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03/09/2024 | LUXEMBOURG | N°50612

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 septembre 2024, 50612


5ribunal administratif N° 50612 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50612 2e chambre Inscrit le 19 juin 2024 Audience publique extraordinaire du 3 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50612 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19

juin 2024 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre ...

5ribunal administratif N° 50612 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50612 2e chambre Inscrit le 19 juin 2024 Audience publique extraordinaire du 3 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50612 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2024 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous différents alias, élisant domicile dans l’étude de son litismandataire, préqualifiée, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 3 juin 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 juin 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur Celik, en remplacement de Maître Sanae Igri, et Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juillet 2024.

Le 26 septembre 2023, Monsieur …, connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 22 mai 2022 et en Suisse en date du 23 mai 2023.

Le 2 octobre 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 2 octobre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (SHUK), jusqu’au 22 décembre 2023.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Commissariat Luxembourg C3R, référencé sous le numéro 143371-1/2023, dit « Fremdennotiz », du 13 octobre 2023, Monsieur … fut intercepté le jour même pour un vol à l’étalage dans un centre commercial.

Le 24 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues néerlandais en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par lesdites autorités néerlandaises en date du 2 novembre 2023, au motif que sa demande de protection internationale avait été refusée aux Pays-Bas, qu’après avoir disparu dudit pays, les autorités néerlandaises avaient eu une demande de reprise en charge de la part des autorités suisses, et qu’après avoir accepté cette demande, l’intéressé avait disparu de la Suisse pour être ensuite appréhendé par les autorités espagnoles en Espagne, lesquelles auraient dû le rapatrier dans son pays d’origine.

Par décision du 20 décembre 2023, notifiée par affichage public le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », clôtura provisoirement la demande de protection internationale de Monsieur …, à défaut pour ce dernier d’avoir sollicité la prolongation de son attestation de demandeur de protection internationale depuis le 23 octobre 2023.

Le 22 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises reçurent une demande de reprise en charge de Monsieur … de la part de leurs homologues belges sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, qu’elles acceptèrent le lendemain sur base de l’article 18 (1) c) du règlement Dublin III.

En date du 29 avril 2024, Monsieur … fut transféré de la Belgique vers le Luxembourg, devant être libéré, à cette fin, de l’établissement pénitentiaire de Lantin où il était incarcéré depuis le 7 novembre 2023.

Toujours le 29 avril 2024, Monsieur … sollicita la réouverture de son dossier de demande de protection internationale.

Par arrêté du 30 avril 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question sur le fondement de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015.

Par décision du 3 juin 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre refusa de faire droit à sa demande de protection internationale pour les motifs suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 26 septembre 2023 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Il ressort du résultat des recherches effectuées dans la base de données « Eurodac » que vous aviez déjà introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en mai 2022, ainsi qu’en Suisse en mai 2023. Un entretien sur la détermination de l’Etat compétent pour le traitement de votre demande de protection internationale a donc été mené en date du 2 octobre 2023, conformément aux dispositions du règlement « Dublin III ».

Vous aviez déclaré à cette occasion avoir quitté l’Algérie en août 2020 en bateau en direction de l’Italie où vous auriez séjourné pendant à peu près deux mois à Naples auprès de votre cousin. Vous n’y auriez pas introduit de demande de protection internationale alors que vous n’auriez pas escompté rester en Italie. Après avoir quitté l’Italie, vous auriez séjourné en France, à Paris, où vous n’auriez pas non plus introduit une demande de protection internationale au motif que « I did not want to apply for international protection in France » (entretien Dublin III page 4). Vous auriez quitté la France après un séjour de 20 jours environ alors que vous n’y auriez pas trouvé d’emploi. Vous seriez ensuite parti en Espagne à Barcelone où vous auriez séjourné pendant 8 mois, soit auprès d’un autre de vos cousins, soit en louant « my own space » (entretien Dublin III page 3), de sorte que vous n’auriez pas ressenti le besoin d’y introduire une demande de protection internationale. Vous auriez quitté l’Espagne alors que vous n’y auriez pas vu de futur pour vous. Vous seriez donc retourné en France pendant 6 mois, mais auriez à nouveau quitté cet Etat pour les mêmes raisons que lors de votre premier séjour, à savoir que vous n’y auriez pas trouvé d’emploi. Vivre en France n’aurait en outre pas été une option pour vous. Vous seriez donc parti aux Pays-Bas où vous auriez introduit une demande de protection internationale, mais auriez quitté cet Etat sans attendre l’issue de la procédure « because of the way I was treated there ». Les autorités néerlandaises ne vous auraient en effet pas fourni des soins adéquats pour votre doigt « which I hurt during an accident » (entretien Dublin III page 5). Aux Pays-Bas, vous auriez en outre été menacé de par des gens qui auraient été de simples collègues de travail, mais un jour, certains auraient été licenciés, et dans la mesure où vous auriez été en bons termes avec le patron, « they thought that I had something to do with them being fired » (entretien Dublin III page 6). Vote père vous aurait dit qu’il serait mieux pour vous de simplement quitter les Pays-

Bas pour éviter de faire face à davantage de problèmes. Suite à votre départ des Pays-Bas, vous seriez allé en Suisse où vous auriez également introduit une demande de protection internationale tout en quittant cet Etat dès que vous auriez entendu que la procédure Dublin s’appliquerait à votre cas. Vous seriez par la suite venu au Luxembourg pour introduire une énième demande de protection internationale en date du 26 septembre 2023.

Une demande de reprise en charge adressée aux autorités néerlandaises conformément aux dispositions du Règlement « Dublin III » en date du 24 octobre 2023, fut rejetée par lesdites autorités néerlandaises en date du 2 novembre 2023. Il en ressort que vous êtes connu aux Pays-Bas sous une autre identité, à savoir …, né le …, de nationalité algérienne.

Il ressort encore des éléments de votre dossier administratif que vous avez disparu du territoire luxembourgeois sans laisser d’adresse depuis au moins le 5 novembre 2023. Par décision du 20 décembre 2023, en application des dispositions de l’article 23(2) de la Loi de 2015, le ministre constata le retrait implicite de votre demande de protection internationale et prononça la clôture de l’examen de votre demande.

En date du 22 janvier 2024, une demande de reprise en charge fut adressée aux autorités luxembourgeoises par les autorités belges. Il en ressort que vous êtes connu en Belgique sous l’identité …, né le … à …, de nationalité algérienne, et que vous avez été emprisonné à Lantin depuis le 9 novembre 2023. Par courrier du 23 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises ont accepté votre reprise en charge.

Suite à votre transfert au Luxembourg en date du 29 avril 2024, vous avez sollicité la réouverture de votre dossier conformément aux dispositions de l’article 23(3) de la Loi de 2015. Par arrêté ministériel du 30 avril 2024, notifié le même jour, le ministre prit dans votre chef une mesure de placement en rétention sur base de l’article 22 de la Loi de 2015. En date du 10 mai 2024, un agent ministériel se déplaça au centre de rétention où vous avez été entendu sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale.

2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Monsieur, vous déclarez vous nommer …, être né le … à …/Algérie, et être de nationalité algérienne. Vous auriez vécu à … en Algérie avec vos parents et la fratrie et y auriez fait vos études jusqu’au baccalauréat, lesquelles vous auriez néanmoins ratées.

Vous auriez quitté l’Algérie en juillet 2020 en bateau pour rejoindre l’Italie. Après y avoir séjourné pendant à peu près trois mois, vous seriez parti en France où vous auriez séjourné pendant 6 mois avant de partir en Espagne chez votre cousin. Vous y auriez séjourné pendant environ une année et auriez travaillé en tant que jardinier et peintre. Par la suite, en passant par la France, vous seriez parti aux Pays-Bas pour y introduire une demande de protection internationale « afin d’avoir des soins médicaux » (entretien page 4). Vous ne seriez pas resté aux Pays-Bas alors que vous y auriez été menacé de mort par des trafiquants de drogue et parce que les autorités néerlandaises n’auraient pas voulu vous soigner. Vous déclarez que votre doigt serait « paralysé, le tendon est cassé » (entretien page 4).

Vous déclarez avoir introduit une demande de protection internationale « pour être protégé et pour avoir des soins médicaux » (entretien page 4). Vous souhaiteriez notamment vous faire opérer alors que votre doigt serait cassé depuis que vous auriez été victime d’une agression en Algérie en juin 2020.

Vous déclarez dans ce contexte que fin mai 2020, il y aurait eu un grand incendie à …, de sorte que toute la ville aurait pris feu « et moi j’ai filmé tout ça » (entretien page 5). Sur cette vidéo, il y aurait eu des personnes qui auraient mis le feu. Lorsque vous seriez passé une fois au tribunal pour payer une amende de votre père, vous auriez profité de l’occasion pour passer dans un bureau où il aurait été marqué « Juge d’instruction » (entretien page 5). Vous auriez parlé au procureur/juge d’instruction au sujet de cet incendie et lui auriez montré ladite vidéo.

Par la suite, trois des personnes qui auraient été sur cette vidéo auraient été emprisonnées pour une durée de cinq années par un jugement rendu en juin 2020. Le jour-

même du jugement, les frères des auteurs du feu seraient venus pour venger l’emprisonnement de leurs frères et vous auraient poignardé. Pour cette raison, vous auriez été opéré au niveau de vos côtes et du doigt. Vous auriez été hospitalisé pendant deux jours et le lendemain, votre famille vous aurait conduit à … d’où vous auriez quitté l’Algérie pour venir en Europe. En effet, votre père vous aurait dit que ce serait mieux pour vous de partir à l’étranger alors qu’en restant en Algérie, vous risqueriez votre vie.

Vous n’auriez pas porté plainte contre vos agresseurs alors que vous auriez été hospitalisé et vous auriez quitté l’Algérie dans la foulée pour rejoindre l’Europe.

Vous n’auriez en outre pas de preuves de vos dires alors qu’en Algérie, un rapport médical serait uniquement établi suite à la demande du patient « sauf s’il s’agit de cas très graves » (entretien page 5). Et même si on remettrait un tel rapport à la police, l’auteur de l’agression payerait une somme d’argent et « le certificat est clôturé » (entretien page 5). Il y aurait de la corruption, raison pour laquelle vous vous seriez par ailleurs immédiatement adressé au procureur pour lui montrer la vidéo que vous auriez tournée.

Sur question afférente de l’agent ministériel de savoir pourquoi vous ne vous seriez pas adressé au procureur pour dénoncer vos agresseurs, vous estimez « je n’avais pas le temps » (entretien page 5) alors que suite à cette agression vous auriez été transporté à l’hôpital et y seriez resté pendant deux jours. Le lendemain, votre famille vous aurait fait sortir de l’hôpital et vous aurait conduit à Annaba d’où vous auriez quitté le pays.

En cas de retour en Algérie, vous craindriez mourir alors que vous seriez menacé par la famille des personnes qui auraient été emprisonnées parce que vous auriez montré cette vidéo au procureur.

A la fin de votre entretien, vous rajoutez encore vouloir sortir du centre de rétention pour faire votre vie. Vous voudriez faire un apprentissage et « je sais faire la coiffure aussi » (entretien page 7).

Vous ne soumettez aucun document d’identité ou de voyage, ni aucun autre document à l’appui de vos dires. Vous n’auriez pas de documents d’identité alors que « tout se trouve en Algérie » (entretien page 2). Confronté à vos déclarations faites lors de votre entretien avec la police et à l’occasion de votre entretien « Dublin III » aux termes desquelles vous auriez perdu votre carte d’identité, soit en Algérie, soit en Belgique, vous estimez avoir perdu votre passeport et votre « autorisation de séjour » néerlandaise en Belgique. Votre carte d’identité se trouverait en Algérie. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Par arrêté du 14 juin 2024, notifié à l’intéressé en date du même jour, le ministre ordonna la mainlevée de l’arrêté de placement au Centre de rétention du 30 avril 2024.

Par jugement du 17 juin 2024, inscrit sous le numéro 50560 du rôle, le recours contentieux introduit à l’encontre de l’arrêté, précité, du 30 avril 2024, par lequel le ministre ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur …, fut déclaré fondé et sa libération immédiate fut ordonnée.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 3 juin 2024 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre les décisions du ministre du 3 juin 2024, telles que déférées.

A l’audience publique des plaidoiries du 1er juillet 2024, le délégué du gouvernement a soulevé l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur …. En effet, suite à la mainlevée du placement au Centre de rétention de Monsieur … du 14 juin 2024, ce dernier aurait dû se présenter auprès du ministère des Affaires intérieures, entretemps en charge de son dossier, ci-après désigné par « le ministère », en date du 28 juin 2024, pour procéder à la prolongation de son attestation de demandeur de protection internationale. Or, à défaut de s’y être présenté à cette date, le délégué du gouvernement estime que le demandeur aurait implicitement retiré sa demande de protection internationale. Il n’aurait, dès lors, plus d’intérêt à agir à l’encontre des décisions ministérielles déférées et le recours sous analyse serait irrecevable.

Le litismandataire de Monsieur …, face à ce moyen d’irrecevabilité, s’est rapporté à prudence de justice.

Force est d’abord de relever que l’intérêt pour agir est l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, intérêt qui doit non seulement exister au jour de l’introduction du recours, mais encore subsister jusqu’au prononcé du jugement, alors qu’à défaut de justifier le maintien de l’intérêt à agir ayant existé au jour de la requête introductive, le recours doit être déclaré irrecevable2.

La soussignée relève ensuite qu’en ce qui concerne le retrait implicite d’une demande de protection internationale par le demandeur, l’article 23 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que :

1 Trib. adm., 22 mars 2006, n° 20355 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 (3e volet) et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 26 novembre 2009, n° 25191 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 28 et les autres références y citées.

« (2) Lorsqu’il existe un motif sérieux de penser qu’un demandeur a retiré implicitement sa demande ou y a renoncé implicitement, le ministre prend la décision soit de clore l’examen de la demande, soit de la rejeter si elle est considérée comme infondée sur base d’un examen approprié quant au fond.

Il est présumé que le demandeur a implicitement retiré sa demande de protection internationale ou y a implicitement renoncé, notamment lorsqu’il est établi :

a) qu’il n’a pas répondu aux demandes l’invitant à fournir des informations essentielles pour sa demande, au regard de l’article 37 ou ne s’est pas présenté à un entretien personnel prévu à l’article 13, sauf si le demandeur apporte la preuve, dans un délai de huit jours que cette absence était indépendante de sa volonté ;

b) qu’il a fui ou quitté sans autorisation le lieu où il était assigné à résider ou était placé en rétention, sans contacter le ministre endéans les vingt-quatre heures ou qu’il n’a pas, endéans le délai d’un mois, respecté l’obligation de se présenter auprès du ministre, à moins qu’il ne démontre que cela était dû à des circonstances qui ne lui sont pas imputables. ».

Il ressort de cette disposition que le ministre doit prendre soit une décision de clôture de l’examen d’une demande de protection internationale, soit une décision de refus de celle-ci lorsqu’il existe un motif sérieux de penser que le demandeur a retiré implicitement sa demande de protection internationale. Ce dernier est présumé l’avoir implicitement retiré lorsqu’il ne répond pas aux demandes l’invitant à fournir des informations essentielles pour l’examen de sa demande ou qu’il ne s’est pas présenté à un entretien personnel, sinon s’il a fui, respectivement quitté le lieu où il était assigné à résider ou était placé en rétention, sans en avoir été autorisé par le ministre et sans le contacter dans un délai de vingt-quatre heures, ou s’il n’a pas respecté l’obligation de se présenter auprès du ministère endéans le délai d’un mois.

En l’espèce, il est constant en cause que le ministre a d’ores et déjà examiné la demande de protection internationale de Monsieur … en prenant une décision de refus sur base de la procédure accélérée telle que prévue par l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015. Il s’ensuit que le fait que Monsieur … ne se soit pas présenté au ministère pour obtenir la prolongation de son attestation de demandeur de protection internationale ne peut plus emporter comme conséquence la clôture de l’examen de sa demande de protection internationale, sinon le rejet de celle-ci par le ministre pour cette même raison.

Il convient encore de préciser que l’obtention de la prolongation de cette attestation constitue une démarche administrative, dont l’inobservation par le demandeur ne peut suffire à elle seule pour conclure à un défaut d’intérêt à agir dans son chef dans le cadre de son recours introduit contre la décision ministérielle portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale.

Le moyen d’irrecevabilité sous analyse relatif à un défaut d’intérêt à agir est dès lors à rejeter pour être non fondé.

A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, en reprenant, en substance, ses déclarations telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère et telles que résumées dans la décision ministérielle litigieuse de la manière exposée ci-avant. Il explique, à cet égard, être un ressortissant algérien et avoir fui l’Algérie en juillet 2020, et ce, en raison de violences physiques, respectivement de menaces commises par des membres de la famille de trois détenus voulant venger l’emprisonnement de « leur frère [qui aurait] été privé de liberté ». En effet, celui-ci aurait été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour avoir déclenché un incendie dans la ville de …, le demandeur ayant filmé et dénoncé les délinquants par la suite.

En ce qui concerne la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur précise que lors de son entretien du 10 mai 2024, il aurait « clairement affirmé être “parti aux Pays-Bas pour demander l’asile” ». Dans la mesure où il souffrirait d’une paralysie de son index gauche suite à l’agression physique dont il aurait été victime, il aurait fait état de ses séquelles aux autorités néerlandaises en leur demandant « à ce moment » de pouvoir bénéficier de soins médicaux.

Le demandeur continue en reprochant à la décision ministérielle d’être empreinte de subjectivité fondée sur son apparence physique dans la mesure où le ministre aurait mis en doute sa date de naissance au motif que son « apparence physique […] ne correspond[rait] manifestement pas à celle d’un adolescent, né en 2005 ». Il aurait, toutefois, déclaré que tous ses documents, et plus particulièrement sa carte d’identité, se trouveraient en Algérie. Il n’aurait pas pu contacter sa famille pour leur demander de lui remettre les documents relatifs à son identité, ainsi qu’à son vécu, alors qu’il se serait trouvé au Centre de rétention au moment de son entretien avec l’agent ministériel. Il en conclut que la décision serait à réformer pour défaut de motivation.

En ce qui concerne le bien-fondé de sa demande de protection internationale et plus particulièrement le statut de réfugié, après avoir rappelé les termes des articles 2 f), 42, 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime que les menaces dont il aurait été victime entreraient dans la catégorie de violences morales, respectivement mentales, dans la mesure où ces deux notions auraient la même signification. Il rappelle, dans ce contexte, qu’après avoir remis à un juge d’instruction la vidéo filmée au moment de l’incendie au sein de la ville de …, montrant ses auteurs, dénonçant ainsi ces derniers, il aurait été « agressé par les membres de la famille des personnes qui sont en prison ». Suite à cet acte de violence, il aurait été hospitalisé et « opéré du côté droit au niveau de [ses] côtes et du doigt ».

Il ajoute, à ce propos, que l’Etat algérien serait « indisponib[le] » à lui offrir une protection effective, dans la mesure où l’Etat tolèrerait de tels actes. Le demandeur indique qu’un niveau élevé de corruption toucherait l’ensemble de l’Algérie et qu’elle existerait dès lors également au sein de la police. Ce serait pour cette raison qu’il aurait souligné dans le cadre de son entretien s’être immédiatement adressé au juge d’instruction pour lui montrer la vidéo relative à l’incendie et non pas à la police. Il précise encore que les institutions chargées de lutter contre la corruption en Algérie demeureraient particulièrement « floues et inefficaces », en ce qu’elles n’établiraient aucun rapport d’activité précis démontrant « la transparence » desdites autorités. Le demandeur met en avant qu’il n’aurait, dès lors, pas pu s’adresser à l’Office Central de la Répression de la Corruption ou au Médiateur de la République, tel que le préconiserait le ministre. Au vu de cette inexistence de « zone sûre à l’intérieur du pays » pour lui, il existerait un risque réel et sérieux dans son chef de subir, en cas de retour en Algérie, des violences physiques, respectivement mentales par les membres de la famille des trois détenus.

Quant à la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 et s’être référé aux articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime avoir droit au statut conféré par la protection subsidiaire en se prévalant des mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du statut de réfugié, ainsi que de l’indisponibilité et de l’incapacité de l’Etat algérien à lui octroyer une protection effective. L’Algérie serait, d’ailleurs, dépourvue d’un système judiciaire effectif garantissant les poursuites et sanctions des auteurs de violences physiques et verbales, ainsi que de menaces.

Enfin, il estime que l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision litigieuse devrait être réformé au vu de la réformation de la décision du refus d’octroi d’un des statuts de la protection internationale, sinon en vertu de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », alors qu’il ferait état d’un risque réel et personnel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Ces deux articles combinés poseraient, d’ailleurs, le principe d’interdiction de refoulement ou d’extradition d’une personne vers un pays où elle risquerait d’être victime de traitements contraires à ces articles.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé et, dans la négative de renvoyer le recours devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

La soussignée retient tout d’abord que le moyen ayant trait à un défaut de motivation est à rejeter pour être manifestement infondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée, citée in extenso ci-avant, que la décision en question est motivée tant en fait qu’en droit, le ministre ayant indiqué de manière détaillée, dispositions normatives à l’appui, les raisons l’ayant amené à rejeter la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, à savoir, notamment, la circonstance selon laquelle le récit de l’intéressé ne serait pas crédible dans sa globalité, le ministre ayant développé son argumentation afférente sur plusieurs pages.

Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur le point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ». L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

En l’espèce, et indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur et de la qualification des faits invoqués par ce dernier, force est à la soussignée de relever qu’il ressort des déclarations de Monsieur … que sa demande en obtention d’une protection internationale est basée (i) sur la crainte de subir des violences, à titre de vengeance, de la part des frères des auteurs de l’incendie dans la ville de …, condamnés à une peine d’emprisonnement de cinq ans après que le demandeur les ait dénoncé à un juge d’instruction, et (ii) sur des motifs d’ordre médical et économique.

En ce qui concerne la crainte d’être victime, en cas de retour en Algérie, de violences exercées à titre de vengeance par les frères des auteurs de l’incendie dans la ville de …, la soussignée constate que ces frères, qui l’ont d’ores et déjà agressé, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat.

Le demandeur ne peut dès lors faire valoir une crainte fondée d’être persécuté ou d’être victime d’atteintes graves que si les autorités algériennes ne veulent ou ne peuvent pas lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut3.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, – ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions – cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il y a, tout d’abord, lieu de rappeler que les faits mis en avant par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale s’inscrivent exclusivement dans un cadre privé, 3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

Monsieur … déclarant, en effet, craindre des violences de la part des frères des auteurs de l’incendie pour les avoir dénoncé, et que ceux-ci l’ont déjà agressé en le poignardant.

Or, il ressort du rapport d’audition du 10 mai 2024 que Monsieur … ne s’est jamais adressé aux autorités de son pays d’origine pour dénoncer les auteurs de son agression afin de requérir leur protection à leur encontre, mais qu’il s’est tout de suite enfui de l’Algérie4.

La soussignée relève à cet égard que si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de violences, communément la forme d’une plainte. Ainsi, à défaut d’avoir déposé une plainte, le demandeur ne saurait reprocher aux autorités algériennes compétentes une absence de protection contre les agissements des personnes l’ayant agressé.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que le demandeur n’apporte aucun élément concret qui pourrait établir qu’il aurait été en vain pour lui de se présenter aux forces de l’ordre de son pays d’origine pour rechercher une protection.

Dès lors, la soussignée est amenée à conclure que le demandeur n’a manifestement pas établi un défaut de protection de la part des autorités étatiques algériennes, de sorte qu’au moins l’une des conditions d’octroi d’un des statuts de la protection internationale ne se trouve manifestement pas remplie dans son chef.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne lui aurait pas été possible de déposer plainte auprès des autorités algériennes suite à son agression, en justifiant cette impossibilité (i) par le fait qu’après son séjour à l’hôpital, son père l’aurait immédiatement conduit vers Annaba, afin qu’il quitte l’Algérie5 et (ii) par la corruption qui règnerait dans son pays d’origine, et plus particulièrement auprès de la police6.

Si, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, le demandeur insiste sur l’existence de corruption auprès des autorités policières, sur le « défaut de transparence des autorités algériennes » et sur l’absence d’un système judiciaire effectif, de sorte que ni des poursuites, ni des sanctions des auteurs de violences physiques et morales, ainsi que de menaces, ne seraient garanties, la soussignée constate toutefois que malgré ces affirmations, le demandeur n’a manifestement rencontré aucun problème pour s’adresser spontanément à un juge d’instruction pour dénoncer les auteurs de l’incendie.

Il s’ensuit que même en cas de présence de corruption au sein des autorités policières, le demandeur ne fournit aucune raison plausible pour laquelle il n’aurait pas pu déposer plainte auprès du même juge d’instruction contre ses agresseurs. S’y ajoute que le demandeur aurait encore pu se diriger vers les autorités supérieures de l’Algérie, dont le Médiateur de la République, auquel il aurait même pu s’adresser par requête envoyée par courrier électronique, comme l’explique à juste titre la partie gouvernementale, sources internationales à l’appui. Il ressort encore des déclarations du demandeur que les autorités algériennes ne sont pas inactives, dans la mesure où les auteurs de l’incendie ont été condamnés à une peine 4 Pages 6 et 7 du rapport d’audition.

5 Pages 5 et 6 du rapport d’audition.

6 Page 5 du rapport d’audition.

d’emprisonnement même pas un mois après avoir été dénoncés auprès du juge d’instruction7.

La soussignée relève encore que l’absence de dépôt de plainte ne saurait pas non plus se justifier par l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’aurait pas eu le temps8.

Ainsi, force est de constater que Monsieur … ne démontre pas l’existence, en Algérie, d’une situation qui serait telle qu’aucune protection ne pourrait être requise auprès des autorités algériennes.

La soussignée constate encore qu’il ressort des déclarations faites par le demandeur dans le cadre de sa demande de protection internationale, telle qu’actées (i) dans le rapport de la police en date du 26 septembre 2023, (ii) dans son entretien Dublin III du 2 octobre 2023 et (iii) dans son audition relative à sa demande de protection internationale du 10 mai 2024, que sa demande en obtention d’une protection internationale est surtout basée (i) sur des raisons médicales, le demandeur expliquant que « Je demande l’asile pour me faire soigner médicalement »9, qu’aux Pays-Bas, « [l]es autorités ne voulaient pas me faire soigner c’est pourquoi j’ai décidé de demander l’asile en Suisse. […] J’ai quitté la Suisse parce que les autorités ne m’ont pas donné de l’aide médicale »10, que « […] I finally left the Netherlands, because of the way I was treated there, they did not even take proper care of my left index finger, which I hurt during an accident. »11, qu’il a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg « parce qu’[il est handicapé] avec [son] doigt. », tout en demandant s’il était possible « de [l]’aider en faisant une opération afin de pouvoir bouger [s]on index gauche »12, et (ii) sur des raisons économiques consistant à travailler au Luxembourg, alors qu’il ne trouvait d’emploi ni en France13 ni en Espagne, sinon à faire un apprentissage, le demandeur déclarant, à ce propos, qu’il saurait « faire la coiffure aussi »14.

Or, force est de constater que de tels motifs d’ordre médical et économique ne sauraient manifestement justifier l’octroi ni du statut de réfugié ni de celui conféré par la protection subsidiaire pour ne pas être fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015 et pour ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu des considérations qui précèdent, la soussignée est amenée à retenir que le demandeur n’a manifestement pas fait état et n’a pas établi qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur, dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence sont visiblement dénués de tout fondement.

7 Page 6 du rapport d’audition.

8 Page 5 du rapport d’audition.

9 Page 2 du rapport de police.

10 Idem.

11 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III.

12 Page 4 du rapport d’audition.

13 Page 4 du rapport Dublin III.

14 Page 7 du rapport d’audition.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement infondé.

Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’accorder une protection internationale Force est de rappeler que la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.

Ainsi, au niveau de l’examen de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, la soussignée ne saurait, en l’absence d’autres éléments, que réitérer son analyse précédente, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, et au vu des pièces produites en cause, que Monsieur … ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale.

Dans ces circonstances, la soussignée conclut que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a a priori également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Ensuite, aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 invoqué par le demandeur : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il convient de relever que l’article 129 de la loi du 29 août 2008 renvoie à l’article 3 de la CEDH aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».

Or, la soussignée a conclu ci-avant que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que le demandeur ne risquait de subir ni des persécutions, ni des atteintes graves en cas de retour en Algérie, de sorte qu’il ne saurait pas non plus se baser sur les faits personnels invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale pour soutenir qu’un retour vers son pays d’origine serait contraire aux articles 129 de la loi du 29 août 2008 et 3 de la CEDH.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 3 juin 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé à titre principal contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 3 septembre 2024, par la soussignée, Annemarie Theis, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Annemarie Theis Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50612
Date de la décision : 03/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-09-03;50612 ?

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