Tribunal administratif N° 52525 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52525 1re chambre Inscrit le 14 mars 2025 Audience publique du 26 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52525 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2025 par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 27 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en sa plaidoirie à l’audience publique du 26 mars 2025.
Le 28 août 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne le 21 juillet 2023.
Le 4 septembre 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de prise en charge de Monsieur (A), sur base de l’article 13 (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers 1ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Par courrier du 13 novembre 2023, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes du fait qu’elles considéraient ladite demande de prise en charge comme ayant été tacitement acceptée le 5 novembre 2023, sur base de l’article 22 (7) du règlement Dublin III.
Par courrier du 28 mai 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg était devenu responsable pour l’examen de sa demande de protection internationale introduite le 28 août 2023, en vertu des dispositions de l’article 29 (2) du règlement Dublin III.
Le 7 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 27 février 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Dans ladite décision, le ministre résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit :
« […] Vous déclarez être né le … à … en Côte d’Ivoire, être de nationalité ivoirienne, d’ethnie Adioukrou, de confession évangélique et avoir principalement vécu à Dabou, où vous auriez grandi aux côtés de votre père, de votre grand-mère, de vos tantes, de vos cousins ainsi que de votre fratrie. Par ailleurs, vous précisez avoir résidé chez votre mère à Oumé de février jusqu’au 20 mai 2017, date à laquelle vous auriez quitté votre pays d’origine.
En ce qui concerne les motifs de votre fuite, vous déclarez avoir été menacé de mort par votre oncle depuis janvier 2017 à la suite de votre refus de vendre un terrain dont vous seriez l’héritier légitime (page 13/22 du rapport d’entretien).
À cet égard, vous précisez que ce dernier aurait exercé une pression sur vous afin d’acquérir le terrain qu’il aurait par la suite cédé à une société immobilière, permettant ainsi à cette dernière d’entamer son projet. Malgré l’intervention de la chefferie du village, il aurait persisté dans ses démarches, allant jusqu’à engager des individus afin de vous intimider (page 13/22 du rapport d’entretien).
En février 2017, vous auriez été enlevé par des personnes mandatées par votre oncle qui vous auraient toutefois relâché par pitié, tout en vous conseillant de quitter la région. Informé de cette situation, votre père aurait sollicité l’intervention du chef du village. Toutefois, ce dernier aurait estimé qu’une action officielle serait inefficace en raison de l’influence exercée par votre oncle, ancien magistrat au tribunal d’Abidjan. Il aurait alors suggéré que votre départ du village serait la seule solution pour préserver votre terrain (page 13/22 du rapport d’entretien).
Face à la persistance des menaces, vous auriez trouvé refuge chez votre mère à Oumé, mais les intimidations auraient continué par téléphone. Ainsi, votre père vous aurait conseillé de quitter définitivement votre pays d’origine (page 13/22 du rapport d’entretien).
2Après avoir recueilli des informations sur les modalités d’un voyage vers la Tunisie, vous auriez organisé votre départ avec son soutien financier. Vous affirmez avoir quitté votre pays d’origine le 20 mai 2017 pour la Tunisie, où vous seriez resté jusqu’en 2023 (page 14/22 du rapport d’entretien).
Malgré votre éloignement, votre oncle aurait continué à vous contacter et menacer via WhatsApp, vous contraignant finalement à changer de numéro afin d’échapper aux menaces. Vous indiquez également que, selon les propos du chef du village, la vente du terrain serait impossible en votre absence (page 14/22 du rapport d’entretien) Finalement, vous indiquez ne plus pouvoir retourner en Côte d’Ivoire par crainte d’être tué par votre oncle étant donné qu’ « il n’a pas lâché l’affaire » (page 14/22 du rapport d’entretien).
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez une photographie de votre passeport ivoirien, expiré depuis le 26 septembre 2021. Vous ne présentez aucun autre document qui aurait permis de corroborer vos déclarations. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 27 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 27 février 2025, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Moyens des parties A l’appui de son recours, et s’agissant d’abord de la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur soutient que contrairement à l’argumentation ministérielle, les faits invoqués à l’appui de sa demande d’asile seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, tout en reprochant au ministre d’avoir procédé à une interprétation erronée des faits invoqués à l’appui de sa demande.
A l’appui de son recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur soutient, en substance, que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de certaines de ses déclarations, en ce qu’elles seraient en 3contradiction avec des publications qu’il aurait faites sur des réseaux sociaux.
A cet égard, il soutient qu’il serait arrivé au Luxembourg après avoir frôlé la mort, de sorte qu’il aurait été totalement désemparé lors de son audition, le demandeur soulignant qu’il n’aurait aucunement eu l’intention de fournir des informations erronées sur sa situation et son passé. Il ajoute que, comme son oncle serait un homme de pouvoir, il aurait préféré mentir sur son lieu de résidence, de sorte qu’il aurait indiqué sur les réseaux sociaux qu’il vivrait en France.
Par ailleurs, ses publications concernant le Luxembourg ne seraient pas de nature à révéler son pays de résidence, alors que la France et le Luxembourg seraient des pays frontaliers.
En outre, le demandeur reproche au ministre d’avoir procédé à une analyse simpliste et superficielle de sa situation personnelle et individuelle, en se référant, dans ce contexte, au principe de minutie.
Le demandeur fait encore valoir qu’en retenant qu’il ne remplirait pas les conditions d’octroi du statut de réfugié, le ministre se serait livré à une interprétation erronée des faits de l’espèce.
Après avoir souligné que les actes de persécution qu’il aurait subis dans son pays d’origine seraient d’ordre physique et mental, le demandeur insiste sur le fait que sa situation devrait être analysée en tenant compte de la situation politique régnant en Côte d’Ivoire, qui serait caractérisée par une violation constante des droits fondamentaux de l’Homme, Monsieur (A) citant, à cet égard, des extraits d’une publication qui n’est pas versée en cause et dont les références ne sont pas non plus fournies.
A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur soutient que les faits invoqués par lui tomberaient dans le champ d’application de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Le demandeur sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire, en tant que conséquence de la réformation de la décision ministérielle portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Appréciation du soussigné Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
4Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
I) Quant à la légalité externe des décisions déférées Quant à la légalité externe des décisions déférées et s’agissant, plus particulièrement, de la référence faite par le demandeur au principe de minutie, le soussigné relève que ce principe contraint l’autorité à procéder avec soin pour se préparer à prendre une décision et à veiller à ce que les aspects de fait et de droit du dossier soient dûment inventoriés et contrôlés afin que l’autorité puisse prendre une décision en connaissance de cause.1 Ce principe impose en effet à l’administration de s’informer complètement et de procéder à un traitement minutieux des éléments qui conduisent à l’adoption d’une décision. En vertu de ce principe, les autorités doivent notamment procéder à une recherche et un examen attentifs des faits, récolter les renseignements nécessaires à la prise de décision et prendre en considération tous les éléments du dossier, afin de décider en pleine connaissance de cause et après avoir raisonnablement apprécié tous les éléments utiles à la résolution du cas d’espèce.2 Il échet, par ailleurs, de préciser que ce principe ne constitue pas une règle de droit et qu’une décision en tout point légale ne peut être annulée au motif que son élaboration aurait été bâclée. Le manque de soin dans la préparation d’une décision est seulement de nature à engendrer des illégalités, qui, elles pourraient justifier l’annulation d’une décision.3 En l’espèce, le soussigné constate qu’il ne se dégage aucunement des éléments de la cause que le ministre aurait manqué de soin dans le traitement de la demande de protection internationale du demandeur, que ce soit au niveau de la collecte des éléments de fait nécessaires à la prise de la décision ou au niveau de l’appréciation juridique de ces éléments.
Le moyen sous examen encourt, dès lors, le rejet, étant relevé que le bien-fondé de l’appréciation ministérielle des faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale sera examiné ci-après.
1 Verougstraete, I. et Bossuyt, A., « Le principe (général) (de droit) de bonne administration », J.T., 2020/28, p.
567-573.
2 Brouhns, I.-S. et Vansnick, L., « 2. - Les principes généraux en droit de l’urbanisme et de l’environnement » in Ben Messaoud, S. et Viseur, F. (dir.), Les principes généraux de droit administratif, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 731-789.
3 Conseil d’Etat belge, 4 janvier 2018, n° 240.347 du rôle.
5II) Quant à la légalité interne des décisions déférées A) Quant à la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Quant à la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 394 et 405 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des 4 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
5 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou 6actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Quant à la situation générale régnant en Côte d’Ivoire, force est de constater qu’à cet égard, le demandeur se borne à citer des extraits d’une publication, sans cependant la verser en cause et sans en fournir les références, mettant le soussigné dans l’impossibilité d’en apprécier la pertinence dans le cadre du présent litige.
Dès lors, et à défaut d’autres éléments, le soussigné arrive à la conclusion qu’il n’est manifestement pas établi que la situation générale dans le pays d’origine du demandeur serait telle que tous les ressortissants ivoiriens courraient, indépendamment de leur situation personnelle et du seul fait de leur présence sur le territoire de la Côte d’Ivoire, un risque réel de b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 7subir des actes d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves.
Quant à la situation personnelle du demandeur, le soussigné constate qu’à l’appui de sa demande de protection internationale, celui-ci invoque, d’une part, des menaces de mort proférées à son encontre par son oncle paternel, afin de le contraindre à lui vendre un terrain dont il serait l’héritier légitime, et, d’autre part, un enlèvement dont il aurait été victime dans ce contexte et qui aurait été commandité par son oncle.
Quant aux menaces dont le demandeur a fait état, force est au soussigné de constater qu’il s’agit de simples menaces verbales, non suivies d’un quelconque acte de violence concret, qui ne sont, à elles seules, manifestement pas d’une gravité suffisante pour être qualifiées d’actes de persécution ou d’atteintes graves.
La même conclusion s’impose en ce qui concerne l’enlèvement invoqué par le demandeur. En effet, le soussigné constate, à l’instar du ministre, que si un enlèvement est certes condamnable en soi, il n’en reste pas moins que le demandeur a finalement été libéré par ses ravisseurs sans avoir subi de préjudice grave, ceux-ci ayant eu pitié de lui et n’ayant pas réussi à joindre son oncle par téléphone pour obtenir des instructions supplémentaires. Dans ce contexte, le soussigné partage l’appréciation du ministre selon laquelle, si l’oncle du demandeur avait réellement eu l’intention de le faire assassiner, il aurait pris toutes les dispositions nécessaires afin de s’assurer de l’exécution de son projet, notamment en restant joignable par les personnes mandatées ou encore en donnant à ces dernières des instructions précises en amont. Le déroulement de l’incident, tel que décrit par le demandeur, permet plutôt de conclure qu’il ne s’agissait que d’une tentative d’intimidation, manifestement dépourvue de la gravité requise pour pouvoir être qualifiée d’acte de persécution ou d’atteinte grave.
Par ailleurs, le soussigné constate que les faits invoqués par le demandeur ont eu lieu en 2017, soit il y a huit ans, sans qu’il ressorte d’un quelconque élément concret de son récit qu’il serait toujours dans le collimateur de son oncle en raison de son refus de lui vendre son terrain.
A titre superfétatoire, le soussigné relève encore qu’il n’est manifestement pas établi que dans son pays d’origine, le demandeur ne pourrait obtenir une protection étatique appropriée contre les agissements dont il craint d’être victime de la part de son oncle.
Force est, en effet, de constater que l’intéressé n’a pas déposé plainte à la suite des menaces de mort et de l’enlèvement dont il affirme avoir été victime.
Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.6 Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces de mort et d’un enlèvement, communément la forme d’une plainte.
6 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
8En l’espèce, le demandeur est resté en défaut de fournir des motifs valables pour justifier son inaction.
Le seul fait que son oncle aurait été magistrat ou « […] conseiller juridique au sein de la présidence […] » est manifestement insuffisant à cet égard, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément de la cause que ce dernier aurait exercé ou pu exercer une influence sur les autorités policières et judiciaires ivoiriennes telle que toute tentative de Monsieur (A) d’obtenir une protection étatique aurait été vouée à l’échec.
C’est encore en vain que le demandeur soutient ne pas avoir eu les moyens financiers requis pour déposer plainte, étant donné que le délégué du gouvernement explique, source à l’appui, que dans le pays d’origine de Monsieur (A), le dépôt d’une plainte n’engendre aucun frais.
Au des développements faits ci-avant, le soussigné arrive à la conclusion qu’indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, ce dernier n’a manifestement pas fait état d’une crainte fondée d’être persécuté en Côte d’Ivoire, ni d’un risque réel d’y subir des atteintes graves.
Eu égard aux considérations qui précèdent, le soussigné conclut que le recours de Monsieur (A), dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement infondé.
B) Quant à la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant de la décision ministérielle portant refus d’accorder au demandeur une protection internationale, le soussigné vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits d’une quelconque pertinence pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.
Ainsi, au niveau de l’examen de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, le soussigné ne saurait, en l’absence d’autres éléments, que réitérer son analyse précédente, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, et au vu des pièces produites en cause, que Monsieur (A) ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, et cela indépendamment de la question de la crédibilité de son récit.
Dans ces circonstances, le soussigné conclut que le recours dirigé contre la décision ministérielle portant refus d’octroi d’une protection internationale est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
9 C) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire En ce qui concerne le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le soussigné relève qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2025 par le soussigné, Daniel WEBER, vice-président au tribunal administratif, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 10