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20/09/2024 | LUXEMBOURG | N°47308

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 septembre 2024, 47308


Tribunal administratif N° 47308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47308 4e chambre Inscrit le 12 avril 2022 Audience publique du 20 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Fonction publique en matière de résiliation de contrat d’employé de l’Etat

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 47308 du rôle et déposée le 12 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ...

Tribunal administratif N° 47308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47308 4e chambre Inscrit le 12 avril 2022 Audience publique du 20 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Fonction publique en matière de résiliation de contrat d’employé de l’Etat

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 47308 du rôle et déposée le 12 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique du 11 mars 2022 portant résiliation de son contrat de travail ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2022 par Maître Jean-Marie BAULER, préqualifié, pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nathalie DE SOUSA LOPES, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 mars 2024.

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En date du 28 septembre 2020, Monsieur … fut engagé, avec effet au 1er octobre 2020, à l’administration gouvernementale - Ministère d’État - et y fut affecté à la …, ci-après désignée par « la … », par un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’employé de l’État.

Le 20 décembre 2021, par envoi recommandé, un ordre de justification fut adressé à Monsieur … par la secrétaire générale de la …, la directrice du …, ci-après nommés respectivement « le … » et « l’… », afin qu’il s’explique sur sa participation aux manifestations du 11 décembre 2021 contre les mesures prises par le Gouvernement luxembourgeois dans le cadre de la pandémie COVID-19, alors qu’il lui serait reproché d’y avoir agi contrairement aux devoirs résultant de l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État, ci-après désigné par « le statut général », dans la mesure où il aurait, d’une part, essayé de forcer le passage, bloqué par des policiers, en agressant physiquement un des policiers, ce qui apparaîtrait sur les images reprises dans desreportages diffusés les 11 et 15 décembre 2021 sur la chaîne télévisée RTL Luxembourg, les mêmes images ayant encore été reprises en arrière-fond dans l’émission « Kloertext » sur la même chaîne en date du 16 décembre 2021, et, d’autre part, installé des barrières sur les lignes du tram pour bloquer le trafic, images reprises dans un reportage diffusé sur le site du journal Luxemburger Wort ainsi que dans un photoreportage sur le site de RTL Luxembourg. (dates) Le 22 décembre 2021, Monsieur … présenta ses observations par rapport à l’ordre de justification du 20 décembre 2021.

Par courrier du 6 janvier 2022, la secrétaire générale de la … saisit le Premier ministre, ministre d’État afin qu’il entame la procédure de résiliation du contrat de travail à durée indéterminée de Monsieur … auprès du ministre de la Fonction publique, ci-après dénommé « le ministre », lequel fut saisi par courrier du ministre d’État du 10 janvier 2022, erronément daté au 10 décembre 2022.

Par un courrier simple et recommandé du 17 janvier 2022, le ministre informa Monsieur … de son intention de résilier son contrat de travail, dans les termes suivants :

« (…) Monsieur Je viens d’être informé par Monsieur le Premier Ministre, Ministre d’État des faits suivants qui sont contraires à vos devoirs d’employé de l’Etat.

Vous avez été engagé par contrat de travail du 28 septembre 2020 en tant qu’employé de l’Etat C1 auprès de ….

Les faits suivants vous sont reprochés :

Lors du samedi, 11 décembre 2021, vous avez participé à la manifestation des opposants à la vaccination qui s’est tenue dans un espace délimité entre le Glacis et la place de l’Europe.

Les autorités publiques, à savoir la Ville de Luxembourg et la Police, avaient délimité un espace entre le Glacis et la place de l’Europe dans lequel pouvait se dérouler légalement la manifestation sans perturber les activités du centre-ville. Ce zoning était bien connu des participants à la manifestation.

Pour empêcher que des manifestants ne puissent accéder au centre de la ville, la Police avait mis en place un barrage dans l’Avenue de la Porte Neuve, afin d’éviter des débordements semblables à ceux du weekend du 4 au 5 décembre 2021, avec notamment la mise en danger de citoyens, familles avec enfants et commerçants se trouvant sur les marchés de Noël.

Pourtant, à un certain moment, un groupe de personnes s’est séparé du reste des manifestants réunis sur le Glacis, a quitté la zone encadrée où la manifestation pouvait avoir lieu et s'est mis en marche en direction du centre-ville.

Vous vous trouviez parmi ces manifestants et vous vous êtes dirigé avec eux vers le centre-ville.

2 Ces manifestants se sont retrouvés face à un cordon de policiers qui les ont bloqués et ils ont alors tenté de forcer ce barrage.

Ces débordements, dont vous faisiez partie, ont été filmés et photographiés.

Il apparaît sur les images qui sont reprises dans un reportage sur RTL, et sur lesquels vous êtes parfaitement reconnaissable, que vous vous trouviez en face de ces policiers et que vous essayiez de forcer le passage en agressant physiquement un des policiers. Deux policiers répliquent en vous repoussant.

Ces mêmes images sont reprises dans un autre reportage sur RTL où on peut voir les mêmes faits, mais encore plus distinctement.

Lors de l'émission « Kloertext » du 16 décembre 2021, les mêmes images sont visibles en arrière-fond de l’émission, ainsi que lors d’une interview qui qu’a donné Monsieur le Premier Ministre sur RTL le jour du Nouvel An.

Dans un autre reportage diffusé sur le site du Luxemburger Wort, on vous voit, sur le Glacis dans l'allée Schaeffer, installer des barrières sur les lignes du tram pour bloquer le trafic.

Il s’agit là des barrières métalliques de sécurité qui entourent le parking du Glacis et qui visent à empêcher à ce que des personnes traversent les rails du tram en dehors des passages pour piétons.

On voit dans le reportage de RTL que vous êtes en train de déplacer ces barrières/grilles métalliques vers respectivement les rails du tram et la route où la circulation des voitures et autobus était alors bloquée pour un certain temps.

Un ordre de justification vous a été adressé le 20 décembre 2021 par rapport à ces faits.

Dans votre réponse datée du 22 décembre 2021, vous ne niez pas les faits qui vous sont reprochés.

Vous confirmez avoir participé à la manifestation en question, avoir eu une altercation avec les forces de l’ordre, que vous essayez de justifier en alléguant avoir été victime de violences policières, et vous avouez avoir eu une réaction excessive dont vous êtes peu fier.

D’après vous, vous n’aviez jamais l’intention de forcer un quelconque barrage policier, mais vous vous seriez laissé emporter par un mouvement de foule, guidé par vos émotions, très vives à cet instant-là.

Vous indiquez que vous vous êtes retrouvé face à un barrage des forces de l’ordre et des policiers qui vous auraient repoussé à coups de bouclier et de matraque aux bras et aux jambes. C’est d’après vous à ce moment-là que les images ont été tournées et qu’on vous verrait, malheureusement, réagir intuitivement, sous le coup de la douleur et de l'émotion. Vous auriez instinctivement repoussé le policier qui venait de vous brutaliser.

3 Après cet incident vous auriez regagné le cœur du Glacis et là, encore sous l’émotion et le choc de cette violence, vous auriez décidé de suivre un groupe de personnes, qui portaient des cagoules, et de participer au déplacement des barrières pour bloquer le trafic et manifester ainsi votre mécontentement face à un comportement policier que vous perceviez comme une injustice.

En tant qu’agent de l’Etat, vous êtes soumis à un devoir de bonne conduite inscrit à l’article 10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, suivant lequel vous êtes tenu de vous comporter de façon digne tant dans l'exercice de vos fonctions qu'en dehors de celui-ci.

En tant qu’agent de l’Etat, tout comportement qui peut donner lieu à scandale ou qui peut compromettre les intérêts du service public vous est interdit.

Il vous est reproché d’avoir agi contrairement à ces devoirs résultant de l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’État.

Par conséquent, en application de l’article 7, paragraphe 1, de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat et sur demande de Monsieur le Premier Ministre, Ministre d’Etat, je vous informe que j’ai l'intention de résilier votre contrat de travail.

Enfin, je vous informe qu’en vertu de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, vous disposez d’un délai de huit jours pour présenter vos observations ou pour demander à être entendu en personne par un agent de l’Etat au sujet de la décision envisagée. (…) ».

Suite à une entrevue s’étant déroulé le 3 février 2022, Monsieur … fut dispensé de service par courrier de la secrétaire générale de la … du 4 février 2022.

Par un courrier simple et recommandé du 11 mars 2022, et suite à l’avis favorable du Premier ministre, ministre d’État du 8 février 2022, le ministre résilia le contrat de travail de Monsieur … dans les termes suivants :

« (…) Monsieur, En référence à mon courrier du 17 janvier 2022 dans lequel je vous ai fait part des raisons qui m'ont fait envisager la résiliation par décision motivée de votre contrat de travail, je vous adresse ma décision y relative.

Suite à votre demande, une entrevue a eu lieu en date du 3 février 2022, en présence de représentants de … et de mon ministère et vous étiez assisté par Maître Robert Kayser.

Lors de cette entrevue vous avez réitéré vos excuses par rapport au comportement que vous avez affiché lors de la manifestation des opposants à la vaccination le samedi 11 décembre 2021. Vous avez souligné que vous aviez seulement l’intention de manifester pacifiquement, que vous ne compreniez pas vous-même votre comportement, que vous aviez été emporté par le mouvement de foule hors du périmètre prévu pour la manifestation et que vous n’aviez jamais été violent par le passé.

4 Bien que vos excuses soient tout à fait louables, il n’empêche que les faits qui vous sont reprochés sont très graves.

Vous avez utilisé la violence contre les agents des forces de l’ordre et vous avez eu un comportement insurrectionnel.

Ces faits ne sont pas contestés, ont été filmés, photographiés et diffusés au grand public.

Vous êtes parfaitement reconnaissable dans ces films et sur ces photos.

Vous avez dès lors gravement violé vos obligations en tant qu’agent de l’Etat et plus précisément celles résultant de l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1er, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat qui vous impose un devoir de bonne conduite et vous interdit tout comportement qui pourrait donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Pour les raisons indiquées ci-dessus et dans mon courrier du 17 janvier 2022 et sur demande de Monsieur le Premier Ministre, Ministre d’Etat, j’ai le regret de vous informer que votre contrat de travail est résilié avec effet au 16 mars 2022, sur base de l’article 7, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 avril 2022, inscrite sous le numéro 47308 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 11 mars 2022 portant résiliation de son contrat de travail avec effet au 16 mars 2022.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … soulève l’irrecevabilité du mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 2022 pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, au motif que la signataire dudit mémoire, Madame Anne-Catherine LORRANG, n’aurait pas la qualité de délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives au sens des articles 18 et 66 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ».

La partie gouvernementale ensemble avec son mémoire en duplique verse un arrêté du ministre de la Justice du 3 janvier 2022 portant nomination notamment de Madame Anne-

Catherine LORRANG, attachée de gouvernement, comme délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives avec effet au 1er janvier 2022.

Force est dès lors de retenir que la personne ayant signé le mémoire en réponse déposé en date du 8 juin 2022 avait bel et bien la qualité de délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives à ce moment, de sorte que le mémoire en question, ensemble le mémoire en duplique, sont recevables pour avoir, par ailleurs, été déposés dans les délais de la loi.

Aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », « Les 5 contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond.

Le délai de recours est de trois mois à partir de la notification de la décision. ».

Dans son mémoire en réponse, la partie gouvernementale se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité de l’acte introductif d’instance quant à la compétence « ratione materiae », « ratione temporis », ainsi que quant à l’intérêt à agir de Monsieur ….

En ce qui concerne la compétence ratione materiae du tribunal, force est de relever qu’en vertu de l’article 10, alinéa 1er, précité, de la loi du 25 mars 2015, le tribunal administratif statue comme juge du fond pour connaître des contestations résultant du contrat d’emploi des employés de l’Etat, parmi lesquelles sont comprises celles relatives à sa résiliation1, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre les décisions déférées.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le tribunal relève cependant que se pose en l’espèce une question de compétence du tribunal en ce qui concerne la demande figurant au dispositif de la requête introductive d’instance tenant à ordonner la « réintégration » de Monsieur ….

Force est en effet de relever que si le tribunal dispose en l’espèce d’un pouvoir de réformation, c’est-à-dire qu’il est en principe appelé à remplacer la décision viciée, dans les limites de l’objet du recours, par une décision nouvelle, conforme à la loi, il se trouve cependant dans l’impossibilité d’ordonner la réintégration du demandeur à défaut de base légale l’autorisant à formuler des injonctions à l’égard de l’employeur2, de sorte qu’il doit se déclarer incompétent pour ce volet du recours.

En ce qui concerne la recevabilité du recours pour le surplus, force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le délai d’action n’aurait pas été respecté, respectivement pour quelle raison Monsieur … n’aurait pas d’intérêt à agir contre la décision procédant à la résiliation de son contrat de travail, les moyens d’irrecevabilité afférents encourent le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Il s’ensuit que le recours principal en réformation est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, il échet encore de relever, en ce qui concerne la demande de mise en intervention de la société RTL Group S.A., que, dans la mesure où le demandeur reste en défaut 1 Trib. adm., 2 mai 1998, n° 10266 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Fonction publique, n°684 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 26 mai 2020, n° 41893 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Fonction publique, n°701.de préciser l’intérêt de ladite société à faire partie de la présente instance, ainsi que d’établir la qualité de tiers intéressé de cette dernière, il n’y a pas lieu de procéder à une quelconque mise en intervention, étant donné qu’il n’est pas démontré que la réformation de la décision déférée puisse éventuellement entraîner dans le chef de la société RTL Group S.A. un quelconque préjudice.

Il s’ensuit que la demande de mise en intervention est à rejeter pour ne pas être fondée.

A l’appui de son recours et en fait, après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de la décision déférée, le demandeur relate sa version des faits relatifs à sa participation à la manifestation contre les mesures prises par le Gouvernement luxembourgeois dans le cadre de la pandémie COVID-19. Il souligne à cet égard l’absence de barrage policier à l’entrée de l’avenue Pescatore ayant pu donner la fausse impression aux manifestants qu’ils avaient le droit de s’y diriger et avoir été emporté par un mouvement de foule suite auquel il se serait trouvé face à un barrage de policiers dont il aurait ignoré la présence sur les lieux jusqu’audit moment.

Contrairement à ce qui aurait été insinué par les images publiées par RTL, dans les reportages y afférents, il n’aurait à aucun moment entendu forcer le passage ou attaquer les policiers, alors que lesdites images omettraient de montrer l’attaque physique d’un policier contre ses jambes, à l’aide d’un bâton et d’un bouclier. L’arrivée de deux autres policiers et le fait qu’il se serait soudainement retrouvé face à ce mur de policiers se dirigeant vers lui, tous armés de bâtons et de boucliers, l’auraient convaincu qu’ils entendaient le rouer de coups. Le demandeur fait valoir que ce serait uniquement à ce moment-là qu’il aurait réagi et aurait poussé le bouclier du policier qui l’aurait frappé auparavant et que contrairement à ce qui aurait été insinué par les images publiées, il n’aurait pas été présent lors de l’utilisation des canons à eau. Il indique, en outre, qu’au Glacis, il aurait aidé un certain nombre de personnes qui auraient déplacé une barrière, mais sans commettre aucun acte de vandalisme ou une quelconque dégradation et précise que si les agents de police auraient arrêté un certain nombre de manifestants il n’en aurait pas fait partie.

Le demandeur soutient ensuite qu’il aurait demandé la tenue d’une entrevue par voie téléphonique en date du 21 janvier 2022 et qu’il aurait été informé, à la même date, du lieu et de la date de l’entrevue, de l’identité des membres composant le jury, de son droit de se faire accompagner par une personne de son choix, ainsi que de l’application du « COVID-check » sous peine de se voir refuser l’accès au ministère en question. Il précise qu’auraient participé à son entretien du 3 février 2022, lors duquel il aurait été assisté par Maître Robert KAYSER, Monsieur Marc … et Madame … du ministère de la Fonction publique, ci-après dénommé « le ministère », Madame … et Monsieur …, représentants la …, ainsi que Madame …, directrice du ….

Le tribunal relève qu’il n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent3.

En droit, quant aux formes destinées à protéger les intérêts privés, le demandeur invoque en premier lieu une violation de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-

3 Trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.après dénommé « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 » en relevant, tout d’abord, que la loi du 25 mars 2015 ne prévoirait pas d’entretien préalable en cas de licenciement d’un employé, mais qu’en vertu de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la personne concernée par une décision susceptible d’être prise, devrait être entendue, lorsqu’elle en ferait la demande, par l’autorité se proposant de prendre ladite décision. Or, le demandeur considère qu’il aurait, en l’espèce, été entendu en date du 3 février 2022 par cinq agents, dont deux du ministère, deux représentants de la … et la directrice du …, qui seraient, selon lui, à considérer « de facto et de iure comme un jury ou une commission disciplinaire » et à requalifier comme constituant un « organisme consultatif collégial » au sens de l’article 4 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979.

Dans la mesure où il se serait ainsi trouvé face à un jury, le demandeur estime que cet organisme consultatif collégial aurait dû émettre un avis motivé qui aurait dû être annexé à la décision ministérielle litigieuse de même que ledit avis aurait dû énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels il se serait basé, sa composition et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis exprimé, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

En se référant encore aux travaux préparatoires relatifs à l’article 4 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979, le demandeur conclut qu’il serait indéniable qu’il se serait trouvé face à un véritable organisme collégial, voire consultatif et que partant un rapport écrit et motivé aurait dû lui être communiqué.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste l’argumentation étatique selon laquelle l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 conférerait à l’administré le droit d’être entendu en personne par l’autorité se proposant de prendre une décision dans son dossier sans pour autant que ledit article ne préciserait comment « l’autorité » devrait se faire représenter, alors qu’il estime que le ministre n’aurait pas le droit de se faire représenter par un organe collégial, cette possibilité n’étant prévu par aucun texte. Il considère qu’à travers ladite argumentation, la partie étatique serait en aveu que son entrevue du 3 février 2022 devant un organe consultatif serait dépourvue de base légale en ce qu’aucun organisme consultatif n’aurait été institué par la loi dans le cadre de la procédure de résiliation sur base de l’article 7, paragraphe (1) de la loi du 25 mars 2015.

Ce serait encore à tort que la partie étatique défendrait la légitimité de la présence de Madame …, Madame …, Monsieur …, et Madame … à cet organe collégial, alors que se poserait moins la question des personnes que celle de la légalité d’un tel organe collégial sous l’angle de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, question se rapportant tant à la représentation de l’autorité dans le cadre de l’appréciation du respect des exigences prévues par cet article qu’au respect des règles de représentation au sens large, ces règles n’ayant de façon générale pas été respectées en l’espèce. En tout état de cause, la doctrine et la jurisprudence seraient muettes quant à la possibilité pour une autorité administrative d’être représentée par un organe collégial, qui plus est, composé de représentants d’autres autorités administratives, le demandeur précisant, à cet égard, qu’il aurait été affecté au …, de sorte que seule la présence du représentant du ministère d’État, à l’exclusion de toute autre personne, aurait été obligatoire puisque cette commission relèverait dudit ministère.

Il se poserait, par ailleurs, également la question de l’impartialité d’un tel organisme collégial composé principalement des supérieurs hiérarchiques directs du demandeur, alors qu’ils entendraient prendre in fine une sanction disciplinaire à son encontre, le demandeur soupçonnant que la décision aurait déjà été prise avant son entrevue.

Le demandeur fait encore répliquer que si l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision pourrait être composé outre le représentant du ministère de la Fonction publique, d’autres représentants d’autres ministères, quod non, alors cet organe collégial entrerait de facto et de jure dans le champ d’application de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et devrait, à ce titre, en respecter les garanties, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

Le demandeur conteste formellement l’affirmation de la partie étatique selon laquelle la présence de Monsieur …, de Madame … et de Madame … aurait été nécessaire pour apprécier le bien-fondé de ses observations dans la mesure où les faits lui reprochés se seraient déroulés en dehors de l’exercice de son travail.

Il fait encore noter que suivant un arrêt de la Cour administrative du 10 juin 1999, inscrit sous le numéro 11199C du rôle, un avis consultatif facultatif constituerait un élément à part entière du dossier, de sorte si le ministère de la Fonction publique aurait eu recours à un tel avis, malgré le fait que la procédure de résiliation sur base de l’article 7, paragraphe 1 de la loi du 25 mars 2015 ne prévoirait pas d’organisme consultatif, ledit avis aurait dû être matérialisé par écrit, conformément aux exigences de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

En faisant encore référence à un jugement du tribunal administratif du 5 mai 1997, inscrit sous le numéro 9666 du rôle, le demandeur fait relever que le simple fait que le ministre aurait fait appel à une commission spécialement créée avant de prendre sa décision tenant à son licenciement aurait donné naissance à un organisme consultatif collégial spécial, obligé d’établir un avis écrit.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « Les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent.

Lorsqu’il s’agit d’un organisme collégial, l’avis doit indiquer la composition de l’organisme, les noms des membres ayant assisté à la délibération et le nombre de voix exprimées en faveur de l’avis exprimé. Les avis séparés éventuels doivent être annexés, sans qu’ils puissent indiquer les noms de leurs auteurs. » L’article 4, précité, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 a trait aux « avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision » et vise les cas prévus par la loi dans lesquels une décision administrative ne peut intervenir qu’après avis donné par un organisme indépendant, l’instruction par un organe impartial constituant une garantie pour l’administré contre l’arbitraire du pouvoir.

Force est de constater que l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’est pas applicable en l’espèce alors que l’entretien dont se prévaut le demandeur intervient sur base de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, au cours duquel ce dernier est entendu en ses explications dans le contexte de l’intention du ministre de résilier son contrat de travail et non point dans le contexte d’un avis que le ministre aurait sollicité, respectivement aurait dû solliciter à un organisme consultatif préalablement à la prise d’une décision au sens de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

En effet, il échet de constater que l’entretien du 3 février 2022 a eu lieu sur initiative du demandeur qui en a fait la demande, au sens du prédit article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et le seul fait que cinq agents ministériels aient assisté à l’entretien et aient entendu le demandeur en ses explications et non point un seul, ne saurait énerver cette conclusion, étant donné notamment que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne fait qu’imposer que l’administré doit pouvoir être entendu en ses explications, sans pour autant imposer des formalités ou modalités pour un tel entretien, de sorte que la question du nombre d’agents ministériels ayant assisté audit entretien n’est a priori pas pertinente dans le contexte de l’application dudit article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

L’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’étant pas applicable en l’espèce, le moyen afférent est à rejeter pour manquer de fondement.

Le demandeur conclut encore à la réformation de la décision litigieuse du 11 mars 2022 pour défaut de délégation de pouvoir, respectivement de compétence dans le chef de trois des cinq personnes présentes lors de son entrevue du 3 février 2022.

Il considère que Monsieur …, conseiller au ministère, ayant présidé l’entretien, serait censé représenter le ministre et, à l’issue de l’entretien, faire un rapport oral à ce dernier. Sur base de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 selon lequel il aurait le droit d’être entendu en personne par l’autorité publique amenée à prendre une décision à son égard, à savoir le ministre, tout en s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif du 2 février 2004, inscrit sous le numéro 17340 du rôle, duquel il ressortirait qu’aucun mandat ni délégation de compétences ne pourrait être consenti par une autorité au profit d’une autre en dehors des prévisions légales ou réglementaires en la matière, le demandeur critique la circonstance que des personnes, autres que le représentant du ministre, Monsieur …, provenant du …, ainsi que du …, ayant été à l’origine de la procédure de résiliation de son contrat, auraient été présentes lors de son entretien du 3 février 2022, ce qui constituerait, à ses yeux, un vice de procédure.

Il s’interroge encore, dans ce contexte, sur l’utilité de la présence de ces personnes, si ce n’aurait été pour l’intimider, alors que lesdites personnes ne participeraient pas au processus décisionnel relatif à la résiliation de son contrat de travail et plus particulièrement au rapport oral fait au ministre par son représentant.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour manquer de fondement.

Le tribunal doit, tout d’abord, relever que l’entretien de Monsieur … du 3 février 2022 s’inscrit dans le cadre, d’une part, de la procédure prévue aux articles 5 et 7, paragraphe (1) de la loi du 25 mars 2015 ayant trait à la résiliation d’un contrat de travail d’un employé de l’Etat pour des raisons dûment motivées, procédure initiée par le ministre du ressort dans lequel l’employé concerné est actif, la décision de résiliation relevant du ministre et, d’autre part, de l’article 9, précité, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dont l’objectif est, tel que relevé ci-avant, de consacrer des garanties afin que l’administré concerné ait la possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, impliquant qu’un véritable dialogue soit engagé entre l’autorité administrative et l’administré afin que les deux puissent exposer, en connaissance de cause et après réflexion faite, leur point de vue avant que la décision projetée ne soit prise.

Force est de constater qu’en l’espèce, le fait que Monsieur … ait obtenu un entretien le 3 février 2022, préalablement à la prise de la décision ministérielle litigieuse du 11 mars 2022, entretien ayant eu lieu avec deux représentants du ministère de la Fonction publique, unreprésentant du …, l’… et la directrice du …, ne prête pas à critique, alors que lesdites personnes y ont représenté les autorités publiques impliquées, de premier plan, dans la procédure de résiliation du contrat de travail de Monsieur …, à savoir la … et le …, composé de l’… et du …, où il était affecté et qui sont soumis au ministre du ressort le Premier ministre, ministre d’État, ayant été l’autorité à l’initiative de ladite procédure et le ministre en tant qu’autorité devant finalement prendre la décision de résiliation. Par ailleurs, lesdits représentants sont a priori les mieux placés afin, d’une part, de fournir à Monsieur … des explications sur les éléments juridiques et factuelles ayant amené l’autorité publique à agir en l’espèce et, d’autre part, de réceptionner la prise de position du demandeur et d’en faire état au ministre.

Il y a finalement lieu de rejeter l’argumentation du demandeur fondé sur un défaut de délégation de pouvoir, respectivement de compétence dans le chef des personnes ayant assisté à son entretien du 3 février 2022, étant donné que, mis à part le fait que Monsieur … reste en défaut d’invoquer, dans le cadre dudit moyen, une quelconque disposition légale, respectivement réglementaire ayant été violée en l’espèce, l’objectif dudit entretien n’a pas été une prise de décision, respectivement, tel que le tribunal vient de le retenir ci-avant, de fournir un avis sur base duquel le ministre devait prendre sa décision, mais de permettre au demandeur de pouvoir prendre position par rapport aux éléments factuels et juridiques mis en avant par l’autorité publique l’amenant à envisager la résiliation du contrat de travail litigieux et d’obtenir, le cas échéant, des précisions par rapport auxdits éléments, conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de sorte à ne pas impliquer une délégation de pouvoir, respectivement de compétence.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen du demandeur fondé sur un défaut de délégation de pouvoir, respectivement de compétence dans le chef des personnes ayant assisté à son entretien du 3 février 2022 encourt le rejet pour être dépourvu de fondement.

Quant à la légalité interne, le demandeur conclut, en s’appuyant sur trois jugements du tribunal administratif du 27 octobre 2004, inscrit sous les numéros 17634, 17635, 17636 du rôle, qui énonceraient que « la nature des relations existant entre l’Etat et son partenaire contractuel se réclamant de la qualité d’employé de l’Etat [serait] à examiner au regard du droit du travail auquel renvoie l’article 4 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 » à une violation de l’article 10bis de la Constitution au motif que la décision litigieuse constituerait un licenciement avec effet immédiat, du fait de ne lui avoir accordé qu’un délai de trois jours entre celle-ci et sa prise d’effet, alors que, selon les règles de droit commun du droit du travail et compte tenu de son ancienneté, il aurait pu prétendre à un préavis de deux mois, censé lui permettre de chercher un nouvel emploi après son congédiement. Par ailleurs, en l’espèce, il n’aurait pas pu bénéficier d’un revenu de remplacement d’autant plus que la décision litigieuse l’aurait empêché, de facto et de jure, de postuler à un autre emploi public au regard de l’article 2, paragraphe 1, alinéa 4 du statut général. En se prévalant d’un arrêt n° 73/12 du 7 décembre 2012 de la Cour constitutionnelle, le demandeur estime qu’il serait indéniable que les employés de l’Etat et les salariés de droit privé se trouveraient dans une situation comparable et qu’il existerait une différence de traitement manifeste entre eux du fait que le salarié de droit privé pourrait être licencié avec préavis, alors que l’employé de l’Etat serait toujours licencié avec effet immédiat.

Le demandeur propose encore au tribunal de céans, en cas de doute sur la conformité de l’article 7, paragraphe (1) de la loi du 25 mars 2015 avec l’article 10bis de la Constitution, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle libellée dans les termes suivants :« L’article 7§1 de la loi du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, en tant qu’il ne prévoit pas de préavis pour résilier le contrat d’un employé de l’Etat contrairement au régime applicable aux salariés de droit privé dans une situation similaire, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution ? ».

Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur conteste l’argumentation de la partie étatique selon laquelle le présent moyen aurait été toisé à maintes reprises tant par la Cour administrative que par le tribunal administratif, en rétorquant que l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle du 7 décembre 2012 aurait retenu que la situation des salariés de droit privé et celles des employés de l’Etat serait comparable notamment sous l’aspect de dépendance nécessitant la protection légale afférente. Or, il estime que les salariés de droit privé disposeraient d’une protection légale largement plus favorable que les employés de l’Etat dans la mesure où ils pourraient être licenciés avec préavis, alors que les employés de l’Etat seraient d’office licenciés avec effet immédiat et qu’ils ne pourraient pas bénéficier des allocations de chômage en l’absence d’une procédure analogue à celle existante en droit privé, de sorte qu’il considère qu’il aurait dû bénéficier d’un délai de préavis de deux mois.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen pour être dépourvu de fondement.

L’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution dans sa version en vigueur au moment de l’introduction du recours dispose que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ». Le tribunal saisi d’un recours en réformation est toutefois tenu de tenir compte de la situation de droit et de fait au moment où il statue. Il y a donc lieu d’appliquer en l’espèce les dispositions de la Constitution dans sa version en vigueur au moment où le tribunal statue. Ainsi l’article 15, paragraphe (1) de la Constitution, telle que modifiée, dispose actuellement que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi.

La loi peut prévoir une différence de traitement qui procède d’une disparité objective et qui est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but. », de sorte à reprendre en substance l’état du droit antérieur.

La règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi est interprétée d’une manière générale par la jurisprudence pertinente de la Cour constitutionnelle en ce sens que sa mise en œuvre suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable et que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à la condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.4 Or, en ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi, force est de retenir que c’est à bon droit que la partie gouvernementale a retenu que la situation d’un employé privé et celle d’un employé de l’État, régi par deux régimes distincts, ne sauraient être comparables au sens du principe de non-discrimination érigé par ledit article de la Constitution.

En effet, selon une jurisprudence constante, les employés de l’Etat bénéficient d’un statut propre, s’inspirant à la fois du régime légal des employés privés et de celui des 4 Cour const. 13 novembre 2020, n° 00159 du rôle.fonctionnaires de l’État, en ce sens que l’engagement est régi par contrat entre l’Etat et les intéressés, mais que ces derniers bénéficient, sous des conditions nettement déterminées, de certains attributs réservés aux fonctionnaires de l’Etat.5 Ainsi, bien que la relation existant entre un employé de l’Etat et son employeur est fondée sur un contrat et que le Code du travail régit, sur base du renvoi opéré par l’article 4 de la loi du 25 mars 2015, les formes et les modalités de l’engagement des employés de l’Etat, il convient de préciser, en ce qui concerne le cadre légal applicable à la décision de résiliation, que les articles 5, 6 et 7, paragraphe (1) de la loi du 25 mars 2015, traitant de la résiliation du contrat d’engagement, ne comportent aucun renvoi aux dispositions de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, ni du Code du travail, de sorte que la décision de licenciement d’un employé de l’Etat est d’abord soumise au régime spécifique de la loi du 25 mars 2015 et ensuite aux prescriptions générales de la réglementation de la procédure administrative non contentieuse, applicable aux employés de l’Etat. Dès lors, le Code du travail n’a pas vocation à s’appliquer à la résiliation du contrat d’un employé de l’Etat.

Ainsi, il échet de relever que, contrairement à ce qui est soutenu par lui, le demandeur, en tant qu’agent engagé sous le statut d’un employé de l’Etat, ne saurait faire l’objet d’un licenciement avec effet immédiat, le concept visant à différencier entre licenciement avec préavis pour faute « simple » et licenciement avec effet immédiat pour faute grave, telle que cette différenciation ressort du Code du travail, n’étant pas applicable aux agents ayant un statut d’employé de l’Etat.

Il s’ensuit que, nonobstant le fait que la loi du 25 mars 2015 ne prévoit pas de délai de préavis en cas de résiliation et que la lettre de résiliation litigieuse se limite à fixer une date de prise d’effet à cinq jours, la résiliation du contrat du demandeur ne saurait être, de ce fait, considérée comme un licenciement pour faute grave, respectivement avec effet immédiat au sens du Code du travail. En effet, la résiliation d’un contrat de travail d’un employé de l’Etat ne s’apparente ni à un licenciement avec effet immédiat, ni à un licenciement avec préavis, la loi n’offrant aucun choix à l’autorité compétente qui ne peut pas respecter un préavis6 du fait que les règles y relatives du Code du travail ne sont pas applicables aux employés de l’Etat.

Ainsi, son exclusion de l’allocation de chômage, à laquelle le demandeur fait référence pour souligner l’impact de la décision déférée, ne saurait se justifier par le constat qu’un employé de l’Etat aurait été licencié avec un délai de préavis négligeable, quelle que soit d’ailleurs la gravité de ses fautes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les reproches relatifs à l’applicabilité du droit du travail en l’espèce laissent d’être fondés et sont à rejeter, sans qu’il n’y ait lieu de constater une discrimination par rapport aux employés de droit privé se trouvant manifestement dans une situation non comparable à celle des employés de l’Etat, de sorte qu’il n’y a pas lieu de soumettre une question préjudicielle y afférente à la Cour constitutionnelle laquelle manque de pertinence du fait qu’elle est dénuée de tout fondement au sens de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ci-

après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », en vertu duquel :

5 Trib. adm., 23 décembre 1997, n° 9938 du rôle, conf. Cour adm., 14 juillet 1998,. Pas. adm. 2023, V° Fonction publique, n° 704 et les autres références y citées.

6 Trib. adm. 23 octobre 2013, n° 31455 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Fonction publique, n° 671 et les autres références y citées.« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :

- une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;

- la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;

- la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».

Le demandeur se prévaut ensuite d’une violation du principe non bis in idem en ce qu’il aurait d’ores et déjà été sanctionné, à deux reprises, pour les mêmes faits pour avoir fait l’objet i) d’un ordre de justification le 20 décembre 2021 et ii) d’une dispense de service le 4 février 2022.

Quant à l’ordre de justification, il explique que les faits litigieux auraient eu lieu le samedi 11 décembre 2021 et que le chef d’administration en aurait eu connaissance le même jour lors de la diffusion du reportage RTL, tel que cela ressortirait de l’ordre de justification.

Le septième jour ouvrable aurait donc été le 18 décembre 2021, de sorte que le 20 décembre 2021, la partie gouvernementale aurait été forclose à lui envoyer un ordre de justification.

Il fait encore répliquer à cet égard que la partie gouvernementale ne saurait argumenter qu’elle aurait seulement eu connaissance des faits le lundi 13 décembre 2021, sachant que les reportages y afférents auraient été diffusés par RTL en date du 11 décembre 2021, tout en faisant valoir que le fait que ses supérieurs hiérarchiques n’auraient pu discuter des faits qu’en date du 13 décembre 2021 ne ferait pas couler le délai à partir de cette date et que ce serait à la partie gouvernementale de rapporter la preuve qu’elle n’aurait eu connaissance des faits qu’en date du 13 décembre 2021.

Le demandeur fait ensuite valoir qu’en violation du principe non bis in idem l’ordre de justification lui aurait reproché les mêmes faits qui auraient finalement été réutilisés comme motifs à la base de la décision de résiliation litigieuse, alors même qu’il aurait fait parvenir sa prise de position quant à l’ordre de justification en date du 22 décembre 2021, de sorte qu’il s’avérerait qu’il aurait été sanctionné une première fois pour les faits du 11 décembre 2021 du fait d’avoir été obligé de rédiger une justification y afférente dans le délai imparti et une deuxième fois lorsque le ministre aurait réutilisé les mêmes faits pour motiver la résiliation de son contrat de travail.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur rejette, à cet égard, l’argument de la partie étatique selon lequel un ordre de justification constituerait un préalable facultatif pour obtenir par écrit des explications sur les faits reprochés à l’agent, qu’il ne comporterait aucun élément décisionnel, mais qu’il constituerait uniquement un acte préparatoire, en rétorquant qu’un ordre de justification ne serait aucunement à qualifier d’« acte préparatoire », mais qu’il s’agirait d’une mesure administrative ayant une forte connotation administrative, le demandeur relevant qu’une sanction disciplinaire serait effacée après 3 ans du dossier administratif, alors qu’un ordre de justification serait toujours maintenu et qu’il serait donc incontestable qu’un ordre de justification causerait davantage de préjudice à l’employé de l’Etat concerné qu’une sanction mineure telle qu’un avertissement.

Le demandeur se prévaut ensuite d’une violation du principe non bis in idem en ce qu’il aurait fait l’objet d’une dispense de service illégale prise sur le fondement de l’article 19quater, point 7 du statut général, qui serait à requalifier de sanction disciplinaire déguisée, ce qui démontrerait, selon lui, que le ministre aurait entendu se débarrasser de lui, quoiqu’il arrive. Il considère que cette suspension illégale correspondrait à la sanction disciplinaire de l’exclusion temporaire des fonctions de l’article 47, paragraphe 8 du statut général, alors qu’elle aurait été prise dans le cadre de la procédure de résiliation de son contrat de travail, tout en se rapportant à la sagesse du tribunal quant à la qualification juridique de la mesure litigieuse.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur critique la partie gouvernementale pour avoir affirmé que pendant sa dispense de service, il serait resté chez lui avec la pleine conservation de sa rémunération et que son absence de service serait assimilée à du temps de travail, de sorte que la dispense de service accordée n’interférerait pas avec la procédure de résiliation du contrat de travail et ne serait donc pas susceptible de vicier ladite procédure ayant abouti par la décision litigieuse du ministre. Il considère en effet qu’il importerait peu si la dispense de service interférait ou non dans la procédure de résiliation de son contrat de travail puisque ladite procédure serait à la base déjà viciée en raison de la violation du principe non bis in idem. Le demandeur précise, par ailleurs, que la dispense de service ne lui aurait pas été « accordée » dans la mesure où il n’aurait jamais fait de demande y afférente, au contraire il s’agirait d’une sanction illégale qui lui aurait été infligée dans le cadre de la procédure de résiliation de son contrat de travail, ce qui laisserait présumer que la décision de résiliation aurait été prise préalablement à son audition.

Il reproche ensuite au délégué du gouvernement d’avoir argumenté que les dispositions disciplinaires ne lui seraient pas applicables en ce qu’il n’en remplirait pas les conditions et que la dispense de service ne pourrait pas être considérée comme une sanction disciplinaire pour n’avoir ni d’impact sur l’existence de son contrat de travail ni sur sa situation financière alors qu’il continuerait à toucher l’intégralité de sa rémunération et que la dispense compterait comme temps de service, tout en relevant que la dispense de service ne serait pas non plus comparable à une suspension de service prévue à l’article 48 du statut général. Le demandeur fait valoir que la dispense de service, à l’instar de la suspension conservatoire, constituerait une mesure faisant grief à l’administré pour être fondée sur des reproches d’ordre disciplinaire en l’excluant, contre sa volonté, de son poste de travail. Il estime enfin que la suspension conservatoire devrait également tenir compte de l’intérêt du fonctionnaire et ne priverait pas ce dernier de son traitement.

Le délégué du gouvernement estime qu’aucune violation du principe non bis in idem ne serait vérifiée en l’espèce.

Le principe non bis in idem a été repris tant par l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », respectivement « le Protocole n° 7 », dont le paragraphe (1) est libellé comme suit : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat » que par l’article 14-7 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, dénommé ci-après « le Pacte », en vertu duquel « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».

Il échet de conclure de ces textes de droit international qu’il s’agit d’un principe consacré dans les grands systèmes internationaux de protection des droits de l’homme. Ce principe répond à une exigence de justice et de sécurité juridique et fait obstacle à ce que l’administration puisse sanctionner deux fois la même personne en raison des mêmes faits. Il s’ensuit qu’en matière de contentieux disciplinaire, une même faute commise par un agent public ne peut être sanctionnée qu’une seule fois sur le plan disciplinaire.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever que le demandeur estime, dans un premier temps, que le principe non bis in idem aurait été violé en ce que la partie gouvernementale aurait été forclose de lui envoyer l’ordre de justification du 20 décembre 2021 pour avoir été émis en dehors des sept jours ouvrables de la connaissance des faits par son supérieur hiérarchique et que l’ordre de justification lui aurait reproché les mêmes faits qui auraient finalement été utilisés comme motifs à la base de la décision de résiliation litigieuse, ce qui ne serait pas admis.

Le tribunal est amené à relever que tant le statut général que le règlement grand-ducal du 5 mars 2004 fixant les conditions et modalités de l’ordre de justification à adresser aux fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommé « le règlement du 5 mars 2004 », pris en son application, soulignent expressément que l’emploi d’un ordre de justification est facultatif, étant relevé qu’il a été jugé que les ordres de justification ne comportent aucun élément décisionnel7, de sorte que l’envoi d’un ordre de justification, respectivement d’une demande d’explications justificatives, ne vaut pas d’office engagement d’une procédure disciplinaire8.

Par ailleurs, il a été jugé que, même dans l’hypothèse d’un ordre de justification en bonne et due forme en application du règlement du 5 mars 2004, un tel document constitue un préalable facultatif permettant à son destinataire de prendre position par rapport à des faits qui lui sont reprochés par le chef d’une administration, sans que ce dernier recoure tout de suite à la procédure disciplinaire9.

Il résulte également des dispositions du règlement du 5 mars 2004 que l’utilisation d’un ordre de justification n’entraîne pas nécessairement l’ouverture d’une procédure disciplinaire, étant donné que dans son article 4 ledit règlement dispose que « Selon la gravité des faits et la pertinence de la justification, le chef d’administration ou son délégué décide, soit de verser le document au dossier personnel de l’agent soit d’en saisir l’autorité investie du pouvoir disciplinaire ».

Force est dès lors de retenir que c’est à bon droit que la partie gouvernementale a conclu que les ordres de justification ne comportent aucun élément décisionnel, mais constituent un acte préparatoire, de sorte que le principe non bis in idem ne saurait s’appliquer en l’espèce, l’envoi d’un ordre de justification ne permettant pas de conclure ipso facto à une sanction pour les faits y mentionnés.

Il s’ensuit que le volet du moyen tenant à une violation du principe non bis in idem relatif à l’ordre de justification émis en date du 20 décembre 2021 est d’ores et déjà à rejeter pour manquer de fondement.

Ce constat n’est pas énervé par les développements relatifs à la validité de l’envoi de l’ordre de justification, étant relevé, à cet égard que si un tel ordre doit être expédié, sous peine 7 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20419 du rôle, Pas. adm.2023, V° Fonction publique, n° 257.

8 Trib. adm., 3 février 2014, n° 31599 du rôle, disponible sur jurad.etat.lu.

9 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20419 du rôle, Pas. adm.2023, V° Fonction publique, n° 258.de nullité, dans les sept jours ouvrables à partir du moment où le chef d’administration ou son délégué a eu connaissance des faits qui sont reprochés à l’agent, en vertu de l’article 1er, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, il ressort des pièces versées en cause par la partie gouvernementale, et plus particulièrement d’un courrier électronique du 13 décembre 2021 adressé à la supérieure hiérarchique du demandeur, ainsi que d’une attestation testimoniale de cette dernière datée au 23 août 2022, et en l’absence de toute autre pièce y relative versée par le demandeur, que le chef d’administration a eu connaissance des faits reprochés au demandeur le 13 décembre 2021 par l’envoi d’un lien vers le reportage RTL du 11 décembre 2021, de sorte que la connaissance par la hiérarchie des faits reprochés remonte ainsi au 13 décembre 2021, l’ordre de justification étant dès lors intervenu dans les délais impartis.

S’agissant ensuite du volet tenant à la dispense de service, le demandeur estime qu’il aurait fait l’objet d’une dispense de service illégale, non prévue par le statut général, à requalifier comme une exclusion temporaire de ses fonctions au sens de l’article 47, paragraphe 8 du statut général, de sorte qu’il se serait, d’ores et déjà, vu infliger une sanction disciplinaire déguisée pour les mêmes faits, violant le principe non bis in idem.

Or, s’il n’est pas contesté que le demandeur a bénéficié d’une dispense de service en date du 4 février 2022, force est cependant de constater que le demandeur n’a subi aucun préjudice à la suite de cette invitation de rester chez lui, celle-ci étant restée sans conséquence aucune sur ses droits statutaires.

Comme le principe non bis in idem ne peut trouver application qu’au cas où il existe deux ou plusieurs sanctions disciplinaires définitives, le tribunal est amené à constater que ce principe ne saurait trouver application en l’espèce en l’absence d’une quelconque sanction disciplinaire prise à l’encontre du demandeur, étant relevé que même à considérer que la dispense de service serait à qualifier de suspension de l’exercice des fonctions, telle que prévue par l’article 48 du statut général, prise à l’encontre d’un agent, cette mesure constitue une mesure conservatoire et en tout état de cause temporaire, ordonnée pendant tout le cours d’une procédure disciplinaire jusqu’à la décision définitive.

D’ailleurs, en ce qui concerne la question de la légalité de la dispense de service, force est de constater que le tribunal n’est pas saisi, dans le cadre de la présente instance, de l’examen de la légalité de la décision de dispense de service du 4 février 2022, de sorte qu’il ne lui appartient pas d’examiner ou de qualifier, dans le cadre de la présente instance, cette décision.

Par ailleurs, il échet de souligner que cette décision, comme toute décision administrative individuelle, bénéficie d’une présomption de légalité.

Au vu des conclusions qui précèdent, et à défaut d’éléments permettant de retenir que le demandeur ait déjà fait l’objet d’une sanction disciplinaire auparavant pour les mêmes faits, ce deuxième volet du moyen fondé sur une violation du principe non bis in idem est également à rejeter comme étant non fondé.

Le demandeur invoque ensuite le caractère disproportionné de la résiliation du contrat de travail en invoquant une erreur manifeste d’appréciation des faits.

Dans ce contexte, il y a tout d’abord lieu de rappeler que le tribunal est en l’espèce saisi d’un recours en réformation, de sorte qu’il est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer.

En ce qui concerne le fond de la décision déférée, il échet d’abord de rappeler que selon selon l’article 5 de la loi du 25 mars 2015, « La résiliation du contrat de travail est prononcée par une décision motivée du ministre, sur demande du ministre du ressort. (…) ».

Aux termes de l’article 7 de la loi du 25 mars 2015, « (1) Le contrat de travail à durée indéterminée de l’employé ne peut plus être résilié, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans au moins, sauf à titre de mesure disciplinaire ainsi que pour l’application de la procédure d’amélioration des prestations professionnelles et de la procédure d’insuffisance professionnelle. Pendant la période précédant cette échéance, il peut être résilié par le ministre ou par le ministre du ressort soit pour des raisons dûment motivées, soit lorsque l’employé s’est vu attribuer un niveau de performance 1 par application de l’article 4bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat. (…) ».

Il échet de rappeler qu’il n’est pas contesté que le demandeur a été engagée depuis le 1er octobre 2020 en qualité d’employé de l’Etat auprès l’administration gouvernementale -

Ministère d’État, soit au jour de la décision déférée du 11 mars 2022, depuis moins de dix ans, de sorte que les dispositions de l’article 7, paragraphe 1er de la loi du 25 mars 2015 aux termes desquelles « [l]e contrat de travail à durée indéterminée de l’employé ne peut plus être résilié, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans au moins, sauf à titre de mesure disciplinaire (…) », ne sont pas applicables dans son chef.

Il s’ensuit que la procédure disciplinaire et les sanctions disciplinaires prévues au statut général ne s’appliquent pas au demandeur, de sorte qu’en ce qui concerne la procédure applicable à la résiliation du contrat de travail du demandeur, il y a lieu de se référer au droit commun des employés de l’Etat, à savoir en l’occurrence, à l’article 7, paragraphe 1er, in fine, de la loi du 25 mars 2015 qui dispose que « [p]endant la période précédant cette échéance, [contrat en vigueur depuis moins de dix ans], il peut être résilié par le ministre ou par le ministre du ressort (…) pour des raisons dûment motivées (…) ».

Il s’ensuit que la résiliation du contrat de travail d’un agent ayant le statut d’un employé de l’Etat avec une ancienneté de moins de 10 ans doit se faire par une décision de la part de l’autorité compétente basée sur des raisons dûment motivées, ces raisons devant nécessairement être réelles et sérieuses.

En l’espèce, les reproches adressés au demandeur se résument au fait d’avoir agi contrairement aux devoirs lui applicables résultant de l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1er du statut général lors de sa participation aux manifestations du 11 décembre 2021 contre les mesures prises par le Gouvernement luxembourgeois dans le cadre de la pandémie COVID-19, dans la mesure où il aurait, d’une part, i) essayé de forcer le passage, bloqué par des policiers, en agressant physiquement un des policiers, ce qui apparaîtrait sur des images reprises dans des reportages diffusés à la télévision, et, d’autre part, ii) installé des barrières sur les lignes du tram pour bloquer le trafic, images à l’appui reprises sur des sites Internet des différents médias.

Quant à la réalité des faits gisant à la base des reproches, le demandeur conteste la gravité des reproches lui adressés en invoquant notamment avoir ignoré l’existence de la délimitation de l’espace consacré à la manifestation, ne pas avoir eu l’intention de forcer le passage vers le Centre-Ville et ne pas avoir eu un comportement contraire à l’article 11 de la CEDH du fait d’avoir installé des barrières sur les lignes du tram pour bloquer le trafic.

Concernant la connaissance de la délimitation de l’espace pour la tenue de la manifestation, le demandeur soutient avoir ignoré l’existence de celle-ci, il fait valoir qu’il ne se serait déplacé qu’à la hauteur de la Fondation Pescatore qui se trouverait à 50 mètres du centre du Glacis, qu’il se serait laissé emporter par un mouvement de foule et qu’il se serait retrouvé face à un barrage de policiers dont il aurait ignoré la présence jusque-là.

Il fait encore répliquer, à cet égard, que le fait qu’il ne se serait pas informé au préalable sur les modalités de ladite manifestation ne saurait aucunement lui être reproché dans la mesure où l’existence de la délimitation d’un espace consacré à la manifestation violerait les dispositions de l’article 11 de la CEDH ainsi que les articles 24, 25 et 26 de la Constitution.

S’agissant du fait qu’il n’aurait pas eu l’intention de forcer le passage vers le Centre-

Ville, le demandeur indique que contrairement à ce qui aurait été insinué par les images diffusées à la télévision, il n’aurait à aucun moment entendu forcer le passage ou attaquer les policiers, alors que ces images ne montreraient ni le fait que l’attaque physique provenait du policier, ni le fait que ce dernier aurait utilisé tant son bâton que son bouclier pour le frapper aux jambes, ni encore les deux autres policiers qui se seraient dirigés vers lui à ce moment-là.

Il explique qu’il se serait alors soudainement trouvé face à ce mur de policiers qui se dirigeaient vers lui, armés de bâtons et de boucliers, ce qui l’aurait convaincu qu’ils entendaient le rouer de coups et ce ne serait qu’à ce moment-là qu’il aurait réagi et aurait poussé le bouclier du policier qui l’aurait frappé auparavant. Il conteste en outre avoir été présent lors de l’utilisation des canons à eau, contrairement à ce qui aurait été insinué par les images diffusées.

Le demandeur fait encore répliquer que ses actes seraient protégés par l’article 11 de la CEDH afin de contester les développements de la partie gouvernementale selon lesquels il serait en aveu d’avoir commis les faits lui reprochés et selon lesquels il aurait été clairement reconnaissable sur les images reprises dans les reportages diffusés. Il propose, afin de prouver sa version des faits, tout en s’appuyant sur les articles 284 et 285 du Nouveau Code de Procédure Civile, d’enjoindre à la société CLT-UFA S.A. de communiquer l’ensemble de toutes les images brutes du reportage litigieux. Le demandeur conteste, par ailleurs, avoir violé son devoir de bonne conduite et de dignité inscrit à l’article 10, alinéa 1er du statut général alors que d’une part, les faits commis seraient protégés par l’article 11 de la CEDH, et, d’autre part, le devoir de bonne conduite et de dignité ne saurait être invoqué pour empêcher les fonctionnaires d’Etat et employés d’Etat d’exercer leurs droits fondamentaux, à savoir leur droit à la liberté d’expression et le droit de participer aux manifestations.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des développements du demandeur.

En ce qui concerne la réalité des motifs mis en avant par le ministre afin de justifier la résiliation du contrat de travail de Monsieur …, et plus particulièrement le fait d’être apparu sur des images diffusés sur la télévision et sur Internet, le montrant, d’une part, i) en train d’essayer de forcer le passage, bloqué par des policiers, en agressant physiquement un des policiers, et, d’autre part, ii) en train de déplacer des barrières métalliques de sécurité sur les rails du tram et sur la route afin de bloquer le trafic, il ressort à suffisance de ses propres déclarations et des éléments à disposition du tribunal que le demandeur est en aveu desdits faits, de sorte que la matérialité des faits lui reprochés doit être considérée comme étant établie, sans que ce constat ne soit énervé par les affirmations non autrement établies du demandeur selon lesquelles il n’aurait agi que pour se défendre respectivement qu’il aurait ignoré le périmètre de la manifestation visiblement délimité par ledit mur de policiers.

En effet, si Monsieur … conteste la gravité des faits lui reprochés en soutenant avoir ignoré l’existence de la délimitation de l’espace consacré à la manifestation, en contestant toute intention de forcer le passage vers le Centre-Ville afin de justifier son comportement lors de la manifestation du 11 décembre 2021, le tribunal doit toutefois constater que ces éléments ne permettent pas de minimiser ou d’excuser le comportement violent et déplacé que ce dernier a affiché lors de sa participation à ladite manifestation et qui a été mis en avant par le ministre, de sorte que lesdits éléments sont à considérer comme étant dépourvus de pertinence.

Le tribunal doit encore rejeter, dans ce contexte, l’affirmation de Monsieur … selon laquelle son comportement lors de la manifestation du 11 décembre 2021 devrait être permis en vertu de son droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, telle que consacrées par l’article 11 de la CEDH.

Ainsi, même si une personne a bien le droit, sur base de ce principe, d’exercer sa liberté de réunion en participant à une manifestation, force est de relever que ce droit n’est pas mis en cause en l’espèce par la partie étatique, dans la mesure où les faits reprochés en l’espèce à Monsieur … se rapportent essentiellement à son comportement violent à l’égard des forces de l’ordre, voire perturbateur du trafic, voire un comportement totalement déplacé par rapport à son statut d’employé de l’Etat tenu d’un devoir de bonne conduite et de dignité, de neutralité et de réserve tant pendant son service qu’en dehors de celui-ci, de sorte à dépasser le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association consacrées par l’article 11 de la CEDH.

Au vu de toutes ces considérations, force est de relever que tous les faits reprochés au demandeur qui sont à la base de la résiliation de son contrat de travail sont avérés, les contestations du demandeur n’étant pas de nature à les remettre en doute.

En ce qui concerne le caractère sérieux des motifs à la base de la résiliation du contrat de travail de Monsieur …, et partant le caractère proportionné de la décision déférée, il échet d’abord de rappeler, tel que relevé ci-avant, qu’en vertu de l’article 7 de la loi du 25 mars 2015, le contrat de la partie demanderesse peut être résilié pour des « raisons dûment motivées », de sorte qu’il suffit que la résiliation soit justifiée en fait et en droit par des considérations suffisamment graves pour justifier la rupture de la relation de travail, motifs devant se fonder sur un comportement contraire aux obligations imposées aux agents par le statut général, autrement dit sur un comportement fautif.

En l’espèce, force est de retenir que le fait d’avoir eu un comportement déplacé et violent à l’égard des forces de l’ordre, voire perturbateur lors d’une manifestation, d’avoir fait l’objet de plusieurs reportages télévisées et sur Internet reprenant les images dudit comportement, images sur lesquelles il est clairement reconnaissable, faits que le tribunal vient ci-avant de constater comme étant avérés, constituent une violation de l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1 du statut général aux termes duquel « 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. » Les faits mis à charge de Monsieur … sont d’ailleurs, suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de travail de la partie demanderesse pour des raisons dûment motivées, alors qu’il est inacceptable qu’un agent étatique adopte publiquement un comportement violent et perturbateur contre les forces de l’ordre, étant, par ailleurs, relevé que le demandeur était en plus affecté au …, regroupant des institutions s’inscrivant dans la défense de l’Etat de droit, etdénonçant toute forme de violence à l’égard de personnes, quel que soit leur statut, de sorte que l’attitude du demandeur va à l’encontre des valeurs, principe et moyens d’actions défendus par lesdites institutions.

La gravité du comportement de Monsieur … ressort d’ailleurs également du fait qu’il était parmi ceux qui se trouvaient en première ligne face au barrage des forces de l’ordre semblant vouloir provoquer des débordements lors de la manifestation du 11 décembre 2021 sous l’oeil des caméras.

Si le demandeur a certes présenté des excuses pour ledit comportement, ses développements visant à minimiser les faits laissent entrevoir qu’il n’a pas vraiment saisi la gravité de la situation.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a procédé à la résiliation du contrat de travail de Monsieur … laquelle se base sur des raisons dûment motivées, réelles et sérieuses, de sorte que le dernier moyen tenant à la proportionnalité de la décision déférée encourt également le rejet.

Concernant la demande d’instruction complémentaire, reprise uniquement au dispositif de la requête introductive d’instance, elle n’est d’aucune pertinence en l’espèce, alors que le demandeur n’établit pas les raisons pour lesquelles une telle mesure serait nécessaire et utile dans le cadre de la présente affaire, étant encore précisé qu’une mesure d’instruction ne peut en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande en question.

S’agissant finalement de la demande en communication du dossier administratif formulée par le demandeur au dispositif de son recours, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, le dossier administratif de Monsieur …, de sorte que, dans la mesure où ces pièces correspondent au dossier administratif relatif à la résiliation de son contrat de travail en l’espèce et à défaut d’éléments permettant de retenir que le dossier ainsi versé ne soit pas complet, la demande afférente qui tend à ordonner la communication du dossier administratif encourt le rejet.

Il suit de toutes ces considérations que le recours est à déclarer non fondé en tous ses moyens.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas non plus lieu de faire droit à la demande de la partie demanderesse en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande de mise en intervention de la société RTL GROUP SA ;

rejette la demande en communication du dossier administratif ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Monsieur … ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 septembre 2024 par :

Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 22


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47308
Date de la décision : 20/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-09-20;47308 ?

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