Tribunal administratif N° 47641 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47641 4e chambre Inscrit le 4 juillet 2022 Audience publique du 20 septembre 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de la Fonction publique en matière de résiliation de contrat de travail
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47641 du rôle et déposée le 4 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKÉ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de la Fonction publique du 1er avril 2022, confirmant, sur recours gracieux, la décision du 28 décembre 2021 portant résiliation de son contrat de travail ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 octobre 2022 par Maître Gilles PLOTTKÉ pour compte de sa mandante ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 novembre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 11 juin 2024, Maître Gilles PLOTTKÉ et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL s’étant excusés.
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Par contrat de travail à durée déterminée du 13 janvier 2016, Madame … fut engagée en tant qu’employée de l’Etat auprès du …, à raison de 40 heures par semaine, à partir du 15 janvier 2016.
Par courrier du 23 avril 2021, Madame … sollicita du ministre de la Fonction publique, ci-après dénommé « le ministre », une prolongation du délai initial de 6 mois en application de l’article 7, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, dénommée ci-après « la loi du 25 mars 2015 », sur base d’un certificat médical de la part de son médecin traitant du même jour préconisant une prolongation du congé de maladie longue durée pour les trois mois à venir.
1Par un courrier du 17 mai 2021, le ministre refusa de faire droit à cette demande au motif que le médecin traitant de Madame … ne se prononcerait pas sur une éventuelle amélioration de son état de santé dans un avenir proche permettant une reprise du travail.
En date du 2 juin 2021, le ministre saisit la Caisse nationale d’Assurance Pension, ci-
après désignée par « la CNAP », afin que cette dernière se prononce sur l’aptitude professionnelle de Madame … et afin de vérifier, le cas échéant, si les conditions d’invalidité pour l’ouverture d’un droit à une pension d’invalidité paraissent remplies.
En date du 27 septembre 2021, la CNAP émit son avis concluant à ce que « L’intéressée n’est pas à considérer comme invalide au sens de l’alinéa 1 de l’article 187 du Code de la sécurité sociale. ».
Par un courrier du 14 octobre 2021, le ministre d’Etat demanda au ministre de procéder à la résiliation du contrat de travail de Madame … conformément à l’article 7, paragraphe (3) de la loi du 25 mars 2015.
Par un courrier du 15 novembre 2021, le ministre s’adressa à Madame … dans les termes suivants :
« (…) J'ai été informé par Monsieur le Premier Ministre que vous avez été absente pour raisons de maladie de façon consécutive depuis le 26 octobre 2020.
En vertu de l'article 7, paragraphe 3 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'Etat, le ministre compétent est en droit de résilier le contrat en cas d'absence prolongée ou d'absences répétées pour raisons de santé de l'employé qui ne bénéficie pas encore du régime de pension des fonctionnaires de l'Etat. Cette résiliation ne peut être prononcée qu'après que la Caisse nationale d'assurance pension (CNAP) se sera prononcée sur l'invalidité professionnelle de l'employé et ce sur base de l'avis médical du Contrôle médical de la Sécurité sociale.
En date du 27 juillet 2021, la CNAP a informé que le médecin-conseil de l'Administration du Contrôle médical de la Sécurité sociale est venu à la conclusion que vous n'êtes pas à considérer comme invalide.
Par conséquent, en application de la procédure prévue à l'article 7, paragraphe 3 mentionné ci-dessus et sur demande de Monsieur le Premier Ministre, je vous informe que j'ai l'intention de résilier votre contrat de travail.
Enfin, je vous informe qu'en vertu de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, vous disposez d'un délai de huit jours pour présenter vos observations ou pour demander à être entendue en personne par un agent de l'Etat au sujet de la décision envisagée. (…) ».
Par courrier électronique du 24 novembre 2021, Madame … demanda au ministre d’être entendue en personne, entretien qui eut lieu le 8 décembre 2021.
Par courrier du 8 décembre 2021, Madame … prit également position par écrit quant à l’intention ministérielle de résilier son contrat de travail.
2Suite à une demande afférente du ministre d’Etat, le ministre, par une décision du 28 décembre 2021, informa Madame … que son contrat de travail était résilié avec effet au 15 janvier 2022 sur base de la motivation suivante :
« (…) Je fais suite à mon courrier du 15 novembre 2021 dans lequel je vous ai fait part des raisons qui m'ont amené à envisager la résiliation de votre contrat de travail.
Par courriel du 24 novembre 2021 vous avez sollicité une entrevue qui s'est déroulée en date du 8 décembre 2021 en présence de représentants du Ministère de la Fonction publique et du Conseil d'Etat.
La présente procédure a été engagée sur base de l'article 7, paragraphe 3 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'Etat qui prévoit que le ministre compétent est en droit de résilier le contrat de travail en cas d'absence prolongée ou d'absences répétées pour raisons de santé de l'employé qui ne bénéficie pas encore du régime de pension des fonctionnaires de l'Etat.
Cette résiliation ne pourra être prononcée qu'après que la Caisse nationale d'assurance pension (CNAP) se sera prononcée sur l'invalidité professionnelle de l'employé et ce sur base de l'avis médical du Contrôle médical de la Sécurité sociale.
Suivant courrier du 27 septembre 2021, et non pas du 27 juillet 2021 comme j'ai erronément mentionné dans mon courrier du 15 novembre 2021, la Caisse nationale d'assurance pension a retenu que vous n'êtes pas à considérer comme invalide au sens de l'alinéa 1er de l'article 187 du Code de la sécurité sociale.
Lors de l'entrevue du 8 décembre 2021 vous avez confirmé que vous ne vous sentiez plus apte à exercer votre travail de correctrice de textes auprès du Conseil d'Etat, fait que vous indiquez également dans vos observations écrites remises lors de cette entrevue.
Néanmoins, le médecin du travail de la Fonction publique que vous avez consulté le 7 juin 2021 n'était pas de votre avis, alors qu'il n'a pas conclu à une inaptitude de votre part par rapport à votre poste de travail et n'a pas saisi la commission mixte de votre dossier.
Votre longue absence pour raisons de santé depuis le 26 octobre 2020, le fait que vous confirmez ne pas être en mesure de reprendre votre travail et la désorganisation du service résultant de votre absence constituent les raisons justifiant la résiliation de votre contrat de travail.
Par conséquent, sur demande de Monsieur le Premier Ministre, Ministre d'Etat, et dans la mesure où la procédure prévue par l'article 7, paragraphe 3 précité a été respectée, je suis au regret de devoir vous informer que votre contrat de travail est résilié avec effet au 15 janvier 2022. (…) ».
Suite à un recours gracieux introduit par le litismandataire de Madame … en date du 10 mars 2022, le ministre confirma, en date du 1er avril 2022, sa décision de procéder à la résiliation du contrat de travail dans les termes suivants :
3« (…) J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre recours gracieux du 10 mars 2022 par lequel vous contestez la légalité de la résiliation du contrat de travail de Madame … par décision du 28 décembre 2021.
Pour motiver votre demande, vous argumentez qu'« il ressort de l'ensemble de ces divers éléments que Madame … n'a jamais demandé à être reconnue comme invalide et qu'elle n’a donc jamais introduit quelque demande que ce soit en ce sens, n'ayant pour but que de reprendre une activité professionnelle adaptée à ses problèmes de vue qui se sont aggravés depuis l'année 2019, tandis que son état général, tant d'un point de vue organique que psychique, s'est lui considérablement amélioré ».
Vous continuez à argumenter que « la première solution [l'invalidité professionnelle] étant à écarter au vu tant des conclusions des divers rapports médicaux établis en cause que de la volonté de Madame … de travailler, il ne subsiste plus que la seconde, soit un reclassement pur et simple ».
Cette argumentation ne saurait toutefois valoir.
S'il est certes vrai que votre mandante n'a pas introduit de demande en obtention d'une pension d'invalidité auprès de la Caisse nationale d'assurance pension, la saisine de celle-ci constituait une obligation pour l'Etat conformément à l'article 7, paragraphe 3 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'Etat, alors que votre mandante se trouvait en congé pour raisons de santé depuis le 26 octobre 2020, soit très largement au-dessus des 6 mois sur une période de référence de 12 mois prévus à l'article précité.
Le médecin conseil du Contrôle médical de la sécurité sociale qui a convoqué votre mandante n'a ni conclu à une invalidité professionnelle de celle-ci, ni à la saisine de la commission mixte pour le reclassement professionnel des travailleurs.
Le médecin du travail que votre mandante a consulté en date du 7 juin 2021 n'a pas non plus jugé que l'état de santé de votre mandante nécessiterait la saisine de la commission mixte.
Ce sont là les deux seules instances compétentes pour saisir la commission mixte en vue d'un reclassement professionnel.
Lors de l'entrevue en date du 8 décembre 2021, Madame … a confirmé ne plus être en mesure de reprendre son travail auprès du Conseil d'Etat.
Au vu de sa longue absence et de la désorganisation du service en résultant pour son administration et dans la mesure où votre mandante n'a ni été reconnue invalide, ni ne se trouve dans une procédure de reclassement initiée par l'un des médecins compétents, la décision de résilier son contrat de travail est parfaitement légale.
Je ne suis dès lors pas en mesure de faire droit à votre recours gracieux. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à 4l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 1er avril 2022 portant confirmation de la résiliation de son contrat de travail.
Aux termes de l’article 10 de la loi du 25 mars 2015, « Les contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond. (…) », de sorte que le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond pour connaître des contestations résultant du contrat d’emploi des employés de l’Etat, parmi lesquelles sont comprises celles relatives à la résiliation dudit contrat.
Dans la mesure où la qualité d’employée de l’Etat de Madame … n’est pas litigieuse en l’espèce, l’article 10, alinéa 1er de la loi du 25 mars 2015 trouve application au litige sous examen ayant trait à la résiliation de son contrat de travail, de sorte que le tribunal doit se déclarer compétent pour statuer sur le recours principal en réformation sous examen.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité de la requête introductive d’instance, et conclut à l’incompétence du tribunal quant à la demande de Madame …, formulée dans le cadre du recours en réformation, de se voir accorder un reclassement professionnel interne ou externe.
Dans son mémoire en réplique, Madame …, sans prendre position sur le moyen d’incompétence ainsi soulevé, fait insister sur son intérêt né, actuel et certain à agir contre la décision déférée qui lui ferait grief du fait de porter non seulement atteinte à ses droits subjectifs mais également à ses intérêts juridiquement protégés.
C’est à bon droit que la partie gouvernementale conclut à l’incompétence du tribunal pour accorder à Madame … un reclassement professionnel, alors que l’objet de la décision déférée est limité à la question de la résiliation du contrat de travail de cette dernière sans se prononcer sur la question d’un éventuel reclassement professionnel de celle-ci, alors même que la décision déférée se réfère à un courrier de la CNAP déclarant qu’elle n’est pas invalide au sens de la loi.
Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître d’une telle demande qui ne fait pas l’objet du litige sous examen.
Force est ensuite au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.
Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le recours serait irrecevable, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.
5Il s’ensuit que le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle litigieuse du 1er avril 2022 est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse, tout en passant en revue certains des rétroactes rappelés ci-avant, fait préciser qu’elle aurait été embauchée avec effet au 15 janvier 2016 en qualité de correctrice au service juridique du Conseil d'État.
Elle donne à considérer que, d’un côté, elle souffrirait d'une myopie sévère altérant gravement sa vision et l'empêchant désormais de poursuivre une activité professionnelle normale auprès du Conseil d'État et, d’un autre côté, son état de santé psychique se serait détérioré à la suite d'un ensemble d'attitudes et de comportements irritants de la part de certains de ses collègues qu’elle n'aurait cependant jamais dévoilé à quiconque au sein du Conseil d'État.
La demanderesse explique qu’en raison de la dégradation de son état de santé, elle aurait sollicité la prolongation de son congé maladie initial d'une durée de six mois, prolongation qui lui aurait été refusée au motif que son médecin traitant ne se serait pas prononcé sur une éventuelle amélioration de son état de santé dans un avenir proche.
Elle fait ensuite relever qu’en date du 13 juillet 2021, le Dr S. C., ophtalmologue, lui aurait diagnostiqué une myopie forte bilatérale, entraînant une déficience visuelle modérée bilatérale, tout en lui recommandant d'éviter un travail de lecture soutenu.
En date du 23 novembre 2021, le Dr M. D., psychiatre, aurait diagnostiqué, dans son chef, un accès dépressif majeur récurrent et un trouble de l'adaptation, tout en préconisant un reclassement sur un autre poste de travail.
La demanderesse fait souligner qu’alors même que par courrier du 17 mai 2021, le ministre aurait envisagé une éventuelle invalidité professionnelle ou un reclassement dans son chef, elle aurait été informée en date du 15 novembre 2021, à travers le courrier lui notifiant l'intention ministérielle de résilier son contrat de travail, qu'en date du 27 juillet 2021, la CNAP serait venue à la conclusion qu’elle ne serait pas invalide, et ce, sans qu’elle n’ait jamais reçu une convocation en vue d'un quelconque contrôle médical, ce dernier ayant seulement eu lieu le 1er septembre 2021 sur convocation lui adressée le 2 août 2021 par la CNAP. Contre toute attente, ledit contrôle médical, effectué le 1er septembre 2021 auprès du Dr M. B.-V., aurait également abouti à la conclusion qu’elle ne serait pas invalide, sans pour autant envisager la possibilité d'un reclassement.
Tout en soulignant qu’elle n’aurait jamais sollicité un certificat d'invalidité, la demanderesse explique qu’elle aurait cependant, par un courrier du 23 avril 2021, averti son chef de service de la dégradation de ses capacités visuelles en rapport avec les tâches lui conférées, tout en sollicitant, via lettre recommandée du 24 avril 2021, d’être dûment examinée par un médecin du travail de la fonction publique, auprès duquel elle aurait, également en vain, sollicité un reclassement.
Or, malgré le fait qu'en date du 13 juillet 2021, le Dr S. C. aurait conclu à une myopie forte bilatérale entraînant une déficience visuelle modérée bilatérale, pour laquelle un travail de lecture soutenu devrait être indubitablement évité, le médecin de contrôle, lui aurait seulement demandé, lors du contrôle du 1er septembre 2021, si elle avait effectué des démarches 6en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité, question à laquelle elle aurait répondu par la négative, alors qu’elle ne se serait pas sentie invalide, mais seulement inapte de continuer à occuper le poste de correctrice auprès du Conseil d'État en raison de sa santé visuelle.
En droit, la demanderesse conclut à une erreur d’appréciation de la part du ministre non seulement concernant les faits de l'espèce, mais aussi quant à la méthode de gestion d’un employé en situation de fragilité.
Dans ce contexte, elle fait d’abord relever que même si, en vertu de l'article 7, paragraphe (3) de la loi du 25 mars 2015, le ministre serait tenu de saisir la CNAP pour que cette dernière se prononce sur l'invalidité professionnelle de l'employé au sens des dispositions du Code de la Sécurité sociale, elle n’aurait pourtant jamais elle-même envisagé une quelconque invalidité, respectivement n’aurait jamais été mise au courant qu’une telle demande aurait été introduite pour son compte. Il serait ainsi particulièrement troublant qu’un tel élément aurait manifestement été déterminant dans le processus décisionnel ayant abouti à l'acte administratif querellé lequel répondrait dès lors à une question qu’elle-même n'aurait jamais posée.
Elle reproche ensuite, en substance, au ministre de ne pas avoir, avant de procéder à la résiliation de la relation de travail, fait vérifier, dans son chef, la possibilité d’un reclassement, alors même qu’il en aurait fait mention dans son courrier du 17 mai 2021 et qu’en date du 8 décembre 2021, son syndicat, la Confédération Générale de la Fonction Publique (CGFP), aurait expressément demandé, pour son compte, la saisine de la Commission mixte.
Elle critique encore, à ce titre, le médecin de contrôle de ne pas non plus avoir envisagé le reclassement, qu’elle aurait cependant sollicité lors dudit contrôle sur base des certificats de ses médecins traitants.
A ce sujet, elle donne à considérer que si, aux termes des dispositions de l'article 421 du Code de la Sécurité sociale, le médecin de contrôle ne pourrait pas s'immiscer dans les rapports entre le malade et son médecin traitant, il devrait cependant, toutes les fois qu'il le jugerait utile, et dans l'intérêt du malade ou des missions de contrôle et de surveillance, entrer en rapport avec le médecin traitant.
De plus, le Code du Travail, en ses articles L. 551-1 et L. 552-2, confèrerait au médecin de contrôle le pouvoir, sinon la compétence de saisir la Commission mixte en vue d'un reclassement professionnel interne ou d'un reclassement professionnel externe, dès que le salarié qui ne serait pas à considérer comme invalide au sens de l'article 187 du Code de la Sécurité sociale, mais qui, par suite de maladie ou d'infirmité, présenterait une incapacité pour exécuter les tâches correspondant à son dernier poste de travail.
Or, étant donné qu’elle aurait attiré l'attention du médecin de contrôle sur l'environnement toxique sur son lieu de travail, tout en lui transmettant l'ensemble des copies des certificats de ses différents médecins, y compris le rapport du Dr M. D., préconisant son reclassement, la demanderesse reproche à ce dernier de ne pas avoir jugé utile de contacter ses médecins traitants, les Dr S. C. et M. D., afin de prendre des mesures qui se seraient imposées.
Ainsi, à défaut de ce faire, le médecin de contrôle aurait commis une faute de négligence.
En tout état de cause, la contrariété manifeste entre les avis médicaux aurait milité de toute évidence pour l'instauration d'une expertise médicale.
7 La partie demanderesse fait ainsi plaider que si le ministre, en vertu de l'article 7, paragraphe (3) de la loi du 20 mars 2015, serait certes en droit de résilier le contrat de travail dans le cas où la CNAP conclurait à une absence d'invalidité, il devrait toutefois appliquer cette faculté au cas par cas et en faire un usage raisonné au regard des éléments et pièces lui transmis, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce, le ministre ayant, au contraire, fait preuve d'une certaine légèreté, violant ainsi le principe général de proportionnalité, d'autant plus qu’elle aurait travaillé pour l’Etat depuis quasiment vingt ans, et ce toujours à la satisfaction des services auprès desquels elle aurait été affectée.
Elle fait souligner que le ministre aurait été parfaitement informé de son état de santé, alors que le rapport ("formulaire R4") du Dr M. D. du 26 juin 2021, attestant une invalidité transitoire, aurait été envoyé à la CNAP, puis remis, ensemble avec le rapport du même médecin du 23 novembre 2021 préconisant son reclassement, aux représentants du ministre et du Conseil d'État lors de l’entrevue du 8 décembre 2021.
La demanderesse cite encore un arrêt de la Cour administrative du 21 janvier 2021, inscrit sous le numéro 44511C du rôle, ayant retenu que l'Etat ne pourrait pas procéder à la résiliation du contrat sur base de l'article 7, paragraphe (3) de la loi du 25 mars 2015, lorsqu'il serait loin d'être établi qu'au jour de la prise de la décision litigieuse, l’agent en question n'aurait pas été invalide au regard des pièces médicales versées.
La demanderesse invoque encore l'article 32 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, dénommée ci-après « le statut général », obligeant l’Etat à protéger la santé du fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, disposition qui lui serait également applicable en sa qualité d’employée de l'Etat. Or, durant toute sa carrière auprès du Conseil d'État, elle n'aurait été convoquée qu'une seule fois auprès du médecin du travail, et ce seulement sur sa demande expresse.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait encore rétorquer à l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle son état de santé serait couvert par le secret médical, que sa myopie sévère aurait bien été connue de ses supérieurs hiérarchiques, compte tenu des certificats médicaux qu'elle aurait transmis et des arrêts maladie en raison des épisodes dépressifs liées à l'atmosphère délétère au sein du Conseil d'Etat. La mise en avant d’une telle ignorance témoignerait, par ailleurs, d’une certaine mauvaise foi de l’administration ayant pollué le processus décisionnel.
Elle rappelle que sa santé ophtalmologique serait essentielle à la poursuite de son activité professionnelle, compte tenu de sa fonction de correctrice et de relectrice au sein du Conseil d'Etat, dans le cadre de laquelle un travail soutenu sur écran et sur papier seraient des facteurs favorisant l'aggravation de sa myopie, respectivement l'apparition de complications.
La demanderesse fait encore souligner que si le ministre s'était donné la peine de vérifier, au cours du processus décisionnel, non seulement l'ensemble des éléments factuels concernant son cas, mais également de respecter la bonne application des normes du droit du travail au présent cas d'espèce, il n’aurait pas dû prononcer la résiliation du contrat de travail.
Elle fait ensuite plaider que le règlement grand-ducal modifié du 5 mars 2004 concernant la santé et la sécurité du travail et le contrôle médical dans la fonction publique n’aurait pas été appliqué, et plus particulièrement son article 12 disposant que le chef de service 8aurait le droit de faire effectuer, par un médecin de la Division de la Médecine de contrôle du secteur public, des contrôles des incapacités de travail pendant les périodes de congés de maladie, contrôle, dans le cadre duquel les médecins de contrôle pourraient également entrer en rapport avec le médecin traitant de l’agent.
Elle estime dès lors que le strict respect de cette disposition aurait nécessairement dû conduire non seulement à la constatation de toutes les pathologies invoquées, mais surtout à permettre de la remplacer sur son poste afin d'éviter la désorganisation du service que l’Etat mettrait actuellement en exergue.
Dans ce contexte, la demanderesse affirme ne jamais avoir bénéficié, contrairement aux prédécesseurs à son poste, de l'aide d'un à deux agents administratifs pour effectuer des corrections, lesquels auraient alors pu participer au bon fonctionnement du service public, d’autant plus qu’elle aurait bien averti son chef de service de ses problèmes ophtalmologiques ayant une incidence sur son rythme de travail, ce qui aurait dû amener ce dernier à réorganiser son service.
La partie demanderesse fait également répliquer que le Dr M. B.-V. du contrôle médical aurait certes rédigé un rapport médical basé dans le détail sur tout ce qu’elle lui aurait relaté, mais que ce dernier aurait seulement procédé aux tests standards (poids, articulations, hanches, force poignets) pour exclure une invalidité dans son chef, sans pour autant procéder à un examen ophtalmologique ou contacter son médecin traitant, le Dr S. C. ayant cependant recommandé un évitement strict des lectures soutenues dans un certificat daté du 13 juillet 2021, et ce, alors même que l’article 12 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 le lui aurait permis.
Ainsi, le rapport du médecin de contrôle serait non seulement incomplet, mais également biaisé.
Quant à l'examen médical du médecin du Travail, la partie demanderesse fait répliquer qu’au jour dudit examen, le 7 juin 2021, elle n’aurait nécessairement pas encore pu lui soumettre le certificat médical de son ophtalmologue du 13 juillet 2021, mais qu’elle aurait en revanche présenté les différents rapports médicaux émis notamment par le Dr M. D. du 23 avril 2021 et par le Dr N. A., infectiologue au C.H.U. de Dinant du 4 juin 2021, lesquels n’auraient manifestement pas été pris en compte par ledit médecin du Travail qui se serait contenté de lui rappeler qu'elle devrait reprendre ses activités professionnelles au mépris de sa myopie, au lieu de la revoir après son passage chez l’ophtalmologue.
Il se poserait la question de savoir pourquoi les différents avis et certificats émis par ses médecins traitants - assurément en l'espèce plus compétents que les médecins du Travail ou de contrôle, puisque spécialistes dans leur domaine – auraient purement et simplement été ignorés, et ce depuis le début.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 7, paragraphe (3) de la loi du 25 mars 2015 : « Sans préjudice des paragraphes 1 et 2, le ministre ou le ministre du ressort est en droit de résilier le contrat en cas d’absence prolongée ou d’absences répétées pour raisons de santé de l’employé qui ne bénéficie pas encore du régime de pension des fonctionnaires de l’Etat. Le ministre, sur demande du ministre du ressort, ou le ministre du ressort déclenche la procédure de résiliation 9lorsque, au cours d’une période de douze mois, l’employé a été absent pour raisons de santé pendant six mois, consécutifs ou non. A cet effet, et avant de prendre sa décision, il saisit la Caisse nationale d’Assurance Pension pour qu’elle se prononce sur l’invalidité professionnelle de l’employé au sens des dispositions du Code de la sécurité sociale. Sont mises en compte pour une journée entière toutes les journées d’absences pour cause de maladie, même si ces absences ne couvrent pas des journées entières.
Au moins deux mois avant l’écoulement du délai de six mois d’absences pour raisons de santé et du déclenchement prévu de ladite procédure prévus à l’alinéa 1er, le chef d’administration informe l’employé concerné de l’approche de ce délai de six mois. L’employé peut demander, sur base d’un rapport médical circonstancié de son médecin traitant, une prolongation du délai précité d’une durée de trois mois supplémentaires. Sur base de ce rapport médical, le ministre, sur demande du ministre du ressort, ou le ministre du ressort décide du moment de déclencher la procédure de résiliation. ».
Force est d’abord de rappeler que selon l’article 7, paragraphe (3) de la loi du 25 mars 2015, le ministre est « en droit » de résilier le contrat d’un employé en cas d’absence prolongée ou d’absences répétées pour raisons de santé, dès qu’au cours d’une période de douze mois, l’employé a été absent pour raisons de santé pendant six mois, consécutifs ou non et à condition d’avoir, préalablement à sa décision, saisi la CNAP pour que celle-ci se prononce sur l’invalidité professionnelle de l’employé au sens des dispositions du Code de la sécurité sociale.
Il s’ensuit que la décision de résiliation est une décision discrétionnaire de sorte qu’elle doit nécessairement respecter le principe de proportionnalité, alors même que les conditions précitées sont bien remplies et la procédure respectée, tel que c’est le cas en l’espèce.
En ce qui concerne l’argumentation de la demanderesse selon lequel elle aurait souhaité être reclassée à un autre poste au service de l’Etat, force est de relever que de telles considérations manquent a priori de pertinence dans le cadre d’une résiliation du contrat de travail su base de l’article 7, paragraphe (3) de la loi du 25 mars 2015, laquelle est fondée sur un nombre d’absences pour raisons médicales jugé démesuré, dans le cadre de laquelle il appartient seulement au ministre de vérifier si ces absences ne sont pas dues à une invalidité de l’agent concerné, question à laquelle la CNAP a répondu négativement en date du 27 septembre 2021 et non le 27 juillet 2021, comme erronément mentionné dans le courrier précité du 15 novembre 2021, mais rectifié dans la lettre de résiliation du 28 décembre 2021. Ce constat n’est par ailleurs pas contesté par la demanderesse, alors qu’elle souligne elle-même à maintes reprises ne pas se considérer comme invalide, de sorte que l’arrêt de la Cour administrative du 21 janvier 2021 cité dans ce contexte manque de pertinence.
Si la partie demanderesse estime qu’elle aurait dû être reclassée, alors qu’elle aurait uniquement été empêchée d’exercer sa dernière profession, force est cependant de relever que le rapport circonstancié du médecin de contrôle du 1er septembre 2021, tel que versé aux débats, n’a cependant pas retenu la moindre invalidité en ce sens et ce, contrairement à ce qui est avancé par la partie demanderesse, en prenant bien en considération tant le problème ophtalmologique que les problèmes psychiques qu’elle a avancés. En effet, le médecin de contrôle ne retient qu’une déficience visuelle modérée, corrigée par des verres correcteurs, de même qu’il a pris en considération le constat du Dr M. D. qui n’a lui-même retenu, dans son dernier rapport du 26 juin 2021, qu’une invalidité transitoire sur le plan psychologique, analyse se recoupant d’ailleurs avec la description positive de son état général faite par la partie 10demanderesse elle-même auprès du médecin de contrôle, telle qu’elle ressort de la partie « Interrogatoire » du rapport afférent.
Cette conclusion n’est pas énervée par la possibilité du médecin de contrôle, respectivement, le cas échéant, du médecin de travail, de se mettre en relation avec les médecins traitants de la partie demanderesse, alors que cette possibilité est soumise à l’appréciation souveraine de ces derniers dans le cas d’un besoin d’informations complémentaires, a priori non avéré en l’espèce.
Il suit partant des considérations qui précèdent que le ministre, en se fiant à la conclusion de la CNAP du 27 septembre 2021, basée elle-même sur le rapport précité du médecin de contrôle du 1er septembre 2021, n’a commis ni erreur d’appréciation ni excès de pouvoir quant au choix de procéder à la résiliation du contrat de travail de la partie demanderesse, au vu de la longue période d’absence pour raisons médicales, sans qu’une quelconque invalidité n’ait été constatée dans le chef de cette dernière, étant relevé que le reclassement pour raisons médicales telle que réclamé par cette dernière, qu’elle n’a d’ailleurs jamais sollicité personnellement in tempore non suspecto, équivaut plutôt au souhait de cette dernière de se réorienter professionnellement, tel que ce souhait a d’ailleurs été relevé dans le rapport du médecin de contrôle du 1er septembre 2021.
Cette conclusion n’est énervée ni par la mise en doute de la désorganisation du service dans lequel elle avait travaillé, alors qu’il a été jugé qu’il n’appartient pas à l’Etat en sa qualité d’employeur d’établir une désorganisation du service, laquelle est nécessairement inhérente à une absence prolongée d’un employé de l’Etat en congé de maladie excédant un degré raisonnable1, ni par l’affirmation non autrement circonstanciée de la partie demanderesse, selon laquelle l’Etat aurait failli à assurer sa sécurité sur son poste de travail, alors que le médecin de travail a bien été saisi suite à la demande afférente de la partie demanderesse, quand bien même ce dernier n’a pas décelé de problèmes s’opposant à une reprise de travail par la partie demanderesse.
Il suit de toutes ces considérations que la décision déférée ne peut pas être considérée comme disproportionnée par rapport aux circonstances de l’espèce, et ce malgré l’ancienneté non négligeable de la demanderesse et ses bons et loyaux services au cours de sa carrière.
Il s’ensuit que la décision n’est viciée ni par un excès de pouvoir ni par une erreur manifeste d’appréciation de la part du ministre, de sorte que le recours est partant à rejeter dans son intégralité.
Finalement la partie demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.000,- euros sur base de l'article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qu’il y a lieu de rejeter au vu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
1 Trib. adm., 18 décembre 2013, n° 32010 du rôle, conf. par 27 mai 2014, n° 33948C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Fonction Publique, n° 673.
11se déclare incompétent pour statuer sur la demande de Madame … de se voir accorder un reclassement professionnel interne ou externe.
reçoit en la forme le recours principal en réformation pour le surplus ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Madame … ;
condamne Madame … aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 septembre 2024 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 12