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20/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52884

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2025, 52884


Tribunal administratif N° 52884 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52884 1re chambre Inscrit le 20 mai 2025 Audience publique extraordinaire du 20 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52884 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … et ...

Tribunal administratif N° 52884 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52884 1re chambre Inscrit le 20 mai 2025 Audience publique extraordinaire du 20 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52884 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … et être de nationalité érythréenne, demeurant actuellement à L-…, tendant (i) à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 6 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant refus d’octroi d’une protection internationale et (iii) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juin 2025.

Le 24 avril 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée - police des étrangers.

Le 13 février 2025, Monsieur (A) fut entendu une nouvelle fois par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée - police des étrangers, audition lors de laquelle il fut confronté aux informations transmises par les autorités belges aux termes desquelles il serait 1connu auxdites autorités sous l’identité de « (B1) », qui serait arrivé en Belgique dans le cadre d’un regroupement familial.

En date du 6 mars 2025, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 6 mai 2025, notifiée au dénommé « (B1) » par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa le requérant qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à partir du jour où la décision de refus est devenue définitive. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) En date du 24 avril 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 201.5 »).

Je suis dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Monsieur, il ressort de la lecture de votre entretien ministériel du 6 mars 2025 que vous déclarez vous nommer (A), être né le …, de nationalité érythréenne, d'ethnie Tigrinya, de confession orthodoxe, célibataire et originaire … dans la région du ….

À l'appui de votre demande de protection internationale, vous expliquez que vous auriez quitté illégalement l'Erythrée en janvier 2020 afin d'échapper à l'obligation de votre service national, dont vous auriez perçu le caractère arbitraire et illimité à travers l'expérience de votre père, enrôlé depuis votre enfance. Vous précisez que vous auriez été particulièrement exposé aux risques d'être recruté de force par les autorités érythréennes en raison de votre déscolarisation en 2018 qui résulte d'une précarité familiale. À …, les autorités érythréennes seraient régulièrement venues pour enrôler les nouveaux conscrits et auraient menés des opérations de ratissages, appelées « giffas », allant jusqu'à interroger votre famille à votre sujet. Après deux années passées à vous cacher desdites autorités, vous auriez décidé de fuir préventivement votre pays d'origine par crainte d'être capturé et enrôlé.

Ainsi, en janvier 2020, vous auriez franchi illégalement la frontière vers l'Éthiopie, où vous seriez resté pendant trois années, avant de transiter par le Kenya, puis l'Ouganda pendant une année. Muni d'un faux passeport éthiopien, vous vous seriez envolé vers la Turquie, puis vous auriez rejoint la Grèce grâce à des passeurs. Vous auriez ensuite pris un vol vers la France avec un autre faux passeport, et enfin atteint le Luxembourg sur les conseils de ressortissants érythréens rencontrés à Paris.

En cas de retour dans votre pays d'origine, vois craindriez de vous faire emprisonner en raison de votre sortie illégale d'Erythrée et redouteriez de devoir accomplir votre service national.

2À l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne versez aucun document.

2. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous deux des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

c) « le demandeur a induit en erreur les autorités en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable ; » Il est pertinent de rappeler à cet égard que vous avez déclaré lors de l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 avril 2024, que vous vous nommeriez (A) et que vous seriez né le … à … en Erythrée. Le même jour, auprès du Service de Police judiciaire, vous avez ajouté que vous n'auriez jamais possédé de documents d'identité et que vous seriez célibataire. Vous avez d'ailleurs spontanément affirmé que vous auriez l'espoir de faire venir au Luxembourg votre future épouse après votre mariage, que vous envisageriez soit en Erythrée, soit en Ouganda en cas d'impossibilité de regagner votre pays d'origine. Vous avez aussi décrit votre itinéraire, expliquant qu'après avoir franchi illégalement la frontière érythréo-éthiopienne en janvier 2020, vous auriez vécu trois ans en Ethiopie, puis un an en Ouganda, avant de vous envoler vers la Turquie en étant muni d'un faux passeport. Vous auriez rejoint la Grèce et vous y auriez pris un vol vers la France avec un autre faux passeport, avant de rejoindre le Luxembourg.

Or, au regard des renseignements à votre sujet qui ont été partagés ultérieurement à la Direction générale de l'immigration, il apparaît clairement que les déclarations que vous avez émises le 24 avril 2024 ne sauraient être considérées comme fiables et crédibles, notamment celles relatives à votre identité et votre itinéraire migratoire.

En effet, les autorités belges ont signalé aux autorités luxembourgeoises que vous avez en réalité rejoint la Belgique via un regroupement familial sollicité par votre épouse (B2), bénéficiaire d'une protection internationale en Belgique depuis octobre 2022, et que vous êtes enregistré sous une autre identité, à savoir celle de (B1), né le … à … en Erythrée. Dans le cadre de ce signalement, les autorités belges ont également transmis le dossier administratif afférent audit regroupement familial, incluant l'ensemble des pièces que vous aviez versées à l'appui de cette demande. Ce dossier comprend notamment des photocopies de votre certificat de naissance, de votre certificat de baptême, ainsi que votre acte de mariage, une copie de votre certificat de demandeur d'asile délivré à Kampala par les autorités ougandaises, des captures d'écran de vos échanges digitaux avec (B2), et un lot d'une vingtaine de photographies à l'occasion manifeste de votre mariage. Certains de ces documents comportent votre portrait, et vous êtes facilement identifiable en costume de marié dans les photographies du mariage.

Fort de ces éléments particulièrement documentés, la Direction générale de l'immigration disposait d'indices sérieux et concordants concernant non seulement votre véritable identité, mais aussi le réel déroulement de votre parcours migratoire, suggérant 3clairement que vous aviez donc délibérément induit en erreur les autorités luxembourgeoises lors de l'introduction de votre demande de protection internationale le 24 avril 2024.

En conséquence, vous avez été convoqué par le Service de Police judiciaire en date du 13 février 2025, afin d'être entendu et de fournir les clarifications nécessaires. Au cours de cet échange, la comparaison de vos empreintes digitales, effectuée dans la base de données du Centre de Coopération Policière et Douanière (CCPD), est tout d'abord venue confirmer ces éléments, établissant formellement que vous êtes connu et enregistré en Belgique sous l'identité de (B1), né le …, et que vous aviez été signalé par les autorités belges comme personne disparue depuis le 2 mai 2024. Pourtant, en dépit de la présentation de ces preuves tangibles et irréfutables, vous avez catégoriquement refusé toute affiliation à cette identité.

Vous avez par exemple nié que vous seriez marié à (B2) quand bien même une photocopie de votre certificat de mariage vous est présentée sur laquelle figure votre portrait.

Lorsque vous avez été confronté aux photographies prises lors de la célébration de votre mariage, vous avez reconnu votre présence sur ces images, mais vous n'avez pas pu en fournir d'explication. Par rapport à votre portrait figurant sur une demande de visa soumises aux autorités belges, vous avez également reconnu être la personne représentée, mais vous n'avez pas justifié l'occurrence d'une telle démarche. En somme, à travers l'ensemble de vos réponses, vous avez systématiquement maintenu votre version des faits, selon laquelle « Ich bin nicht verheiratet. Ich kann mir die gezeigten Fotos nicht erklären. Ich bin illegal eingereist und habe nie eine Familienzusammenführung beantragt. Alles andere, was Sie mir vorlegen, entspricht nicht der Wahrheit ».

Par la suite, lors de votre entretien ministériel du 6 mars 2025, vous avez manifestement persisté dans cette posture de déni intégral, en contradiction flagrante avec l'ensemble des éléments matériels et probants portés à votre connaissance. En effet, alors que l'agent ministériel en charge de votre entretien vous rappelle que la comparaison de vos empreintes digitales avait permis d'établir que vous êtes connu des autorités belges sous l'identité de (B1) et que vous aviez rejoint légalement la Belgique à partir de l'Ouganda dans le cadre d'un regroupement familial introduit par (B2), vous avez encore contesté être cette personne : « This was not me » (p.2/13 du rapport d'entretien), tout en niant être marié : « I have no wife. I am not married » (p.3/13 du rapport d'entretien).

Bien que vous ayez ensuite reconnu être la personne représentée sur les photographies jointes à la demande de visa ou figurant sur le certificat de mariage, vous avez continué à nier toute implication dans ces démarches, en affirmant ne pas comprendre comment ces documents avaient été constitués : « i have no idea about any of this », « The picture is mine but I cannot understand the rest », ou encore « The picture is mine but not the document » (p.2/13 du rapport d'entretien).

Cette position de déni s'est également illustrée lorsque vous avez été interrogé au sujet de la signature apposée sur la demande de visa belge. Bien que cette signature corresponde clairement à celle utilisée pour votre demande de protection internationale au Luxembourg, vous avez soutenu qu'elle ne vous appartenait pas : « The one on the document .1 signed in Luxembourg is mine. The other document from the Belgian authorities is not mine » (p.3/13 du rapport d'entretien).

Confronté ensuite à des éléments biométriques incontestables, notamment les résultats de la comparaison de vos empreintes digitales qui établissent formellement votre identité 4comme étant celle de (B1), vous vous êtes borné à déclarer ne pas comprendre comment vos empreintes digitales avaient pu se retrouver dans un tel dossier. Ce refus d'assumer l'évidence est d'autant plus révélateur que vos explications se sont avérées manifestement incohérentes.

Vous avez tout d'abord affirmé avoir fourni vos empreintes à la police ougandaise pour l'obtention d'un certificat de bonne conduite, avant de contredire cette version en insinuant que l'on ne fournit ses empreintes en Ouganda que lorsqu'on est incarcéré. Or, vous avez vous-

même reconnu ne jamais avoir été emprisonné, ce que confirme d'ailleurs la délivrance du certificat en question. Cette contradiction flagrante met en lumière le caractère fallacieux de vos déclarations et tend à confirmer que vos empreintes ont bien été relevées dans le cadre d'une procédure de demande de visa, ce que vous continuez pourtant à nier avec insistance.

Cette attitude déplorable s'est prolongée jusqu'à votre évocation d'un hypothétique dépôt de plainte pour usurpation d'identité auprès de la police luxembourgeoise, tentative manifestement destinée à vous faire passer fallacieusement pour une victime et à entretenir le doute sur votre véritable identité. Or, aucune suite concrète n'a été donnée à cette déclaration :

aucun document n'a été versé au dossier pour attester de cette démarche, ni pour appuyer l'identité alternative revendiquée, celle d'(A). Cette absence renforce te constat selon lequel il ne saurait être question d'une usurpation d'identité, mais bien d'un refus obstiné de reconnaître que vous avez été formellement identifié.

Le 14 avril 2025, vous vous êtes présenté à la Direction générale de l'immigration afin de procéder à la prorogation de la validité de votre attestation d'introduction d'une demande de protection internationale, initialement établie sous l'identité d'(A). Toutefois, en raison de la régularisation de votre situation identitaire et de la mise à jour de vos données personnelles dans les registres nationaux, une nouvelle attestation vous a été délivrée, faisant état de votre véritable identité, à savoir (B1). Vous avez cependant refusé de prendre possession de cette nouvelle attestation et avez quitté les lieux sans document en main. Par conséquent, vous vous trouvez depuis cette date en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois.

Eu égard à ce qui précède, Monsieur, il convient de retenir que votre attitude, marquée par une dissimulation manifeste et persistante, constitue un abus des procédures en matière de protection internationale. En adoptant une posture de mensonge délibéré quant à votre réelle identité et date de naissance, et en refusant d'admettre l'irréfutable, vous rendez actuellement toute vérification objective de votre parcours personnel avant votre arrivée au Luxembourg. Or, ces informations constituent des éléments essentiels, voire fondamentaux, à l'évaluation de votre demande de protection internationale.

Il est de ce fait évident que les autorités luxembourgeoises ne sauraient octroyer une protection internationale à une personne qui, depuis le dépôt de sa demande, adopte une stratégie de falsification ostensible et refuser de coopérer de manière honnête. Votre démarche traduit une volonté claire d'induire en erreur les autorités luxembourgeoises, en dissimulant des éléments cruciaux, en l'occurrence votre véritable identité, qui auraient pu influencer la décision de votre demande de protection internationale dans un sens que vous estimez défavorable. Autrement dit, il apparaît que vous tentez de tirer avantage de cette fausse identité dans l'espoir d'obtenir une protection internationale au Luxembourg. Par cette stratégie d'opacité, vous compromettez indéniablement le bon déroulement de la procédure et détournez les ressours d'un système conçu pour protéger les personnes réellement exposées à des risques graves.

5Eu égard à ce qui précède, il échet de relever que vos manœuvres frauduleuses justifient pleinement l'application de la procédure accélérée à votre égard.

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27 se trouve également être d'application pour les raisons étayées ci-après.

3.Quant à la motivation du refus de votre de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de ta Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Monsieur, avant même d'examiner les motifs susceptibles de justifier l'octroi d'une protection internationale, encore faut-il pouvoir déterminer avec certitude l'identité de la personne qui en fait la demande. Or, dans votre cas, cette condition fondamentale demeure insatisfaite.

En effet, quand bien même la Direction générale de l'immigration dispose d'éléments tangibles et de preuves irréfutables démontrant que vous êtes (B1), né le …, vous persistez à nier cette identité, tout en prétendant être (A), né le ….

Ce refus obstiné à reconnaître une identité pourtant établie de manière formelle et étayée par des preuves incontestables place l'analyse de votre demande de protection internationale dans une impasse procédurale puisque, tant que vous refusez de reconnaître votre véritable identité, aucun examen sérieux de votre demande de protection internationale ne pourra être mené. En effet, votre attitude compromet gravement la fiabilité de vos déclarations et mine la sincérité de votre démarche qui devient fondée sur une identité manifestement usurpée. Autrement dit, en persistant à vous présenter sous la fausse identité d'(A), sans jamais produire le moindre document officiel permettant d'en attester, vous adoptez une posture d'opacité incompatible avec les exigences de transparence inhérentes à l'examen d'une demande de protection internationale.

Ce manque de franchise ne constitue pas seulement une atteinte à l'intégrité de la procédure en matière de protection internationale, mais rend également toute évaluation fiable de vos déclarations ultérieures impossible. En effet, dès lors que vous refusez d'admettre qui vous êtes réellement, toutes les informations que vous pourriez avancer au soutien de votre demande de protection, et qui seraient fondées sur une fausse identité, sont nécessairement entachées de doute, voire considérées comme dénuées de toute pertinence. La Direction générale de l'immigration ne peut, dans ces conditions, accorder aucun crédit à un récit dont le fondement repose sur une usurpation manifeste et sur une volonté délibérée d'abuser des procédures en matière de protection internationale.

Ainsi, il est inconcevable que les autorités luxembourgeoises accordent un titre de voyage et un titre de séjour à une personne sur base d'une identité, d'une nationalité et d'une 6date de naissance qui ne sont pas établies. En effet, le seul fait de prétendre d'être de nationalité érythréenne ne saurait pas suffire pour se voir octroyer une protection internationale.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée dans le cadre d'une procédure accélérée.

Suivant les dispositions de l’article 34 (2) de la loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée à destination de l'Erythrée, où de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé(e)(s) à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire trois recours tendant respectivement (i) à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 6 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant refus d’octroi d’une protection internationale et (iii) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

L’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours. La soussignée est dès lors compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 6 mai 2025 portant refus de la demande de protection internationale du requérant.

S’agissant des recours en annulation dirigés contre la décision de statuer sur le bien-

fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et l’ordre de quitter le territoire, il échet de rappeler que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation étant a priori à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que circonscrits dans le dispositif de la requête introductive d’instance. Il y a lieu de relever, au vu de la demande y formulée tendant à voir annuler les décisions de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et celle portant ordre de quitter le territoire, que les recours, en dépit de la possibilité plus large et plus favorable à l’administré d’un recours en réformation prévue par la loi, tendent à la seule annulation des décisions précitées.

Or, il échet de rappeler que si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité1.

Lesdits recours ayant encore été introduits dans les formes et délai de la loi, ils sont à déclarer recevables.

1 Trib. adm., 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.

7A l’appui de son recours et en fait, le demandeur soutient avoir quitté l’Erythrée de manière irrégulière en fuyant le service militaire après avoir été caché pendant plusieurs années pour éviter une conscription.

En droit, le demandeur soutient tout d’abord que la décision ne lui aurait pas été valablement notifiée étant donné qu’elle aurait été adressée à un dénommé « (B1) ».

Le demandeur expose que son litismandataire aurait à plusieurs reprises informé les services ministériels de cette erreur, sans que cela aurait entrainé une réaction de la part du ministère.

Le demandeur invoque ensuite une « violation du contradictoire », dans la mesure où aucun des documents transmis par les autorités belges ne lui aurait été communiqué. Il regrette plus particulièrement ne pas avoir disposé desdits documents au moment de son entretien, ce qui contreviendrait à l’article 23, paragraphe (1) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après désignée par « la directive 2013/32/UE ».

Il donne à considérer dans ce contexte que malgré plusieurs demandes afférentes de son litismandataire au cours de la procédure précontentieuse, le dossier administratif ne lui aurait pas été communiqué.

Le demandeur fait encore valoir qu’à défaut de « décision pénale », le ministre ne saurait lui reprocher « une fraude d'identité », dans la mesure où l’administration, aux termes de l’article 6, paragraphe (2) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ne pourrait se substituer à une juridiction répressive « pour écarter la bonne foi présumée du requérant ».

Quant au volet de la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et plus particulièrement le reproche du ministre selon lequel le demandeur aurait délibérément induit les autorités en erreur, le demandeur fait valoir que la seule transmission des documents des autorités belges ne saurait constituer une preuve de fraude, étant donné qu’aucune expertise graphologique ou dactyloscopique n’aurait été effectuée et aucune audition contradictoire sur cette identité alternative n’aurait eu lieu.

Quant au volet de la décision portant refus de sa demande de protection internationale, le demandeur reproche au ministre, en violation de l’article 4, paragraphe (3) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE », de ne pas avoir procédé à un examen du risque en cas de retour dans son pays d’origine, alors qu’il n’aurait pas contesté que la fuite de l’Erythrée aurait été motivée par le fait d’échapper au service militaire obligatoire.

Le demandeur insiste dans ce contexte sur le fait qu’il encourrait un risque avéré d’être emprisonné en cas de retour dans son pays d’origine, respectivement de faire l’objet d’actes de torture, tel qu’il ressortirait, par ailleurs, des rapports de Human Rights Watch et de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (« OSAR ») de l’année 2024.

8 Il soutient ensuite que le principe du bénéfice du doute devrait lui être appliqué.

Le demandeur fait valoir qu’il remplirait les conditions du statut de réfugié, alors que ses craintes seraient documentées, individuelles et découleraient d’une politique étatique persistante. Il soutient remplir également les conditions du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il donne à considérer que même si son identité devait être considérée comme « incertaine », cela ne dispenserait pas le ministre de procéder à une évaluation complète des risques en cas de retour dans son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des recours et précise que le demandeur n’aurait versé aucun document d’identité à l’appui de sa demande de protection internationale.

L’identité dont il se prévaut se serait avérée être fausse. Il rappelle que les autorités belges auraient informé les autorités luxembourgeoises de la véritable identité du demandeur à la suite de la comparaison des empreintes digitales dans la base de données du CCPD.

La partie gouvernementale insiste sur le fait que le dossier administratif aurait été communiqué au litismandataire du demandeur et ce avant l’entretien sur les motifs de fuite du demandeur.

Quant à l’absence de plainte pénale déposée par le ministre, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il appartiendrait au demandeur de protection internationale d’établir son identité et face aux informations officielles des autorités belges, le demandeur aurait la charge de rapporter la preuve de sa réelle identité.

Quant au point c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 sur lequel le ministre s’est basé pour motiver la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le délégué du gouvernement fait valoir que le demandeur aurait sciemment menti aux autorités luxembourgeoises en fournissant des déclarations mensongères par rapport à son identité et son itinéraire migratoire. Il rappelle dans ce contexte les différentes déclarations effectuées par le demandeur à cet égard et fait valoir qu’aucune plainte pénale pour usurpation d’identité n’aurait été déposée par ses soins.

Il en conclut que les manœuvres frauduleuses justifieraient l’application de la procédure accélérée à son égard.

Quant au point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 sur lequel le ministre s’est encore basé pour motiver la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait constaté à bon droit que le demandeur n’aurait pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre aurait à juste titre réfuté la sincérité des propos du demandeur et par conséquent la gravité de sa situation dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, il précise qu’avant d’examiner les motifs susceptibles de justifier l’octroi d’une protection internationale il faudrait pouvoir déterminer avec certitude l’identité de la personne qui en fait la demande. Dans la mesure où le demandeur persisterait à nier 9l’identité de « (B1) » établie sur base d’éléments tangibles et de preuves irréfutables, l’analyse de la demande de protection internationale du demandeur serait placée dans « une impasse procédurale », étant donné qu’aucun examen sérieux de sa demande ne pourrait être mené. En persistant à se présenter sous une fausse identité, le demandeur aurait adopté une posture d’opacité incompatible avec les exigences de transparence qui seraient inhérentes à l’examen d’une demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’aucun crédit ne saurait être accordé au récit du demandeur dont le fondement reposerait sur une identité fausse et sur une volonté délibérée d’abuser des procédures en matière de protection internationale.

Il serait inconcevable que les autorités luxembourgeoises accorderaient un titre de voyage et un titre de séjour à une personne sur base d’une identité et d’une date de naissance qui ne sont pas établies.

La partie gouvernementale estime ensuite qu’au vu du manque de crédibilité retenu sans que le demandeur n’aurait apporté un élément susceptible d’infirmer ce constat, le bénéfice du doute ne saurait lui profiter.

Le délégué du gouvernement précise que dans la mesure où le ministre aurait limité son analyse à la seule question de la crédibilité du récit du demandeur sans procéder à une analyse des conditions de fond de l’octroi d’un des deux statuts de protection internationale, il ne prendrait pas position par rapport aux arguments du demandeur ayant trait aux motifs de fuite de son pays d’origine.

En renvoyant aux arguments précités, le délégué du gouvernement conclut que c’est à bon droit que le ministre a pris la décision de refuser l’octroi de la protection internationale et que le recours afférent devrait être déclaré manifestement non-fondé.

Quant à l’ordre de quitter le territoire, le délégué du gouvernement fait valoir que cette décision découlerait directement du rejet de la demande de protection internationale.

Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

10Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé et, dans la négative de renvoyer le recours devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux.

Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des trois décisions déférées, à savoir (i) celle d’analyser la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) celle refusant l’octroi d’une protection internationale et (iii) celle portant ordre de quitter le territoire, sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé quant à l’un des volets visant l’une des prédites décisions, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion étant le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

En l’espèce, la soussignée constate que le ministre conteste certes l’identité du demandeur, mais en affirmant que le demandeur serait en réalité le dénommé « (B1) », il admet a priori incidemment qu’il est de nationalité érythréenne.

Or, dans la mesure où il ressort notamment du rapport de l’OSAR intitulé « Erythrée :

risques au retour et accès à des soins de santé mentale pour une victime de la traite » du 23 avril 2024 versé par le demandeur que les personnes renvoyées de force après avoir cherché refuge à l’étranger courent un risque élevé de détention et de mauvais traitements, la soussignée est amenée à retenir que l’analyse de l’incidence de la nationalité du demandeur excède le cadre de son analyse et qu’une appréciation approfondie doit être effectuée par rapport aux faits et arguments ainsi développés par le demandeur, de sorte que le recours ne peut pas être considéré comme étant manifestement infondé.

Au vu de ces considérations, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant une chambre collégiale du tribunal administratif pour y statuer, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant.

Par ces motifs, le vice-président, siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

11reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2025 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2025 refusant de faire droit à la demande de protection internationale ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2025 portant ordre de quitter le territoire ;

dit que lesdits recours ne sont pas manifestement infondés et renvoie l’affaire devant la première chambre du tribunal administratif siégeant en formation collégiale pour y statuer ;

fixe l’affaire pour plaidoiries à l’audience publique de la première chambre du mercredi 2 juillet 2025 à 15.00 heures ;

réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 juin 2025, par la soussignée, Michèle STOFFEL, vice-président au tribunal administratif, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52884
Date de la décision : 20/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-20;52884 ?

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