Tribunal administratif N° 52462 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52462 4e chambre Inscrit le 3 mars 2025 Audience publique du 28 mars 2025 Recours formé par Madame (A) et consort, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52462 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2025 par Maître Marlène AYBEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Etats-
Unis d’Amérique), accompagnée de son fils mineur (B), né le … en … (Etats-Unis d’Amérique), tous les deux de nationalité américaine et demeurant actuellement ensemble L-
…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 14 février 2025 de recourir à la procédure accélérée, de celle portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le président de la quatrième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en sa plaidoirie à l’audience publique du 25 mars 2025, Maître Marlène AYBEK s’étant excusée.
Le 29 novembre 2024, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 7 janvier 2025, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 14 février 2025, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Madame (A) comme suit :
1« (…) Vous déclarez être de nationalité américaine, d'ethnie afro-américaine, de confession chrétienne et avoir dernièrement vécu en Floride aux États-Unis.
Concernant vos raisons pour l'introduction de vos demandes de protection internationale, vous indiquez sur votre fiche des motifs et lors de votre entretien avec le Service de la Police judiciaire avoir quitté les États-Unis ensemble avec votre enfant principalement en raison de persécutions que vous attribuez à un phénomène de « gang stalking ». Vous clamez que ce harcèlement organisé aurait commencé en 2009, initié selon vous par votre époux, qui, bien que travaillant comme aide-soignant, serait impliqué dans une « police secrète » sans être officiellement engagé en tant que policier. Selon vous, il aurait été responsable d'orchestrer une partie des événements qui se seraient produits. Ainsi, vous expliquez que vous seriez « persécutés par le gouvernement [et] subir[iez] des violences policières de la part de la police. Je n'ai pas le droit d'aller travailler en paix ni de faire des études. Quand je suis dans mon appartement, je me fais voler plein d'objets. Ils me font plein de choses pour me perturber. » (p. 2/2 du rapport de police). Ainsi, votre situation serait insupportable.
Lors de votre entretien sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, vous déclarez que ces groupes auraient cherché à vous isoler, à saboter votre vie professionnelle et personnelle, et à vous déstabiliser psychologiquement : « They would dress in black and they would follow me. […] They destabilize the person in every way possible Then they start stealing things. They go after people's identity, their bank accounts. […] They sabotaged me at work. […] Coworkers would slap me and hit me. » (p. 7/18 du rapport d'entretien). Vous affirmez également que des voisins vous auraient surveillée de manière constante, que des objets auraient disparu de votre domicile, et que votre environnement quotidien serait devenu invivable. Dans la même lignée, vous mentionnez un incident survenu chez un coiffeur, où le personnel aurait prétendument participé à ce harcèlement : « If I'm not allowed to do my hair […] the hairdresser would burn my scalp. 1 don't remember what year it was. I don't know what she did, but my scalp was burnt. I didn't say anything to her and I left. » (p. 12/19 du rapport d'entretien).
Vous auriez essayé de déménager dans d'autres Etats, notamment à …, ce qui n'aurait pas changé votre situation, ce pourquoi vous seriez retournée dans le …. Cependant, votre mari aurait tenté de convaincre votre mère et votre sœur que vous souffriez d'une maladie mentale. Celles-ci vous auraient alors prévenue que votre mari envisagerait de vous placer dans un établissement psychiatrique, motif pour lequel vous auriez déménagé en Floride. Les conseillers spirituels vous auraient également assuré que votre mari était mauvais.
L'officier ministériel qui a mené votre entretien vous a ensuite questionné si vous aviez déjà été traitée par un psychiatre, ce à quoi vous avez répondu par l'affirmative : « Yes. I would take the medication they gave me, and I would behave, I wouldn't be nasty. » (p. 11/19 du rapport d'entretien). Vous auriez commencé à consulter un psychiatre à la suite du harcèlement et sur recommandation des services sociaux. Cela se serait passé en 2015, date à laquelle un médecin aurait relevé chez vous un trouble mental dont vous ne vous rappelleriez plus.
Néanmoins, vous auriez arrêté le traitement après un an.
Vous relatez ensuite un événement marquant - ayant eu lieu à une date inconnue - qui concernerait des anomalies constatées sur votre compte bancaire, où vous auriez remarqué des retraits inexpliqués de montants de 50, 100 et 200 dollars. Vous expliquez que vous auriez interrogé votre banque à ce sujet, mais le banquier aurait nié toute anomalie en affirmant :
« The banker told me that nothing happened » (page 8/20 du rapport d'entretien). Par ailleurs, 2vous mentionnez avoir observé un homme assis dans un fauteuil à la banque, qui vous aurait suggéré que votre mari serait impliqué dans ces disparitions d'argent : « I didn't know him, and he said that my husband was giving me a lot of problems. They all work together, and they take money out of people's account. » (page 8/20 du rapport d'entretien).
Vous ajoutez avoir été victime d'un incident en 2020 ou 2021, où une personne que vous supposez comme appartenant à l'armée vous aurait renversée avec une voiture, entraînant une fracture de la jambe. Vous déclarez que l'officier de police présent sur les lieux aurait été quelqu'un que vous auriez reconnu comme l'un de vos « harceleurs habituels », raison pour laquelle vous auriez demandé qu'un autre agent s'occupe de l'affaire. Dans ce contexte, vous soulignez avoir reçu une indemnisation de 3 000 dollars, sans vraiment savoir ce qui se serait passé, puisque vous ne vous seriez jamais rendu à votre audience.
Toujours dans le cadre de cet incident, vous signalez que votre spécialiste habituel chargé de votre rétablissement aurait été remplacé par une personne liée à ce réseau de harcèlement, ce qui aurait perturbé votre traitement et augmenté votre sentiment de vulnérabilité. Vous indiquez également que votre thérapeute aurait été remplacé par une personne que vous considériez comme incompétente : « I had a physical therapist. The gang replaced the therapist with someone else, They replaced (sic) my doctor too. […] All of a sudden, they bring another guy that doesn't work as well. I noticed that I wasn't dealing with a competent person that doesn't have experience and (sic) doesn't do massages correctly. The doctor's name was Jessica which is the code name to let me know they (sic) were there. » (p.
12/19 du rapport d'entretien).
De même, vous avancez que votre tentative de divorce, que vous auriez initiée légalement en 2021, aurait été entravée par votre époux et ses collaborateurs supposés ainsi que par le tribunal, retardant le processus et aggravant vos difficultés. Dans ce contexte, vous expliquez que vous n'auriez pas eu l'opportunité de vous exprimer lors de l'audience, qui aurait eu lieu en ligne en date du 8 septembre 2022, puisque vous auriez été bloquée pour vous empêcher de parler « I was listening to the hearing on my phone while I was on the street.
When it was my turn to talk, I was blocked. I couldn't get through. I ran to the library. I used a computer, and I don't know how I managed to talk to the judge. […] They proceeded in my absence. My husband's lawyer said it wasn't a divorce case. She said a lot of lawyer terms. […] They took the decision without me, […] They used lawyer language […] I said that my husband was going to kill me. » (p. 13/19 du rapport d'entretien.) Vous ne pourriez pas retourner dans votre pays d'origine, les États-Unis d'Amérique, par crainte de vous faire tuer par le gouvernement de votre pays et par votre mari, qui travaillerait secrètement pour celui-ci. Des conseillers spirituels, que vous contacteriez de temps à autre pour échanger sur votre situation, vous auraient assuré que votre mari serait malveillant et que vous ne devriez pas y retourner.
Vous auriez essayé de dénoncer ces faits - sans procéder à des plaintes officielles -, notamment en écrivant des courriels au Federal Bureau of Investigation (FBI) et à d'autres agences fédérales et internationales, sans recevoir aucune réponse. Après que vous auriez dû endurer ces persécutions pendant plusieurs années et constatant l'absence de soutien des autorités américaines, vous auriez décidé en septembre 2024 de quitter définitivement votre pays d'origine. Convaincue que tout retour mettrait votre sécurité en péril, vous auriez choisi de demander une protection internationale au Luxembourg et non pas en Allemagne, pays où 3vous auriez séjourné pendant environ un mois suite à votre départ, puisque la barrière linguistique vous empêcherait de pouvoir mettre en avant votre cause dans ce pays.
A l'appui de vos demandes de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- Votre passeport américain émis le … 2024 et valable jusqu'au … 2034;
- le passeport américain de votre fils (B) émis le … 2024 et valable jusqu'au …2029 ;
- le certificat de naissance de votre fils ;
- plusieurs copies de divers rapports de police (N°…, N°…, N°…);
- une carte émise par le département policier de … concernant le Rapport de Police N°…;
- une copie d'une ordonnance médicale.
En date du 29 janvier 2025, l'Unité de Police de l'Aéroport a confirmé l'authenticité de votre passeport et celui de votre fils (B). (…) ».
A travers la même décision, le ministre informa Madame (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision deviendrait définitive.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2025, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 14 février 2025 d’opter pour la procédure accélérée, de celle du même jour ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 14 février 2025, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse, de nationalité américaine et de confession chrétienne, explique avoir été exposée, pendant plusieurs années, à des discriminations, ainsi qu’à des actes de violence physique et psychique de la part de son mari, lesquelles auraient gravement affecté son état de santé mentale et rendraient impossible son retour dans son pays d’origine. Elle fait encore valoir, dans ce cadre, qu’en cas de retour dans son pays d’origine, son mari tenterait de la faire enfermer dans un établissement de santé mentale, ce qui serait comparable à un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Elle précise finalement ne pas pouvoir se prévaloir de la protection 4des autorités américaines, en cas de retour dans son pays d’origine, alors que son mari serait un policier haut gradé.
En droit, la demanderesse critique d’abord la décision de recourir à la procédure accélérée en reprochant au ministre d’avoir effectué une analyse erronée des faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale, respectivement d’avoir procédé à une fausse application de la loi, alors que les faits exposés par elle ne seraient pas dénués de toute pertinence pour être l’expression de formes diverses de persécution. Elle relève, dans ce contexte, être persécutée par son mari qui ferait partie de la police secrète américaine.
La décision ministérielle déférée de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée devrait partant encourir la réformation pour.
Quant au refus de lui accorder une protection internationale, Madame (A) se rapporte, tout d’abord, à prudence de justice quant à la décision ministérielle lui refusant l’octroi du statut de réfugié.
S’agissant de la protection subsidiaire, elle argumente, sur base des articles 2, g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par la « CourEDH », qu’elle serait exposée, en cas de retour sans son pays d’origine, au risque de subir des traitements inhumains et dégradants, sans que les autorités américaines ne seraient capables, respectivement disposées à lui offrir une protection adéquate, dans la mesure où son époux, à l’origine des actes déjà subis par elle, ferait partie des forces de l’ordre américaines. Elle se prévaut encore, dans le cadre du volet de son recours visant le statut conféré par la protection subsidiaire, de l’article 42, paragraphes (1), a) et b), ainsi que le paragraphe (2), a) et b) du même article de la loi du 18 décembre 2015 concernant la gravité, respectivement la forme que doivent revêtir les actes de persécution pour donner lieu à l’octroi du statut de réfugié, et explique avoir fait l’objet d’une accumulation de diverses mesures, que la demanderesse qualifié d’atteintes à ses droits fondamentaux, s’étant succédées de manière répétitive et qui auraient pris la forme de violences physiques et mentales de la part de son époux, sans qu’elle n’aurait pu obtenir une quelconque protection auprès des autorités de son pays d’origine. Sur base de ces considérations, la demanderesse considère, par réformation de la décision litigieuse, devoir se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.
A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, la demanderesse fait valoir que le rejet de sa demande de protection internationale reposerait sur une appréciation erronée des faits et du droit. Ainsi, dans la mesure où elle risquerait de faire l’objet d’atteintes graves, l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre devrait être réformée.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en ses trois volets.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.
Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la 5requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il ressort de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
Le soussigné constate de prime abord que ni le texte légal ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé ».
Il appartient dès lors au soussigné, saisi d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit de la demanderesse tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente. En d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par la demanderesse à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée La décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
6a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a), de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Le soussigné est dès lors amené à analyser si les moyens avancés par la demanderesse à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par elle ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Afin d’analyser si la demanderesse n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
7des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que la demanderesse ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond de la Convention de Genève ou sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que la demanderesse ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Indépendamment de la question de la crédibilité du récit de la demanderesse, laquelle n’a pas été explicitement mise en cause par le ministre dans le cadre de la décision déférée,, il convient de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par la demanderesse, que les autorités de son pays d’origine, au cas où les auteurs des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, sont des personnes privées sans lien avec l’Etat, ce qui est le cas en l’espèce, dans la mesure où la demanderesse (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 8déclare être la victime des agissements de son mari, lequel la suivrait, respectivement la ferait suivre, ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.
En l’espèce, l’analyse de la situation décrite par la demanderesse lors de son audition ainsi qu’au cours de la présente instance, ne permet pas au soussigné de retenir que la demanderesse aurait apporté une raison valable de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans son pays d’origine sans que les autorités de ce pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée contre les agissements de son mari.
Il y a, en effet, lieu de rappeler dans ce cadre que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse, que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.
L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider.
En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection 9s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances physiques et morales, communément la forme d’une plainte.
En l’espèce, force est toutefois au soussigné de constater que la demanderesse n’a pas effectivement recherché l’aide des autorités américaines. En effet, sur question de l’agent ayant mené son entretien, la demanderesse a expliqué par rapport aux agissements subis de la part de son mari, respectivement d’autres personnes non autrement identifiées par la demanderesse qu’elle n’aurait pas déposé de plaintes à l’encontre de ces derniers auprès des forces de l’ordre américaines, tout en expliquant qu’une telle démarche ne donnerait aucun résultat en raison de la circonstance que son époux serait un policier haut gradé. Or, il échet de constater que ces affirmations de la demanderesse ne constituent que de simples suppositions, dans la mesure où il ne ressort pas des éléments soumis à l’analyse du soussigné que l’époux de la demanderesse ferait effectivement partie des forces de l’ordre américaine. Dans ce contexte, il doit être relevé que la demanderesse, d’une part, a affirmé que son époux travaillerait principalement comme infirmer, et, d’autre part, n’émet que des allégations que ce dernier ferait également partie de la police secrète, laquelle se livrerait à des activités de « gang stalking », sans que ces allégations ne soient étayées par un quelconque élément probant. Le soussigné doit encore relever qu’il ressort des déclarations de la demanderesse que celle-ci avait fait l’objet, dans son pays d’origine, d’un accident de la circulation, dans le cadre duquel les autorités tant policières que judiciaires sont intervenues et à la suite duquel elle a obtenu une indemnisation financière, éléments qui contredisent manifestement les affirmations de la demanderesse que lesdites autorités ne seraient pas capables, respectivement disposées à lui offrir une protection contre les agissements de son époux.
Ainsi le soussigné doit retenir que la demanderesse, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, n’a pas fourni des éléments suffisants permettant de conclure que de manière générale, les autorités américaines seraient impuissantes ou non disposées à lui offrir une protection contre les problèmes dont elle fait état dans le cadre de sa demande de protection internationale.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours de la demanderesse dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’elle a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Force est de rappeler que le soussigné vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que la demanderesse est restée en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire, dans la mesure où elle est restée en défaut d’invoquer un quelconque fait concret de nature à 10pouvoir être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave, respectivement un quelconque indice qu’elle risquerait de faire l’objet de tels actes.
Or, le soussigné, au niveau de la décision au fond du ministre refusant l’octroi de la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, que la demanderesse ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et la demanderesse est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Madame (A), impliquant qu’il a à bon droit pu retenir que le retour de celle-ci dans son pays d’origine ne l’expose pas à des conséquences graves, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit et à défaut d’autre moyen que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le premier vice-président présidant la quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 février 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute la demanderesse de sa demande de protection internationale ;
11 condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mars 2025 par le soussigné, Paul Nourissier, premier vice-président présidant la quatrième chambre, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 12