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11/03/2025 | LUXEMBOURG | N°52356

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mars 2025, 52356


Tribunal administratif N° 52356 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52356 4e chambre Inscrit le 11 février 2025 Audience publique du 11 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52356 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2025 par Maître Lukman ANDIC,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 52356 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52356 4e chambre Inscrit le 11 février 2025 Audience publique du 11 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52356 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2025 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant actuellement L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures, erronément désigné comme étant le ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 27 janvier 2025 de recourir à la procédure accélérée, de celle portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 avril 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le président de la quatrième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mars 2025.

Le 23 décembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 27 décembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 janvier 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit :

1« (…) Vous déclarez être de nationalité marocaine, célibataire, de confession musulmane et originaire de … où vous auriez vécu jusqu'en 2019 avec votre belle-mère. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez d'être tué par …, le frère de l'épouse de votre père à cause d'une question d'héritage.

En 2019, votre père serait décédé et vous auriez alors normalement eu droit à un héritage, respectivement, une place « où habiter » (p, 4 du rapport d'entretien). Votre belle-mère aurait toutefois voulu que vous quittiez le foyer ensemble avec votre frère mineur et la famille de votre belle-mère, dont son frère …, serait venue habiter dans la maison. Vous seriez alors partis vivre pendant six mois chez votre tante à …. Ensuite, vous vous seriez installés chez votre sœur à …. Après deux mois, elle vous aurait signalé qu'elle ne pourrait pas s'occuper de vous deux. Vous auriez alors voulu retourner vivre chez votre belle-mère mais elle ne vous aurait pas laissé rentrer. Chaque soir, vous auriez du coup dormi chez des amis du quartier ou dans la rue, voire, dans la mosquée. Vous précisez qu'entre 2019 et 2024, vous vous seriez fait insulter et menacer par …, armé d'un couteau, dès que vous vous approchiez de la maison. Une fois, il vous aurait frappé et blessé au visage avec son couteau après que vous auriez insisté pour entrer dans la maison. Vous n'auriez jamais dénoncé les agissements de … par peur de représailles et par peur pour votre fratrie. Le 31 janvier 2024, vous seriez parti vivre et travailler à Tanger. Le 10 juillet 2024, vous auriez quitté le Maroc.

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun document. (…) ».

A travers la même décision, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision deviendrait définitive.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 février 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 27 janvier 2025 d’opter pour la procédure accélérée, de celle du même jour ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétente pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 27 janvier 2025, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, un ressortissant marocain, explique avoir dû vivre dans la rue suite au décès de son père en 2019, alors que sa belle-mère lui aurait 2refusé l’accès à la maison familiale. Dans ce contexte, le demandeur précise encore que le frère de sa belle-mère l’aurait quotidiennement menacé de le tuer, tout en relevant qu’il aurait eu une altercation violente avec ce dernier le 20 janvier 2024 lors de laquelle il aurait été frappé au visage et se serait vu asséner des coups de couteau ayant laissé plusieurs cicatrices sur son visage et sur son cou. Etant dépourvu de toute ressource financière, le demandeur affirme avoir été dans l’impossibilité d’avoir pu se faire soigner à l’hôpital. Il précise encore ne pas avoir pu prévenir la police marocaine des agissements du frère de sa belle-mère, par crainte de représailles de la part de ce dernier, alors que celui-ci aurait pu payer les policiers marocains afin de se faire relâcher. Au regard de sa situation au Maroc, il n'aurait pas eu d'autres choix que de quitter son pays d'origine.

En droit, le demandeur critique d’abord la décision de recourir à la procédure accélérée en reprochant au ministre d’avoir effectué une analyse erronée des faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale, alors que les faits exposés par lui, ainsi que les moyens soulevés ne seraient pas dénués de toute pertinence, de sorte que la décision ministérielle en question serait à réformer. Tout en insistant sur la cohérence et la crédibilité de son récit, le demandeur fait valoir que les circonstances ayant entouré son départ du Maroc, et plus particulièrement les actes de violences, ainsi que les menaces de mort subis de la part du frère de sa belle-mère, faits dûment établis tant par les constatations matérielles de l’agent ministériel ayant procédé à son audition que par les photographies versées en cause, sur la toile de fond de la succession de son défunt père, tout comme le fait que le Maroc serait affecté d’un grave problème de corruption de ses institutions et administrations, auraient dû conduire le ministre à ne pas recourir à la procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), a) de la loi du 18 décembre 2015.

La décision ministérielle déférée de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée devrait partant encourir la réformation pour défaut de motivation, excès de pouvoir, abus de pouvoir ou irrégularité formelle.

Quant au refus de lui accorder une protection internationale, Monsieur (A) conclut à la réformation de la décision lui refusant l’octroi du statut de réfugié, alors qu’il considère que les conditions légales pour se voir accorder ledit statut seraient remplies dans son chef. Il avance que les persécutions dont il aurait fait l’objet dans son pays d’origine, en l’occurrence les menaces de mort et les violences subies de la part du frère de sa belle-mère, seraient motivées par la succession de son défunt père. Par ailleurs, son récit serait corroboré par les constatations matérielles de l’agent ministériel ayant procédé à son entretien, ainsi que par les éléments de preuve produits en cause, tel que ceux relatifs aux règles de transmission de la propriété immobilière au Maroc, sans que le ministre n’aurait pu valablement mettre en cause sa crédibilité, le demandeur lui reprochant encore, dans ce cadre, avoir effectué une analyse erronée et partiale des faits et des preuves.

Il fait encore valoir que les persécutions subis dans son pays d’origine seraient d’ordre physique et psychologique, de sorte que sa demande de protection internationale devrait être déclarée fondée, tout en précisant ne pas avoir pu déposer une plainte au Maroc, en raison du fait que la corruption y règnerait, de sorte qu’il n’y aurait aucune protection effective contre les actes subis par lui. Il en conclut que la décision ministérielle déférée devrait être réformée et que le statut de réfugié lui serait à accorder.

S’agissant de la protection subsidiaire, il soutient, sur base de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que du tribunal administratif, que sa situation 3personnelle, telle qu’exposée lors de son entretien et matérialisée par des menaces persistantes et des agressions documentées, le tout dans un contexte de services de police marocains gangrénés par la corruption, tomberait dans le champ d’application de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 dès lors que les atteintes graves subis par lui cadreraient avec les hypothèses retenues aux points a) et b) de cette disposition. Il fait valoir, dans ce contexte, qu’il existerait un risque réel et sérieux pour lui de subir des traitements inhumains et dégradants, voire même d’être tué par le frère de sa belle-mère. Sur base de ces considérations, le demandeur considère, par réformation de la décision litigieuse, devoir se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.

A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur fait valoir que le rejet de sa demande de protection internationale reposerait sur une appréciation erronée des faits et du droit. Ainsi, dans la mesure où il risquerait de faire l’objet de persécutions de la part du frère de sa belle-mère qui risquerait de le tuer dans le cadre du litige successoral l’opposant à ladite belle-mère, l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre devrait être réformée dans l’attente d’une nouvelle décision quant au fond de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en ses trois volets.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il ressort de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

Le soussigné constate de prime abord que ni le texte légal ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé ».

Il appartient dès lors au soussigné, saisi d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

4Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente. En d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

A titre liminaire et quant à la légalité externe des décisions déférées, le soussigné doit être amené à constater que le demandeur est resté en défaut de préciser dans quelle mesure les décisions déférées encourraient la réformation pour défaut de motivation, le demandeur restant non seulement en défaut de citer une quelconque base légale, mais encore de présenter des développements circonstanciés à l’appui dudit moyen, de sorte que celui-ci encourt d’ores et déjà le rejet pour manifestement ne pas être fondés, étant encore relevé qu’il n’appartient pas au soussigné de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a), de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Le soussigné est dès lors amené à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le 5ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 6comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond de la Convention de Genève ou sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, laquelle n’a pas été mise en cause par le ministre dans le cadre de la décision déférée, contrairement à l’argumentation du demandeur, il convient de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine, au cas où les auteurs des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, sont des personnes privées sans lien avec l’Etat, ce qui est le cas en l’espèce, dans la mesure où le demandeur déclare être la victime des agissements du frère de sa belle-mère, ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.

En l’espèce, l’analyse de la situation décrite par le demandeur lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet pas au soussigné de retenir que le demandeur aurait apporté une raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée contre les agissements du frère de sa belle-mère.

Il y a, en effet, lieu de rappeler dans ce cadre que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse, que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette 7protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.

L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances physiques et morales, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, force est toutefois au soussigné de constater que le demandeur n’a pas effectivement recherché l’aide des autorités marocaines. En effet, sur question de l’agent ayant mené son entretien, le demandeur a expliqué par rapport aux menaces et les violences subies de la part du frère de sa belle-mère, qu’il n’aurait pas déposé de plaintes à l’encontre de ce dernier auprès des forces de l’ordre marocaines, tout en expliquant qu’une telle démarche n’aurait fait qu’aggraver sa situation, alors que le frère de sa belle-mère aurait menacé de le tuer, après avoir payé de l’argent à la police pour le laisser sortir de prison. Or, il échet de constater que ces affirmations du demandeur ne constituent que de simples suppositions, dans la mesure où il ne ressort pas des éléments soumis à l’analyse du soussigné que les forces de l’ordre marocaines connaîtraient effectivement un problème important de corruption, tel que mis en avant par le demandeur. Dans ce contexte, il faut relever que les documents invoqués 8par le demandeur, en l’occurrence un article de presse publié sur internet le 30 novembre 2021 et intitulé « Corruption au Maroc : Les montants des délits oscillent entre 50 et 300.000 DH », ainsi qu’un article de presse publié sur internet le 8 octobre 2024 et intitulé « Lutte contre la corruption au Maroc : l’INPPLC présente son bilan », ne visent que les problèmes de corruption existant, en ce qui concerne les sociétés implantées au Maroc, dans le cadre de l’attribution de marchés publics, du recrutement, ainsi que des procédures d’obtention d’autorisations et d’agréments, lesdits articles ne faisant aucune référence à d’éventuelles problèmes de corruption affectant la police marocaine.

Or, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, le soussigné doit retenir que le demandeur n’a pas fourni des éléments suffisants permettant de conclure que de manière générale, la police marocaine serait impuissante ou non disposée à lui offrir une protection contre les problèmes dont il fait état.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.

Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.

2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Force est de rappeler que le soussigné vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire, dans la mesure où il est resté en défaut d’invoquer un quelconque fait concret de nature à pouvoir être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave, respectivement un quelconque indice qu’il risquerait de faire l’objet de tels actes.

Or, le soussigné, au niveau de la décision au fond du ministre refusant l’octroi de la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire 9Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur (A), impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celui-ci dans son pays d’origine ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit et à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier vice-président présidant la quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 janvier 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2025 par le soussigné, Paul Nourissier, premier vice-président présidant la quatrième chambre, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52356
Date de la décision : 11/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-11;52356 ?

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