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16/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52832

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mai 2025, 52832


Tribunal administratif N° 52832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52832R Inscrit le 12 mai 2025 Audience publique du 16 mai 2025 Requête en institution de mesures provisoires introduite par Monsieur (A), … (…) contre une décision du ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur en matière de restrictions à l’admission sur le territoire des États membres

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 52832 du rôle et déposée le 12 mai 202

5 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit...

Tribunal administratif N° 52832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52832R Inscrit le 12 mai 2025 Audience publique du 16 mai 2025 Requête en institution de mesures provisoires introduite par Monsieur (A), … (…) contre une décision du ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur en matière de restrictions à l’admission sur le territoire des États membres

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 52832 du rôle et déposée le 12 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), de nationalité …, demeurant à … (…), tendant à voir ordonner des mesures provisoires, consistant principalement en l’instauration d’un sursis à exécution et subsidiairement en l’instauration de mesures de sauvegarde par rapport à une décision du ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur lui ayant refusé l’accès au territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour pouvoir assister le 20 mai 2025 à une audience devant le Tribunal de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire inscrite au numéro … du rôle, un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre la prédite décision ministérielle du 8 mai 2025, inscrit sous le numéro 52831, introduit également le 12 mai 2025, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 mai 2025 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu la note de plaidoiries déposée le 16 mai 2025 par Maître Patrick KINSCH, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Maître François MOYSE, assisté par Maître Laurent HEISTEN ainsi que par Maître Carsten ZATSCHLER, inscrit au barreau d’Irlande, pour le requérant, et Maître Patrick KINSCH, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Monsieur (A), bénéficiaire notamment d’un passeport …, figure depuis le 15 mars 2022 sur la liste des personnes sanctionnées de l’Annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, telle que modifiée en dernier lieu par la décision 2025/528/PESC du Conseil du 14 mars 2025.

Par arrêt du 20 décembre 2023, référencé …, le Tribunal de l’Union européenne rejeta un premier recours en annulation introduit par Monsieur (A) notamment à l’encontre de la décision 2014/145/PESC du Conseil du 17 mars 2014, telle qu’alors modifiée ; Monsieur (A) introduisit en date du 28 février 2024 un pourvoi à l’encontre de cet arrêt devant la Cour de Justice de l’Union européenne, pourvoi actuellement pendant sous le numéro … du rôle de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Suite au renouvellement des mesures restrictives prises à son encontre en septembre 2023 ainsi que par la suite, Monsieur (A) introduisit un second recours devant le Tribunal de l’Union européenne, actuellement pendant sous le numéro … du rôle et fixé à l’audience publique du Tribunal de l’Union européenne du 20 mai 2025, cette date ayant été communiquée à l’intéressé par information du greffier du Tribunal de l’Union européenne du 3 avril 2025.

Par courrier de ses mandataires du 11 avril 2025, Monsieur (A) a demandé au ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, ci-après le « ministre », une dérogation en vertu des articles 1er, paragraphe 6, et 1er, paragraphe 6 bis, de la décision 2014/145/PESC du Conseil afin de lui permettre d’assister à l’audience en question, demande qui fut réitérée par courrier du 23 avril 2025 adressé au ministre.

Par décision du 8 mai 2025, le ministre rejeta la prédite demande en les termes suivants :

« Nous faisons suite à la demande du 11 avril 2025 sollicitant une dérogation temporaire aux restrictions d’entrer le territoire du Grand-Duché de Luxembourg imposées à votre client, Monsieur (A), depuis son inscription le 15 mars 2022 en vertu de la décision (PESC) 2022/429 à la liste des personnes, entités et organismes figurant à l’annexe de la décision 2014/145/PESC, afin qu’il soit autorisé à se rendre au Luxembourg pour assister à l’audience relative à l’affaire …, A/Conseil de l’Union européenne, devant le Tribunal de l’Union européenne (ci-après le « Tribunal ») le 20 mai 2025, en application des paragraphes 6 et 6 bis de l’article 1er de la décision 2014/145/PESC.

À cet égard, il convient de noter que l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145/PESC dispose que :

« [l]es États membres peuvent déroger aux mesures imposées au paragraphe 1 lorsque le déplacement d’une personne se justifie pour des raisons humanitaires urgentes, ou lorsque la personne se déplace pour assister à des réunions intergouvernementales et à des réunions dont l’initiative a été prise par l’Union ou qu’elle accueille, ou à des réunions accueillies par un État membre assurant alors la présidence de l’OSCE, lorsqu’il y est mené un dialogue politique visant directement à promouvoir les objecte stratégiques des mesures restrictives, y compris le soutien à l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ».

Au demeurant, il convient de noter que l’article 1er, paragraphe 6 bis, de la décision 2014/145/PESC dispose que « [l]es États membres peuvent déroger aux mesures imposées au paragraphe 1 lorsque l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire est nécessaire aux fins d’une procédure judiciaire, y compris de procédures de remise et d’extradition ».

Après analyse de la demande du 11 avril 2025, le ministère des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de la Coopération et du Commerce extérieur ne saurait accorder la dérogation temporaire demandée pour permettre à votre client de participer à l’audience concernée.

Pour ce qui est de la dérogation visée à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145/PESC, force est de constater que ses critères ne sont pas remplis en l’espèce, de sorte qu’une décision discrétionnaire de la part du Luxembourg ne saurait être prise en considération, puisqu’il s’agit d’une audience de plaidoiries devant le Tribunal.

Pour ce qui est de la dérogation visée à l’article 1er, paragraphe 6 bis, de la décision 2014/145/PESC, il convient de constater que les critères applicables ne sont pas satisfaits dans le cas présent. Par conséquent, une telle décision discrétionnaire de la part du Luxembourg ne saurait être prise ou considérée, puisque la présence de votre client n’est pas nécessaire aux fins de la procédure orale devant le Tribunal. Cela ressort du règlement de procédure du Tribunal (ci-

après le « RdPT »). En effet, conformément aux dispositions du RdPT, l’intervention personnelle de votre client, à savoir de la partie elle-même, devant le Tribunal n’est pas formellement prévue.

De plus, votre client ne dispose pas non plus du droit de prendre la parole dans l’audience de plaidoiries dans l’affaire concernée.

L’article 51, paragraphe 1, RdPT impose la représentation obligatoire d’une partie par un agent ou un avocat. Seul le représentant de la partie est par ailleurs autorisé à prendre la parole pour plaider ou répondre aux questions du Tribunal, conformément à article 110, paragraphes 2 et 3, RdPT eu égard que « [l]es parties ne peuvent plaider que par l’intermédiaire de leur représentant » et que « [l]es membres de la formation de jugement ainsi que l’avocat général peuvent, au cours de l’audience de plaidoiries, poser des questions aux représentants des parties ».

Outre les raisons susmentionnées, il convient de noter, au sujet d’une éventuelle intervention de votre client lors de l’audience de plaidoiries concernée, qu’il ressort également de la comparaison avec l’article 110, paragraphe 4, de la RdPT qu’une intervention orale de votre client n’est non plus prévue dans le cadre du présent recours direct.

Étant donné que la demande du 11 avril 2025 invoque par ailleurs l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il convient de souligner que cet article n’est pas enfreint en l’espèce; étant donné que le droit de votre client à être entendu a manifestement été respecté par la convocation à l’audience de plaidoiries et que le RdPT prévoit la représentation des parties par la présence de leur représentant, garantissant ainsi le droit d’être entendu, le droit à la représentation et le droit à la défense.

Enfin, le fait que votre client dispose d’un passeport … ne saurait changer l’appréciation juridique eu égard que l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2014/145/PESC précise qu’« un État membre n’est pas tenu, aux termes du paragraphe 1, de refuser à ses propres ressortissants l’accès à son territoire ». Le Luxembourg n’étant pas l’État membre de nationalité, il ne dispose dès lors pas d’une telle marge d’appréciation et est tenu de refuser à votre client l’accès à son territoire.

Un recours contentieux contre la présente décision peut être introduit devant le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg. Ce recours doit être intenté par requête signée d’un avocat à la Cour dans les trois mois à compter de la notification de la présente. Dans le même délai, un recours gracieux peut être formé par écrit au ministère des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de la Coopération et du Commerce extérieur. Dans ce cas, le délai pour introduire le, recours contentieux est suspendu. Si dans les trois mois à compter de l’introduction du recours gracieux une nouvelle décision intervient ou si aucune décision n’intervient, un nouveau délai de trois mois pour introduire le recours contentieux devant le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg commence à courir. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2025, inscrite sous le numéro 52831 du rôle, Monsieur (A) a introduit un recours en réformation, sinon en annulation, dirigé contre la prédite décision ministérielle du 8 mai 2025, tandis que par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 52832, il sollicite l’obtention d’un sursis à exécution de la décision de refus du 8 mai 2025, et, subsidiairement, l’obtention de mesures de sauvegarde, le dispositif de ladite requête étant libellé comme suit :

« Recevoir le présent recours en la forme, au fond, le dire justifié, partant, à titre principal, ordonner la suspension, à tout le moins du 18 mai au 22 mai 2025, de la décision attaquée et ainsi de l’article 1, paragraphe 1, de la décision 2014/145/PESC au requérant, Partant, autoriser le requérant à accéder sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à tout le moins du 18 mai au 22 mai 2025, afin de pouvoir assister à l’audience du 20 mai 2025 devant le Tribunal de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire inscrite au numéro … du rôle, À toutes fins utiles, poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union européenne :

« L’article 1, paragraphe 1, de la décision 2014/145/PESC, en ce qu’il fait obligation aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes dont le nom est repris en son annexe, est-il invalide dans la mesure où, s’agissant de citoyens de l’Union européenne, cette disposition impose une restriction d’entrée et de passage en transit sur le territoire des États membres, sans se fonder sur le comportement personnel de la personne concernée, et ne contient aucune exception en ce qui concerne les personnes inscrites sur la liste figurant à l’annexe de cette décision sur le seul fondement du critère e), en raison d’une violation de l’article 45 de la Charte et de l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 1er de la Charte et de l’article 2 TUE?» « L’article 52, paragraphe 1, de la Charte et le principe de proportionnalité ainsi qu’entériné à l’article 5, paragraphe 4, TFUE, lu en combinaison avec l’article 27 de la directive 2004/38, doivent-ils être interprétés comme s’opposant à l’application de mesures restreignant l’entrée d’un citoyen de l’Union sur le territoire des États membres indépendamment du comportement personnel de la personne concernée et dans des circonstances où l’imposition de cette restriction ne paraît pas contribuer à la réalisation de l’objectif invoqué, à savoir d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que d’accroître le coût des actions de cette dernière ? ».

Subsidiairement, ordonner les mesures de sauvegarde suivantes :

Principalement, autoriser le requérant à accéder au territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à tout le moins du 18 mai au 22 mai 2025, afin de pouvoir assister le 20 mai 2025 à une audience devant le Tribunal de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire inscrite au numéro … du rôle ;

Subsidiairement, ordonner au Ministre des Affaires étrangères de se prononcer favorablement avant le 17 mai 2025 sur la demande du requérant quant à l’accès sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à tout le moins du 18 mai au 22 mai 2025, afin de pouvoir assister le 20 mai 2025 à une audience devant le Tribunal de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire inscrite au numéro … du rôle ».

Dans le cadre de l’exposé des faits et des rétroactes de l’affaire, Monsieur (A) explique son besoin d’accéder au territoire du Grand-Duché de Luxembourg par la nécessité d’obtenir la possibilité d’être présent et de donner des instructions à ses avocats pour réagir aux plaidoiries des autres parties ainsi qu’à des questions posées par les juges devant le Tribunal de l’Union européenne. En effet, au vu de la nature très spécifique de cette affaire et son parcours personnel du requérant, les débats porteraient sur un nombre d’éléments au sujet desquels il serait le mieux placé pour prendre position par rapport aux éléments de fait relevant des débats. Dans ces circonstances très particulières et compte tenu des possibilités limitées d’être entendu, il souhaiterait être physiquement présent à cette audience afin d’exercer correctement ses droits de défense tels que garantis par les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, droit qui comprendrait non seulement le droit de participer à l’audience et d’entendre les arguments échangés à son sujet par les différentes parties, mais aussi celui de pouvoir encadrer et renseigner en personne son équipe juridique concernant les questions factuelles qui pourraient se poser lors de l’audience dans le cadre des nombreuses questions traditionnellement posées par les juges, questions qui seraient imprévisibles, que l’on ne pourrait pas préparer à l’avance et auxquelles il ne pourrait donc pas être fournis de réponse avant l’audience, tandis qu’il serait encore essentiel qu’il puisse préparer l’audience avec ses avocats la veille et le jour même, en personne et en toute confidentialité en vertu de la relation avocat-client et du secret professionnel reconnus par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Après ces rétroactes, Monsieur (A) donne à considérer que l’exécution de la décision déférée du ministre du 8 mai 2025 risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, puisque s’il ne pouvait pas accéder au territoire luxembourgeois, il ne pourrait pas assister à l’audience du 20 mai 2025 et ainsi défendre adéquatement sa cause devant le Tribunal de l’Union européenne.

Le requérant estime en effet que la décision attaquée entraînerait une perte irréversible d’opportunités pour défendre sa cause, et ce d’autant plus que les juges du Tribunal de l’Union européenne iraient très certainement poser des questions sur ses activités professionnelles et sa vie privée, le requérant affirmant qu’il serait la seule personne pouvant adéquatement répondre à ces questions lors de l’audience du 20 mai 2025.

Monsieur (A) fait ensuite valoir par rapport à la requête introduite devant les juges du fond que ses moyens y soulevés seraient sérieux en ce qu’ils seraient susceptibles d’entraîner l’annulation de la décision ministérielle contestée. En effet, la décision attaquée violerait ses droits fondamentaux, dans la mesure où il se serait vu, de manière arbitraire, privé de son droit d’accéder au territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il ne pourrait pas assister à l’audience du 20 mai 2025.

Il rappelle à ce propos être citoyen de l’Union européenne, mais que son droit de libre circulation serait limité par la décision 2014/145/PESC, sans que cette restriction ne soit fondée sur son comportement personnel, et ce alors que la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ainsi que la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, garantiraient pourtant, sous certaines conditions, le droit des citoyens de l’Union de circuler librement.

Le requérant reproche dès lors à la décision 2014/145/PESC d’imposer des restrictions d’accès et de circulation au sein de l’Union européenne pour les individus désignés, même s’ils sont citoyens de l’Union, ce qui serait contraire à l’article 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») et à l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte »), garantissent la liberté de circulation des citoyens de l’Union, sous réserve des limitations prévues par les traités, ces restrictions devant être fondées sur des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, et être proportionnées, tout comme elles devraient être basées sur le comportement personnel de l’individu, représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave.

Le requérant critique dès lors la décision 2014/145/PESC pour ne pas prendre en compte son comportement personnel, ce qui constituerait une violation des articles 21 TFUE et 45 de la Charte, de sorte que l’article 1er, paragraphe 1 de la décision 2014/145/PESC devrait être écarté.

Il critique ensuite la décision 2014/145/PESC pour violer encore le principe de proportionnalité, qui exigerait que les mesures prises, limitant le droit à la libre circulation des citoyens de l’Union européenne, ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes.

Le requérant invite à cet égard le tribunal administratif, siégeant au fond, s’il devait conserver le moindre doute quant à la protection prévue par ces dispositions et leurs effets dans le cas sous examen, de procéder par renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l’Union européenne.

Le requérant, en troisième lieu, considère que la décision ministérielle de refus violerait les articles 2 et 3 du Protocole n°4 à la CEDH, d’une part, garantissant le droit de libre circulation et, d’autre part, interdisant l’expulsion des nationaux.

Enfin, le refus ministériel de l’autoriser à accéder au territoire luxembourgeois pour assister à une audience constituerait une violation de son droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 de la CEDH et l’article 47 de la Charte, droit qui impliquerait la possibilité d’assister à une audience.

Le représentant de l’Etat, pour sa part, soulève d’abord tant l’irrecevabilité de la demande tendant à l’obtention d’un sursis à exécution que l’irrecevabilité de la demande visant à voir instaurer des mesures de sauvegarde, pour conclure ensuite au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété par le président du tribunal ou le juge qui le remplace qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 12 mai 2025 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

Force est au soussigné de constater que tel que soulevé par le représentant de l’Etat, la requête sous analyse pose différentes questions de compétence, respectivement d’(ir)recevabilité, questions discutées contradictoirement à l’audience après avoir été plus particulièrement soulevée conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999. En effet, il est apparu indispensable au soussigné d’informer les parties d’une manière appropriée sur ses éventuels doutes quant à la possibilité de statuer, afin de leur donner la possibilité de s’exprimer au cours de la procédure orale sur des moyens que celles-ci n’auraient pas soulevés elles-mêmes.

1. Quant à la demande de sursis à exécution Force est ainsi d’abord au soussigné de constater que la requête sous analyse tend principalement à l’obtention d’un sursis par rapport à la décision du ministre du 8 mai 2025 portant refus de la demande de dérogation temporaire aux restrictions d’entrer le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Il s’agit là toutefois d’une décision négative qui n’est pas susceptible d’un effet suspensif.

En effet, une décision administrative négative qui ne modifie pas une situation de fait ou de droit antérieure ne saurait faire l’objet d’une mesure de sursis à exécution, même si elle est en revanche susceptible de faire l’objet d’une mesure de sauvegarde, sollicitée en l’espèce à titre subsidiaire.

Il convient ensuite de relever que les pouvoirs du juge du provisoire en matière de sursis à exécution sont nécessairement délimités par la ou les décisions déférées aux juges du fond, le juge du provisoire ne pouvant ainsi pas ordonner de mesures allant au-delà du cadre tracé par ces décisions1, tout comme il ne saurait accorder de mesure provisoire allant largement au-delà de l’objet même de la demande et de la décision déférée2 : en l’espèce, comme la décision ministérielle a pour seul objet le refus de la demande de dérogation temporaire aux restrictions d’entrer le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, le soussigné ne saurait ordonner de mesure provisoire ayant un autre objet que ce refus, et encore moins la suspension, telle que sollicitée au dispositif de la requête sous analyse, de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145/PESC.

Le soussigné devrait de surcroit se déclarer incompétent en principe pour connaître d’actes posés par le Conseil telle qu’en l’espèce la décision 2014/145/PESC.

En effet, la jurisprudence a retenu que l’appréciation de la validité des actes de droit européen échappe à la compétence du juge national. Ainsi, elle a pu retenir que l’examen de la compatibilité des mesures européennes avec les principes fondamentaux des traités européens reste l’apanage du juge européen3. Dès lors, en cas de doute sur la validité d’un acte de droit européen, il incombera au juge administratif de poser une question préjudicielle au juge européen sur pied de l’article 267 du TFUE, mais il serait inadmissible qu’il écarte ou suspende un acte de droit communautaire en constatant son invalidité.

Il existe en effet, en matière de contentieux de l’Union européenne, trois voies de droit permettant à un requérant, personne physique ou morale, de contester la légalité d’un acte des institutions européennes. L’article 263, paragraphe 4, du TFUE dispose : « Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution » : il s’agit du recours direct en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne. L’article 277 organise quant à lui l’exception d’illégalité contre les actes de portée générale pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union, à l’occasion de la contestation de leurs actes d’application du droit européen devant les juridictions de l’Union européenne. Enfin, l’article 267 du TFUE permet à une partie à un litige devant une juridiction nationale de contester, par la voie de l’exception également, la validité d’actes de l’Union qui servent de fondement aux actes nationaux qui lui sont opposés. Dans ce cas, la Cour de Justice de l’Union européenne impose au juge national, que ces décisions soient ou non susceptibles de recours, de la saisir d’une question préjudicielle dite « en appréciation de validité » dès lors qu’il nourrit un doute sur la validité d’un acte de l’Union.

Cette jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne sur l’obligation de renvoi préjudiciel vise surtout à interdire à une juridiction nationale de prononcer elle-même l’invalidité d’un acte de l’Union : les juridictions nationales, que leurs décisions soient ou non susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes 1 Trib. adm. (prés.) 28 mai 2020, n° 44455.

2 Trib. adm (prés.) 23 avril 2021, n° 45803.

3 Trib. adm. 5 avril 2006, n° 20372 et 20373, Pas. adm. 2024, V°Actes règlementaires, n° 50.

l’invalidité des actes des institutions communautaires4, une telle approche étant fondamentalement contraire aux principes de sécurité juridique et de l’unicité du droit communautaire, la juridiction communautaire, dans l’affaire précitée, ayant précisément prohibé que soit porté atteinte à l’unité de l’ordre juridique communautaire et à l’application uniforme du droit communautaire par des jurisprudences nationales divergentes.

En l’espèce, le constat s’impose que le requérant, par recours déposé le 24 novembre 2023 au Tribunal de l’Union européenne, enrôlé sous le n° …, a demandé notamment à cette juridiction de « déclarer illégal le critère d’inscription prévu à l’article 1, paragraphe 1, point e), et à l’article 2, paragraphe 1, point g), de la décision 2014/145/PESC, ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, point g), du règlement (UE) 2014/269, dans la mesure où il vise « des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et des membres de leur famille proche ou d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou des femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine », et ce sur base de six moyens, dont notamment la violation des droits fondamentaux du requérant, la violation du principe de proportionnalité ainsi que la violation du droit d’être entendu.

Le Tribunal de l’Union européenne étant dès lors saisi de la question de la validité de la décision 2014/145/PESC, et ce, notamment, sur base d’arguments se recoupant avec les moyens avancés actuellement devant le juge luxembourgeois, ce dernier ne saurait constater lui-même, ne serait-ce qu’au provisoire, l’invalidité de la décision 2014/145/PESC, tandis que la soumission d’une question préjudicielle paraît, compte tenu du recours d’ores et déjà pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, superfétatoire.

Enfin, il est constant en cause que la décision 2014/145/PESC, sous ses différents avatars, avait fait l’objet d’un premier recours introduit par le requérant devant le Tribunal de l’Union européenne et y enrôlé sous le n° …, recours dans le cadre duquel ledit Tribunal a été amené à vérifier l’application des motifs d’inscription et de maintien du nom du requérant sur les listes à la situation personnelle du requérant ainsi qu’un moyen basé sur la violation du principe de proportionnalité, cette analyse ayant également comporté l’examen du caractère nécessaire des mesures restrictives critiquées ainsi qu’un moyen tiré de la violation des droits fondamentaux du requérant - le requérant s’étant en particulier prévalu de son droit à la libre circulation sur le territoire des États membres - ; or, par arrêt du 20 décembre 2023, le Tribunal de l’Union européenne a rejeté en première instance le recours de Monsieur (A), rejetant, notamment mais en particulier, le moyen du requérant tiré d’une prétendue violation, par l’article 1er de la décision 2014/145 telle que modifiée, du droit du requérant, en tant que citoyen … et donc de l’Union, de circuler librement sur le territoire de celle-ci, consacré à l’article 21 TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte, le requérant ayant soutenu que la restriction apportée à sa liberté de circulation serait disproportionnée, moyen que le requérant réitère actuellement en substance devant le juge national.

4 CJCE, 22 octobre 1987, Foto-Frost, C-314/85.

Il convient ensuite de souligner qu’il n’y a pas d’obligation pour une juridiction de poser une question préjudicielle lors de procédures en référé, pourvu que chacune des parties puisse intenter une procédure relative au fond de l’affaire ou pouvoir l’exiger5.

Enfin, troisièmement, la formulation d’une telle demande devant le soussigné n’est pas nécessaire. En effet, à supposer que le problème à la base de cette question et dont les juges du fond sont saisi, apparaisse comme présentant un certain sérieux, et qu’il paraît probable que les juges du fond soit annulent la décision déférée, soit saisissent la Cour de Justice de l’Union Européenne de la question, le soussigné pourrait - sous réserve que la seconde condition tenant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif - accorder la mesure provisoire sollicitée6, étant rappelé qu’en effet apparaissent comme sérieux les moyens de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée, ce qui, en tout état de cause n’est pas le cas en l’espèce au vu de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 décembre 2023, n° ….

La demande de sursis à exécution est partant à rejeter.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du requérant tirée d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne7 qui exigerait prétendument que le juge saisi d’un litige régi par ce droit puisse accorder des mesures provisoires, indépendamment, voire au-delà des propres règles de procédures nationales, et qu’il puisse suspendre directement l’exécution d’un acte juridique de l’Union, afin de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir.

En effet, selon cet arrêt, s’il consacre la possibilité - et non l’obligation - pour le juge national d’accorder des mesures provisoires aménageant ou régissant les situations juridiques ou les rapports de droit litigieux au sujet d’un acte administratif national fondé sur un acte communautaire qui fait l’objet d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité de l’acte communautaire et si, pour le cas où la Cour de Justice de l’Union européenne ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l’acte contesté, elle la lui renvoie elle-même, une telle possibilité est toutefois soumise à des conditions strictes, destinées à sauvegarder l’ordre juridique de l’Union, à savoir, notamment, que la juridiction nationale ait des doutes sérieux sur la validité de l’acte communautaire, et, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l’acte contesté, qu’elle la lui renvoie elle-même.

Or, tel que relevé ci-avant, tant la Cour de Justice de l’Union européenne que le Tribunal de l’Union européenne sont d’ores et déjà saisis de la question de validité de l’acte contesté, le Tribunal de l’Union européenne ayant par ailleurs, comme exposé ci-avant, d’ores et déjà rejeté le 5 CJCE, 27 octobre 1982, Morson et Jhanjan, aff. 35/82 et 36/82, point 10 : « Il y a donc lieu de répondre à la première question posée par le Hoge Raad que l’article 177, alinéa 3, du Traité doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, n’est pas tenue de saisir la Cour d’une question d’interprétation au sens de l’alinéa 1er de cet article, lorsque la question est soulevée dans une procédure en référé et que la décision à prendre ne lie pas la juridiction qui sera ultérieurement saisie de l’affaire au fond, à condition qu’il appartienne à chacune des parties d’ouvrir ou d’exiger l’ouverture d’une procédure au fond, même devant les juridictions d’un autre ordre juridictionnel, au cours de laquelle toute question de droit communautaire tranchée provisoirement dans la procédure sommaire peut être réexaminée et faire l’objet d’un renvoi en vertu de l’article 177. » 6 Trib. adm. (prés.) 22 février 2018, n° 40783.

7 CJUE, 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e. a. (I), C-465/93.

recours afférent de Monsieur (A), de sorte qu’il paraît peu probable que les juges du fond formulent nonobstant cet arrêt une question préjudicielle.

Par ailleurs, la juridiction nationale est tenue de respecter ce qui a été jugé par les juridictions européennes sur les questions en litige devant elles, de sorte que lorsque les juridictions européennes ont rejeté au fond un recours en annulation contre l’acte en cause ou ont constaté, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, que l’examen des questions préjudicielles n’a pas révélé l’existence d’éléments de nature à affecter la validité de cet acte européen, la juridiction nationale ne peut plus octroyer des mesures de référé.

Si le requérant a encore fait invoquer en termes de plaidoiries une ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne8, cette ordonnance, et le point9 prétendument pertinent invoqué, qui éclaire l’articulation entre le juge des référés européen et le juge des référés national, n’est en l’espèce pas pertinente, le fait que la procédure de référé devant le juge de l’Union ait un caractère subsidiaire par rapport à la procédure susceptible d’être engagée devant le juge des référés national, « lequel est certainement mieux placé pour apprécier la légalité d’actes nationaux […] au regard du régime national », ne signifiant pas que le juge national des référés soit appelé à suspendre des actes juridiques européens, et ce sans avoir à respecter ses propres règles nationales de procédure.

2. Quant à la demande de mesure de sauvegarde En ce qui concerne la demande formulée à titre subsidiaire et portant sur l’octroi de diverses mesures de sauvegarde, Monsieur (A) fait plaider que les conditions pour prétendre à une mesure de sauvegarde ne seraient pas les mêmes que celles pour prétendre à l’obtention d’un sursis à exécution, le requérant soutenant plus particulièrement qu’une demande de mesure de sauvegarde ne pourrait pas se voir appliquer la double condition prévue à l’article 11, paragraphe 2, de la loi du 21 juin 1999, au même titre et avec la même intensité que ceux avec lesquels cette double condition est requise pour fonder une demande en sursis à exécution de la décision attaquée par le recours au fond, pour en déduire que dans le cadre d’une demande de mesure de sauvegarde le préjudice et le caractère sérieux des moyens invoqués au principal seraient à contrôler par le juge « de manière superficiel[le] simplement et avec un degré d’appréciation moins rigoureux », le juge pouvant, selon le requérant, se contenter de constater le seul caractère manifestement non irrecevable de la demande principale et manifestement non dépourvu de tout fondement en droit étant suffisant et que la preuve négative, selon laquelle le risque d’un préjudice grave et définitif n’est pas manifestement absent, serait suffisante.

Cette argumentation est toutefois à rejeter.

Outre que la jurisprudence a déjà été amenée à réfuter une argumentation semblable basée sur la notion de « fumus boni juris », notion tirée du contentieux communautaire10, voire une argumentation identique11, il convient de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 8 TUE (prés.) 20 août 2014, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo sp. z o.o. contre Commission européenne, T215/14R.

9 Point 47.

10 Trib. adm. (prés.) 23 septembre 2016, n° 38387.

11 Trib. adm. (prés.) 13 novembre 2020, n° 45149 ; trib. adm. (prés.) 16 mai 2025, n° 52788.

11 de la loi du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde12.

Il convient encore de rappeler que la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution13, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative. La possibilité d’une mesure de sauvegarde s’entend dès lors comme une procédure complémentaire14 à celle de l’effet suspensif, soumise nécessairement aux mêmes conditions strictes. En effet, le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde, doivent rester une procédure exceptionnelle dans la mesure où ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives.

L’argumentation de la partie requérante, visant à vouloir contourner les conditions prévues pour l’obtention d’un sursis à exécution et à voir admettre par le soussigné un préjudice non définitif ou irréparable ainsi que des moyens seulement superficiellement non dépourvus de tout fondement, est partant à rejeter.

Il convient ensuite de constater que le requérant demande, dans ce contexte, à ce que le juge des référés autorise le requérant à accéder au territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à tout le moins du 18 mai au 22 mai 2025, afin de pouvoir assister le 20 mai 2025 à une audience devant le Tribunal de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire inscrite au numéro … du rôle, sinon, subsidiairement, respectivement à ce que les juges des référés ordonne au ministre de se prononcer favorablement avant le 17 mai 2025 sur la demande du requérant quant à l’accès sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, à tout le moins du 18 mai au 22 mai 2025, afin de pouvoir assister le 20 mai 2025 à une audience devant le Tribunal de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire inscrite au numéro … du rôle.

12 Trib. adm. (prés.) 14 janvier 2000, n° 11735, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 631 et 827.

13 Proposition de loi 4326 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, avis du Conseil d’Etat, 9 février 1999, p.6.

14 Ibidem.

Force est toutefois de retenir que ces mesures, telles que libellées et sollicitées, constituent des mesures définitives et non pas des mesures de sauvegarde, nécessairement provisoires.

Or, en ce qui concerne une demande de suspension, le président, à l’instar du président du tribunal civil, ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire qui établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond, le juge des référés devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-ci. La même limite s’impose au président lorsqu’il est saisi d’une demande basée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, ledit article limitant explicitement la compétence du président à des mesures provisoires qui, prononcées à titre conservatoire, ne doivent préjuger en rien la décision au fond, mesures provisoires qui doivent nécessairement cesser leurs effets lorsque survient la décision des juges du fond.

La mesure provisoire est par définition celle qui présente un caractère réversible, celle qui peut être remise en cause par le juge du fond. Toutefois, pour que la mesure prononcée présente bel et bien un caractère réversible, il est nécessaire que la possibilité de remise en cause de la décision ne soit pas seulement virtuelle mais effective, ce qui suppose, par conséquent, que le litige ne s’éteigne pas par le seul prononcé de cette décision15.

En conséquence, le juge des référés administratif ne peut prononcer aucune mesure présentant un caractère définitif.

Or, le soussigné, à admettre qu’il puisse accorder la mesure de sauvegarde sollicitée, consistant à autoriser, directement ou indirectement, le requérant à accéder au territoire national en vue de lui permettre d’assister à l’audience du 20 mai 2025 devant le Tribunal de l’Union européenne, permettrait au requérant de créer une situation de droit et de fait définitive : le juge siégeant au provisoire aurait de la sorte épuisé le fond, en ce sens que le futur jugement au fond relatif à la décision ministérielle de refus litigieuse aurait totalement perdu son objet à la date des plaidoiries devant les juges du fond, en ce sens qu’une éventuelle confirmation ex post de cette décision de refus aurait perdu tout objet et toute utilité, puisque le requérant aurait, à cette date, pu bénéficier de l’accès qui lui est actuellement refusé, sans aucune possibilité pour le ministre, en cas de confirmation de cette décision, de revenir sur ledit accès et de voir celui-ci mis à néant.

En d’autres termes, l’octroi de la mesure de sauvegarde telle que sollicitée entraînerait l’impossibilité de recréer la situation initiale au cas où le recours engagé au fond contre la décision ministérielle de refus d’accès au territoire serait rejeté par le tribunal, une éventuelle confirmation de cette décision ministérielle par les juges du fond n’ayant plus aucune incidence matérielle et juridique sur la situation de fait entretemps créée. Ainsi, en l’espèce, l’octroi de la mesure de sauvegarde telle que sollicitée équivaudrait à son annulation par le juge des référés, lequel aurait ainsi intégralement épuisé le fond.

15 Trib. adm (prés.) 20 janvier 2017, n° 38954, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 605.

Partant le soussigné ne saurait accueillir une telle demande incompatible avec l’intervention du juge administratif statuant au provisoire16.

Au-delà de cette conclusion au terme de laquelle le soussigné se doit de décliner en l’espèce sa compétence et en tout état de cause, sous la réserve de son caractère irréversible, la seule mesure de sauvegarde pouvant dès lors être potentiellement et théoriquement accordée serait l’octroi d’une autorisation limitée afin de permettre au requérant d’accéder au territoire du Grand-Duché de Luxembourg afin de pouvoir assister le 20 mai 2025 à la seule audience devant le Tribunal de l’Union européenne, mesure de sauvegarde dont l’octroi est soumis, comme retenu ci-avant, à la condition que l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, que les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, la question du respect de cette dernière condition ayant été ci-avant déjà partiellement tranchée en défaveur du requérant.

Quant à la condition de l’existence d’un préjudice grave et définitif, il y a lieu de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.

Comme relaté ci-avant, le requérant affirme que s’il ne peut pas accéder au territoire luxembourgeois, il ne pourrait ni préparer l’audience du 20 mai 2025 avec ses avocats, ni assister à l’audience du 20 mai 2025 et ainsi défendre adéquatement sa cause devant le Tribunal de l’Union européenne.

D’une manière générale, la jurisprudence retient que le fait de ne pas être physiquement sur le territoire luxembourgeois pour suivre son recours pendant devant un tribunal ne constitue ni un préjudice définitif, ni un préjudice grave lorsque la procédure devant les juges est une procédure écrite dans laquelle le requérant est représenté par un avocat et qui a d’ores et déjà déposé les écrits prévus par la procédure, ledit avocat devant encore être considéré comme à même de tenir son mandant au courant des suites y réservées par les juges, de sorte que la présence physique du requérant n’est ni indispensable, ni même utile17.

Plus spécifiquement en l’espèce, il n’appert pas que le fait que le requérant, tel qu’allégué, ne puisse pas « préparer l’audience avec ses avocats la veille et le jour même, en personne et en toute confidentialité en vertu de la relation avocat-client et du secret professionnel », soit de nature à engendrer un quelconque risque de préjudice grave et définitif dans son chef, les moyens actuels, 16 Voir en ce sens : trib. adm. (prés.) 20 janvier 2017, n° 38954 ; trib. adm. (prés.) 9 mars 2017, n° 39148 ; trib. adm.

(prés.) 24 août 2017, n° 40046 ; trib. adm. (prés.) 3 octobre 2017, n° 40218, ainsi que tout particulièrement trib. adm.

(prés.) 14 novembre 2017, n° 40323, trib. adm. (prés.) 17 janvier 2022, n° 46876 ou encore trib. adm. (prés.) 8 février 2023, n° 48470.

17 Voir trib. adm. (prés.) 21 mars 2017, n° 39290 ; trib. adm. (prés.) 30 novembre 2018, n° 42016.

sécurisés, de télécommunication et de visioconférence paraissant de nature à pallier efficacement l’absence physique du requérant en amont de l’audience, rien n’empêchant par ailleurs le requérant de préparer l’audience en présentiel avec ses avocats en-dehors du territoire de l’Union européenne.

Quant à la nécessité de la présence physique de l’intéressé à l’audience même du Tribunal de l’Union européenne du 20 mai 2025, il résulte d’abord des explications de la partie étatique que la présence physique de Monsieur (A) n’est pas nécessaire aux fins de la phase orale de la procédure écrite devant le Tribunal de l’Union européenne.

Ainsi, conformément à l’article 51, paragraphe 1er, du règlement de procédure du Tribunal, Monsieur (A) y est obligatoirement représenté par un avocat, tandis que conformément à l’article 110, paragraphe 2, du même règlement de procédure du Tribunal, « Les parties ne peuvent plaider que par l’intermédiaire de leur représentant », ce qui exclut toute prise de parole personnelle à l’audience par le requérant.

Enfin, l’article 110, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal précise que « Les membres de la formation de jugement ainsi que l’avocat général peuvent, au cours de l’audience de plaidoiries, poser des questions aux représentants des parties », ce qui implique que les questions ne s’adressent qu’aux avocats des parties, et nécessairement, que seuls ceux-ci sont admis à y répondre.

Si l’article 110, paragraphe 4, précise certes que « Dans les affaires introduites en vertu de l’article 270 TFUE, les membres de la formation de jugement ainsi que l’avocat général peuvent, au cours de l’audience de plaidoiries, inviter les parties elles-mêmes à s’exprimer sur certains aspects du litige », cette possibilité est limitée aux litiges entre l’Union et ses agents dans les limites et conditions déterminées par le statut des fonctionnaires de l’Union et le régime applicable aux autres agents de l’Union, hypothèse étrangère au cas d’espèce. Nécessairement et a contrario, dans les litiges ne relevant pas de l’article 270 du TFUE, les membres de la formation de jugement et l’avocat général ne peuvent pas poser directement des questions aux parties elles-mêmes.

Cette conclusion n’est pas énervée par le renvoi opéré par le requérant aux articles 3218 et 5319 du protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, annexé au TFUE, qui serait selon lui d’essence supérieure au règlement de procédure. En effet, il résulte tant de l’article 53, précité du protocole n° 3, que de l’article 220 du règlement de procédure du Tribunal de l’Union européenne, que la procédure suivie par le Tribunal de l’Union européenne s’inspire de celle de la Cour de Justice de l’Union européenne telle que prévue par le TFUE, avec toutefois certaines spécificités, tenant à la nature même du contentieux dévolu au Tribunal de l’Union européenne, le règlement de procédure du Tribunal de l’Union européenne précisant ainsi la mise en œuvre des principes procéduraux devant la Cour de Justice de l’Union européenne à son propre niveau. C’est dans ce contexte que la possibilité ouverte à la Cour d’entendre notamment les parties 18« Au cours des débats, la Cour de justice peut interroger les experts, les témoins ainsi que les parties elles-mêmes.

Toutefois, ces dernières ne peuvent plaider que par l’organe de leur représentant ».

19 « La procédure devant le Tribunal est régie par le titre III. La procédure devant le Tribunal est précisée et complétée, en tant que de besoin, par son règlement de procédure ».

20 « Les dispositions du présent règlement mettent en œuvre et complètent, en tant que de besoin, les dispositions pertinentes des TUE, TFUE et TCEEA ainsi que le statut ».

elles-mêmes est mise en œuvre, au niveau du Tribunal, notamment à travers les articles 51 et 110 du règlement de procédure du Tribunal.

Quant à l’hypothèse où les avocats du requérant ne seraient pas à même de répondre directement aux questions leurs soumises par la formation de jugement ou par l’avocat général, mais où ils auraient besoin d’échanger directement sur un point précis avec le requérant, il appert que dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, s’il devait le juger indispensable, le Tribunal de l’Union européenne pourrait accorder une brève suspension des débats afin de permettre aux avocats de conférer confidentiellement avec leur mandant par les moyens de télécommunication usuellement disponibles ; en tout état de cause, il n’appert pas des pièces versées en cause que le greffe du Tribunal de l’Union européenne se soit vu adresser conservatoirement et préventivement une telle demande en ce sens et que celle-ci ait été refusée, tout comme il n’appert pas que le requérant ait sollicité, mais se soit vu refuser, la possibilité d’assister à l’audience par vidéoconférence, possibilité prévue par les dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure du tribunal.

Enfin, la question d’une éventuelle atteinte aux droits de la défense du requérant du fait de son absence physique aux débats devant le Tribunal de l’Union européenne est une question susceptible d’être directement soumise audit Tribunal de l’Union européenne, lequel pourra, le cas échéant, y apporter directement remède, en ce compris, à travers une mesure provisoire ou conservatoire.

Le risque d’un préjudice grave et définitif n’est par conséquent pas justifié à cet égard à suffisance de droit.

Le requérant est partant à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette la demande en instauration de mesures provisoires, prise en ses différents volets ;

condamne le requérant aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 mai 2025 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52832
Date de la décision : 16/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-16;52832 ?

Source

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