Tribunal administratif N° 52745 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52745 Inscrit le 23 avril 2025 Audience publique du 14 mai 2025 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par la société à responsabilité limitée simplifiée (A), …, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg en matière de cabaretage
_________________________________________________________________________
ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 52745 du rôle et déposée le 23 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée VILRET & PARTNERS S.AR.L., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Karine VILRET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée simplifiée (A), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, à savoir l’instauration d’un sursis à exécution et l’obtention d’une autorisation par rapport à une décision du Bourgmestre de la Ville de Luxembourg du 4 avril 2025 portant retrait de l’autorisation de nuits blanches lui accordée à titre probatoire pour tous les vendredis et samedis jusqu’à 6h00 du matin par décision du 6 janvier 2025, valable jusque fin juillet 2025, jusqu’à ce qu’une décision soit intervenue sur le mérite du recours en annulation dirigé contre la prédite décision, introduit le même jour et inscrit sous le numéro 52744 du rôle ;
Vu l’avis urgent adressé le 30 avril 2025 par le greffe du tribunal administratif à Maître Karine VILRET l’invitant à communiquer les exploits de signification des requêtes au fond et en référé ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Christine KOVELTER, demeurant à Luxembourg, du 30 avril 2025, portant signification de ladite requête en institution d’une mesure provisoire à l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Thibault CHEVRIER du 2 mai 2025, constitué pour la Ville de Luxembourg ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;
Maître Nicolas MELMER, en remplacement de Maître Karine VILRET, pour la requérante, ainsi que Maître Thibault CHEVRIER, pour la Ville de Luxembourg, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2025.
___________________________________________________________________________
Il résulte du dossier administratif que la société à responsabilité limitée simplifiée (A), exploitant actuellement l’établissement (B), anciennement (C), à …, se vit accorder par le bourgmestre de la Ville de Luxembourg en date du 6 janvier 2025 une autorisation de nuits blanches libellée comme suit :
« J’ai l’honneur de revenir à votre demande supplémentaire visant à prolonger les nuits blanches déjà accordées des vendredis et samedis jusqu’à 6.00 heures du matin et de rajouter les jours des mercredi et jeudi jusque 3.00 heures du matin, en faveur de l’établissement « (C) » sis … à ….
Le Centre-Ville est peuplé par un certain nombre d’établissements bénéficiant de nuits blanches les vendredis et samedis. Afin de préserver l’homogénéité et afin de ne pas créer de précédent qui aurait des suites néfastes pour le quartier, je ne me vois pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande pour des nuits blanches pour tous les mercredis et jeudis jusque 3.00 heures du matin.
En ce qui concerne une prolongation des nuits blanches déjà existantes jusque 6.00 heures du matin, j’ai l’honneur de vous informer qu’en application de l’article 17 de la loi modifiée du 29 juin 1989 portant réforme du régime des cabarets et du règlement communal concernant l’octroi d’autorisation individuelles de proroger les heures d’ouvertures des débits de boissons non-alcooliques actuellement en vigueur, je vous autorise, à partir du 1er février 2024, à tenir ouvert, jusqu’à 6.00 heures du matin tous les vendredis et samedis l’établissement que vous exploitez au …, sous la dénomination « (C) », ceci pour une période probatoire de six (6) mois jusque fin juillet 2025, à la fin de laquelle une nouvelle enquête sera menée afin de déterminer la suite du dossier.
Je vous prie de noter que la présente autorisation est essentiellement précaire et qu’elle peut être retirée à tout moment sans préjudice des peines prévues et sans pouvoir donner lieu à indemnité, lorsque les conditions de son octroi ne sont plus données si des fraudes concernant son utilisation ont été constatées ou si l’heure d’ouverture n’est pas respectée. Elle est strictement personnelle et se limite au local habituel du débit. Une nouvelle demande devra notamment être présentée en cas de changement du débitant.
Il est primordial que la prolongation de l’heure de fermeture de votre établissement ne cause ni des troubles â l’ordre et la tranquillité publics ni des inconvénients intolérables pour le voisinage.
Vous voudrez donc veiller à ce que ni vous ni vos clients ne dérangent le repos nocturne des voisins par du bruit excessif, ceci tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’établissement, en prenant toutes les précautions nécessaires à cet effet.
Il est dans votre propre intérêt de rendre vos clients attentifs au fait que l’heure normale d’ouverture est fixée à 1.00 heure du matin et de respecter à la lettre la législation en vigueur.
En outre, l’affichage de l’autorisation doit se faire en bonne et due forme, à savoir :
-
L’autorisation doit être affichée à un endroit nettement visible et lisible de l’extérieur. Elle doit donc être collée à l’intérieur d’une fenêtre ou d’une porte vitrée donnant sur l’extérieur afin de permettre aux organes de contrôle de vérifier que vous détenez une « autorisation de nuit blanche » et d’informer le public que vous êtes autorisé à tenir ouvert votre établissement jusqu’à 6.00 heures du matin.
-
A cet effet, la partie supérieure de l’autorisation (celle où figurent les dates en caractères gras) est arrachée en suivant la perforation. La partie inférieure faisant état de facture constitue la pièce destinée à votre comptabilité.
Sauf indication que votre établissement ne remplisse plus les conditions requises pour l’octroi d’autorisation de nuits blanches, la présente est sujette à reconduction mensuelle tacite.
Au cas où vous ne souhaitiez plus bénéficier des autorisations de nuits blanches pour votre établissement, vous êtes priés de communiquer votre annulation par écrit au service au Secrétariat général de la Ville de Luxembourg, soit par courrier, courriel ou télécopie avant la fin du mois (coordonnées en bas de page d’entête).
Je me permets de rappeler que la limite du niveau sonore maximum émis par la musique ne peut dépasser 90 dB et de conseiller l’installation d’un limiteur de décibels réglé conformément aux normes requises par les lois et règlements en vigueur.
En tout état de cause, lors du fonctionnement d’amplificateurs de sonorisation, il est indispensable que les portes et fenêtres restent fermées. Par ailleurs, aucune musique ne peut être propagée à l’extérieur de l’établissement.
Etant donné que l’établissement dispose d’une autorisation d’exploitation, il vous appartient de respecter scrupuleusement les conditions qui y sont fixées.
Toutefois, il s’avère que deux pièces au deuxième étage servent de fumoir, sans que vous ne disposiez d’une autorisation d’exploitation expresse. Ainsi, afin de vous conformer à la réglementation en la matière, je vous invite à solliciter une telle autorisation auprès ministère de la santé.
Sans cette autorisation, les pièces en question ne peuvent être exploitées en tant que fumoirs, et le non-respect est susceptible de suites légales.
Dès le 27 janvier 2025, vos titres d’« autorisation de nuit blanche » seront disponibles dans les locaux du Bierger-Center, sis à Luxembourg, 44, Place Guillaume H, dont les guichets sont ouverts du lundi au vendredi de 8.00 à 17.00 heures. Pour tout renseignement complémentaire, je vous prie de bien vouloir contacter le tél. 4796-2675.
La présente vous est délivrée sous condition du strict respect des articles du règlement général de police de la Ville de Luxembourg. […] » Par courrier du 4 avril 2024, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg s’adressa à la société à responsabilité limitée simplifiée (A) en les termes suivants :
« Je m’adresse à vous au sujet de l’établissement « (B) » que vous exploitez au … à ….
Lors de vos demandes initiales portant autorisation de nuits blanches, vous indiquiez qu’il s’agit d’un établissement du genre « Disco ». Sur demande, votre associée avait confirmé, oralement, qu’il n’y aurait pas d’autres activités.
En juin 2024, un article du Luxemburger Wort annonçait l’aménagement de fumoirs (qui n’avaient jamais été autorisés), d’une salle de jeux, et de « Table dance » à l’américaine dans l’établissement. Confronté à cette nouvelle information, il a de nouveau été oralement indiqué qu’il n’y aurait pas de telles activités dans l’établissement concerné.
Sur base de ces informations, je vous ai accordé à titre probatoire une autorisation de nuits blanches jusqu’à 6.00 heures du matin pour tous les vendredis et samedis, ce à partir du 1er février 2025.
Or, il ressort des informations dont je dispose actuellement que l’établissement se propose de se convertir en Bar à Champagne / Strip Club, proposant des chambres de logement.
Avant tout progrès en cause, je me permets de rappeler la loi du 20 décembre 2019 relative aux critères de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’habitabilité des logements et chambres donnés en location ou mis à disposition à des fins d’habitation qui dispose dans son article 3 que :
Art. 3. Tout propriétaire ou exploitant qui donne en location ou met à disposition une ou plusieurs chambres est tenu de les déclarer préalablement au bourgmestre de la commune en indiquant le nombre maximum de personnes pouvant y être logées et en joignant à la déclaration un plan des locaux.
L’infraction à cette disposition est punissable d’une amende de 251 à 125 000 Euros et d’une peine emprisonnement de huit jours à cinq ans, ou d’une de ces peines seulement.
Je vous donne par ailleurs à considérer que l’exploitation autorisée pour l’établissement « (B) » suivant arrêté du 21 juin 2013, est exclusivement celle d’un restaurant avec lounge-bar et ne contient aucune disposition relative à une autre exploitation. L’article 2.1 de ladite autorisation d’exploitation retient en outre qu’il est interdit à l’exploitant de donner une extension à son établissement, d’y apporter une modification de nature à en augmenter les inconvénients ou les risques d’exploitation ou encore d’en changer l’affectation avant d’en avoir obtenu préalablement l’autorisation requise par la législation en vigueur, en particulier si une autorisation de bâtir est requise.
Vous êtes partant sommé de respecter scrupuleusement les conditions qui sont fixées dans la prédite autorisation d’établissement.
Je me permets également de vous rappeler l’article 17 (3) de la loi du 12 juillet 2002 modifiant les articles 17 et 19 de la loi du 29 juin 1989 portant réforme du régime des cabarets qui dispose que :
Peuvent être accordées, sur demande, par le bourgmestre, des dérogations individuelles prorogeant les heures d’ouverture jusqu’à six heures du matin, aux établissements remplissant les conditions suivantes :
[…] c) il ne doit résulter aucun trouble à la tranquillité publique ou des inconvénients intolérables pour les habitants des environs de l’établissement, en relation directe avec l’exploitation de l’établissement en question.
Dans ce contexte, je tiens à souligner que l’activité projetée, en plus de ne pas être appropriée pour le Centre-Ville, est susceptible de causer des troubles de voisinage importants.
Concernant l’autorisation de nuits blanches, je rappelle que cette dernière est essentiellement précaire et qu’elle peut être retirée à tout moment sans préjudice des peines prévues et sans pouvoir donner lieu à indemnité, lorsque les conditions de son octroi ne sont plus données si des fraudes concernant son utilisation ont été constatées ou si l’heure d’ouverture n’est pas respectée, ce conformément à l’article 9 du Règlement municipal concernant l’octroi d’autorisations individuelles de proroger les heures d’ouverture des débits de boissons alcooliques.
Ainsi, au vu des considérants qui précèdent, je vous informe par la présente que les autorisations de nuits blanches déjà accordées sont retirées avec effet immédiat, ce jusqu’à régularisation de tous les points énumérés ci-avant. Il vous restera loisible d’introduire une nouvelle demande d’autorisation de nuits blanches qui sera sujette à la période d’instruction usuelle et évaluée selon les règles de l’art. […] ».
En date du 15 avril 2025, la société à responsabilité limitée simplifiée (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision de retrait.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2025, inscrite sous le numéro 52744 du rôle, la société à responsabilité limitée simplifiée (A) a encore introduit un recours en annulation contre la décision de retrait précitée.
Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 52745 du rôle, elle a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire, tendant notamment à voir surseoir à la décision déférée, le dispositif de cette requête, adressée à « Mesdames, Messieurs les Président et Juges composant le Tribunal Administratif de et à Luxembourg », étant libellé comme suit :
« PLAISE AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF déclarer le présent recours en sursis à exécution recevable en la forme, au fond le dire bien fondé et justifié, quant au sursis à exécution :
donner acte à (A) préqualifié(e), qu’elle exerce un recours en sursis à exécution à l’encontre de la Décision de Retrait de l’autorisation de nuits blanches du Bourgmestre de la Ville de Luxembourg du 4 avril 2025, dire le recours recevable et fondé, partant, sursis à l’exécution de la Décision de Retrait de l’autorisation de nuits blanches du Bourgmestre de la Ville de Luxembourg, autoriser les nuits blanches jusqu’à 06h00 du matin au bénéfice de (A) pour l’Établissement (B), en attendant que le Tribunal administratif se prononce au fond sur le mérite du recours formulé le même jour que la présente requête, condamner le Bourgmestre de la Ville de Luxembourg à payer une indemnité de 4000 EUR à (A) sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, étant donné qu’il est inéquitable de laisser à la charge de la requérante les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, alors qu’elle a été obligée de constituer avocat aux fins de faire valoir ses droits, mettre les dépens et charges à charge du Bourgmestre de la Ville de Luxembourg, sur base de l’article 32 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, réserver à (A) tous autres droits, dus, moyens et actions à faire valoir en temps et lieu utiles tel qu’en droit et devant qui il appartiendra ».
Après avoir rappelé les rétroactes du présent dossier et notamment le fait qu’elle aurait obtenu, en tant qu’exploitant de l’établissement (B) à …, en date du 6 janvier 2025, l’autorisation de nuits blanches des vendredi et samedi jusqu’à 6h00 et qu’elle aurait en conséquence acquis le 13 mars 2025 8 nuits blanches jusqu’à 6h00 du matin les vendredis et samedis et acquitté les taxes de cabaretage d’un montant de … euros pour le mois d’avril 2025, la société à responsabilité limitée simplifiée (A) relate que le bourgmestre de la Ville de Luxembourg aurait procédé au retrait de l’autorisation de nuits blanches en question en date du 4 avril 2025, de manière brutale et sans préavis, sans qu’elle n’en ait été préalablement informée qu’une quelconque manière.
Cette décision de retrait lui causerait un préjudice d’une extrême gravité, voire l’exposerait au risque de fermeture définitive à très court terme et au risque de faillite du fait de manifestations importantes confirmées pour les dates des 25, 26 et 30 avril 2025 ainsi que de plusieurs manifestations organisées au mois de mai 2025 qui ne pourraient non seulement pas être honorées si l’heure de fermeture de l’établissement devait être de 1h00 du matin, au lieu de 6h00 du matin tel que convenu précédemment, la société requérante donnant encore à considérer que le chiffre d’affaires d’un établissement comme le sien ne démarrerait que vers 24h00/1h00 du matin, de sorte que si l’autorisation d’exploiter ne devait aller au-delà d’1h00 du matin, elle ne bénéficierait de quasiment aucune chiffre d’affaires.
La société (A) est par ailleurs d’avis que les moyens invoqués à l’appui de son recours en annulation sont sérieux.
Dans ce contexte, elle conteste l’exactitude matérielle des faits qui lui sont reprochés, en estimant que ces reproches ne seraient étayés par aucune preuve et seraient dénués de toute pertinence, la société requérante estimant que la réalité et l’importance des troubles allégués par le bourgmestre seraient largement surévaluées, tout comme les faits sur lesquels le bourgmestre se serait basé ne seraient pas établis.
En droit, la société requérante s’empare d’abord des dispositions de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse ainsi que du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dont notamment les articles 8 et 9 pour soutenir, en substance, qu’il aurait appartenu au bourgmestre de l’informer de son intention de procéder à un retrait des nuits blanches antérieurement accordées sous différentes variantes et de lui permettre de prendre position : aussi, elle reproche au bourgmestre d’avoir fait abstraction de la procédure administrative non contentieuse en s’abstenant de lui donner la possibilité de faire valoir sa position et son argumentation, reproche qu’elle estime devoir entraîner l’annulation de la décision du 4 avril 2025 pour violation des formes destinées à protéger les intérêts prives.
Elle relève encore dans ce contexte une incohérence affectant la décision attaquée, laquelle lui offrirait certes la possibilité d’introduire une nouvelle demande d’autorisation de nuits blanches, conditionnée par la régularisation de reproches, sans toutefois que la décision de retrait ne fasse état d’une quelconque violation susceptible d’être régularisée, ni ne somme la société requérante de se mettre en conformité avec une quelconque loi, la décision de retrait du 4 avril 2025 se contentant d’évoquer des informations recueillies par la Ville de Luxembourg et des situations hypothétiques et futures, de sorte que ladite décision violerait encore l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dans la mesure où ladite décision ne ferait pas état d’une quelconque violation de la loi ou d’un quelconque trouble du voisinage.
A titre subsidiaire, elle fait plaider devant les juges du fond que le bourgmestre aurait commis une violation de la loi, telle que prévue par l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif en commettant une erreur manifeste d’appréciation, la société requérante relevant que le bourgmestre ne se serait fondé sur aucune preuve matérielle, mais uniquement sur des suppositions et des informations qui auraient été portées à sa connaissance, sans qu’aucun fait matériel n’ait été établi.
Elle conteste formellement avoir l’intention de se convertir en Bar à champagne / Strip Club et de proposer des chambres de logement, la société requérante ayant seulement l’intention de mettre des chambres à disposition de ses employés en cas de besoin, tout comme elle conteste l’existence de tout trouble de voisinages important ; elle explique encore que le projet d’installation de fumoirs aurait été abandonné.
La Ville de Luxembourg conclut à titre principal à l’irrecevabilité de la requête pour avoir été adressée à la composition collégiale du tribunal administratif et non au président, seul compétent pour accorder des mesures provisoires. Elle expose ensuite que l’octroi du sursis, respectivement de la mesure de sauvegarde telles que sollicitées par la société (A), constituerait une mesure définitive, non réversible, échappant dès lors à la compétence du juge du provisoire.
Enfin, elle conteste l’existence d’un préjudice grave et définitif, qui en tout état de cause ne serait pas établi, tout comme elle conteste l’existence de moyens sérieux, la Ville de Luxembourg exposant, en substance, qu’elle aurait pris connaissance de faits établissant avec certitude que la société (A). chercherait à engager des stripteaseuses dans un très court délai, de sorte qu’elle aurait décidé d’agir préventivement.
En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, tandis que le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance. Par ailleurs, une mesure de sauvegarde, prévue à l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, requiert, sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, les mêmes conditions tenant au sérieux des moyens et au risque d’un préjudice grave et définitif.
L’affaire au fond a été introduite le 23 avril 2025, de sorte que compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance Il convient en premier lieu de constater, tel que soulevé par le litsimandataire de la Ville de Luxembourg, qu’il se pose directement la question de la recevabilité même de la requête telle que libellée, question soulevée conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administrative, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », et débattue contradictoirement lors de l’audience publique de ce jour, le représentant de la société requérante s’étant à cet égard rapporté à prudence de justice.
En effet, force est de constater que cette requête tendant à l’obtention d’un sursis à exécution est adressée au tribunal siégeant en composition collégiale (« À Mesdames, Messieurs les Président et Juges composant le Tribunal Administratif de et à Luxembourg », « Plaise au tribunal administratif »), et non au président de ce même tribunal, alors que conformément à l’article 11, paragraphe (3), de la loi du 21 juin 1999, une demande de sursis à exécution est à présenter par requête distincte au président du tribunal qui a une compétence exclusive pour statuer sur lesdites demandes. Il s’ensuit qu’une demande de sursis adressée à la formation collégiale du tribunal administratif doit entraîner une décision d’incompétence de ce dernier1, sans qu’il n’existe de possibilité de renvoi devant le président du tribunal2.
La requête sous analyse en obtention de mesures provisoires ayant été adressée erronément dans son dispositif au tribunal administratif siégeant dans sa formation collégiale, ce dernier devrait se déclarer incompétent, tandis que le soussigné doit se considérer comme n’ayant pas été valablement saisi, ce qui entraine l’irrecevabilité de la requête3. En effet, s’agissant d’une question de saisine valable du tribunal compétent touchant à l’organisation juridictionnelle et relevant un caractère d’ordre public, les dispositions de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 sont inopérantes, en ce que la question de la saisine de la juridiction compétente n’est pas une simple question de forme, même substantielle. Conformément à l’enseignement de la Cour administrative4, le soussigné ne saurait passer dès lors outre à cette irrégularité, alors que cela « reviendrait à devoir cautionner à ce qu’une requête introductive puisse s’adresser à n’importe quelle juridiction, même en dehors de l’ordre administratif, que ce soit une justice de paix ou la Cour de cassation et en mentionnant cette juridiction incompétente en entrée et en introduction de son dispositif, sans aucunement citer la juridiction effectivement compétente, mais en dirigeant un recours […] contre une décision administrative individuelle pourvu que le dépôt ait été fait au bureau d’accueil commun aux juridictions administratives dont relève le tribunal administratif effectivement compétent. En d’autres termes, peu importerait la juridiction à laquelle on s’adresse d’après le libellé de la requête, seule suffirait l’analyse concrète du recours véhiculé. Pareille solution aboutirait tout simplement à pouvoir omettre à l’avenir l’indication de la juridiction compétente à laquelle la partie requérante entend s’adresser. Or, le minimum requis dans le chef d’une requête adressée à une juridiction est de voir mentionner la juridiction compétente que la partie requérante entend saisir »5.
1 Trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11595, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 608.
2 Trib. adm. 14 octobre 1999, n° 11574, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 607.
3 Cour adm. 16 mai 2024, n° 50168C 4 Idem.
5 Idem.
Il convient ensuite de relever, tel que soulevé par la Ville de Luxembourg, que la mesure de sauvegarde telle que sollicitée, à savoir « autoriser les nuits blanches jusqu'à 06h00 du matin au bénéfice de (A) pour l'Établissement (B), en attendant que le Tribunal administratif se prononce au fond sur le mérite du recours formulé le même jour que la présente requête », constitue une mesure définitive allant bien au-delà de l’objet de la décision, laquelle porte retrait d’autorisations de nuit blanches précaires accordées uniquement « pour une période probatoire de six (6) mois jusqu’à fin juillet 2025 », et non pas des mesures de sauvegarde, nécessairement provisoires, puisqu’il est demandé au juge du provisoire d’autoriser sans autre condition des nuits blanches jusqu'à 06h00 du matin et ce jusqu’à ce que les juges du fond aient statué, échéance se situant loin au-delà de la fin juillet 2025, de sorte qu’il est demandé au juge du provisoire non seulement d’accorder définitivement et irréversiblement des autorisations de nuit blanches, mais ce encore pour une durée dépassant de loin la durée de l’autorisation initiale.
Or, en ce qui concerne une demande de suspension, le président, à l’instar du président du tribunal civil, ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire qui établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond, le juge des référés devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-ci.
La même limite s’impose au président lorsqu’il est saisi d’une demande basée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, ledit article limitant explicitement la compétence du président à des mesures provisoires qui, prononcées à titre conservatoire, ne doivent préjuger en rien la décision au fond, mesures provisoires qui doivent nécessairement cesser leurs effets lorsque survient la décision des juges du fond.
Il convient ensuite de relever que si les pouvoirs du juge du provisoire en matière de mesures de sauvegarde sont certes larges, l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 prévoyant en effet à cet égard que le magistrat compétent peut « au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont un intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils », cette compétence est toutefois délimitée par la ou les décisions déférées aux juges du fond, le juge du provisoire ne pouvant ainsi pas ordonner de mesures allant au-delà du cadre tracé par ces décisions6, tout comme il ne saurait accorder de mesure provisoire allant largement au-delà de l’objet même de la demande et de la décision déférée7.
En conséquence, le juge des référés administratif ne peut prononcer aucune mesure présentant un caractère définitif.
La société requérante est partante à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire sans qu’il n’y ait lieu d’examiner davantage les questions de l’existence éventuelle de moyens sérieux avancés devant les juges du fond ainsi que de l’existence d’un préjudice grave et définitif.
6 Trib. adm. (prés.) 28 mai 2020, n° 44455.
7 Trib. adm (prés.) 23 avril 2021, n° 45803.
Il convient toutefois de souligner que la solution ci-avant retenue, encore qu’à première vue favorable à la Ville de Luxembourg, est la conséquence du fait que la requête tendant à l’obtention d’une mesure provisoire n’est pas recevable en l’espèce, et ne préjudicie dès lors pas de l’issue future du recours au fond, ni ne signifie, à ce stade, que les moyens de la requérante ne seraient pas suffisamment sérieux.
Dès lors, dans le seul but de conférer une réelle utilité au présent recours, alors que le fait de ne fournir aucune indication utile sur le sort probable des moyens est de nature à prolonger, éventuellement longuement, une incertitude juridique qui pouvait s’avérer finalement très préjudiciable en cas d’annulation, le soussigné procèdera néanmoins à une analyse sommaire des moyens de la société requérante.
A cet égard, il appert, au terme d’une analyse nécessairement superficielle, que certains des moyens de la société requérante sont de nature à mettre sérieusement en doute la légalité de la décision de retrait telle que déférée, et plus particulièrement le moyen de la société requérante relatif au non-respect de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, aux termes duquel « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir. Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations. Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne.
(…) ».
Ainsi, d’après l’article 9, alinéa 1er, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, hormis le cas de péril dans la demeure, l’autorité administrative est tenue d’observer les formalités préalables protectrices de l’administré y prévues dans l’hypothèse où elle se proposer de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision au sujet de laquelle le texte sous analyse précise qu’elle a créé ou reconnu des droits à une partie, les exigences mêmes de participation et de transparence à la base des règles de la procédure administrative non contentieuse impliquant que dans pareille hypothèse l’administré soit entendu, ne fût-ce que pour éviter des procédures inutiles basées le cas échéant sur des malentendus en fait ou en droit.
Force est d’abord de constater que le retrait des autorisations de nuit blanches accordées à la société requérante constitue à première vue sans conteste une révocation d’office pour l’avenir d’une décision ayant créé ou reconnu des droits, de sorte que les dispositions protectrices de l’administré contenues dans l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 peuvent être considérées, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, comme applicables en l’espèce.
Force est ensuite de constater, d’une part, que la Ville de Luxembourg, dans la décision déférée, n’a pas établi, ni même allégué qu’il y aurait eu « péril en la demeure » au sens du prédit article 9, c’est-à-dire lorsque la décision ne souffre aucun retard sans compromettre son but même, et, d’autre part, que le soussigné ne décèle en l’espèce pas de tel péril, la Ville de Luxembourg, au contraire, étant parti du postulat que la société (A) aurait l’intention seulement, en particulier, d’offrir à ses clients du striptease ou du table-dance, de sorte à avoir décidé d’agir « préventivement ».
Or, il résulte à cet égard de la jurisprudence de la Cour administrative8, prononcée dans un cas de figure similaire, que l’exception constituée par le « péril en la demeure » est d’interprétation stricte et est à comprendre comme l’hypothèse où « le moindre retardement peut causer un grand préjudice » ou encore « une situation spécifique dans laquelle il n’est pas permis de laisser s’écouler le temps, mais où il convient d’agir très rapidement en vue de rencontrer le péril donné » respectivement « lorsque la situation spécifique visée ne permet pas d’attendre l’expiration du délai d’au moins 8 jours en question, étant donné que le risque d’un grand préjudice en découlant se trouve donné avec une probabilité trop accrue ».
En l’espèce, concrètement, la Ville de Luxembourg se prévaut essentiellement de l’existence d’une vidéo publiée sur Instagram tournée dans les locaux de l’établissement (B) visant à recruter des « filles » pour un « club de strip » respectivement pour un nouveau « club bar à champagne et de strip » dans ces mêmes locaux, vidéo se terminant par l’annonce que « il n’y a que quatre places de disponible à partir du 14 avril ».
Il n’appert pas qu’une telle annonce ait exigé une réaction immédiate, consistant à procéder au retrait immédiat des autorisations de nuit blanche, et ce d’autant plus que l’offre éventuelle, même illégale car non autorisée, de prestations de table-dance ou de strip-tease plusieurs soirées de weekend de suite, puisse être considérée comme de nature à causer un péril ou un grand préjudice.
Il résulte encore de la jurisprudence précitée de la Cour administrative que dans l’évaluation de l’hypothèse du péril en la demeure, le juge saisi est non seulement amené à tenir compte du caractère exceptionnel en partant de l’interprétation stricte à donner y relativement, mais est encore appelé à opérer un contrôle de proportionnalité entre le risque de préjudice inhérent au péril invoqué, d’un côté, et l’écoulement nécessaire d’un certain laps de temps inhérent à la garantie de collaboration pour l’administré, de l’autre.
A cet égard, il résulte aux termes d’une analyse sommaire des éléments factuels en cause qu’une activité de table-dance ou de striptease n’était pas encore offerte par l’établissement (B) au jour de la décision déférée, à savoir le 4 avril 2025, mais n’aurait été qu’éventuellement envisagée, et ce vraisemblablement à partir du 14 avril 2025, aucun élément du dossier ne permettant par ailleurs de conclure que ces prestations aient d’ores et déjà été offertes par le club en question, circonstance d’ailleurs non soutenue par la Ville de Luxembourg.
Il n’appert dès lors pas de manière évidente qu’au jour de la décision déférée, à savoir le 4 avril 2025, la Ville de Luxembourg ait été obligée de procéder au retrait avec effet immédiat des autorisations de nuit banche litigieuses, étant donné qu’il lui aurait été loisible, avant l’échéance présomptive du 14 avril 2025, d’engager la collaboration et le dialogue imposés par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 avec la société requérante, en lui demandant de prendre position, et ce endéans le délai prévu, par rapport aux informations recueillies par la Ville de Luxembourg et les craintes en découlant, tout en informant la société requérante des conséquences d’une telle éventuelle activité non autorisée.
Dès lors, il apparait compte tenu de l’ensemble des éléments du dossier ayant existé à la date de la prise de la décision litigieuse que l’exception du péril en la demeure ne se trouvait pas vérifiée, de sorte les éléments actuellement soumis au soussigné indiquent en l’espèce un 8 Cour adm. 27 juin 2017, n° 39457C.
non-respect de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 par le bourgmestre dans le cadre de la prise de sa décision de retrait. Or, dans la mesure où tant la doctrine9 que la jurisprudence constante des juridictions administratives10 retiennent que l’inobservation de ces formalités substantielles entraîne l’illégalité de l’acte administratif et la sanctionne par l’annulation de ce dernier, le moyen de la société requérante relatif au non-respect de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 doit être considéré actuellement comme présentant de fortes chances de succès Cette conclusion devrait ainsi amener la Ville de Luxembourg, nonobstant l’absence de mesure provisoire, à reconsidérer rapidement sa décision, étant souligné qu’une annulation possible, voire probable, de la décision de retrait des autorisations de nuit blanche telle que déférée est de nature à entrainer la responsabilité civile de l’autorité ayant pris la décision en question.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention de mesures provisoires, laisse les frais et dépens à la société requérante.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2025 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier Shania Hames.
s. Shania Hames s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 9 J. Olinger, La procédure administrative non contentieuse, introduction et commentaire, 1992, p.85, n° 149.
10 Voir en particulier trib. adm. 14 mars 2007, n° 21755.