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28/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50953

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2024, 50953


Tribunal administratif N° 50953 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50953 chambre de vacation Inscrit le 19 août 2024 Audience publique de vacation du 28 août 2024 Recours formé par Madame …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50953 du rôle et déposée le 19 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Serbie) et être de nationalité se...

Tribunal administratif N° 50953 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50953 chambre de vacation Inscrit le 19 août 2024 Audience publique de vacation du 28 août 2024 Recours formé par Madame …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50953 du rôle et déposée le 19 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Serbie) et être de nationalité serbe, actuellement retenue au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 9 août 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sanae IGRI et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation de ce jour.

___________________________________________________________________________

Suivant un rapport portant le numéro 2024/8524/609/NH, daté du 26 février 2024, de la police grand-ducale, Région Sud-Ouest, C3R …, Madame … fit l’objet d’un contrôle par l’Inspection du Travail et des Mines « concernant le travail au noir ». Madame … fut trouvée, lors de ce contrôle, dans un appartement sis à …. Les agents de police constatèrent ensuite que Madame … était en possession d’un passeport serbe ainsi que d’une carte d’identité serbe. Elle leur indiqua, entre autres, être venue avec sa sœur au Luxembourg en date du 9 août 2019 et vivre depuis lors chez sa sœur et la famille de cette dernière à ….

Il ressort de la base de données AIEMM de la direction générale de l’Immigration que le passeport de Madame …, valable du 27 mai 2019 au 27 mai 2029, ainsi que sa carte d’identité serbe lui furent retirés par les agents de police lors de l’interpellation du 26 février 2024 et que lesdits documents se trouvent depuis lors à la direction générale de l’Immigration.

Il ressort d’une note au dossier du 29 février 2024 que Madame … se présenta en date du même jour à un rendez-vous avec un agent ministériel en présence de sa sœur et de son beau-frère et qu’après avoir été informée sur les modalités d’un retour volontaire en Serbie et 1s’être vue remise une décision de retour sans délai comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans à son encontre, elle indiqua ne plus avoir de famille en Serbie et que l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés (« ASTI ») lui aurait conseillé de rester sur le territoire luxembourgeois pour régulariser sa situation au motif qu’elle aurait une promesse d’embauche. A cette même occasion, son beau-frère informa l’agent ministériel qu’il n’accepterait pas la décision de retour prise à l’égard de sa belle-sœur.

Par arrêté du 29 février 2024, notifié à l’intéressée le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Madame … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, à savoir la Serbie, ou à destination d’un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans.

En date du 1er mars 2024, les autorités luxembourgeoises effectuèrent un signalement à l’encontre de Madame … dans la base de données du système d’information Schengen (« SIS »), tout en y indiquant les références de son passeport, portant le numéro 014266903.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté au 23 avril 2024, Madame … introduisit, à travers son litismandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision de retour du 29 février 2024 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans prise à son égard, auquel le ministre refusa de faire droit par décision du 10 mai 2024.

En date du 13 mai 2024, les autorités croates informèrent les autorités luxembourgeoises au moyen d’un formulaire R-B qu’un « hit » avait été enregistré dans le chef de Madame … en date du 12 mai 2024 à la « Police Airport station Cilipi ». A la même date, les autorités ministérielles prièrent les agents de police du commissariat de … de procéder à la vérification de la résidence de Madame … à l’adresse sise à L-… et dans l’affirmative, de retirer le passeport de l’intéressée.

En date du 23 mai 2024, Madame … fit introduire un recours contentieux à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 29 février 2024, déclarant son séjour irrégulier et lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.

Il ressort d’un rapport, référencé sous le numéro 20594-1453/2024, du 4 juin 2024 de la police grand-ducale, Région Sud-Ouest, C3R …, qu’à cette même date, les agents de police se rendirent à l’adresse sise à …, et demandèrent à l’intéressée de bien vouloir leur remettre son passeport, valable du 27 mai 2019 au 27 mai 2029, ce à quoi elle répondit que ledit passeport se trouvait déjà à la direction générale de l’Immigration.

Il ressort d’un courrier électronique du 5 juin 2024, émis par l’ambassade de Serbie qu’en date du 16 mai 2019, Madame … avait demandé à obtenir un laissez-passer suite à l’endommagement de son passeport valable du 8 décembre 2014 au 8 décembre 2024, portant le numéro …, et qu’en 2019 elle était censée avoir obtenu un nouveau passeport.

Par arrêté du 9 août 2024, notifié à l’intéressée le 19 août 2024, le ministre rapporta et remplaça son arrêté initial du 29 février 2024 portant interdiction d’entrée sur le territoire dans le chef de Madame … et lui ordonna à nouveau de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, à savoir la Serbie, ou à destination d’un autre pays dans lequel 2elle est autorisée à séjourner, tout en lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour cette fois-ci une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressée en date du 19 août 2024, le ministre ordonna le placement de Madame … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 9 août 2024 assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire ;

Vu l’information obtenue par le Bureau Sirène que l’intéressée est entrée à nouveau dans l’espace Schengen ;

Considérant que l’intéressée n’a pas respecté les trois mois de sortie de l’espace Schengen ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressée, alors qu’elle ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressée seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 août 2024, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté, précité, du 9 août 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique être une ressortissante serbe et être arrivée au Grand-Duché de Luxembourg en date du 28 février 2011 afin de rendre visite à sa sœur, Madame…. En raison du fait que « l’ensemble de la cellule familiale [serait] reconstituée sur le territoire luxembourgeois » et qu’elle ne disposerait donc plus d’aucun proche en Serbie, elle serait restée au Luxembourg depuis lors, de sorte à résider depuis treize ans au domicile de sa sœur, prénommée, et de son beau-frère, Monsieur… demeurant ensemble à L-….

Suite à la décision de retour et d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois du 29 février 2024, elle aurait sollicité de la part des autorités ministérielles le réexamen de sa situation administrative en insistant sur l’intensité de ses liens personnels, familiaux et affectifs 3avec le Luxembourg. Or, son recours gracieux aurait été refusé, raison pour laquelle elle aurait introduit un recours contentieux en date du 23 mai 2024 à l’encontre de « cette décision ».

En date du 19 août 2024, elle aurait été interpellée au domicile de sa sœur et emmenée « manu militari » par la police grand-ducale au Centre de rétention pour ne pas s’être conformée à la décision du ministre « du 29 février 2024 portant interdiction d’entrer sur le territoire à partir de la sortie de l’espace Schengen ».

En droit, la demanderesse fait plaider que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que le caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120 (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, la demanderesse soutient qu’un placement en rétention devrait être écarté, lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef du concerné, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumise à l’appréciation souveraine du juge.

Elle affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle et qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention qui serait constitutif d’une entrave à sa liberté fondamentale d’aller et de venir qui serait garantie par la Constitution, ainsi que par l’article 5 (1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », la demanderesse se référant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie. A cet égard, la demanderesse fait encore valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté ». Elle donne à considérer, à ce propos, qu’elle vivrait depuis près de treize ans, et ce jusqu’à son interpellation en date du 19 août 2024, auprès de sa sœur et son beau-frère, propriétaires d’un bien immobilier sis à L-…. Tout en insistant sur le fait qu’elle aurait d’ores et déjà remis son passeport aux autorités luxembourgeoises en échange d’un récépissé « ayant valeur justificative d’identité », elle demande à pouvoir se présenter à des intervalles réguliers auprès des services du ministère, sinon d’être assignée à résidence au sein du domicile de sa sœur à l’adresse précitée.

Après avoir cité l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, la demanderesse donne à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon à exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15 (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition en droit luxembourgeois, être d’application directe.

La demanderesse conteste l’existence d’un risque de fuite dans son chef et donne à considérer (i) que Monsieur … et Madame… s’engageraient à l’héberger pendant la durée de sa procédure d’éloignement, (ii) qu’ils se porteraient garants d’assurer tous les frais et dépenses 4liés « à son entretien », en indiquant, à ce sujet, que Monsieur … toucherait une rémunération mensuelle nette d’environ 5.548,78 euros et (iii) qu’ils auraient également les capacités financières pour procéder au versement d’une caution de 5.000 euros auprès de la Caisse de consignation. Elle insiste encore sur le fait qu’elle n’aurait aucunement l’intention de se soustraire à la procédure d’éloignement mais qu’elle serait, le cas échéant, prête à quitter volontairement le territoire luxembourgeois.

Au vu de ce qui précède, aucun risque de fuite ne serait établi dans son chef. Le placement au Centre de rétention serait, dès lors, injustifié et disproportionné au but recherché.

Elle ajoute qu’elle ne serait pas un danger pour l’ordre public luxembourgeois, alors que son casier judiciaire serait vierge.

La demanderesse pointe encore le fait que son état de santé serait, à l’heure actuelle, « inconciliable » avec une mesure d’expulsion par voie aérienne, de sorte qu’un mode de transport alternatif devrait être envisagé.

La demanderesse cite encore un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.

A cet égard, la demanderesse fait valoir qu’une assignation à résidence serait plus adaptée à sa situation personnelle et constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Elle donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

La demanderesse s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal précise tout d’abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

5 Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

En l’espèce, force est d’abord de relever que la demanderesse se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, dans la mesure où elle a fait l’objet d’une décision de retour en date du 29 février 2024, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans, interdiction d’entrée qui a été rapportée et remplacée par arrêté ministériel du 9 août 2024 par lequel l’intéressée s’est vu interdire l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Il s’ensuit le risque de fuite dans son chef est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la 6loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre pouvait valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressée en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant ensuite des contestations de la demanderesse fondées sur le principe de proportionnalité au motif qu’une autre mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et plus particulièrement soit l’obligation de se présenter à des intervalles réguliers auprès des services du ministère, soit une assignation à résidence chez sa sœur et son beau-frère, assortie, le cas échéant de la mesure additionnelle préalable de dépôt d’une garantie financière, aurait dû être prise, l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, régit les mesures moins coercitives pouvant être appliquées par le ministre comme suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues 7peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1), sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à un placement en rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125 (1), de sorte que le placement en rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un ressortissant de pays tiers pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi.

Au regard des contestations de la demanderesse, il y a lieu de vérifier si, en l’espèce, elle a fourni des garanties de représentation suffisantes pour prévenir le risque de fuite, qui, tel que cela a été retenu ci-avant, existe dans son chef.

Le tribunal relève, d’un côté, qu’il n’est pas contesté que, hormis certains allers-retours en Serbie pour y passer des vacances, la demanderesse se trouve depuis le mois de février 2011 de manière continue en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois où elle a à plusieurs reprises essayé infructueusement de régulariser sa situation administrative.

D’un autre côté, il se dégage des attestations testimoniales versées en cause par la demanderesse que depuis son arrivée au Luxembourg en février 2011, elle a habité au domicile de sa sœur et de son beau-frère à …. Il est constant en cause que c’est également à cette même adresse que la demanderesse s’est trouvée le 4 juin 2024 lorsque des agents de la police grand-

ducale s’y sont rendus pour aller retirer son passeport valable du 27 mai 2019 au 27 mai 2029, de même que lors de l’intervention policière du 19 août 2024 qui a précédé son placement au Centre de rétention. Le tribunal constate encore que le passeport de la demanderesse valable du 27 mai 2019 au 27 mai 2029 se trouve actuellement entre les mains des services du ministère, étant relevé que suivant le certificat émis par le ministère de l’Intérieur serbe, direction de la Police, du 22 août 2024, versé en cause par la demanderesse, le passeport de cette dernière qui était valable du 8 décembre 2014 au 8 décembre 2024 a perdu sa validité depuis qu’elle a demandé à se voir délivrer un nouveau document de voyage, en l’occurrence le passeport valable jusqu’au 27 mai 2029. Enfin, il se dégage des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la sœur et le beau-frère de la demanderesse sont disposés à l’héberger à leur domicile jusqu’à son éloignement vers son pays d’origine.

Les éléments actuellement à la disposition du tribunal et repris ci-avant permettent en tout état de cause de retenir, à défaut d’éléments permettant de mettre en doute la réalité de l’hébergement continu de la demanderesse au domicile de sa sœur et de son beau-frère depuis son arrivée au Luxembourg en février 2011, que la résidence de la demanderesse à l’adresse 8indiquée, à savoir à L-…, témoigne d’une certaine constance, de manière à admettre que la demanderesse est susceptible d’être trouvée à cette adresse au moment de l’exécution de la mesure d’éloignement. Le tribunal est dès lors amené à retenir que la demanderesse a présenté suffisamment de garanties de représentation effectives au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008.

Il s’ensuit que, conformément aux dispositions combinées des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, interprétées suivant les développements ci-avant, une autre mesure moins coercitive qu’un placement au Centre de rétention aurait dû lui être appliquée, étant encore relevé que le constat de l’existence de garanties de représentation effectives suffisantes de nature à prévenir le risque de fuite ne saurait, en l’espèce, entraîner la libération pure et simple, telle que sollicitée à titre principal par le demandeur, mais seulement le recours à une autre mesure moins coercitive au sens de l’article 125 (1), précité.

Le tribunal conclut dès lors que compte tenu des éléments spécifiques que sont la réalité de l’hébergement continu de la demanderesse au domicile de sa sœur et de son beau-frère, lesquels se sont expressément engagés à l’héberger à leur domicile jusqu’à son éloignement, et le fait que le ministère dispose de l’original du passeport de la demanderesse, les impératifs de légalité et de sécurité, notamment administrative, que l’Etat entend légitimement voir garantir, d’un côté, et les revendications de liberté tout aussi légitimes de la demanderesse, d’un autre côté, sont en l’occurrence conciliés par la combinaison de deux mesures - moins coercitives que la rétention administrative - qu’est l’assignation à résidence au domicile de Monsieur … et de Madame…, sis à L-…, jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement actuellement en voie de préparation, assortie de la mesure additionnelle préalable de dépôt d’une garantie financière de 5.000 euros, à verser auprès de la Caisse de consignation, étant donné que cette combinaison de mesures appert comme étant suffisante pour prévenir un risque de fuite de la demanderesse tout en restant proportionnée et en étant plus appropriée que son maintien en rétention jusqu’à son rapatriement vers la Serbie.

Le moyen de la demanderesse étant partant justifié dans cette mesure, il y a lieu de retenir qu’une assignation à résidence de Madame … assortie de la mesure additionnelle préalable de dépôt d’une garantie financière de 5.000 euros à verser auprès de la Caisse de consignation constituent des mesures répondant aux exigences découlant de la priorité à accorder à une mesure moins coercitive et suffisante, ainsi que du principe de proportionnalité.

Au vu de cette conclusion, et sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens soulevés par la demanderesse, il y a lieu de réformer l’arrêté ministériel du 9 août 2024 en ce sens qu’après le versement de la garantie financière de 5.000 euros auprès de la Caisse de consignation, Madame … est à libérer du Centre de rétention et à assigner à résidence au domicile de Monsieur … et de Madame…, sis à L-…, jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement prise à son égard.

Pour ce qui est de la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros formulée par la demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, celle-

ci est à rejeter, étant donné que la demanderesse ne justifie pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à sa charge.

Par ces motifs, 9le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de l’arrêté du ministre des Affaires intérieures du 9 août 2024, dit que Madame … est à libérer du Centre de rétention après le dépôt d’une garantie financière de 5.000 euros à effectuer auprès de la Caisse de consignation et à assigner à résidence au domicile de Monsieur … et de Madame…, sis à L-…, jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement prise à son égard ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Michel Thai, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 28 août 2024 par le vice-président en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 50953
Date de la décision : 28/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-28;50953 ?

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