ANNULATION, sur le pourvoi du sieur Y... (Jules), d'un arrêt rendu, le 20 juin 1900, par la Cour d'appel de Bourges, chambre correctionnelle qui l'a condamné à 50 francs d'amende, etc., dans la cause d'entre le susnommé et les sieurs X... et autres, parties civiles.
LA COUR,
En chambres réunies,
Ouï à l'audience publique d'hier M. le conseiller Cotelle, en son rapport, Me Devin, avocat du demandeur, en sa plaidoirie, et à celle d'aujourd"hui M. le procureur général Laferrière, en ses conclusions ; après en avoir délibéré ;
Statuant sur le pourvoi formé par le sieur Y... contre un arrêt de la cour d'appel de Bourges, en date du 20 juin 1900, qui l'a condamné comme complice d'un délit de marchandage en 50 francs d'amende et 200 francs de dommages-intérêts, pourvoi renvoyé à l'examen des chambres réunies, conformément à l'article premier de la loi du 1er avril 1837 par un arrêt de la chambre criminelle du 16 novembre suivant ;
Vu le décret du 2 mars 1848, ainsi conçu :
"Considérant que l'exploitation des ouvriers par les sous-entrepreneurs ouvriers dits marchandeurs ou tâcherons est essentiellement injuste, vexatoire et contraire au principe de la fraternité.
Le gouvernement de la République décrète :
ART. 2 : L'exploitation des ouvriers par des sous-entrepreneurs, ou marchandage, est abolie. Il est bien entendu que les associations d'ouvriers qui n'ont pas pour objet l'exploitation des ouvriers les uns par les autres ne sont pas considérées comme marchandage ..."
Vu l'arrêté du 21 mars 1848 ainsi conçu :
"Réservant la question du travail à la tâche,
Toute exploitation de l'ouvrier par voie de marchandage sera punie d'une amende de 50 à 100 francs pour la première fois, de 100 à 500 francs en cas de récidive, et s'il y avait double récidive, d'un emprisonnement qui pourrait aller d'un à six mois ..."
Vu également l'article premier du Code pénal ;
Sur le moyen pris de la violation des décret et arrêté susrelatés, et de l'article premier du Code pénal, lequel a déjà fait l'objet, dans la même affaire, d'un précédent pourvoi suivi de cassation à la date du 16 février 1900 ;
Attend qu'il résulte du texte même, tant du décret du 2 mars 1848 que de l'arrêté du 21 du même mois, que le fait qui a été d'abord interdit puis puni de peines correctionnelles par le Gouvernement provisoire, n'est point tout embauchage d'ouvriers à la journée par un tâcheron, mais seulement l'exploitation des ouvriers au moyen de ce marchandage, exploitation qui ne consiste, de la part du sous-traitant, qu'à tirer un profit abusif du travail de ceux qu'il emploie ; que l'acte nécessite donc, pour devenir délictueux, la réunion de ces trois éléments ; un fait matériel, l'intention de nuire et un préjudice causé aux ouvriers ;
Qu'en condamnant le demandeur en cassation à raison d'un prétendu délit de marchandage sans constater ni l'existence d'une fraude, ni le caractère dommageable des conditions dans lesquelles les ouvriers avaient été employés, la cour d'appel de Bourges a violé la loi ;
Par ces motifs,
Sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés ;
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour de Bourges, en date du 20 juin 1900, et pour être statué sur le fond, conformément à la loi du 1er avril 1837, renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération en chambre du conseil.