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19/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52955

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2025, 52955


Tribunal administratif N° 52955 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52955 2e chambre Inscrit le 3 juin 2025 Audience publique du 19 juin 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52955 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juin 2025 par Maître Lukman ANDIC, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A)...

Tribunal administratif N° 52955 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52955 2e chambre Inscrit le 3 juin 2025 Audience publique du 19 juin 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52955 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juin 2025 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le …, à …, en Tunisie, de nationalité tunisienne et demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 19 mai 2025 de recourir à la procédure accélérée, de celle portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 juin 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 juin 2025.

Le 24 mars 2025, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 28 mars 2025, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 19 mai 2025, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa 1Madame (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] En date du 24 mars 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Il ressort de votre dossier administratif et plus précisément du rapport du Service de Police Judiciaire effectué le jour de l'introduction de votre demande de protection internationale que vous avez été enregistrée en Allemagne, pays dans lequel vous êtes entrée le 8 mars 2022. « Eine Frist zur freiwilligen Ausreise » jusqu'au 13 février 2025, vous a par la suite été octroyée. Vous signalez encore auprès de la Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d'origine en 2007 à destination de l'Ukraine, où vous auriez vécu jusqu'en 2022.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, en février 2022, vous seriez partie en Pologne avant de gagner l'Allemagne. Vous y auriez sollicité un titre de séjour grâce à vos diplômes mais on vous aurait uniquement octroyé une « Fiktionsbescheinigung ». Les autorités allemandes auraient refusé votre demande de titre de séjour parce qu'elles vous auraient obligé de trouver un travail dans votre domaine de compétence. Après trois ans passés à Essen, le 23 mars 2025, vous auriez pris le train pour venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg. En date du 28 mars 2025, vous avez été entendue dans le cadre de votre entretien visant vos motifs de fuite.

2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez être de nationalité tunisienne, divorcée en précisant avoir oublié le lieu et la date du divorce, être de confession musulmane et originaire de …, où vous auriez vécu avec vos parents et votre frère. Vous avez introduit une demande de protection internationale « pour deux raisons : Je ne veux pas épouser mon cousin, et qui va s'occuper de moi maintenant que je suis malade ?» (p. 4 du rapport d'entretien).

Avant votre départ pour l'Ukraine, vous auriez divorcé pour pouvoir commencer une nouvelle vie. (B), un cousin riche aurait par la suite proposé à votre père de financer votre voyage, votre séjour et vos études en Ukraine. Il aurait régulièrement donné de l'argent à votre père qui vous l'aurait alors reversé. Vous dites aussi que votre cousin aurait menti alors qu'il n'aurait jamais expliqué à votre père qu'il compterait vous épouser si vous ne lui rembourseriez pas cet argent ; aujourd'hui, il s'agirait d"une grande somme d'argent mais vous ne sauriez pas combien.

Une fois, vers 2011, vous seriez retournée en Tunisie pour régler ce problème « avec mes parents et mon cousin » (p. 4 du rapport d'entretien) mais cela n'aurait abouti à rien alors 2que vous seriez originaire d'une région du nord « très stricte (…) où il faut encore porter le voile et pratiquer l'islam » (p. 4 du rapport d'entretien). Vous dites que vous auriez en plus été enfermée dans votre chambre. Après une semaine ou deux, vous seriez repartie en Ukraine sans le dire à personne. Vous n'auriez jamais contacté votre cousin pour résoudre ce problème directement avec lui.

Après votre retour en Ukraine, votre cousin aurait tenté d'avoir des informations sur vous moyennant des contacts dans le pays et en s'adressant aux autorités ukrainiennes. Après votre départ d'Ukraine en 2022, votre frère, habitant à Essen et possédant un passeport allemand, vous aurait contactée pour vous demander pourquoi vous auriez quitté la Tunisie.

Il vous aurait en outre dit de marier votre cousin alors qu'il serait riche, de retourner en Tunisie et de porter le voile.

Vous ajoutez cas de retour en Tunisie, « si je devais épouser mon cousin, je devrais porter le voile et rester à la maison » (p. 4 du rapport d'entretien). En plus, vous seriez interdite de travail, de sorte que votre santé mentale se dégraderait beaucoup et les médicaments seraient chers en Tunisie. Vous n'auriez également plus de contact avec votre famille. Vous craindriez en outre d'être envoyée dans un hôpital psychiatrique à cause de vos problèmes psychiques. De plus, dans le cadre d'un mariage forcé, votre cousin risquerait de vous frapper et ainsi aggraver vos problèmes psychiques.

Finalement, vous précisez ne pas connaître les lois en vigueur en Tunisie concernant le mariage forcé. Mise au courant que le mariage forcé est bien interdit en Tunisie, vous ajoutez que « Dans un cas normal, mais mon cas n'est pas normal. Dans mon cas, c'est la famille, c'est mon cousin » (p. 5 du rapport d'entretien) tout en prétendant que la mentalité de votre famille serait « très difficile » (p. 5 du rapport d'entretien) et qu'elle serait en faveur de ce mariage vu l'argent que posséderait votre cousin et l'impossibilité pour votre père de rembourser la dette en question.

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les pièces suivantes :

- Une photo de mauvaise qualité d'une copie ou une copie d'une copie de la page d'identité d'un passeport tunisien, émis à Bonn le 21 juillet 2023. Votre passeport se trouverait auprès des autorités allemandes qui vous l'auraient pris à une date dont vous ne vous souviendriez pas. Vous ne leur auriez jamais demandé d'explications. Vous ne sauriez en outre pas où se trouverait votre carte d'identité ;

- une ordonnance médicale émise au Luxembourg le 2 avril 2025.

3. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

« a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » 3Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale, il s'avère que le point a) de l'article 27 se trouve être d'application pour les raisons étayées ci-après.

4. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale A. Quant à la crédibilité de vos déclarations Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits ainsi que des craintes d'être victime de persécutions ou d'atteintes par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre les autorités en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Avant tout autre développement en cause, il s'agit de noter que vous n'avez pas versé la moindre pièce à l'appui de vos dires. En effet, vous n'avez pas été en mesure de présenter une quelconque pièce qui aurait permis de voir plus clair quant à votre situation personnelle et familiale en Tunisie, quant à votre prétendu premier mariage et le divorce conséquent, quant à votre vécu depuis votre départ de la Tunisie en 2007, quant à votre vie, votre travail ou vos études passées en Ukraine, quant à votre retour volontaire en Tunisie ou encore quant à votre séjour de trois ans en Allemagne. Surtout, vous n'avez pas non plus été en mesure de présenter le moindre élément concret pour corroborer vos dires en lien avec les dettes que vous auriez auprès de votre cousin, quant au versement d'argent depuis la Tunisie vers l'Ukraine ou encore quant au fait qu'il voudrait en 2025, encore et toujours vous épouser, alors que vous seriez aujourd'hui âgée de quarante-six ans et qu'il aurait exprimé cette envie avant votre retour en Tunisie en 2011. Vous n'avez pas non plus versé une preuve quelconque quant au fait que ce choix de mariage serait prétendument encouragé ou respecté par votre père et votre frère, voire, par votre famille.

A part le fait de citer le nom d'un dénommé (B), vous n'avez pas non plus présenté une quelconque preuve quant à l'existence de ce cousin, ni quant à la grande richesse qu'il détiendrait ou encore quant à votre constat selon lequel il serait une personne très influente, respectivement, qu'il aurait beaucoup « de connaissances, des connexions » (p. 5 du rapport d'entretien). Vous n'avez pas non plus versé une quelconque preuve susceptible de prouver que vous seriez effectivement issue d'une famille croyante conservatrice, respectivement, « très stricte », tout comme vous êtes restée en défaut de transmettre un quelconque élément à l'appui de vos dires selon lesquels votre région d'origine serait connue pour être très conservatrice et ce sur base de votre seul constat totalement superficiel que l'islam y serait toujours pratiqué et qu'il faudrait porter le voile.

4 Force est par ailleurs de constater que vous n'avez même pas été en mesure de prouver votre identité moyennant une quelconque pièce originale en étant uniquement en mesure de présenter une copie ou une photo d'une copie d'un passeport dont la photo de mauvaise qualité ne permet pas d'établir qu'il s'agirait effectivement du vôtre. A cela s'ajoute que vous prétendez ne tout simplement pas savoir où se trouverait votre carte d'identité tandis que vos explications vagues quant à votre passeport n'emportent pas conviction non plus à défaut de toute autre information. En effet, il n'est pas crédible qu'on vous ait tout simplement confisqué votre passeport en Allemagne sans vous donner d'explications et il est par ailleurs étonnant que vous ayez tout simplement accepté cela et que vous n'ayez jamais demandé des explications non plus, ni eu le réflexe de solliciter un nouveau passeport auprès des autorités tunisiennes. Le constat que vous ne vous rappelleriez pas non plus de la date ou du moins de la période de cette prétendue confiscation ne fait que soutenir les doutes évidents qui sont à formuler par à la sincérité de vos allégations.

Votre identité, votre passé et vos activités en Tunisie et en Europe restent en tout cas un grand mystère, comme si vous vouliez tout simplement rendre impossible aux autorités luxembourgeoises de découvrir votre véritable identité ou de permettre à celles-ci de comparer vos dires à la réalité, respectivement, à des éléments vérifiables sur base de recherches ou de comparaisons. Ce constat vaut d'autant plus que vous vivriez désormais depuis trois à quatre ans dans l'Union européenne et à peu près dix-huit ans en Europe mais qu'à aucun moment pendant tout ce temps, vous n'auriez jugé utile ou opportun de garder, voire, de vous procurer la moindre preuve en lien avec vos problèmes en Tunisie, vieux d'au moins une quinzaine d'années. Votre totale inaction dans ce domaine ne fait que confirmer le manque de gravité de votre situation en Tunisie et souligne le peu d'intérêt que vous portez à la procédure de protection internationale prévue en Europe.

A défaut de pièces, un demandeur de protection internationale doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que vous présentez votre récit de manière totalement vague et superficielle, voire, de manière partiellement confuse, manière qui ne permet pas de rendre vos allégations plus crédibles.

A défaut d'autres explications, il n'est en tout cas pas crédible ou cohérent de prétendre, d'une part, être issue d'une famille très conservatrice ou stricte religieusement parlant, en prétendant que les droits des femmes n'existeraient pas chez vous (p. 5 du rapport d'entretien), que vous auriez à vous plier à la volonté de votre père, frère ou cousin lequel vous devriez marier de force et qui vous obligerait à porter le voile et à ne pas travailler, contrairement à d'autre part, prétendre avoir déjà pu, avant 2007, divorcer de votre premier époux, tout comme retourner vivre chez vos parents en tant que femme divorcée, lesquels vous auraient à nouveau accepté chez eux et sans que vous ne fassiez part d'un quelconque souci ou ne serait-ce que d'une discussion que vous ayez tenue avec eux sur ce sujet. Surtout, il ressort encore de vos dires que vos parents vous auraient par la suite laissée partir seule en Europe, pour y étudier et vivre pendant quinze ans en tant que femme célibataire, votre père vous ayant de plus régulièrement envoyé de l'argent pour vous soutenir dans ce choix de vie. Or, il est évident que tel ne serait pas le comportement adopté par une famille très conservatrice dans laquelle le mariage forcé serait bien vu et strictement exigé. Au vu de ce qui précède, il paraît plus qu'évident que vous avez décidé d'avoir recours à un tel récit fictif impliquant l'islam, les droits des femmes ou le mariage forcé afin de lier votre récit à l'un des cinq motifs de fond du champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 et ainsi d'augmenter les probabilités de vous faire octroyer le statut de réfugié.

5 Dans ce contexte, on peut également ajouter que le comportement que vous avez adopté en Europe ne fait que confirmer le non-sérieux de vos démarches en matière de protection internationale. Alors qu'on peut attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée qu'elle introduise sa demande de protection internationale dans le premier pays sûr et dans les plus brefs délais, vous auriez toutefois préféré étudier et travailler en Ukraine pendant une quinzaine d'années plutôt que de vous préoccuper de votre prétendu besoin de protection. De même, pendant votre séjour de trois ans en Pologne et en Allemagne, l'envie ou le besoin de rechercher une protection internationale ne se serait pas non plus manifesté, lequel serait intervenu uniquement après votre arrivée au Luxembourg et après que vous ayez pendant trois ans, en vain, recherché à trouver un travail en Allemagne. Or, Madame, si vous aviez réellement craint être mariée de force à votre cousin en Tunisie, vous auriez très clairement introduit une demande de protection internationale antérieurement dans l'un des différents pays européens respectifs.

A cela s'ajoute qu'il n'est clairement pas crédible de prétendre ne plus être en contact avec votre famille, dont surtout votre père ou votre frère qui seraient en faveur de ce mariage forcé mais que vous ayez, comme par hasard, en même temps décidé de vous installer en Allemagne à Essen, c'est-à-dire l'exacte ville de résidence de votre frère en Allemagne.

Etant donné que vous auriez donc pu vous installer n'importe où en Allemagne après votre départ de la Pologne mais que vous avez décidé de justement choisir l'endroit de résidence de votre frère dans un pays comptant plus de 10.000 villes prouve à suffisance que, contrairement à vos dires, vous auriez toujours été en bons termes ou en contact avec ce dernier au cours de ces dernières années. Il doit en tout cas être exclu, tel que vous le prétendez, que votre frère n'aurait eu aucune notion de votre séjour en Allemagne.

Madame, sur base de tout ce qui précède, il doit partant être retenu que vous avez décidé de faire part d'un récit inventé de toutes pièces en vous servant d'une thématique sensible et en essayant de greffer votre histoire à l'un des motifs de fond du champ d'application de la Convention de Genève dans le but plus que probable de ne pas devoir mentionner les motifs qui sous-tendent réellement cette demande, à savoir de motifs économiques et de convenance personnelle, voire, des motifs médiaux.

Partant, votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

A supposer que vos déclarations seraient crédibles, quod non, il échet de constater que vous ne remplissez, ni les conditions pour l'octroi du statut de réfugié, ni celles pour l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

B. Quant à l'analyse au fond Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 61951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Concernant tout d'abord les motifs médicaux mentionnés, le fait que vous vous demanderiez « qui va s'occuper de moi maintenant que je suis malade ? », vos soucis psychiques ou vos craintes de voir ces problèmes empirer, le fait que vous seriez soignée au Luxembourg, votre crainte de vous faire placer dans une psychiatrie en Tunisie ou encore vos allégations en lien avec le prix des médicaments en Tunisie, il échet de noter que de tels motifs d'ordre médical ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015.

Quant au fait que votre cousin aurait à un moment donné, avant 2011, signalé à vous ou à votre père qu'il compterait vous marier si vous ne remboursiez pas l'argent qu'il vous aurait donné, il échet avant tout autre développement en cause de noter que ces faits se seraient produits au moins il y a une quinzaine d'années et qu'absolument rien ne permet de déduire qu'ils seraient toujours d'actualité. En effet, vous restez en défaut de faire part de quelconques autres menaces plus actuelles provenant de votre cousin en vous contentant de dire qu'en 2011, vous seriez une fois retournée en Tunisie en vain pour résoudre ce problème, tout en confirmant ne plus être en contact avec votre famille et ne jamais avoir pris directement contact avec votre cousin pour résoudre ce problème. A défaut de quelconques preuves et explications supplémentaires, il doit en tout cas être retenu que ce prétendu problème familial est définitivement trop éloigné dans le temps pour justifier l'octroi du statut de réfugié en 2025 et qu'absolument rien ne permet de dire que ce cousin voudrait toujours se marier à vous.

Quand bien même ce prétendu conflit familial serait toujours d'actualité, force est de constater que vous vous efforcez à le lier au caractère religieux stricte et conservateur de votre famille qui serait issue du nord de la Tunisie, c'est-à-dire une région qui serait plus conservatrice, où l'islam serait encore pratiqué, de sorte qu'il est a priori susceptible de tomber dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. Force est toutefois de constater que les seuls craintes et problèmes mentionnés ne revêtent pas un degré de gravité suffisant tels qu'ils puissent être assimilés à un acte de persécution ou crainte fondée de persécution au sens des dispositions précitées.

En effet, tel que susmentionné, vous faites part d'une menace totalement vague et 7lointaine de votre cousin qui, vers 2010, aurait voulu vous marier de force si on ne lui remboursait pas son argent prêté. Force est toutefois de constater que depuis tout ce temps, rien d'important, de grave ou ne serait-ce que de concret ne vous serait arrivé alors qu'en se basant sur vos explications, cela ferait donc au moins quinze ans que ce cousin attendrait d'être remboursé tout en acceptant apparemment cette situation. Le seul constat qu'en 2011, dans le cadre de votre retour volontaire en Tunisie, vous prétendez avoir été une fois, pour des raisons inconnues, enfermée dans votre chambre par vos parents en tant que femme âgée alors d'environ trente-deux ans, à part de ne pas emporter conviction, ne saurait en tout cas nullement suffire pour retenir une quelconque urgence ou gravité actuelle dans votre situation en Tunisie. La seule prétendue ancienne menace de votre cousin ne revêt en tout cas pas un degré de gravité tel à pouvoir être assimilée à un acte de persécution au sens des textes précités.

Ce constat vaut d'autant plus que vos craintes dans ce contexte sont à définir comme étant totalement hypothétiques et spéculatives. En effet, vous présentez vous-même vos craintes de manière totalement hypothétiques dans le style « si je devais épouser mon cousin, je devrais porter le voile et rester à la maison » tout en y ajoutant des craintes, tout aussi hypothétiques et spéculatives, de risquer dans un tel contexte de subir des violences domestiques.

Même à supposer que vos différents problèmes seraient à qualifier d'actes de persécution motivés par un des cinq motifs de fond de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, il convient de constater que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, ceux-ci peuvent être considérés comme fondant une crainte légitime uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités tunisiennes.

Or, tel qu'évoqué par l'agent chargé de votre entretien, le mariage forcé est bien illégal en Tunisie, pays qui reconnaît uniquement le mariage civil conclu entre deux parties consentantes à l'instar des informations ci-dessous :

« Le Code du statut personnel (CSP) promulgué le 13 août 1956 consacrait déjà l'égalité juridique entre hommes et femmes et interdisait la polygamie, les mariages forcés et la répudiation. ll a institué le mariage civil avec le consentement explicite des deux époux et donné aux hommes et aux femmes un accès égal au divorce devant les tribunaux. En effet, l'article 3 du CSP dispose que : « le mariage n'est formé que par le consentement mutuel des époux ». En 1993, ce Code a été amendé dans un sens encore plus égalitaire en interdisant notamment la violence domestique et en donnant aux mères des droits plus importants en particulier un droit de veto au mariage forcé de leurs filles. Ces avancées en faveur des femmes étaient sans précédent. En 1993, l'obligation faite à la femme d'obéir à son mari a été remplacée par le principe des droits et devoirs réciproques des époux. En 2007, le Code du statut personnel a été modifié de façon à harmoniser l'âge minimum légal du mariage, qui est aujourd'hui de 18 ans pour les hommes comme pour les femmes. En 2010, le Code de la nationalité a été révisé afin de permettre aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants au même titre que les hommes.

Cinq ans après la « Révolution de jasmin » et le changement de régime, la Tunisie, pionnière en matière de la promotion du statut de la femme dans le monde arabe, s'est dotée d'un arsenal juridique relativement solide pour protéger les droits de celle-ci. La nouvelle Constitution du 26 janvier 2014 consacre, en effet, l'égalité des sexes, protégeant et renforçant ainsi les acquis sociaux et politiques des femmes. Elle comporte des dispositions juridiques solides pour les droits de la femme comme l'article 46, qui dispose que : « l'État s'engage à 8respecter les droits acquis de la femme, les soutient et œuvre à les améliorer ». De plus, « l'État garantit l'égalité des chances entre la femme et l'homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines ». Ce même article oblige l'État à « œuvrer à réaliser la parité entre la femme et l'homme dans les conseils élus », ce qui fait de la Tunisie un des rares pays de la zone recouvrant l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient à avoir mis en place une telle obligation constitutionnelle de parité ».

Partant, vous auriez par conséquent à tout moment pu vous opposer à l'idée de marier votre cousin et pourriez d'ailleurs continuer à vos opposer à ce mariage en cas de retour en Tunisie. Vous restez en tout cas clairement en défaut d'expliquer pourquoi vous n'auriez pas pu compter sur la protection des autorités tunisiennes et de la loi dans le cadre de ce mariage forcé que vous craindriez devoir conclure avec votre cousin en cas de retour en Tunisie. Votre seule allégation selon laquelle vous ne pourriez pas compter sur la loi parce que cela se ferait uniquement « Dans un cas normal, mais mon cas n'est pas normal. Dans mon cas, c'est la famille, c'est mon cousin » ne saurait pas suffire pour contrebalancer les informations ci-

dessus retenues. Ce constat vaut d'autant plus que vous n'auriez donc plus de contact avec votre famille qui ne vous embêterait donc plus et que vous n'auriez même jamais été en contact avec votre cousin, de sorte qu'absolument rien ne vous empêcherait de simplement vous installer dans une autre région, sinon ville en cas de retour en Tunisie, notamment loin de cette région du nord du pays où on pratiquerait encore l'islam et où les femmes devraient porter le voile.

Cette conclusion s'avère d'autant plus possible et justifiée alors qu'il ressort des informations disponibles sur votre pays d'origine, qu'il est tout à fait possible de vivre en tant que femme célibataire en Tunisie et de subvenir à ses besoins en travaillant, surtout dans les grandes villes et en premier lieu à Tunis. Au cours de la dernière décennie la situation des femmes en Tunisie s'est en outre nettement améliorée3 au point que la Tunisie peut légitimement être définie comme étant la « pionnière du monde arabe en matière de promotion du statut des femmes ».

A toutes fins utiles, on peut encore ajouter que vous pourriez aussi compter sur le soutien d'associations de femmes qui travaillent spécifiquement dans le cadre des femmes fuyant leurs familles ou refusant le mariage forcé : « Ainsi une femme craignant un mariage forcé ou qui a rompu avec sa famille après son refus de se marier peut demander de l'aide et/ou protection à l'une des nombreuses organisations qui travaillent pour aider les femmes en situation difficile à l'instar de l'Association « … » qui a pour objectif d'apporter aide et soutien aux femmes marginalisées, souvent sans appui familial ».

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

9 L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Outre les conclusions ci-dessus retenues relatives à la crédibilité de vos déclarations et au refus du statut de réfugié, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour vers votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015, sinon que les autorités tunisiennes seraient non disposées à vous accorder une protection.

En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Tunisie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée dans le cadre d'une procédure accélérée.

Suivant les dispositions de l'article 34 (2) de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2025 Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 19 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 19 mai 2025, telles que déférées. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, Madame (A) explique être de nationalité tunisienne 10et de confession musulmane, tout en précisant qu’elle serait divorcée de son ex-mari en Tunisie et que suite à son divorce elle se serait rendue en Ukraine au moyen d’un visa étudiant. Elle affirme que ses études auraient été payées par son cousin et qu’elle ne serait retournée qu’une seule fois en Tunisie pour solutionner un différend familial, tout en ajoutant que lors dudit retour dans son pays d’origine, elle aurait été enfermée dans sa chambre et se serait enfuie « un matin ».

Elle continue en expliquant qu’elle aurait été forcée d’épouser son cousin Monsieur (B), qu’elle serait ensuite retournée en Ukraine mais qu’elle serait débitrice d’une dette envers ce dernier, lequel lui aurait indiqué que si elle ne pouvait pas rembourser ladite dette, elle serait contrainte de l’épouser. Son cousin aurait des contacts en Ukraine, à travers lesquels il aurait diffusé sa photographie au Consulat de Tunisie, à Kiev, de sorte que des personnes seraient à sa cherche ce qui l’aurait poussée à fuir l’Ukraine. Elle se serait rendue à Essen en Allemagne, pays dans lequel résiderait son frère, qui serait titulaire d’un passeport allemand. Son frère lui aurait cependant demandé de retourner en Tunisie, de se marier avec son cousin, de porter le voile et de « vivre sa vie ».

La demanderesse fait valoir que durant son entretien ministériel, ses déclarations auraient d’ores et déjà été remises en cause par l’agent en charge dudit entretien lequel l’aurait interrogée sur les lois en vigueur en Tunisie concernant le mariage forcé. Elle donne à considérer que bien que des lois prohibant le mariage forcé en Tunisie existeraient, cette pratique y serait toutefois encore bien présente, tout en précisant qu’il n’existerait pas d’associations « pour ce genre de problèmes » à … et que deux de ses cousines auraient été mariées de force en Tunisie, lesquelles n’auraient pas quitté ledit pays et vivraient avec des maris violents et alcooliques. Elle ajoute que durant son précédent mariage, elle aurait également été victime de violences conjugales de la part de son ex-mari qui aurait également été alcoolique, tout en donnant à considérer qu’elle craindrait la réaction violente de son cousin en cas de retour dans son pays d’origine alors qu’elle ne souhaiterait pas l’épouser.

Elle continue en expliquant que durant son séjour en Allemagne, les autorités allemandes auraient refusé de procéder « à sa régularisation », malgré l’exercice dans son chef d’une activité professionnelle durant trois années, tout en ajoutant qu’elle aurait subi des injures à caractère raciste lorsqu’elle était en Allemagne. Elle fait, dans ce contexte, valoir qu’en raison de tout ce qu’elle aurait vécu tant en Tunisie qu’en Allemagne, elle souffrirait de troubles psychiques dégradant sa santé mentale et qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait de subir un mariage forcé et une aggravation de sa santé mentale.

En droit, et après avoir cité le point a) du premier paragraphe de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 ainsi que le point f) de l’article 2 et l’article 10 de la même loi, la demanderesse se prévaut de l’article 8, paragraphe (2) de la directive 2005/85/UE du Parlement européen et du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », concernant l’examen auquel doivent procéder les autorités compétentes en matière de demandes de protection internationale, et de deux arrêts du tribunal administratif des 23 octobre 2019 et 16 janvier 2024, inscrits sous les numéros 43696, respectivement 49836 du rôle, de même que de l’article 4, paragraphe (5), point e) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant 11bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, relative aux conditions d’application du principe du bénéfice du doute pour faire valoir que le ministre se contenterait de mettre en doute la crédibilité de son récit en lui reprochant de ne pas rapporter la preuve des faits qu’elle aurait exposés à l’appui de sa demande de protection internationale. Elle estime que l’argument du ministre viendrait en contradiction avec la jurisprudence du tribunal administratif, laquelle aurait parfaitement conscience de la difficulté pour les demandeurs de protection internationale de rapporter la preuve des motifs à la base de leur demande, tout en précisant que la jurisprudence aurait retenu qu’un demandeur de protection internationale devrait s’être efforcé de documenter sa demande et qu’en cas d’impossibilité d’une telle documentation, il y aurait lieu d’apprécier si son récit apparaissait globalement comme étant crédible.

Elle donne, dans ce contexte, à considérer qu’elle ne pourrait pas rapporter de preuve écrite du risque de se voir imposer un mariage forcé dans la mesure où celui-ci lui serait imposé par sa propre famille. Elle reproche au ministre d’avoir (i) été particulièrement indélicat dans sa décision en affirmant : « ou encore quant au fait qu’il voudrait encore et toujours vous épouser en 2025 alors que vous seriez aujourd’hui âgée de … ans et qu’il aurait exprimé cette envie avant votre retour en Tunisie, en 2011 » et ii) argumenté qu’elle n’aurait pas rapporté la preuve de la richesse et de l’influence de son cousin en Tunisie, alors que celui-ci aurait payé les frais de sa scolarité et les dépenses de sa vie courante durant la totalité de son cursus, tout en précisant que le salaire moyen tunisien serait d’environ 300,00 euros par mois et que selon « UES UKRAINE », le coût des études en Ukraine serait d’environ 5000,00 dollars par an, soit de 416 dollars par mois, de sorte qu’il serait manifeste que son cousin serait un homme aisé, sans l’aide duquel elle n’aurait pas pu assumer le coût de ses frais de scolarité.

Elle reproche encore au ministre d’avoir retenu (i) qu’elle n’aurait pas rapporté la preuve que sa famille serait conservatrice et très pratiquante de l’islam et (ii) que son récit ne serait pas crédible au motif qu’elle n’aurait pas rapporté la preuve de son identité. Elle fait, dans ce contexte, valoir que la Tunisie serait un pays musulman conservateur, que l’islam rigoriste y serait appliqué et que cela ne saurait être contesté, de sorte que l’argumentation du ministre serait « sans emport » et qu’elle aurait bel et bien prouvé son identité dans la mesure où le ministre aurait précisé dans sa décision qu’elle aurait versé la copie de sa carte d’identité, tout en ajoutant avoir précisé que son passeport était entre les mains des autorités allemandes et que si le ministre était convaincu de son argument, il aurait également motivé sa décision sur base des points c) et d) du paragraphe 1er de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015.

La demanderesse fait ensuite valoir que le ministre aurait retenu qu’elle aurait inventé son récit en vue de le faire entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et de la loi de 2015, au motif qu’elle aurait quitté son pays d’origine en raison du fait que sa famille voulait lui imposer le port du voile et qu’elle y serait retournée quelques années plus tard sans que cela ne pose de soucis. Elle estime que le ministre manquerait encore de cohérence dans sa décision sur ce point, dans la mesure où il n’aurait pas visé, dans la décision déférée, le point e) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’il reconnaîtrait par là que son récit serait crédible sur ce point.

Elle ajoute que le ministre aurait encore fait une appréciation erronée des faits puisque le mariage forcé serait intervenu postérieurement à son divorce et qu’elle se serait enfuit à l’issue de son retour dans son pays d’origine en raison dudit mariage forcé et de la volonté de sa famille de lui imposer le port du voile. Elle réitère que ce serait son cousin qui aurait financé 12ses études et non son père. En ce qui concernerait son comportement en Europe, la demanderesse donne à considérer qu’elle aurait été titulaire d’un visa étudiant en Ukraine bien avant qu’elle ne soit forcée d’épouser son cousin et que ce serait suite à des agissements de celui-ci qu’elle aurait fui l’Ukraine, de sorte qu’il serait tout à fait logique qu’elle n’ait pas formulé de demande de protection internationale dans ce pays.

Elle précise encore qu’elle se serait ensuite rendue en Allemagne chez son frère et qu’elle y aurait travaillé, de sorte qu’elle se serait trouvée en sécurité et en séjour régulier dans ce pays et qu’il serait dès lors logique qu’elle n’y ait pas formulé de demande de protection internationale, cela d’autant plus que son frère aurait ensuite pris le parti de son père et de son cousin en lui demandant d’épouser ce dernier et de « faire sa vie » en Tunisie. La demanderesse ajoute que le ministre aurait prétendu, dans la décision déférée, qu’elle aurait séjourné en Pologne, alors qu’elle n’y aurait jamais séjourné mais y aurait juste passé la frontière pour rejoindre son frère en Allemagne, de sorte que, là encore, la décision du ministre serait factuellement erronée. Au vu de ces considérations, la demanderesse conclut que la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée serait à reformer alors qu’elle ne serait pas manifestement infondée.

Quant au refus de lui accorder le statut de réfugié, la demanderesse, après s’être référée à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, reprenant l’article 1A, paragraphe (2) de la Convention de Genève la demanderesse et tout en s’appuyant sur une jurisprudence de la CJUE et de la Cour Nationale du Droit d’Asile française, ainsi que sur un rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 15 février 2017, fait valoir que les mariages arrangés et forcés, notamment entre cousins, resteraient assez développés en Tunisie, en précisant que selon ce dernier rapport (i) les violences faites aux femmes resteraient courantes en Tunisie, (ii) les organisations non gouvernementales de soutien aux femmes victimes d’un mariage forcé ne seraient pas présentes en Tunisie tout en indiquant que si le Code pénal incriminait ces pratiques, il conviendrait de souligner que les sanctions y prévues seraient rarement appliquées. Elle ajoute, dans ce contexte, que tant la convention de Genève que la loi du 18 décembre 2015 entendraient par « protection de la part des autorités étatiques » une protection effective et non pas simplement une protection « textuelle », tout en précisant qu’il ressortirait du prédit rapport de l’OFPRA qu’aucune protection effective, ni même soutien ne seraient accordées aux victimes de mariage forcé, de sorte qu’il ne pourrait lui être reproché de ne pas avoir déposé de plainte dans son pays d’origine.

Madame (A) réitère ensuite qu’elle serait divorcée de son premier mari en Tunisie, en raison des violences conjugales qu’elle aurait subies et que suite à son divorce, elle se serait rendue en Ukraine en vue d’y suivre des études et qu’elle se serait vu attribuer un visa étudiant pour ce faire. Elle explique de nouveau que les études qu’elle y aurait suivies auraient été financées par son cousin et qu’elle ne serait retournée qu’une fois en Tunisie en vue de solutionner un différend familial et que lors dudit retour elle aurait été enfermée dans sa chambre et se serait ensuite enfuie « un matin » alors qu’elle aurait été forcée d’épouser son cousin en raison du fait qu’elle serait débitrice d’une dette auprès de celui-ci. Elle réitère encore (i) que son cousin aurait des contacts en Ukraine, (ii) qu’il aurait diffusé sa photographie au Consulat de Tunisie à Kiev, (iii) que des personnes l’auraient recherchée et l’auraient retrouvée, (iv) qu’elle aurait ensuite fui l’Ukraine pour rejoindre son frère résidant en Allemagne lequel serait titulaire d’un passeport allemand, (v) que son frère lui aurait alors demandé de retourner en Tunisie, de se marier avec son cousin, de porter le voile et d’y « vivre sa vie », tout en ajoutant que durant l’entretien ministériel, ses déclarations auraient d’ores et déjà été remises en cause dans la mesure où l’agent l’aurait interrogée sur les lois relatives au mariage forcé en 13vigueur en Tunisie. Elle réitère également (i) qu’elle aurait précisé lors dudit entretien ministériel qu’il n’existerait aucune association pour « ce genre de problèmes » à … (ii) que deux de ses cousines auraient été mariées de force en Tunisie, lesquelles vivraient avec des maris violents et alcooliques, (iii) que durant son précédent mariage elle aurait également été victime de violences conjugales de la part de son ex-mari également alcoolique, (iv) qu’elle craindrait la réaction violente de son cousin, en cas retour dans son pays d’origine, alors qu’elle ne souhaiterait pas l’épouser, (v) que durant son séjour en Allemagne, les autorités allemandes auraient refusé de procéder à sa régularisation, malgré le fait d’avoir exercé une activité professionnelle durant trois années, (vi) qu’elle aurait subi des injures à caractère raciste lorsqu’elle était en Allemagne, (vii) qu’en raison de tout ce qu’elle aurait vécu tant en Tunisie qu’en Allemagne, elle souffrirait de troubles psychiques dégradant sa santé mentale, (viii) qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait de subir un mariage forcé, outre une aggravation de sa santé mentale, de sorte que le statut de réfugié devrait nécessairement lui être accordé.

Quant au refus de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, la demanderesse, en s’appuyant sur un arrêt du 16 janvier 2024, affaire C-621/21 de la CJUE, ainsi que sur deux jugements du tribunal administratif des 16 janvier 2024 et du 26 janvier 2021, inscrits sous les numéros 49836, respectivement 43395 du rôle, fait valoir que ladite protection serait applicable aux personnes courant un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans leur pays d’origine, tout en ajoutant qu’une victime de tortures dans son pays d’origine pourrait bénéficier de ladite protection si elle y encourrait un risque réel de privation intentionnelle de soins adaptés à son état de santé physique ou mentale.

La demanderesse donne encore à considérer que suivant un arrêt de la CJUE du 24 avril 2018, affaire C-535/16, il y aurait lieu de vérifier, à la lumière de tous les éléments d’information actuels et pertinents - notamment des rapports d’organisations internationales et d’organisations non gouvernementales de protection des droits de l’homme - si, en l’occurrence, « … » était susceptible de se voir exposer, en cas de renvoi dans son pays d’origine, à un risque de privation intentionnelle de soins adaptés à la prise en charge des séquelles physiques ou mentales résultant des actes de torture perpétrés dans le passé par les autorités de son pays. Elle fait, dans ce contexte, valoir qu’il résulterait d’un certificat médical émis par le Docteur (C) du 2 juin 2025, qu’elle aurait fait l’objet d’un suivi psychiatrique à l’âge de … ans, ainsi que d’un tel suivi en Allemagne en 2024, en raison de violences conjugales qu’elle aurait subies lors de son précédent mariage, tout en indiquant que ledit certificat préciserait que son état de santé psychiatrique se serait aggravé et qu’elle suivrait un traitement médicamenteux.

La demanderesse se rapporte, dans ce contexte, à un rapport de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés (« OSAR ») du 21 février 2025 lequel préciserait qu’il existerait, en Tunisie, (i) une offre limitée en soins de santé mentale alors que seul un hôpital public spécialisé proposerait des soins hospitaliers, (ii) un financement insuffisant des soins de santé mental, (iii) un manque de personnel et de des ressources, surtout des travailleurs psychosociaux, de sorte que la population serait forcée de se tourner vers le secteur privé, (iv) une répartition géographique inégale des services de soins de santé mentale et (v) un coût élevé des consultations psychiatriques et psychologiques dans le secteur privé. Elle ajoute que (i) la concentration de l’offre de soins de santé mentale serait située dans la capitale et rendrait l’accès auxdits soins difficiles pour la population rurale, (ii) peu ou pas de structures de soins psychologiques accessibles pour les personnes souffrant de stress and d’anxiété, (iii) des pénuries chroniques de médicaments et (iv) le remboursement des médicaments dépendrait du 14statut d’assurance de la personne qui en consommerait et (iv) le montant du remboursement en question serait limité.

Etant donné qu’il ressortirait du certificat médical prémentionné qu’elle souffrirait de problèmes psychiatriques, de stress et d’anxiété en lien avec les violences de son ex-époux et à sa situation actuelle, à savoir le risque d’être mariée de force à son cousin et qu’il serait évident qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle ne pourrait pas bénéficier d’une prise en charge adéquate et que son état de santé s’aggraverait encore, le demandeur conclut qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle déférée.

A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur fait valoir que le rejet de sa demande de protection internationale reposerait sur une appréciation erronée des faits et du droit. En se prévalant de trois arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme « CourEDH » du 13 septembre 2016, Paposhvili c. Belgique, respectivement du 15 juin 2021, Kurt c. Autriche et du 22 mars 2016, M. G. c. Turquie, ainsi que d’un arrêt de la CJUE du 18 décembre 2014, M’Bodj c. Etat Belge, elle fait valoir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait de se voir mariée de force, tout en ajoutant qu’il ressortirait du certificat médical prémentionné qu’elle souffrirait de problèmes psychiatriques, de stress et d’anxiété qui seraient en lien avec les violences subies par son ex-mari, de sorte qu’il serait évident qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle ne pourrait pas bénéficier d’une prise en charge adéquate et que son état de santé s’aggraverait encore. Elle en conclut que l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre devrait, à son tour, être réformé.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en ses trois volets.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il ressort de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

La soussignée constate de prime abord que ni le texte légal ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé ».

15Il appartient dès lors à la soussignée, saisie d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente. En d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

1) Quant à la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant d’abord de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Madame (A) dans le cadre d’une procédure accélérée, la soussignée relève que cette dernière décision a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.

Afin d’analyser si Madame (A) n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 162015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1)1 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 392 et 403 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

1 « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

2 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être : a) l’Etat ; b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ; c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

3 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par : a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire. (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

17 Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.

Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire relève de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et que le demandeur doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

En l’espèce, indépendamment de la crédibilité des faits invoqués, la soussignée constate qu’à l’appui de sa demande de protection internationale, Madame (A) invoque la crainte (i) d’être mariée de force à son cousin en cas de retour dans son pays d’origine et (ii) d’une absence d’accès aux soins relatifs à sa santé mentale en Tunisie.

En ce qui concerne tout d’abord la crainte de cette dernière d’être mariée de force à son cousin, la soussignée constate que Madame (A) a expliqué, dans le cadre de son entretien ministériel, avoir quitté son pays d’origine en 2007 suite à son divorce avec son ex-mari pour rejoindre l’Ukraine et y suivre des études financées par son cousin, lequel l’aurait, en 2011, menacée de l’épouser de force, de sorte qu’elle serait retournée en Ukraine après quelques 18jours.

La soussignée est, tout d’abord, amenée à relever que les menaces que la demanderesse a subies de la part de son cousin remontent à plus de 14 ans, de sorte à être trop éloignées dans le temps pour justifier à elles seules l’octroi d’une protection internationale, étant, à cet égard, ajouté que Madame (A) n’a, à part l’affirmation particulièrement vague et non autrement circonstanciée selon laquelle « [à] mon retour en Ukraine, mon cousin a envoyé ma photo au consulat de Tunisie à Kiev. […] Il a commencé à demander aux autorités où je résidais. Mon cousin a aussi des amis en Ukraine. Ces gens ont cherché des informations sur moi, où j’habitais en Ukraine, quelle était ma situation en Ukraine 4», pas fait état d’autres menaces relatives à un mariage forcé dans son chef, voire d’un autre événement qui laisserait penser qu’elle sera à nouveau exposée à une telle menace de la part de son cousin en cas de retour dans son pays d’origine.

Au-delà de ces considérations, il y a lieu de préciser que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire relève de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et que le demandeur doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque dans l’hypothèse où la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, elle n’a pas besoin de la protection internationale.

Dans ce contexte, il y a lieu de souligner qu’une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution et lorsque le demandeur a accès à cette protection. La disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, il ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal que les autorités tunisiennes auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité d’assurer la protection de la demanderesse, étant précisé à cet égard qu’il ressort des déclarations de la concernée même qu’elle n’a jamais déposé une plainte ni recherché autrement une protection auprès des autorités tunisiennes.

4 Page 4 du rapport d’entretien ministériel de la demanderesse.

19Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut5. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces, communément la forme d’une plainte.

En l’espèce, la demanderesse est restée en défaut de fournir des motifs valables pour justifier son inaction et se contente d’affirmer de manière vague qu’« [e]n Ukraine j’étais loin de la Tunisie et personne ne me connaissait. En Ukraine il faut payer pour déposer une plainte.

Et en Allemagne mon cousin ne savait pas que j’étais en Allemagne »6.

Dans ces circonstances, la soussignée est amenée à retenir qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations de la demanderesse que les autorités tunisiennes compétentes ne voudraient ou ne pourraient pas lui fournir une protection appropriée contre les menaces dont elle déclare avoir été victime.

Cette conclusion n’est pas énervée par le rapport rendu en 2017 par l’OPFRA, prémentionné, dont la demanderesse se prévaut pour faire valoir une absence de protection et de soutien de la part des autorités et organisations tunisiennes à l’égard de femmes victimes de mariage forcées, respectivement de femmes risquant d’être victimes d’un tel mariage, alors que le prédit rapport indique explicitement que « [l]a Constitution tunisienne reconnaît l’égalité des citoyens sans discrimination de sexe. Le Code du statut personnel (CSP) promulgué le 13 août 1956 consacrait déjà l’égalité juridique entre hommes et femmes et interdisait la polygamie, les mariages forcés et la répudiation. Il a institué le mariage civil avec le consentement explicite des deux époux et donné aux hommes et aux femmes un accès égal au divorce devant les tribunaux. En effet, l’article 3 du CSP dispose que : « le mariage n'est formé que par le consentement mutuel des époux » » et que « [s]elon le rapport […] de Landinfo : « il n'y a pas d'organisations tunisiennes spécifiques ou d'ONG dédiées aux femmes qui sont victimes de mariage forcé. Cependant, il existe plusieurs organisations qui travaillent pour venir en aide aux femmes vulnérables, plus généralement aux femmes victimes de violences ou celles marginalisées qui se retrouvent sans domicile suite à un conflit familial ». Ainsi une femme craignant un mariage forcé ou qui a rompu avec sa famille après son refus de se marier peut demander de l'aide et/ou protection à l'une des nombreuses organisations qui travaillent pour aider les femmes en situation difficile à l'instar de l'Association « … » qui a pour objectif d'apporter aide et soutien aux femmes marginalisées, souvent sans appui familial » , de sorte qu’il n’est pas de nature à établir un défaut de protection généralisé de la part de l’Etat Tunisien contre de tels agissements, voire une incapacité des autorités, respectivement des organisations en place, de protéger les victimes risquant un mariage forcé, tel que c’est le cas de la demanderesse, étant à cet égard relevé qu’il ressort également des explications de la partie étatique, pièces à l’appui, que le mariage forcé est illégal en Tunisie, alors que ledit pays reconnaît uniquement le mariage civil ayant été conclu entre deux parties consentantes.

En ce qui concerne, ensuite, les difficultés alléguées d’accès aux soins de santé en 5 Jean-Yves Carlier, « Qu’est-ce un réfugié ? », Edition Bruylant, 1998, p. 754 6 Page5 5 du rapport d’entretien ministériel.

20Tunisie, il échet de relever que de tels motifs ne tombent, de par leur nature, pas non plus dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse n’ayant, à cet égard, pas fait état d’un quelconque traitement discriminatoire basé sur sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social, dont elle aurait été victime dans son pays d’origine.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, il se dégage des dispositions légales précitées que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire suppose, entre autres, que les faits invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité - lequel est déterminé, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave ».

Force est de constater qu’en l’espèce, la demanderesse n’allègue pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48, point a) de la loi du 18 décembre 2015, ni des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) du même article, mais elle estime, de l’entendement de la soussignée, que le fait d’être privé d’un accès aux soins médicaux de santé mentale dans son pays d’origine serait à qualifier de traitements inhumains ou dégradants au sens du point b) du même article.

Or, il y a lieu de relever que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de santé à lui seul, sinon avec la situation sanitaire et sociale du pays de destination, ou encore l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.

La soussignée relève, dans ce contexte, encore qu’il ressort, en tout état de cause, des recherches ministérielles, non remises en cause par la demanderesse, et plus particulièrement d’un rapport de l’European Union Agency for Asylum (« EUAA ») que tant la prise en charge et le suivi psychologique ou psychiatrique, que des traitements médicamenteux y relatifs sont disponibles en Tunisie, étant encore relevé que le même constat ressort des pièces versées à cet égard par la demanderesse, et plus particulièrement du rapport de l’OSAR, prémentionné, celui-ci indiquant en effet que « [t]ous les patients ont le droit d’accéder à des soins de santé mentale » et que « pour accéder aux services de soins de santé il suffit de présenter une pièce d’identité ».

Dans ces circonstances, la soussignée conclut que c’est manifestement à bon droit que le ministre a estimé que les faits invoqués par la demanderesse à la base de sa demande de protection internationale sont sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale.

Il s’ensuit que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Madame (A) dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 21décembre 2015 est à déclarer manifestement infondé.

2) Quant à la décision de refus d’accorder une protection internationale Force est de rappeler que la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale en question dans le cadre d’une procédure accélérée, que la demanderesse est restée en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.

Or, la soussignée, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la demande de protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que celle-ci ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre les décisions de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et la demanderesse est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, la soussignée relève qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu que le recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de la demanderesse est manifestement infondé et qu’un retour dans son pays d’origine ne l’expose dès lors ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

22reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi du statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

déboute la demanderesse de sa demande de protection internationale ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juin 2025 par la soussignée, Caroline Weyland, premier juge au tribunal administratif, en remplacement du vice-président de la deuxième chambre du tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Caroline Weyland 23


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52955
Date de la décision : 19/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-19;52955 ?

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