise en vertu de l’article 12(2) du règlement DIII, dans la mesure où le demandeur est titulaire d’un visa délivré par les autorités belges et en cours de validité lors de l’introduction de sa demande de protection internationale au Luxembourg et que l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert 3En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale et notamment de la consultation de la base de données VIS, que la Belgique vous a délivré un visa valable du 21 février 2024 jusqu’au 5 juin 2024.

Selon vos déclarations auprès de la Police Judiciaire, vous auriez quitté le Burkina Faso le 26 mars 2024, lorsque vous auriez pris un vol vers la Belgique. Vous déclarez être entré sur le territoire des Etats membres en Belgique le 27 mars 2024. Après avoir passé une journée en Belgique, vous auriez quitté le pays pour vous rendre au Luxembourg, où vous déclarez être arrivé en date du 28 mars 2024.

Lors de votre entretien avec la Police Judiciaire, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Belgique revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Belgique, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités belges ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes belges, notamment judiciaires.

4Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité à voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Belgique, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Belgique en informant les autorités belges conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant son dispositif, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 19 juillet 2024.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28 (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes relevés ci-avant, en expliquant avoir été contraint de quitter son pays d’origine en raison des menaces de mort qu’il aurait subies pour avoir critiqué « la pratique religieuse, respectivement le système mafieux mis en place par les différentes confréries religieuses soutenues dans discernement par les autorités politiques ».

5 Il donne encore à considérer qu’il aurait été livré à lui-même par les autorités belges qui auraient ignoré toutes ses demandes de prise en charge médicale.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », 3 et 17 (1) du règlement Dublin III, ainsi que 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Quant à la violation alléguée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il fait valoir que même si la Belgique était liée par divers instruments juridiques internationaux ou communautaires garantissant les droits de l’Homme, tels la CEDH, la Charte, la Convention de Genève, la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention torture », de même que par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale et la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Accueil », cela n’impliquerait pas ipso facto que ledit pays les observerait effectivement, notamment dans le contexte de l’accueil des demandeurs de protection internationale. Il estime que la présomption de respect des droits fondamentaux par les Etats membres ne saurait être utilement invoquée par la partie étatique en l’espèce.

Il ajoute que même s’il n’existait pas de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « CourEDH », ou de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « CJUE », ni de recommandation de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désignée par « l’UNHCR », indiquant de suspendre les transferts vers la Belgique, il ne pourrait pas être affirmé avec une certitude absolue que ledit pays respecterait ses obligations internationales et européennes en matière d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Ce serait ensuite à tort que le ministre aurait indiqué qu’il n’avait pas démontré que ses conditions d’existence en Belgique avaient revêtu un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles seraient constitutives d’une violation des articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture. Il donne, à cet égard, à considérer que les autorités belges l’auraient laissé dans la rue, livré à lui-même, sans accès à un logement ou aux soins médicaux, contrairement à ce qui aurait été le cas au Luxembourg, où il aurait été soigné.

Le demandeur est d’avis que, dans ces conditions, il devrait être admis que les autorités belges n’auraient pas respecté les dispositions des articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil, en vertu desquels les Etats membres devraient faire en sorte que les demandeurs de protection internationale reçoivent les soins médicaux nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves, respectivement devraient assurer auxdits demandeurs un niveau de vie adéquat garantissant leur subsistance et protégeant leur santé physique et mentale, tout en prenant en compte la situation particulière des personnes vulnérables et notamment celles ayant des maladies graves.

6Au vu de ces éléments et à défaut de toute perspective d’application de la directive Accueil, il devrait être admis que son transfert vers la Belgique constituerait une violation manifeste des dispositions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, lus en combinaison avec l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Quant à la violation alléguée de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, le demandeur se prévaut de sa situation de vulnérabilité particulière, respectivement des actes de persécution qu’il aurait subis dans son pays d’origine, « ayant entraîné de graves conséquences dans son chef », pour faire valoir que ces éléments, tels que portés à la connaissance de l’autorité ministérielle, auraient dû amener celle-ci à examiner sa demande de protection internationale en lieu et place des autorités belges.

Enfin, le demandeur estime que les autorités luxembourgeoises ne disposeraient pas de suffisamment de garanties de la part des autorités belges au sujet de la prise, par celles-ci, d’une décision de refoulement vers son pays d’origine. Il renvoie, à cet égard, à un arrêt de la CourEDH du 23 février 2012, rendu dans l’affaire Hirsi Jamaa et al. c. Italie, respectivement à un arrêt du 21 janvier 2011, rendu dans une affaire M.S.S c. Belgique et Grèce.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, le demandeur conclut que la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 12 (2) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a également été prise, dispose, quant à lui, que : « […] Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre Etat membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (1). Dans ce cas, l’Etat membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».

Il suit de cette disposition que si un demandeur de protection internationale s’est vu délivrer un visa par un Etat membre, ce dernier est en principe responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

7 Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12 (2) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale introduite par le demandeur, mais la Belgique. Il est également constant en cause pour ressortir des éléments du dossier administratif que la Belgique lui a délivré un visa valable du 21 février 2024 jusqu’au 5 juin 2024. Les autorités belges ayant en outre accepté de le prendre en charge en date du 25 avril 2024, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités belges ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé son transfert en Belgique en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 3 et 17 (1) du règlement Dublin III, ainsi que 33 de la Convention de Genève.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen ayant trait à la violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci dispose comme suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Le tribunal est amené à constater que, dans le cadre de son argumentation ayant trait à une violation du prédit article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le demandeur invoque surtout un risque de subir en Belgique des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison notamment (i) de l’absence de prise en charge médicale dans ce pays et (ii) des dysfonctionnements dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

S’agissant d’abord de l’existence de défaillances systémiques au sein de la procédure d’asile, respectivement du système d’accueil belge et d’une possible violation de l’article 4 de la Charte – similaire à l’article 3 de la CEDH –, le tribunal relève tout d’abord que la Belgique est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils 8et politiques ou la Convention torture, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats membres, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il y a lieu d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives2, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE3, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt du 16 février 20174.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur de protection internationale, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20195 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.

2 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

3 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

4 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

5 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

9arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine6. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant7.

Toujours, suivant la jurisprudence de la CJUE et plus particulièrement de l’arrêt du 16 février 20178, l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt précité de la CJUE du 19 mars 20199 qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.

En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par la Belgique des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Belgique, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Le tribunal constate toutefois que le demandeur se limite à affirmer de manière péremptoire qu’il existerait des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil en Belgique, voire que le principe de confiance mutuelle ne pourrait pas jouer, sans préciser en quoi consisteraient exactement ces défaillances, respectivement pour quelle raison le principe de confiance mutuelle ne pourrait pas jouer dans le chef de la Belgique.

S’agissant à cet égard plus généralement des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique, force est de constater que le demandeur reste en défaut de faire valoir un problème concret étant susceptible d’affecter l’analyse future de sa demande de protection internationale par les autorités belges, respectivement ses futures conditions d’accueil en Belgique. Ce dernier se limite, en effet, à affirmer de façon péremptoire que les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique seraient 6 Ibid., pt. 92.

7 Ibid., pt. 93.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75. CJUE.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10défaillantes, notamment au regard des exigences posées par les articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil.

Or, il y a plus particulièrement lieu de relever qu’outre le fait qu’il n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Belgique, de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer, notamment pour s’y loger, Monsieur … ne s’est pas présenté à son entretien Dublin III au cours duquel il aurait pu exposer à un agent du ministère les problèmes particuliers qu’il aurait personnellement rencontrés en Belgique, notamment pour y déposer une demande de protection internationale, ni n’a-t-il expliqué de manière concrète dans le cadre du recours sous analyse l’existence de tels problèmes rencontrés en Belgique.

S’agissant de l’affirmation contenue dans le recours suivant laquelle le demandeur aurait été confronté en Belgique à des conditions d’existence pénibles et graves en raison de l’absence de prise en charge médicale alléguée, celle-ci reste à l’état de pure allégation. Le tribunal constate, en effet, que le demandeur est resté en défaut de faire état d’un quelconque problème de santé, voire d’un besoin de traitement médical. Il ne résulte, par ailleurs, d’aucun élément du dossier que Monsieur … ait, à un moment donné, infructueusement sollicité l’aide ou l’assistance des autorités belges en raison de son état de santé.

Même à admettre, pour les besoins de la discussion, que l’état de santé du demandeur requiert un traitement médical, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le concerné ne puisse pas bénéficier en Belgique du traitement dont il pourrait avoir besoin, étant par ailleurs relevé que le demandeur n’avait, suite à son arrivée en Belgique, pas déposé de demande de protection internationale en Belgique, de sorte qu’une éventuelle absence d’accès aux soins médicaux ne saurait être imputée à un prétendu non-respect, par la Belgique, de ses obligations dans l’accueil des demandeurs de protection internationale.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32 (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la Belgique par le biais de la communication aux autorités belges des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Ensuite et de manière générale, le tribunal ne s’est pas non plus vu soumettre un quelconque élément de preuve, tel que notamment des rapports internationaux, relatif aux difficultés que rencontreraient de manière générale les autorités belges dans le traitement des demandes de protection internationale et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, de même qu’il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que concrètement les autorités belges compétentes risqueraient de violer le droit du demandeur à l’examen, selon 11une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risqueraient de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive Accueil.

Le tribunal relève également que le demandeur n’établit pas non plus que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Belgique ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que la Belgique est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention torture, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 -

ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à son appréciation qu’il existe en Belgique des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant un transfert du demandeur vers ce même pays, de sorte que le moyen fondé sur une violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lu en combinaison avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, encourt le rejet.

S’agissant ensuite plus particulièrement de la crainte mise en avant par Monsieur … de se voir renvoyer arbitrairement par les autorités belges vers son pays d’origine, en violation du principe de non refoulement prévu à l’article 33 de Convention de Genève, force est au tribunal de relever qu’il reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef, le demandeur ne fournissant pas d’éléments susceptibles de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant, après l’examen de sa demande de protection internationale, dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient mises sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments versés par le demandeur que si les autorités belges devaient néanmoins décider de le rapatrier dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates.

Il ne ressort dès lors pas non plus des éléments versés par le demandeur que son transfert vers la Belgique l’exposerait à un retour forcé vers son pays d’origine, qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Dans ces circonstances et au vu de toutes les considérations qui précèdent, les moyens fondés sur une violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lu ensemble avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ainsi que de l’article 33 de la Convention de Genève sont à rejeter pour ne pas être fondés.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17 (1) du règlement 12Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201710. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge11, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration12.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lu ensemble avec les articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, ainsi qu’à l’article 33 de la Convention de Genève, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’il estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, 10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.

11 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

12 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

13Michel Thai, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 28 août 2024 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50876
Date de la décision : 28/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-28;50876 ?

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