CP/CD
Numéro 4671/12
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 22/11/2012
Dossier : 11/00152
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
[E] [D]
C/
SA BLANCQ-OLIBET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 22 Novembre 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 20 Septembre 2012, devant :
Madame PAGE, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame DEBON, faisant fonction de Greffière,
en présence de Mesdames BRUET et BOUIN, greffières stagiaires.
Madame [M], en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Monsieur GAUTHIER et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur CHELLE, Président
Madame PAGE, Conseiller
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [E] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Maître POMBIEILH, avocat au barreau de PAU
INTIMÉE :
SA BLANCQ-OLIBET
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître MALTERRE, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 22 DÉCEMBRE 2010
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [E] [D] a été embauché par la SA BLANCQ-OLIBET le 1er février 1977 en qualité de magasinier mécanicien polyvalent suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective de l'industrie textile.
Après avoir été convoqué par lettre du 11 septembre 2008 à un entretien préalable au licenciement fixé le 18 septembre, il a été licencié par lettre du 7 octobre 2008 pour cause économique.
Le Conseil de Prud'hommes de PAU, par jugement contradictoire du 22 décembre 2010, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, des moyens et de la procédure a considéré que le licenciement a une cause réelle et sérieuse, mais il a dit que l'ordre des licenciements n'avait pas été respecté, en conséquence, il a condamné la SA BLANCQ-OLIBET à verser à Monsieur [E] [D] les sommes de :
5.000 € au titre des dommages et intérêts pour non-respect des critères de l'ordre des licenciements,
1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a débouté les parties du surplus de leurs demandes et a condamné la SA BLANCQ-OLIBET aux dépens de l'instance.
Monsieur [E] [D] a interjeté appel de ce jugement le 13 janvier 2011.
Les parties ont comparu à l'audience par représentation de leur conseil respectif.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions développées à l'audience, Monsieur [E] [D] demande à la Cour de déclarer l'appel recevable, de réformer le jugement, de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de le confirmer sur le non-respect de l'ordre des licenciements, de condamner la SA BLANCQ-OLIBET à payer les sommes de :
60.000 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
40.000 € au titre des dommages et intérêts pour non-respect des critères de l'ordre des licenciements,
2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la décision du Conseil de Prud'hommes,
- de condamner la SA BLANCQ-OLIBET aux entiers dépens d'appel.
Monsieur [E] [D] fait valoir que la SA BLANCQ-OLIBET ne cesse de se contredire :
- à propos de la situation financière de la société, si elle a connu un résultat déficitaire pour 2007, la situation en septembre 2008, au moment du licenciement est en voie de redressement ainsi qu'il ressort de la réunion des délégués du personnel du 24 septembre 2008 où l'employeur explique que les banques la soutiennent à nouveau, que le CA n'est que de 2,4 % en dessous du budget et que la trésorerie devrait se redresser début 2009 et que la charge de travail devrait être importante,
- à propos de la suppression de son poste, qu'en fait la réunion de juin proposait la suppression du poste de Monsieur [I] et de fait, c'est le poste de ce dernier, mécanicien tricotage qui a été proposé dans le cadre de la recherche de reclassement,
- qu'il est contrairement à ce dernier, polyvalent, mécanicien, magasinier, découpeur de bérets alors que la SA BLANCQ-OLIBET soutient dans ses conclusions, que c'est le secteur tricotage qui a été affecté et qui a disparu et non la confection ; qu'il occupait donc un poste de production et que son poste n'a pas été supprimé et qu'il a même assuré des formations de mécanicien dans l'entreprise,
- subsidiairement, sur l'ordre des licenciements, il fait valoir que l'on s'est débarrassé du mécanicien le plus ancien et donc le plus coûteux, le plus polyvalent et que donc les critères de l'ordre des licenciements n'ont pas été respectés.
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La SA BLANCQ-OLIBET, intimée, par conclusions développées à l'audience demande à la Cour de confirmer le jugement sur le caractère fondé du licenciement pour cause économique et de l'infirmer sur le non-respect des critères de l'ordre des licenciements, de condamner Monsieur [E] [D] à payer la somme de 4.000 € pour procédure abusive et celle de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La SA BLANCQ-OLIBET fait valoir qu'elle évolue depuis plusieurs années dans un secteur très touché qui est celui du tricotage et de la fabrication des bérets, qu'elle a déjà dû en 2000 mettre en place un plan social lourd, qu'après la mise en liquidation de BEATEX en juillet 2012, elle est la dernière survivante du secteur, que son chiffre d'affaires n'a cessé de baisser année après année, que depuis lors, elle n'a cessé de prendre des mesures pour sauvegarder l'emploi, tenant les représentants du personnel toujours informé de la situation réelle de l'entreprise, qu'elle a mis en place la baisse de certains salaires, le partage du loyer avec une autre société, l'obtention de délais auprès de l'administration fiscale ; que nonobstant ces mesures, la procédure de licenciement tendant à la suppression de certains emplois suspendue en juillet sera reprise en septembre à raison du fait que seul le tricotage et une partie du volet confection se maintient, que les critères retenus et appliqués après consultation des délégués du personnel dont les comptes-rendus de réunion traduisent fidèlement les difficultés de l'entreprise et ses efforts pour maintenir l'emploi, ont été dictés par les besoins d'évolution de l'entreprise et retiennent outre les qualités professionnelles (polyvalence, spécialité tricotage) ceux de la situation de famille, Monsieur [E] [D] avait moins de charges de famille et était moins polyvalent que Monsieur [I] qui était tricoteur, que les représentants du personnel n'ont fait aucune observation sur ce choix, que Monsieur [E] [D], après avoir refusé la convention de reclassement personnalisée, a été licencié. Elle ajoute que le poste de Monsieur [E] [D] aurait dû être supprimé depuis de nombreuses années, qu'il n'était plus qu'en partie mécanicien, mais que pour sauvegarder son emploi, différentes tâches subalternes et annexes lui avaient été attribuées, qu'il a reconnu ne pas intervenir sur les machines à tricoter, que son poste n'avait rien d'un poste de production indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise, comme la découpe du cuir pour les bérets qui était très ponctuelle, fonction des commandes et ne nécessitait aucune formation et pouvait être confiée à n'importe quel autre salarié, qu'il a retrouvé un emploi comme agent d'entretien.
La Cour se réfère expressément aux conclusions visées plus haut pour l'exposé des moyens de fait et de droit.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Cour examinera successivement les points litigieux au vu du dossier de la procédure, des éléments des débats et des pièces régulièrement produites au dossier.
Sur la recevabilité de l'appel :
L'appel formalisé dans les délais et formes requis est recevable.
Au fond,
Sur la rupture du contrat de travail :
La lettre de licenciement du 7 octobre 2008 pour cause économique qui fixe les limites du litige est libellée comme suit : « ... notre société est contrainte d'envisager votre licenciement en raison de la situation économique et financière extrêmement délicate dans laquelle elle se trouve. Cette situation révélée par le bilan comptable arrêté au 31 décembre 2007 et connue au cours du mois de juin 2008, est liée à une sévère baisse d'activité générant une perte importante du chiffre d'affaires depuis le dernier exercice. Il apparaît ainsi que le chiffre d'affaires de la société pour l'exercice 2007 est inférieur de 38,97 % à celui réalisé au cours de l'exercice 2006, le résultat étant pour cette même année déficitaire de plus de 486.000 € alors qu'il était bénéficiaire de plus de 26.000 € pour l'exercice précédent. Cette situation contraint la société à restructurer son activité. Elle est en conséquence, soumise à l'obligation de privilégier la pérennité des postes de production. Ce motif nous conduit à supprimer votre poste de mécanicien... ».
Par application de l'article L. 1233-2 et suivants du code du travail tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, il appartient donc aux juges du fond d'apprécier le caractère réel et sérieux du motif économique de licenciement invoqué par l'employeur dans la lettre de licenciement qui doit énoncer lorsqu'un tel motif est invoqué à la fois la raison économique qui fonde la décision et son incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié, qu'à défaut de ces mentions, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Sur le caractère réel et sérieux du motif économique au mois d'octobre 2008 :
Il s'évince de la production du bilan arrêté au 31 décembre 2007, que, par rapport à l'exercice précédent, le chiffre d'affaires est passé de 2.933.494 € à 1.790.703 € et que le résultat 2007 enregistre une perte de 486.631 €, que la SA BLANCQ-OLIBET pour redresser sa situation a pris plusieurs mesures comme la baisse de 50 % de la rémunération du Directeur Administratif et Financier, la baisse de 37 % du salaire du Directeur Général, la suppression de 4 postes de travail.
Il résulte des comptes-rendus des réunions des délégués du personnel des mois de juin et juillet 2008 que la situation financière telle qu'elle résulte du bilan 2007 a été présentée et que les commandes de [S], d'Agnès B ont baissé, que la banque Pouyanne s'est retirée et que la banque Courtois ne maintient le découvert que jusqu'à la fin du mois d'août 2008, que la SA BLANCQ-OLIBET cherche une solution financière afin d'éviter les mesures de licenciement projetées.
Au vu du résultat déficitaire à la fin de l'année 2007 connu au cours du mois de juin 2008, les difficultés économiques sont avérées et justifient les mesures par elle prises qui lui ont permis de faire face à la baisse du chiffre d'affaires et d'enrayer les difficultés qu'elle a traversées, le motif économique est justifié, réel et sérieux.
Sur la suppression du poste de Monsieur [E] [D] :
Il résulte du compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 16 juin 2008 qu'après avoir exposé les difficultés économiques de l'entreprise, la SA BLANCQ-OLIBET envisage la suppression de deux postes en production et deux postes administratifs ; elle précise que « le tricotage à ce jour ne fonctionne plus normalement depuis des mois et devons de ce fait supprimer le poste de Monsieur [Y] [I]... » ; elle précise que Monsieur [E] [D] travaille au magasin en poste partagé et fait en plus, le travail de mécanique, que son poste doit être maintenu et celui de Monsieur [O] [N], au magasin, supprimé ; que l'entreprise doit se consacrer au piquage et dans sa lettre adressée au mois de juin 2008 à la Société BEATEX, elle sollicite cette dernière pour savoir si dans le cadre de la recherche de reclassement des salariés dont le licenciement est projeté elle aurait un poste correspondant à un mécanicien spécialisé en tricotage.
Or, il résulte du compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 5 septembre 2008 que les deux postes en production supprimés sont ceux de Monsieur [E] [D] mécanicien polyvalent et Madame [T] [X] vérificatrice 'le tricotage étant maintenu Monsieur [Y] [I] reste présent dans l'entreprise'.
Monsieur [J] atteste le 18 janvier 2009 que la SA BLANCQ-OLIBET a demandé une formation technique de mécanicien machine à coudre.
La SA BLANCQ-OLIBET ne justifie pas des raisons pour lesquelles elle a changé d'avis sur le choix de licencier Monsieur [E] [D] qui était mécanicien polyvalent, faisait le travail de réparation des machines, petite maintenance journalière mécanique dans l'entreprise, qu'il s'occupait du magasin, assurait la préparation des commandes, la réception des marchandises, la découpe et l'étiquetage des bérets selon sa fiche de poste qui correspond à son travail effectif, au lieu de Monsieur [Y] [I] qui n'était employé que pour la maintenance des machines à tricoter alors que le compte-rendu d'activité de la réunion du personnel du 24 septembre 2008 fait état du fait que l'activité est concentrée sur la confection des bérets.
D'évidence, le poste de Monsieur [E] [D] n'a pas pu être supprimé au regard de sa spécificité de mécanicien polyvalent alors que le piquage est prédominant, il a été nécessairement remplacé car d'une part, il n'est pas explicité que sa charge de travail ait été distribuée à d'autres personnes présentes dans l'entreprise sauf pour la découpe des bérets et d'autre part, la SA BLANCQ-OLIBET ne fournit pas le registre du personnel, pièce indispensable en matière de licenciement économique pour permettre à la Cour de vérifier la suppression réelle de son poste.
Le licenciement de Monsieur [E] [D] est sans cause réelle et sérieuse dès lors que la SA BLANCQ-OLIBET se contente d'affirmer et ne démontre pas la suppression du poste de Monsieur [E] [D].
Sur les dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail :
Monsieur [E] [D] a été embauché par la SA BLANCQ-OLIBET le 1er février 1977, il a été licencié par lettre du 7 octobre 2008, il avait donc plus de 31 ans d'ancienneté dans l'entreprise et était âgé de 53 ans au moment de son licenciement, il a retrouvé un emploi moins bien rémunéré de 1.380 € bruts dont il justifie ; son salaire au moment de la rupture s'élevait à 1.939,74 €, compte tenu de ces éléments, il lui sera accordé la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts.
Sur le respect des critères de l'ordre des licenciements :
Lorsque le licenciement d'un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il ne peut cumuler des indemnités pour perte injustifiée de son emploi et pour observation de l'ordre des licenciements, la demande sera rejetée.
Sur les intérêts, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Les sommes dues au titre des dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter de la décision qui les fixe soit à compter de la présente décision.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [E] [D] les frais par lui exposés et non compris dans les dépens, la Cour lui alloue à ce titre la somme de 1.500 €.
La SA BLANCQ-OLIBET qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en matière sociale et en dernier ressort,
Déclare l'appel recevable,
Infirme le jugement,
Et statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Monsieur [E] [D] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SA BLANCQ-OLIBET à payer à Monsieur [E] [D] la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Y ajoutant,
Condamne la SA BLANCQ-OLIBET à payer à Monsieur [E] [D] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SA BLANCQ-OLIBET aux entiers dépens d'appel.
Arrêt signé par Monsieur CHELLE, Président, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,