Tribunal administratif N° 52759 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52759 2e chambre Inscrit le 28 avril 2025 Audience publique du 22 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52759 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 avril 2025 par Maître Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 9 avril 2025 de recourir à la procédure accélérée, de celle portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le vice-président, en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise NSAN NWET et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2025.
Le 27 décembre 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, entretemps devenu le ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, désigné ci-
après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-
après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait franchi illégalement la frontière italienne et plus précisément à … le 12 septembre 2023 sans y introduire une demande de protection internationale et qu’il a seulement déposé une demande de protection internationale à … (Italie) le 10 novembre 2023.
1Le 4 janvier 2023, un entretien a été mené auprès de la direction générale de l’Immigration en vue de déterminer l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale de Monsieur (A) en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 31 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, laquelle fut acceptée par lesdites autorités le 15 février 2024 sur base de la même disposition.
Par courrier du 29 août, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg était devenu responsable pour l’examen de sa demande de protection internationale en vertu des dispositions de l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Le 12 mars 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 9 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), sous a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire.
Le ministre retint que les conditions d’une protection internationale ne seraient pas remplies dans le chef de Monsieur (A). Quant à ses problèmes invoqués en relation avec le dénommé (B) qui serait le demi-frère de Monsieur (A), à savoir le fait que celui-ci se serait emparé d’un champ qui aurait appartenu à son père ou encore le fait que celui-ci l’aurait menacé de mort s’il n’acceptait pas de travailler avec lui pour son patron pour régler les dettes que ce dernier aurait envers ledit patron, le ministre, après avoir constaté que ce conflit se situerait d’une part, dans un contexte financier, voire professionnel, et, d’autre part, dans un contexte de conflit familial d’ordre privé, de sorte à ne pas être lié à l’un des cinq motifs de fond prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et de la loi du 18 décembre 2015, retint que les craintes invoquées à cet égard ne revêtiraient, par ailleurs, pas un degré de gravité suffisant pour justifier l’octroi dans son chef du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015. Il en serait de même de l’agression perpétrée par les « boys » alors qu’il s’agirait d’incident isolé qui aurait également eu lieu dans ce contexte de conflit familial d’ordre privé, respectivement professionnel. Il ajouta que dans la mesure où les différents problèmes liés à son demi-frère, respectivement à son patron seraient des actes émanant de personnes privées, ceux-ci ne pourraient être considérés comme fondant une crainte légitime uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités camerounaises, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. Quant au refus de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, le ministre constata que Monsieur (A) invoquerait les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, tout en retenant qu’il resterait en défaut de faire état d’un risque réel de faire l’objet, en cas de retour dans son pays d’origine, d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, 2respectivement que les autorités camerounaises ne seraient pas en mesure de lui accorder une protection.
Il résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit : […] Monsieur, vous êtes arrivé au Luxembourg accompagné de votre partenaire, la dénommée (C), qui a également introduit des demandes de protection internationale pour son compte et pour celui de son fils mineur, (D), né le … au …. Ils feront l’objet de décisions séparées.
Il ressort de votre dossier administratif et plus précisément du résultat des recherches effectuées dans la base de données « Eurodac » le jour de l’introduction de votre demande que vous avez franchi de manière irrégulière la frontière italienne, plus précisément à … et …, en date du 12 septembre 2023 sans pour autant y introduire une demande de protection internationale immédiatement. En effet, uniquement deux mois plus tard, respectivement le 10 novembre 2023, vous avez décidé d’introduire une demande de protection internationale à …, toujours en Italie.
Partant, un entretien « Dublin III » a été mené en date du 4 janvier 2024 afin de déterminer l’Etat responsable pour l’examen et le traitement de votre demande de protection internationale.
En ce sens, une demande de prise en charge a été adressée aux autorités italiennes de la part des autorités luxembourgeoises en date du 31 janvier 2024. La prise en charge fut tacitement acceptée le 15 février 2024. Dans la mesure où la procédure de transfert n’a pas pu être menée à bien dans les délais légalement prévus par le règlement Dublin III, les autorités luxembourgeoises sont devenues responsables pour l’examen et le traitement de votre demande de protection internationale en date du 16 août 2024 et vous en avez été informé par courrier en date du 29 août 2024.
En date du 12 mars 2025, un entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale a été mené avec un agent ministériel.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos déclarations peu claires et laconiques au fil de votre témoignage ont complexifié la compréhension de votre rapport d’entretien, de sorte que la reconstitution ci-dessus ne représente qu’une tentative de refléter au mieux votre vécu au Cameroun et les motifs vous ayant poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.
Monsieur, vous déclarez être de nationalité camerounaise, d’ethnie Bamiléké, de confession chrétienne et avoir vécu avec votre partenaire à … jusqu’à votre départ définitif en date du 15 janvier 2022.
En cas de retour au Cameroun, vous craindriez pour votre intégrité physique.
En effet, concernant les raisons vous ayant poussé à quitter votre pays d’origine, vous faites état de soucis que vous auriez rencontrés avec votre demi-frère (B) dans un contexte familial et professionnel.
3Dans ce contexte, vous expliquez que (B) se serait emparé d’un champ qui aurait appartenu à votre père. Selon vos dires, « il a escroqué notre père, et il a pris son champ, il a appelé un ami, en faisant passer cet ami pour le propriétaire du champ » (p.10/13 de votre rapport d’entretien). En août 2021, lors d’une réunion familiale, votre père aurait été en colère contre (B) et cela aurait été « à cause de lui que j’ai été agressé par ces boys en novembre 2021 » (p.10/13 de votre rapport d’entretien). Dans ce contexte vous déclarez avoir été agressé par des individus à votre domicile, altercation qui aurait résulté en une blessure au niveau de votre épaule gauche. Vous expliquez avoir été agressé par les « boys » car vous auriez refusé de continuer à travailler avec votre, respectivement le patron de (B) pour éponger les dettes de ce dernier.
Vous déclarez en outre que lors de la même réunion familiale, (B) aurait également menacé de vous tuer si vous n’acceptiez pas de travailler avec lui et son, voire votre, patron.
Vous déclarez certes avoir subi « beaucoup d’agressions et de violences pendant que je faisais mon travail » (p.8/13 de votre rapport d’entretien), mais ne relatez toutefois aucun incident majeur à ce sujet.
Vous vous seriez ensuite rendu à … pour ne pas être trouvé par (B) ou votre, respectivement son patron avant de quitter définitivement le Cameroun en janvier 2022.
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez une copie de votre acte de naissance ainsi qu’un récépissé relatif à la demande d’obtention d’une carte nationale d’identité camerounaise. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 9 avril 2025 d’opter pour la procédure accélérée, de celle du même jour ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 9 avril 2025, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être un ressortissant camerounais, issu d’une famille d’…, et qu’il aurait travaillé dans ce domaine avant de quitter précipitamment son pays en raison des persécutions qu’il y aurait subies. Il explique qu’il se serait vu forcé de travailler pour rembourser les dettes de son demi-frère, le dénommé (B), tout en soulignant que lorsqu’il aurait décidé d’arrêter son travail, celui-ci, soutenu par son patron, l’auraient menacé de mort. Son demi-frère (B) aurait, par ailleurs, « entrepris » d’engager des criminels qu’il désigne par « … » qui l’auraient agressé à son domicile, événement particulièrement violent lors duquel il aurait été blessé à l’épaule à l’aide d’une machette.
4En étant conscient qu’il serait en danger de mort au Cameroun et qu’il n’obtiendrait pas justice en raison de la notoriété de son patron et de l’impunité dont ce dernier et son demi-frère (B) jouiraient dans ledit pays, il aurait décidé de fuir le Cameroun avec sa compagne, Madame (C), le 15 janvier 2022 en direction de la Tunisie où ils seraient arrivés en février 2022 et où ils seraient restés jusqu’en septembre 2023 avant « d’accoster » le 11 septembre 2023 les rives de … en Italie et de venir finalement au Luxembourg le 24 décembre 2023.
En droit, le demandeur reproche tout d’abord au ministre d’avoir statué sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, tout en relevant que les faits exposés par lui lors de son entretien ministériel démonteraient qu’il aurait été porté atteinte à ses droits fondamentaux et ses libertés individuelles dans son pays d’origine et plus particulièrement à sa liberté d’exercer le métier de son choix telle que garantie par l’article 15, paragraphe (1) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce que son ancien patron et son demi-frère l’auraient forcé de rester dans une relation de travail à des fins d’exploitation.
Il met en exergue qu’il aurait été régulièrement menacé de mort et blessé grièvement lors d’une attaque d’une extrême violence, de sorte que son droit à la vie prévu à l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », aurait également été mis à mal.
En se référant au guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés émis par l’UNHCR, il reproche au ministre d’avoir retenu que les problèmes rencontrés par lui au Cameroun s’inscrivaient « d’une part, dans un contexte financier, voire professionnel dans le but d’éponger les dettes de (B) et, d’autre part, dans un contexte de conflit familial d’ordre purement privé, respectivement de problème de propriété », en soutenant que celui-ci aurait fait une analyse partielle de sa situation et erronément évalué les faits invoqués par lui, tout en ignorant les recommandations dudit guide.
Il avance que dans la mesure où les autorités de son pays d’origine ne pourraient pas lui accorder une protection adéquate il n’aurait pas eu d’autre choix que de fuir ledit pays avec sa compagne.
Au vu de ces éléments, ce serait dès lors à tort que le ministre a décidé de faire application de la procédure accélérée, de sorte que la décision ministérielle déférée serait à réformer.
Quant au refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié, le demandeur, après avoir cité l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 et s’être référé aux principes directeurs sur la protection internationale publiés par le HCR, fait valoir qu’il appartiendrait à un certain groupe social au sens de l’article 1A, paragraphe (2) de la Convention de Genève lequel viserait une association basée sur une caractéristique qui ne serait ni immuable ni fondamentale pour la dignité humaine, comme la profession ou la classe sociale.
Il met en exergue qu’il aurait exercé le métier « d’usinier agricole », tout en soulignant qu’étant familier du monde agricole puisque ses deux parents seraient des travailleurs de la terre, il aurait mis ses compétences au service d’un employeur aussi puissant que peu scrupuleux. Il donne à considérer que son employeur camerounais aurait « entrepris » avec son demi-frère de se faire rembourser les dettes que ce dernier aurait contractées auprès de lui, tout 5en insistant sur le fait que malgré les conditions de vie difficiles, il aurait choisi de renoncer à ce travail qui se serait apparenté plus à de l’exploitation qu’à une véritable relation salariale.
Au vu de cette décision, son demi-frère (B) l’aurait menacé à plusieurs reprises de mort et organisé son agression, le demandeur reprochant à cet égard plus particulièrement au ministre d’avoir retenu que ces faits auraient « également eu lieu dans ce contexte de conflit familial d’ordre privé » et d’avoir dès lors fait une mauvaise analyse de sa situation.
Le demandeur avance, dans ce contexte, qu’il aurait, en effet, été menacé puis agressé non pas en raison du conflit qui l’opposerait à son demi-frère (B) mais parce qu’il aurait été un jeune employé du secteur agricole dont l’objectif premier pour son patron aurait été celui de tirer profit de cette main d’œuvre, tout en rappelant qu’il aurait une connaissance particulière des cultures de sa région notamment grâce à l’enseignement que lui auraient prodigués ses parents.
En se prévalant d’un article intitulé « Le Cameroun peut-il devenir le nouveau champion agricole africain ? » publié sur le site … le 7 février 2024, il soutient que le Cameroun serait considéré comme « le grenier de l’Afrique centrale pour beaucoup de cultures vivrières » où éclaterait « une croissance de l’agro-industrie » qui sèmerait « l’espoir et le désespoir au sein des communautés ». Ainsi, les travailleurs camerounais seraient laissés pour compte de cette économie florissante, tel que cela aurait été observé avec l’industrie de la canne à sucre.
Il se réfère à un article intitulé « … » du 10 février 2025 duquel il se dégagerait que le militant associatif Adonis FEBE de l’organisation …, qui œuvrerait contre les injustices sociales, aurait dénoncé la perpétuation d’une politique d’asservissement transgénérationnel de la main-d’œuvre importée par la … et héritée de la défunte …, tout en soulignant que les conditions de travail « similaires à l’esclavage », seraient dénoncées régulièrement non seulement par les employés de cette société, mais par les employés de toutes les sociétés de la filière agricole. Or, celle-ci serait institutionnalisée et perdurerait en raison de lois désuètes et qui n’offriraient aucune protection aux salariés, tel que cela se dégagerait d’un article d’un journaliste camerounais …, intitulé « … » du 15 janvier 2024.
Au vu de ces éléments, il devrait être retenu que son recrutement serait constitutif d’une pratique ayant cours dans ce secteur d’activité au Cameroun, de sorte qu’il appartiendrait à un certain groupe social tel que défini par la Convention de Genève que représenterait les jeunes employés du secteur agricole, alors que ce serait bien en raison de son métier qu’il y aurait subi les persécutions dont il a fait état.
Il conclut que la condition tendant à l’un des cinq motifs justifiant l’octroi du statut de réfugié serait remplie dans son chef.
Concernant la gravité des actes, le demandeur insiste sur le fait qu’il aurait survécu à une agression d’une extrême violence commise par « un groupe de délinquants, de bandits qui sont payés pour assassiner des gens », à savoir des hommes dénommés « … », qui auraient été envoyés par son demi-frère et qui seraient entrés chez lui en le frappant, « passage à tabac », lors duquel il aurait été blessé à la machette à l’épaule.
Il soutient que ces actes, de même que les menaces de mort qui auraient été proférées à son encontre présenteraient un caractère infiniment grave au regard de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, tout en insistant sur le fait que le droit à la vie tel que consacré à l’article 2 6de la CEDH ne pourrait souffrir d’aucune dérogation, de sorte que tout acte portant atteinte à ce droit fondamental relèverait expressément dudit article 42.
En se prévalant de nouveau du guide des procédures de l’UNHCR, de même que d’un article intitulé « … », publié sur le site … le 2 février 2025, le demandeur insiste sur l’impunité dont jouirait son patron au regard des lois, tout en soulignant que la corruption serait omniprésente au Cameroun.
A cela s’ajouterait que les droits des salariés ne seraient pas garantis par la loi camerounaise, de sorte que les employeurs agiraient en dehors de toute réglementation sans qu’il n’y ait de conséquences judiciaires.
Il met à cet égard en avant que le code du travail qui daterait d’une loi du 14 août 1992 serait caduc, tout en donnant à considérer que les syndicats locaux auraient pu constater une recrudescence des accidents de travail dans le milieu agricole notamment auprès de la société sucrière du Cameroun (…).
Or, au vu des défaillances de l’Etat camerounais à assurer la défense des droits des salariés et de ses concitoyens, il devrait être retenu en l’espèce qu’il ne pourrait obtenir dans son pays d’origine une protection efficace contre les auteurs des persécutions, ce à quoi il s’ajouterait qu’il lui serait impossible de se mettre en sécurité dans une autre partie du territoire camerounais pour une longue période.
Quant au reproche du ministre selon lequel il aurait quitté le Cameroun seulement en janvier 2022 soit plus de deux mois après avoir subi les représailles dont il aurait été victime, le demandeur estime que le ministre aurait, une fois de plus, fait une interprétation erronée de sa situation dès lors qu’il n’aurait pas quitté son pays seul mais accompagné de sa compagne, tout en soulignant que l’occasion de fuir serait souvent liée aux opportunités qui sont présentées aux réfugiés et qui ne relèveraient certainement pas d’un choix. Par ailleurs, le délai de deux mois entre le dernier acte de persécution et son départ ne serait pas excessif pour une personne qui tenterait de se mettre à l’abri.
Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité de son récit du seul fait qu’il n’ait pas introduit de demande de protection internationale dans les plus brefs délais après son arrivée en Italie, en soutenant que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 ne prévoirait pas de délai pour l’introduction des demandes de protection internationale.
Il conclut de ce qui précède qu’il serait à qualifier de réfugié au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’un statut en ce sens devrait lui être octroyé.
Quant au refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur soutient que sa situation personnelle telle qu’exposée lors de son audition tomberait dans le champ d’application de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 dès lors que les actes de persécution subis par lui cadreraient avec les hypothèses retenues au point b) de ladite loi.
Il fait valoir que l’article 3 de la CEDH instaurerait, par ailleurs, une obligation positive à la charge des Etats membres, de protéger les personnes devant être expulsées de leurs territoires contre le risque de subir des actes de torture ou des mauvais traitements contraires à cette disposition.
7Or, compte tenu de sa situation personnelle, de la puissance économique de ses assaillants et de l’absence de législation permettant de lui garantir une protection dans son pays d’origine, il encourrait un risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH s’il devait être renvoyé au Cameroun.
Il conclut que l’ensemble des conditions pour pouvoir bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef, de sorte que celui-ci devrait lui être accordé.
Quant à l’ordre de quitter le territoire, le demandeur, après avoir rappelé que celui-ci serait la conséquence automatique du refus d’octroi d’une protection internationale, il estime que dans la mesure où un statut de protection internationale devrait lui être accordé, l’ordre de quitter le territoire devrait, à son tour, encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en ses trois volets.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.
Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il ressort de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
La soussignée constate de prime abord que ni le texte légal ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé ».
Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive 8d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente. En d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée A titre liminaire, la soussignée est tout d’abord amenée à rejeter le reproche formulé par le demandeur suivant lequel le ministre aurait fait une analyse erronée de sa situation personnelle et individuelle tant en légalité qu’en opportunité. En effet, il ressort du rapport d’audition du demandeur qu’il a été invité à exposer les raisons pour lesquelles il avait sollicité une protection internationale au Luxembourg, ainsi que les raisons de son départ de son pays d’origine, l’agent ministériel chargé de son audition l’ayant plus particulièrement interrogé sur les problèmes qu’il aurait personnellement rencontrés au Cameroun, ainsi que sur les persécutions et atteintes graves qu’il y aurait subies. Le ministre a, quant à lui, ensuite procédé à un examen approprié en fait et en droit des déclarations faites par Monsieur (A) au cours de son audition en motivant tant sa décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de l’intéressé dans le cadre d’une procédure accélérée que celle portant refus d’une protection internationale dans son chef.
Quant au fond, la soussignée relève que la décision ministérielle est, en l’espèce, fondée sur les dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquelles « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-
fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), sous a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27, 9paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Dès lors, afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1)1 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 392 et 403 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où 1 « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
2 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être : a) l’Etat ; b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ; c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
3 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par : a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire. (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie 10les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire relève de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et que le demandeur doit importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».
11fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
En l’espèce, indépendamment de la qualification des faits invoqués, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ainsi que des moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène la soussignée à conclure qu’il reste manifestement en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
A cet égard, la soussignée est tout d’abord amenée à rejeter le reproche du demandeur selon lequel le ministre aurait remis en cause la crédibilité de son récit sur base de la considération qu’il n’aurait pas introduit sa demande de protection internationale dans les plus brefs délais ainsi que l’invocation dans ce contexte de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où le ministre n’a pas remis en cause la crédibilité du récit de Monsieur (A), de sorte que les développements afférents ne sont pas pertinents en l’espèce.
Force est ensuite de constater que lors de son entretien ministériel, Monsieur (A) a invoqué sa crainte d’être agressé, voire tué par son demi-frère, (B), à cause du conflit familial qui existerait en raison du champ que son demi-frère se serait emparé et qui aurait appartenu à son père4. Le demandeur a encore fait état de sa crainte d’être tué par le même demi-frère, respectivement par son patron ou encore par « … », à savoir un groupe de délinquants et de bandits qui seraient payés pour assassiner des gens5, à cause de son refus de continuer à travailler pour son patron pour éponger les dettes que son demi-frère aurait contractées envers celui-ci6, tout en faisant, à cet égard, état de menaces de mort proférées à son encontre par son demi-frère lors d’une réunion de famille7, ainsi que d’une altercation à son domicile en novembre 2021, lors de laquelle le demandeur aurait été frappé par « … » de la ville de … qui auraient été envoyés par son patron et qui l’auraient blessé avec une machette au niveau de son épaule gauche8 lorsqu’il aurait essayé de fuir. Le demandeur a, par ailleurs, déclaré avoir subi « beaucoup d’agressions et de violences pendant que je faisais mon travail »9, sans toutefois relater un incident concret à ce sujet. Dans son recours, le demandeur ajoute qu’il aurait été exploité par son patron en sa qualité de jeune employé du secteur agricole, tout en insistant sur le fait qu’il ne recevrait aucune protection dans son pays d’origine où la corruption serait omniprésente et où les droits des salariés ne seraient pas garantis.
4 Page 10/13 du rapport d’entretien.
5 Page 9/13 du rapport d’entretien.
6 Page 9/13 du rapport d’entretien.
7 Idem.
8 Idem.
9 Page 8/13 du rapport d’entretien.
12En ce qui concerne tout d’abord la déclaration du demandeur d’avoir subi « beaucoup d’agressions et de violences pendant que je faisais mon travail », la soussignée se doit de conclure que celle-ci n’est pas de nature à lui faire octroyer un statut de protection internationale dans la mesure où le demandeur n’a invoqué aucun incident concret à ce sujet ni précisé de la part de qui ces agressions ou violences auraient été proférées.
En ce qui concerne ensuite les problèmes que les demandeur a invoqués en relation avec son demi-frère ou son patron, respectivement avec la bande de criminels appelée « … », indépendamment de la question de la gravité suffisante de ces actes afin d’être assimilés à des actes de persécutions ou d’atteintes graves au sens des dispositions de la Convention de Genève et de loi du 18 décembre 2015, force est de constater que les auteurs des agissements dont Monsieur (A) déclare avoir été victime au Cameroun sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. Le demandeur ne peut dès lors faire valoir une crainte fondée d’être persécuté, respectivement un risque réel de subir des atteintes graves que si les autorités camerounaises ne veulent ou ne peuvent pas lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.
En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut10.
Or, force est de constater que le demandeur n’a jamais dénoncé ses agresseurs auprès de la police camerounaise, respectivement auprès d’une autre autorité de son pays d’origine.
En effet, à la question de l’agent ministériel de savoir si le demandeur a déposé une plainte auprès d’une autorité contre les agissements de son demi-frère, de son patron ou encore de la bande de criminels appelée « … », celui-ci a répondu sans équivoque par la négative11. La soussignée relève, à cet égard, que si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’actes physiques ou mentaux, communément la forme d’une plainte. Ainsi, à défaut d’avoir déposé une plainte, le demandeur ne saurait reprocher aux autorités camerounaises compétentes une absence de protection contre les agissements ces personnes.
Au contraire, en ce qui concerne précisément les menaces de mort proférées à son encontre par son demi-frère, la soussignée relève qu’il se dégage des explications de la partie étatique, pièces internationales à l’appui, que l’article 302 du Code pénal camerounais punit par des peines d’emprisonnement et des amendes « […] celui qui, avec ordre ou condition, menace autrui, même implicitement, de violences ou de voies de fait. […] », de sorte qu’il doit être admis que les autorités camerounaises sont bien compétentes pour accorder au demandeur une protection contre les menaces de mort dont il a été victime de la part de ce dernier.
10 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
11 Page 9/13 du rapport d’entretien.
13Il convient encore de relever que sur question afférente de l’agent ministériel en charge de son entretien pour quelles raisons il n’a pas porté plainte suite à l’agression par « … » ayant eu lieu en novembre 2021, lesquels auraient été envoyés par son patron, le demandeur s’est limité à répondre « Parce que…si je portais plainte, ça n’allait pas aboutir, parce que j’avais à faire a quelqu’un de puissant, donc le patron de l’usine pour laquelle je travaillais. Il était le plus grand producteur de la zone. »12. Or, cette affirmation floue et non autrement développée ne permet en tout état de cause pas de retenir une quelconque défaillance, respectivement une absence d’action des autorités camerounaises contre les agissements émanant de son demi-frère, de son patron ou encore des « … ».
S’agissant des affirmations vagues du demandeur dans son recours selon lesquelles il aurait été exploité par son patron et que « les droits des salariés ne sont pas garantis par la loi de sorte que les employeurs tels qu’exprimé plus en avant agissent en dehors de toute réglementation sans qu’il n’y ait de conséquences judiciaires », voire que le texte régissant les relations de travail daterait de 1992 et serait caduc, force est de relever que si les publications générales dont se prévaut à cet égard le demandeur dénoncent certes la présence de corruption au Cameroun ainsi que la survenance d’accidents de travail dans ce pays, ces éléments ne sauraient cependant démontrer l’existence d’une défaillance systémique au sein du système policier et judiciaire camerounais, ni établir que les droits des salariés n’y seraient effectivement pas protégés. Surtout, force est de relever que le demandeur reste en défaut de démontrer par des éléments tangibles que dans son cas spécifique, les autorités camerounaises ne seraient pas capables ou non disposées à lui fournir une protection suffisante s’agissant des problèmes qu’il a invoqués en relation avec son patron et plus particulièrement par rapport à ses conditions de travail, de sorte que les allégations à cet égard ayant trait à un défaut de protection des autorités camerounaises en raison de la corruption qui y règnerait doivent être rejetées pour être non fondées.
Il s’ensuit que Monsieur (A) ne démontre pas qu’il n’aurait pas pu rechercher une protection au Cameroun contre les agissements de la part de son demi-frère, de son patron ou encore des membres de la bande criminelle « … ». En tout état de cause, si jamais après son retour au Cameroun, le demandeur devait à nouveau être confronté à des représailles de la part de ces personnes, il lui appartiendrait de s’adresser aux autorités camerounaises afin que celles-
ci engagent des poursuites par rapport à ses doléances.
Dès lors, la soussignée est amenée à conclure que le demandeur n’a manifestement pas établi un défaut de protection de la part des autorités étatiques camerounaises, de sorte qu’au moins l’une des conditions d’octroi du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire ne se trouve manifestement pas remplie dans son chef.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence, sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
12 Idem.
14 2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Force est de rappeler que la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.
Or, la soussignée, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer les dispositions de l’article 3 de la CEDH.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 avril 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur 15(A) dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours dirigé contre ces décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mai 2025 par la soussignée, Alexandra Bochet, vice-président au tribunal administratif, en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet 16