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28/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52673

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2025, 52673


Tribunal administratif N° 52673 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52673 1re chambre Inscrit le 8 avril 2025 Audience publique du 28 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52673 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2025 par la société à responsabilité limitée ETUDE SADLER SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre d

es avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1611 L...

Tribunal administratif N° 52673 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52673 1re chambre Inscrit le 8 avril 2025 Audience publique du 28 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52673 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2025 par la société à responsabilité limitée ETUDE SADLER SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1611 Luxembourg, 9, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B275043, représentée aux fins de la présente instance par Maître Noémie SADLER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1), né le … à … (Erythrée), et de son épouse, Madame (A2), née le … à … (Erythrée), agissant au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (A3) et (A4), nés le … à …, tous de nationalité érythréenne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 mars 2025 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale desdits enfants mineurs dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à ces demandes de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 avril 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN, en remplacement de Maître Noémie SADLER, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2025.

Le 7 novembre 2025, Monsieur (A1) et son épouse, Madame (A2), ci-après désignés par « les époux (A) », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, les époux (A) furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi 1 pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion qu’ils avaient introduit des demandes de protection internationale en Grèce en date du 23 septembre 2024.

Le 7 janvier 2025, à la suite de deux demandes d’information leur adressées par les autorités luxembourgeoises le 14 novembre 2024 sur base de l’article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, les autorités grecques informèrent leurs homologues luxembourgeois du fait que le statut de réfugié avait été accordé en Grèce aux époux (A) le 27 septembre 2024 et qu’ils étaient chacun titulaire d’un permis de séjour valable du 27 septembre 2024 au 26 septembre 2027, ainsi que d’un document de voyage valable du 8 octobre 2024 au 7 octobre 2029.

Le 8 janvier 2025, les époux (A) introduisirent auprès du ministère des demandes de protection internationale au nom de leurs enfants mineurs (A3) et (A4), nés le … à ….

Le 21 janvier 2025, les époux (A) furent entendus séparément par un agent du ministère, d’une part, sur la recevabilité de leurs propres demandes de protection internationale et, d’autre part, sur la situation de leurs enfants (A3) et (A4) et les motifs gisant à la base des demandes de protection internationale de ces derniers.

Par décision du 20 mars 2025, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa les époux (A) que leurs demandes de protection internationale avaient été déclarées irrecevables en application des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’ils étaient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce.

Par décision séparée du même jour, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa les époux (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que lesdites demandes avaient été refusées comme non fondées, tout en ordonnant aux enfants de quitter le territoire dans un délai de trente jours, à destination de tout pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner, sauf l’Erythrée.

Cette décision est libellée comme suit :

« […] En date du 7 novembre 2024 vous avez introduit des demandes de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour le compte de vos deux enfants, les jumeaux (A3) et (A4), tous les deux nés le … à … au Luxembourg, de nationalité érythréenne.

Je tiens à vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes introduites pour le compte de vos deux fils mineurs (A3) et (A4) pour les raisons énoncées ci-après.

2 Avant tout autre développement, Madame, Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous avez également introduit des demandes de protection internationale au Luxembourg à la même date. Il ressort ensuite dudit dossier administratif que vous aviez déjà introduit des demandes de protection internationale en Grèce le 23 septembre 2024 et que les autorités grecques vous ont octroyer le statut de réfugié en date du 27 septembre 2024. De plus, il se dégage des informations disponibles que vous vous êtes vus délivrer tous les deux un titre de séjour grec le 27 septembre 2024, valable jusqu’au 26 septembre 2027, et un titre de voyage pour réfugié grec le 8 octobre 2024, valable jusqu’au 7 octobre 2029.

Par conséquent, vos demandes de protection internationale ont été déclarées irrecevables en date du 13 mars 2025 par une décision ministérielle séparée, puisque des protections internationales vous ont déjà été accordées par un autre Etat membre, à savoir la Grèce.

1. Quant à vos déclarations concernant vos deux fils mineurs Il ressort des deux entretiens ministériels du 21 janvier 2025, relatifs à la demande de protection internationale de vos fils, qu’ils sont tous les deux nés le … à … au Luxembourg, de nationalité érythréenne.

Madame, Monsieur, à la base des demandes de protection internationale de vos deux fils, vous avez expliqué que vous courriez un risque d’emprisonnement en cas de retour dans votre pays d’origine, et vous craignez que vos enfants soient également incarcérés à vos côtés.

Vous avez précisé que la durée de cette détention serait incertaine et que les conditions de celle-ci seraient particulièrement précaires, sans accès à la nourriture, à l’hygiène ni aux soins médicaux nécessaires. De plus, même si vos enfants étaient libérés, ils seraient contraints d’effectuer un service militaire à durée indéterminée. Vous avez également exprimé le souhait de rester au Luxembourg avec vos enfants afin qu’ils puissent bénéficier d’une éducation et, plus largement d’une « une meilleure vie ». Vous déplorez le fait de ne pas avoir trouvé de travail en Grèce alors que pour « élever les enfants, il nous faut du capital » (p.2/6 du rapport d’entretien).

À l’appui des demandés de protection internationale de vos deux fils, vous présentez leur acte de naissance respectif.

2. Quant à l’application de la procédure accélérée Je tiens tout d’abord à vous informer que conformément à l’article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé des demandes de protection internationale de vos fils dans le cadre d’une procédure accélérée alors qu’il apparaît que leurs demandes de protection internationale tombent sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

« a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » Tel qu’il ressort de l’analyse des demandes de protection internationale de vos fils ci-dessous développée, il s’avère que le point a) de l’article 27 de La Loi de 2015 se trouve être d’application pour les raisons étayées ci-après.

3 3. Quant à la motivation du refus des demandes de protection internationale de vos deux fils Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, la protection internationale se définit comme le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Force est d’emblée de constater que vos deux fils sont nés au Luxembourg et n’ont donc jamais vécu en Erythrée, de sorte qu’ils n’ont jamais personnellement et concrètement subi des problèmes dans ce pays.

Leur situation ne peut dont pas être comparée directement à la vôtre, car ils n’ont jamais vécu les conditions qui pourraient justifier une protection internationale.

Ensuite, Madame, Monsieur, bien que vous fassiez valoir que vous courriez un risque d’emprisonnement en cas de retour en Erythrée en raison de votre départ illégal du pays, et pour avoir déserté de votre service national, Monsieur, vos explications concernant la situation de vos enfants sont restées vagues.

Vous avez mentionné que vos enfants pourraient être incarcérés avec vous, mais vous n’avez pas fourni de détails concrets ou de preuves pour étayer cette affirmation. En effet, vous n’indiquez pas de manière précise pour quelles raisons vos enfants, qui n’ont donc jamais vécu en Erythrée, seraient également concernés par cette peine, alors même que les faits qui vous seraient reprochés par les autorités érythréennes ne peuvent leur être imputés. Il n’est donc pas clair en quoi leur situation serait inévitablement liée à la vôtre de manière aussi directe.

4 Ainsi, les craintes que vous avancez vis-vis de vos enfants doivent être considérées comme étant totalement hypothétiques. Or, des craintes hypothétiques, voire un sentiment général d’insécurité, ne sauraient évidemment pas justifier l’octroi du statut de réfugié.

Il est également indéniable que votre arrivée au Luxembourg, et par extension les introductions de demandes de protection internationale pour le compte de vos enfants, repose sur des motifs économiques et de convenance personnelle alors que vous vous étiez déjà tous les deux vus octroyer une protection internationale en Grèce. Entre-autres, vous déclarez vouloir accéder à une meilleure qualité de vie et garantir à vos enfants un accès à l’éducation.

Or, de telles motivations ne sauraient suffire pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Ce constat vaut d’autant plus qu’il convient de rappeler que l’analyse d’une demande en octroi du statut de réfugié se fait par définition par rapport au risque du demandeur d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine. Or, dans la mesure où vous, en tant que parents et personnes responsables de (A3) et (A4), vous disposez tous les deux d’une protection internationale en Grèce, vos enfants ne seront jamais éloignés en Erythrée. Le risque de persécution est par conséquent inexistant dans leurs chefs.

Partant, le statut de réfugié n’est pas accordé à vos deux fils mineurs.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que les craintes que vous avancez dans le chef de vos deux fils mineurs sont à considérer comme étant totalement hypothétiques, de sorte qu’elles ne sauraient justifier l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. Il convient également de relever que le seul fait de ne pas avoir de droits et de ne plus avoir aucun point d’attache dans votre, respectivement, leurs pays d’origine, ne saurait également pas suffire pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

5 Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire n’est pas accordé à vos deux fils mineurs.

Les demandes en obtention d’une protection internationale pour vos deux fils mineurs sont dès lors refusées comme manifestement non fondées.

Suivant les dispositions de l’article 34 (2) de la Loi de 2015, ils sont dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de tout pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner sauf l’Erythrée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2025, inscrite sous le numéro 52672 du rôle, les époux (A) firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 20 mars 2025 ayant déclaré irrecevables leurs demandes de protection internationale.

Par requête séparée, déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 52673 du rôle, les époux (A), agissant au nom et pour le compte de leurs enfants (A3) et (A4), firent encore introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 20 mars 2025 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale de ces derniers dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit auxdites demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 20 mars 2025, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Moyens des parties A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée. Plus particulièrement, ils expliquent qu’après s’être vu accorder le statut de réfugié par les autorités grecques, ils se seraient rapidement rendus compte du fait que cette protection ne serait que théorique et que leurs droits fondamentaux seraient bafoués en Grèce.

En effet, malgré le fait que Madame (A2) aurait été enceinte au dernier trimestre, ils se seraient retrouvés à la rue, sans possibilité d’intégrer un foyer pour réfugiés. Or, sans adresse fixe, ils n’auraient eu accès à aucun soin médical, de sorte que la demanderesse n’aurait bénéficié d’aucune prise en charge gynécologique au cours de sa grossesse. Dès lors, afin de garantir la survie de leurs enfants à naître, ils se seraient rendus au Luxembourg où ils auraient déposé des demandes de protection internationale le 7 novembre 2024.

En droit, ils soutiennent en premier lieu que ce serait à tort que le ministre aurait statué 6 sur le bien-fondé des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée, alors que contrairement à l’argumentation ministérielle, un examen de leurs rapports d’audition révélerait que les craintes de persécution invoquées à l’appui de ces demandes seraient pertinentes au regard des conditions d’octroi du statut de réfugié.

Par ailleurs, ils reprochent au ministre d’avoir violé l’article 16 de la loi du 18 décembre 2015, au motif, en substance qu’ils n’auraient pas été mis en mesure d’expliquer d’éventuelles lacunes et contradictions dans leurs récits. En se prévalant d’un document de l’European Asylum Support Office (EASO), à présent dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA), intitulé « EASO Practical Guide : Personal interview », ils soutiennent que si le ministre avait estimé que leurs déclarations seraient restées trop vagues, il lui aurait appartenu de les inviter à fournir de plus amples informations sur la situation des enfants de déserteurs du service militaire en Erythrée, sinon sur celle des enfants érythréens nés à l’étranger qui retourneraient dans leur pays d’origine.

En outre, les demandeurs réfutent l’argumentation ministérielle selon laquelle les enfants (A3) et (A4) ne courraient pas de risque réel de subir des actes de persécution dans leur pays d’origine, au motif qu’ils ne seraient pas susceptibles de retourner dans ce pays, alors que leurs parents seraient bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce.

En se prévalant d’un document de l’EUAA intitulé « EASO Practical Guide :

Qualification for international protection », ainsi que d’un jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2017, portant le numéro 39046 du rôle, ils font valoir que la question de savoir si un demandeur de protection internationale, en cas de refus de sa demande, retourne dans son pays d’origine ou dans un autre pays ne serait pas pertinente dans le cadre de l’analyse du risque de persécution qu’il encourrait dans son pays d’origine. Ainsi, l’existence d’un tel risque ne pourrait être écartée dans le chef d’un demandeur de protection internationale au seul motif qu’il ne serait a priori pas contraint de retourner dans ledit pays, alors qu’il posséderait un droit de résidence dans un autre pays. Ils en déduisent qu’en l’espèce, l’existence, dans le chef des enfants (A3) et (A4), d’un risque de persécution devrait s’analyser par rapport à l’Erythrée, sans avoir égard à la question de savoir s’ils sont éloignés, le cas échéant, vers la Grèce ou vers leur pays d’origine. Ils ajoutent, dans ce contexte, que les enfants (A3) et (A4) n’auraient aucun droit de séjour en Grèce, de sorte que l’affirmation du ministre selon laquelle ces derniers ne seraient pas éloignés vers l’Erythrée équivaudrait à une simple spéculation.

Les demandeurs reprochent encore au ministre d’avoir violé le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que consacré par l’article 3 (1) de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la CIDE », l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et l’article 15 de la Constitution.

A cet égard, ils font valoir que refuser une analyse approfondie des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) au seul motif qu’ils seraient a priori susceptibles d’accompagner leurs parents en Grèce semblerait contraire à leur intérêt supérieur.

En effet, en cas de décès de leurs parents avant leur majorité ou en cas de placement, ils pourraient être éloignés vers l’Erythrée, alors que, selon le ministre, ils n’y courraient aucun risque de persécution. Il serait indéniablement dans l’intérêt supérieur des enfants (A3) et (A4) que leurs demandes de protection internationale seraient analysées indépendamment de celles de leurs parents, en tenant compte de leur pays d’origine et non pas du pays où leurs parents 7 disposeraient d’un droit de séjour. En se prévalant d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 25 juin 2020, affaire MOUSTAHI c.

France, requête n° 9347/14, ils soulignent qu’il serait contraire à l’intérêt supérieur d’un enfant de rattacher sa situation, de façon arbitraire, à celle d’un ou de plusieurs adultes responsables de sa personne, dans le seul but de procéder à son éloignement du territoire. Or, ce serait précisément ce que le ministre aurait fait en l’espèce, en retenant que les enfants (A3) et (A4) ne courraient pas de risque de persécution en Erythrée, en raison du statut de bénéficiaires d’une protection internationale de leurs parents en Grèce, pour ensuite pouvoir procéder à l’éloignement de ces enfants vers la Grèce, sinon vers tout pays autre que l’Erythrée.

Les demandeurs continuent, en expliquant qu’il se dégagerait de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») que le fait que les parents des enfants (A3) et (A4) se seraient vu accorder le statut de réfugié en Grèce devrait être pris en compte pour admettre que ceux-ci auraient apporté aux autorités grecques des éléments démontrant l’existence, dans leur chef, d’un risque de subir des actes de persécution en Erythrée.

Dans ce contexte, ils se prévalent plus particulièrement d’un arrêt de la CJUE du 18 juin 2024, QY c. Bundesrepublik Deutschland, C-753/22, pour soutenir que dans le cadre d’une demande de protection internationale présentée par une personne ayant déjà le statut de bénéficiaire d’une telle protection dans un autre pays, l’Etat saisi de cette demande ne pourrait ni accueillir, ni refuser la demande au seul motif que la personne concernée posséderait un statut dans un autre pays. Ainsi, pour déterminer le risque de persécution encouru par un demandeur d’asile, le simple fait qu’il bénéficie déjà d’une protection internationale ne serait pas pertinent.

Il incomberait cependant à l’Etat saisi de la deuxième demande de protection internationale de la personne concernée de se renseigner auprès de l’Etat ayant accordé à celle-ci un statut de protection internationale sur les raisons de l’octroi dudit statut.

Il serait certes exact que le cas de l’espèce différerait de celui ayant donné lieu à cet arrêt de la CJUE, étant donné que ce ne seraient pas les enfants (A3) et (A4) qui seraient bénéficiaires d’une protection internationale, mais leurs parents.

Il n’en resterait pas moins qu’il se dégagerait d’un arrêt de la CJUE du 4 octobre 2018, Ahmedbekova contre Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite, C-652/16, que le fait qu’en l’espèce, deux membres de la famille immédiate des enfants (A3) et (A4) seraient exposés à des risques de subir des actes de persécution augmenterait le risque pour ces derniers de se trouver, eux-aussi, dans une situation vulnérable.

Les demandeurs demandent, dans ce contexte, de voir poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : « L’article 4 de la directive Qualification et l’article 33 de la directive Procédures, lus en combinaison avec les articles 18 et 24 de la Charte des droits fondamentaux et la jurisprudence C-652/16 Ahmedbkova, doivent-ils être interprétés en ce sens que la circonstance qu’un enfant demandeur de protection internationale a sa famille bénéficiaire de la protection internationale dans un autre Etat membre doit être prise en compte lors de l’examen au fond du risque de persécution, sinon du risque d’atteintes graves dans le pays d’origine : 1) pour écarter un risque de persécution sinon d’atteintes graves au motif que l’enfant ne retournera pas dans son pays d’origine 2) pour étayer le risque de persécution sinon d’atteintes graves dans le chef de l’enfant? ».

S’agissant du statut de réfugié, les demandeurs citent des extraits d’un rapport du ministère des affaires étrangères néerlandais de décembre 2023, intitulé « General Country of 8 Origin Information Report on Eritrea », et soutiennent que les enfants (A3) et (A4) seraient des mineurs et des membres de famille de personnes ayant déserté le service militaire et quitté l’Erythrée de façon clandestine. Ils ajoutent qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, (A3) et (A4) seraient considérés comme des « returnees » et qu’ils présenteraient une vulnérabilité particulière en leur qualité d’enfants. De plus, l’absence de structures adéquates et la privation de soins pour les « returnees » et les enfants constitueraient une menace mortelle pour (A3) et (A4), qui, en tant que nourrissons, nécessiteraient des soins réguliers.

Les demandeurs reprochent, dans ce contexte, au ministre d’avoir fait une application contra legem des dispositions normatives pertinentes, dont notamment l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, en rejetant les demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) au motif que ceux-ci n’auraient jamais vécu en Erythrée, de sorte à ne jamais avoir été personnellement victimes d’actes de persécution. En effet, il se dégagerait de cette disposition légale que le vécu personnel du demandeur ne serait pas déterminant à lui seul pour apprécier le bien-fondé de sa demande tendant à l’octroi du statut de réfugié.

Etant donné que dans leur pays d’origine, les enfants (A3) et (A4) risqueraient de subir des actes d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution en raison de leur appartenance à deux groupes sociaux, à savoir les membres de famille de déserteurs et les « returnees », il y aurait lieu, par réformation de la décision déférée, de leur accorder le statut de réfugié.

Par ailleurs, les demandeurs soutiennent, en substance, que pour les mêmes motifs que ceux développés à l’appui de leur demande tendant à l’octroi, aux enfants (A3) et (A4), du statut de réfugié, ces derniers rempliraient les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, alors que dans leur pays d’origine, ils seraient exposés à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans ce contexte, les demandeurs insistent sur le fait qu’au cours de leurs auditions respectives, ils auraient expliqué qu’en Erythrée, leurs enfants risqueraient d’être emprisonnés. Or, l’emprisonnent d’un nourrisson serait indéniablement un traitement contraire à sa dignité humaine, les demandeurs soulignant que dans leur pays d’origine, les conditions de vie dans les prisons seraient désastreuses et que les prisonniers seraient régulièrement torturés.

A l’appui de leur recours dirigé à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs soulèvent un moyen tiré de la violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, au sens des articles 3 de la CIDE, 24 de la Charte et 15 de la Constitution.

A cet égard, ils font valoir que l’ordre de quitter le territoire condamnerait les enfants (A3) et (A4) à vivre dans une situation d’insécurité juridique la plus totale, alors qu’ils ne posséderaient aucun droit de séjour dans un pays autre que l’Erythrée. Ainsi, ils ne seraient pas susceptibles d’être éloignés vers la Grèce, alors que ce pays, qui ne leur aurait accordé aucun droit de séjour et n’aurait formulé aucun accord de réadmission en leur faveur, ne serait nullement responsable d’eux.

Par ailleurs, les demandeurs soutiennent, en substance, que dans la mesure où la décision ministérielle du 20 mars 2025 ayant déclaré irrecevables les demandes de protection internationale des époux (A) ne contiendrait aucun ordre de quitter le territoire, l’ordre de quitter le territoire formulé à l’encontre des enfants (A3) et (A4) serait susceptible d’entraîner leur séparation de leurs parents, de sorte à méconnaître leur intérêt supérieur.

9 Les demandeurs font encore plaider que l’ordre de quitter le territoire litigieux violerait les articles 1er et 4 de la Charte, en raison de défaillances systémiques en Grèce.

En se prévalant d’un rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (« OSAR ») du 10 octobre 2024, intitulé « La Grèce en tant qu’« Etat tiers sûr » », ils font valoir qu’en tant que bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce, ils ne pourraient effectuer les démarches nécessaires afin d’obtenir une couverture médicale et sociale adéquate pour eux-mêmes et leurs enfants, alors que le système social grec serait conçu de sorte à écarter les personnes sans-abri et bénéficiaires d’une protection internationale de son champ d’application.

Ils ajoutent que les enfants (A3) et (A4) ne disposeraient pas d’un droit de séjour en Grèce, de sorte qu’ils ne posséderaient pas d’une autorisation de séjour « ADET » leur permettant d’obtenir un numéro de sécurité sociale et qu’ils seraient, dès lors, de facto et de jure exclus de toute prestation sociale et de toute couverture médicale. Même si (A3) et (A4) avaient un droit de séjour en Grèce, ils n’auraient pas non plus accès aux prestations sociales et médicales, étant donné que leurs parents n’auraient ni une adresse officielle, ni un passeport, ni un numéro d’identification sociale, ni un contrat de bail, ni une adresse de correspondance.

Dans ce contexte, les demandeurs soulignent que le Comité Européen des Droits Sociaux aurait condamné la Grèce pour violation des droits sociaux des enfants migrants, demandeurs ou bénéficiaires d’une protection internationale, en ce qui concerne, notamment, leur accès aux soins médicaux, au logement et à l’éducation.

En conclusion, les demandeurs soutiennent qu’en Grèce, les enfants (A3) et (A4) seraient exposés à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, de sorte que l’ordre de quitter le territoire litigieux devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Il estime que contrairement à ce que soutiendraient les demandeurs, ce serait à juste titre que le ministre aurait statué sur les demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée, alors que les époux (A) n’auraient soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si leurs enfants remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, ce qui serait encore confirmé par les développements figurant dans la requête introductive d’instance.

Le représentant étatique soutient, par ailleurs, que ce serait à tort que les demandeurs concluraient à une violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’ils n’auraient pas été mis en mesure d’expliquer d’éventuelles lacunes ou contradictions dans leurs récits. En effet, lors de leurs auditions respectives, les époux (A) auraient eu l’occasion de développer les motifs gisant à la base des demandes de protection internationale de leurs enfants de manière aussi détaillée que possible et, à la fin des entretiens menés, l’agent ministériel en charge de leurs auditions leur aurait même encore précisément demandé s’ils désiraient « […] ajouter quelque chose, sur n’importe quel sujet, qu’on aurait omis ou négligé de vous demander ? […] », question à laquelle les intéressés auraient répondu par la négative. Ainsi, les demandeurs seraient malvenus de critiquer le travail dudit agent et les questions posées par ce dernier, alors qu’il aurait appartenu aux époux (A) de détailler plus amplement les motifs gisant à la base de la demande d’asile des enfants (A3) et (A4), respectivement à leur litismandataire de poser des questions pertinentes en cas de besoin. En se prévalant d’un arrêt de la Cour administrative du 18 janvier 2022, portant le numéro 46644C du rôle, le représentant étatique 10 conclut que le moyen tiré de la violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 devrait encourir le rejet, tout en soulignant que contrairement à l’argumentation des demandeurs, l’agent ministériel ayant procédé à leurs auditions aurait respecté tant les dispositions pertinentes de la loi du 18 décembre 2015 que les recommandations découlant du susdit document initulé « EASO Practical Guide : Personal interview ».

S’agissant du statut de réfugié, le délégué du gouvernement fait valoir que ce serait à bon droit que le ministre aurait retenu que les enfants (A3) et (A4) ne rempliraient pas les critères d’octroi de ce statut. A cet égard, il reprend l’argumentation développée sur ce point dans la décision ministérielle déférée, citée in extenso ci-avant.

Il réfute dans ce contexte l’argumentation des demandeurs selon laquelle les enfants (A3) et (A4) encourraient, en Erythrée, un risque réel de subir des actes de persécution en raison de leur appartenance au groupe social des membres de famille de déserteurs et à celui des « returnees ». A cet égard, il soutient, en substance, qu’il ne serait pas établi que les craintes invoquées par les demandeurs seraient rattachables à l’appartenance des enfants (A3) et (A4) à un groupe social répondant à la définition de la notion afférente, telle qu’inscrite à l’article 43 (1) d) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, il ne serait pas établi que ces derniers appartiendraient à un groupe social ayant une identité innée et immuable, ni qu’ils seraient perçus comme étant différents par la société environnante.

De même, le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’argumentation des demandeurs ayant trait à une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, au motif qu’en cas de décès des parents des enfants (A3) et (A4) avant leur majorité ou en cas de placement, ces derniers pourraient être éloignés vers l’Erythrée. A cet égard, il soutient que l’argumentation en question serait purement hypothétique et que dans la mesure où les époux (A) seraient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce, il serait évident qu’ils pourraient régulariser la situation de leurs enfants afin qu’ils soient également protégés. Il ajoute qu’un éventuel décès des parents ou un hypothétique placement des enfants n’entraîneraient pas automatiquement l’éloignement de ces derniers vers leur pays d’origine. Par ailleurs, le choix des époux (A) de ne pas attendre la fin de la grossesse de la demanderesse en Grèce et de venir au Luxembourg quelques jours seulement après avoir reçu leurs titres de voyage grecs constituerait une démarche délibérée effectuée dans l’unique but de choisir un pays qu’ils considéreraient comme offrant de meilleures conditions économiques, ce qui ressortirait de leurs propres déclarations. Or, une telle attitude ne saurait être acceptée, car elle relèverait du « forum shopping ».

En tout état de cause, l’intérêt supérieur des enfants (A3) et (A4) aurait bien été respecté par le ministre, étant donné qu’il ne serait nullement question de séparer ceux-ci de leurs parents, ni de les éloigner en Erythrée. Il serait, en effet, dans l’intérêt supérieur des enfants de vivre ensemble avec leurs parents dans un Etat où leur situation administrative pourrait être régularisée.

Ainsi, ce serait à juste titre que le ministre aurait refusé d’accorder aux enfants (A3) et (A4) le statut de réfugié.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement réitère l’argumentation ayant conduit le ministre à refuser d’accorder ce statut aux enfants des époux (A), telle que figurant dans la décision ministérielle déférée, citée in extenso ci-avant.

11 Le représentant étatique ajoute que dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs n’auraient fourni aucun élément concret pour étayer leur argumentation ayant trait à l’existence, dans le chef des enfants (A3) et (A4), d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en Erythrée, tout en insistant sur le fait qu’un tel risque n’existerait pas en l’espèce, étant donné que les enfants ne seraient pas éloignés vers l’Erythrée, puisque leurs parents bénéficieraient d’une protection internationale en Grèce.

Les demandeurs ne sauraient, dès lors, valablement prétendre à l’octroi, aux enfants (A3) et (A4), du statut conféré par la protection subsidiaire.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le ministre aurait valablement pu statuer sur les demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée et refuser de faire droit aux demandes en question.

Quant au volet du recours visant l’ordre de quitter le territoire, le délégué du gouvernement soutient qu’aucun reproche ne pourrait être fait au ministre pour avoir assorti sa décision de refus d’octroi d’une protection internationale d’un tel ordre de quitter le territoire, étant donné que pareil ordre découlerait directement de ce refus.

Cette conclusion ne serait pas énervée par l’argumentation des demandeurs ayant trait à une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, au sens des articles 3 de la CIDE, 24 de la Charte et 15 de la Constitution.

En effet, le 20 mars 2025, le ministre aurait pris deux décisions, à savoir, d’une part, une décision d’irrecevabilité des demandes de protection internationale des époux (A) et, d’autre part, une décision de refus des demandes de protection internationale des enfants de ces derniers, de sorte que si la décision déférée était confirmée, la famille (A) aurait vocation à quitter ensemble le territoire luxembourgeois. Ainsi, les enfants ne seraient jamais séparés de leurs parents, le représentant étatique rappelant, dans ce contexte, d’une part, que la décision d’irrecevabilité prise à l’égard des parents ne serait assortie d’aucun ordre de quitter le territoire et, d’autre part, que les enfants n’auraient pas vocation à quitter le territoire avant que la décision déférée ne soit coulée en force de chose décidée. Il ajoute qu’à ce stade, aucune décision de départ ne serait prise à l’égard des époux (A), tel que ce serait confirmé par un échange de courriels versé à l’appui du mémoire en réponse étatique.

Par ailleurs, le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré de la violation des articles 1er et 4 de la Charte, au motif de l’existence, en Grèce, de défaillances systémiques concernant, notamment, l’accès aux prestations sociales et à une couverture médicale.

A cet égard, il fait valoir que compte tenu du principe de l’unité familiale, il irait de soi qu’en leur qualité de bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce, les époux (A) y pourraient entreprendre les démarches nécessaires en vue de la régularisation de la situation de leurs enfants. Les époux (A) auraient déjà pu procéder à cette régularisation, s’ils étaient restés en Grèce et y avaient introduit des demandes de protection internationale au nom de leurs enfants à la suite de la naissance de ces derniers, respectivement avaient fait les démarches nécessaires en vue d’une telle régularisation.

Quant aux défaillances systémiques invoquées par les demandeurs, le délégué du gouvernement soutient qu’il ressortirait des recherches effectuées par la partie étatique que les autorités grecques émettraient en général une décision de délivrance d’une carte de séjour en 12 même temps que la décision relative à l’octroi d’une protection internationale. En l’espèce, les demandeurs se seraient chacun vu accorder un titre de séjour grec dès le 27 septembre 2024.

Ainsi, ils auraient pu bénéficier d’un accès aux soins médicaux en Grèce, ainsi que cela ressortirait du « Guide d’information pour les bénéficiaires de la protection internationale » établi par les autorités grecques.

Par ailleurs, le délégué du gouvernement explique que les autorités grecques proposeraient plusieurs options dans le cas de figure où le bénéficiaire d’une protection internationale ne disposerait pas formellement d’un logement personnel, afin qu’il puisse accéder à une protection sociale.

Il ajoute qu’en résumé, un bénéficiaire d’une protection internationale en Grèce disposerait en règle générale d’un délai d’un mois à compter de la délivrance de son titre de séjour pour convertir son numéro provisoire d’assurance et de soins de santé du ressortissant étranger (« PAAYPA ») en un numéro de sécurité sociale (« AMKA ») et qu’à cette fin, il devrait obligatoirement détenir une adresse de correspondance, voire un logement personnel.

Si les époux (A) avaient fait les démarches nécessaires en Grèce, au lieu de se rendre au Luxembourg dès l’octroi de leurs titres de séjour et de voyage, ils auraient parfaitement pu obtenir tous les documents nécessaires pour accéder aux soins médicaux. Il en irait de même pour leurs enfants, qui n’auraient pas encore été nés au moment du départ de leurs parents de la Grèce. Il serait, dès lors, impossible de soutenir que les enfants (A3) et (A4) ne pourraient bénéficier de soins médicaux en Grèce.

En se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 3 août 2020, portant le numéro 44233 du rôle, de même que d’une communication de la Commission européenne du 4 avril 2025 ayant conclu à l’absence de défaillances systémiques en Grèce, le délégué du gouvernement soutient que ce serait à juste titre que le ministre aurait assorti sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire.

Appréciation du soussigné Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant 13 toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des trois décisions déférées, à savoir (i) celle d’analyser la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) celle refusant l’octroi d’une protection internationale et (iii) celle portant ordre de quitter le territoire, sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé quant à l’un des volets visant l’une des prédites décisions, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion étant le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Par ailleurs, le soussigné précise qu’il découle de ce qui précède qu’en principe, dès que le rejet de l’un des moyens soulevés par le demandeur ne s’impose pas de manière évidente, le recours ne peut être considéré comme étant manifestement infondé et l’affaire doit être renvoyée devant une composition collégiale du tribunal administratif pour y statuer.

En l’espèce, s’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur les demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si les demandeurs, agissant au nom de leurs enfants, n’ont soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si ces derniers remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui 14 ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 391 et 402 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses 1 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

2 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 15 envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

En l’espèce, les demandeurs contestent le postulat de la décision déférée selon lequel ils n’auraient soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si les enfants (A3) et (A4) remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Or, à cet égard, le soussigné retient que l’argumentation des demandeurs faisant valoir, en substance, une erreur d’appréciation du ministre quant aux risques encourus par les enfants (A3) et (A4), eu égard, notamment, à la situation générale régnant dans leur pays d’origine, à leur âge et au fait, d’une part, que leur père aurait déserté le service militaire obligatoire et, d’autre part, que leurs parents auraient quitté l’Erythrée de manière illégale, ne saurait, à ce stade, être considérée comme étant manifestement infondée, alors qu’elle nécessite un examen plus poussé dépassant le cadre de l’analyse du soussigné, sans que cette conclusion puisse évidemment impliquer, tel qu’il a été relevé ci-avant, que le recours dirigé contre les décisions ministérielles, précitées, soit fondé, décision appartenant, le cas échéant, à la formation collégiale statuant sur renvoi.

Au vu de ces considérations, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale du tribunal administratif pour y statuer, sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant.

Par ces motifs, le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 mars 2025 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

dit que ledit recours n’est pas manifestement infondé et renvoie l’affaire devant la première chambre du tribunal administratif siégeant en formation collégiale pour y statuer ;

fixe l’affaire pour plaidoiries à l’audience publique de la première chambre du 14 mai 2025, à 15.00 heures ;

réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 avril 2025 par le soussigné, Daniel WEBER, vice-président au tribunal administratif, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52673
Date de la décision : 28/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-28;52673 ?

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