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10/05/2016 | FRANCE | N°4C-RD007

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 10 mai 2016, 4C-RD007


COUR DE CASSATION 14 CRD 007

Audience publique du 12 avril 2016

Prononcé au 10 mai 2016

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

A U N O M D U P E U P L E F R A N C A I S

La commission nationale de réparation des détentions instituée

par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats

de M. Cadiot, président, M. Sadot, conseiller, Mme Chauchis, conseiller

référendaire, en présence de Mme Le Dimna, avocat général et avec

l'assistance de Mme Boudalia, greffier, a rendu la décision suivante :

ACCUEIL PARTIEL et rejet sur les recours formés par M. Mohamed X..., l'agent judiciaire de l'Etat, contre la décision du p...

COUR DE CASSATION 14 CRD 007

Audience publique du 12 avril 2016

Prononcé au 10 mai 2016

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

A U N O M D U P E U P L E F R A N C A I S

La commission nationale de réparation des détentions instituée

par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats

de M. Cadiot, président, M. Sadot, conseiller, Mme Chauchis, conseiller

référendaire, en présence de Mme Le Dimna, avocat général et avec

l'assistance de Mme Boudalia, greffier, a rendu la décision suivante :

ACCUEIL PARTIEL et rejet sur les recours formés par M. Mohamed X..., l'agent judiciaire de l'Etat, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 6 janvier 2014 qui a alloué à M. X... une indemnité de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et 15 000 euros en réparation de son préjudice matériel sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale AR ;

Les débats ayant eu lieu en audience publique le 12 avril 2016, l'avocat du demandeur ne s'y étant pas opposé ;

Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;

Vu les conclusions de Me Berna avocat au barreau de Nancy représentant M. X... ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'État ; Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;

Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire de l'État et à son avocat, un mois avant l'audience ;

Attendu que M. X... ne comparaît pas personnellement ; qu'il est représenté à l'audience par Me Berna conformément aux dispositions de l'article R.40-5 du code de procédure pénale ;

Et, sur le rapport de M. le président Cadiot, les observations de Me Berna, avocat représentant M. X..., celles de Me Meier-Bourdeau, avocat représentant l'agent judiciaire de l'État, les conclusions de Mme l'avocat général Le Dimna, l'avocat de M. X... ayant eu la parole en

dernier ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que M. X..., né le 15 janvier 1973, de nationalité guinéenne, étudiant, célibataire sans enfant, dépourvu d'antécédent judiciaire, a été interpellé le 24 juillet 2001 à Bruxelles sur mandat d'arrêt et placé sous écrou extraditionnel en Belgique à la suite de la condamnation par contumace d'un homonyme à vingt ans de réclusion criminelle des chefs de viols sur mineures par arrêt de la cour d'assises de Paris du 18 juin 2001 ; qu'ayant été remis à la France, il a été incarcéré, le 7 novembre 2001, à Maubeuge puis transféré le 12 novembre 2001 à la maison d'arrêt de Paris-La Santé, d'où il a été remis en liberté le 31 décembre 2001 par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris désormais définitif ; qu'il a donc effectué une détention provisoire ininterrompue de trois mois et dix-neuf jours en Belgique puis d'un mois et dix-neuf jours en France, soit cinq mois et huit jours au total ;

Que le 11 avril 2013, M. X... a présenté requête en réparation du préjudice subi à raison de la détention provisoire, sollicitant les sommes de 100 000 euros au titre du préjudice moral, et de 80 000 euros au titre du préjudice matériel ;

Que par décision du 6 janvier 2014, le premier président de la cour d'appel de Paris a alloué à l'intéressé les sommes de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et de 15 000 euros en réparation du préjudice matériel ;

Attendu que M. X... et l'Agent judiciaire de l'Etat ont respectivement frappé de recours, le 15 janvier 2014 puis le 17 janvier 2014, cette décision qui a été notifiée au premier à domicile élu le 8 janvier 2014, la date de notification au second n'étant pas connue ;

Attendu que, réitérant, par un mémoire parvenu au greffe le 6 mars 2014, ses demandes initiales et y ajoutant celle d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure pénale, M. X... a fait valoir, quant au préjudice moral, vivre dans la peur de purger une peine de vingt années de réclusion criminelle, d'autant que le parquet général s'était opposé à sa remise en liberté par la chambre de l'instruction, et avoir développé à sa libération un syndrome délirant imputable en totalité à la détention, ses proches attestant qu'il a été très affecté par l'incarcération ; qu'il expose, quant au préjudice matériel, qu'il venait de s'inscrire à la faculté de lettres et de sciences humaines de Nantes lorsqu'il a été interpellé en Belgique et que l'incarcération, par le traumatisme et les séquelles psychiques qu'elle a entraînée, l'a privé de toute chance de progression universitaire et professionnelle, le laissant actuellement sans possibilités d'emploi, au point que le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés lui a été désormais reconnu au constat d'une inaptitude au travail ;

Attendu que, par deux mémoires déposés, l'un en demande le 10 mars 2014, l'autre en défense le 19 mars 2014, l'Agent judiciaire de l'Etat a soutenu que M. X..., qui ne résidait pas en France mais en Belgique en situation irrégulière depuis deux ans, justifie, certes, avoir accompli des démarches pour s'inscrire en deuxième cycle de la faculté de lettres et sciences humaines de Nantes mais n'a fourni aucun élément concernant sa scolarité antérieure, tels des relevés de notes de premier cycle, ayant seulement déclaré aux enquêteurs posséder un niveau baccalauréat et un diplôme de sociologie ; que rien ne démontre que les troubles délirants qui ont entraîné son hospitalisation soient imputables à la détention ; que, de même, hormis l'attestation d'un médecin, il ne fournit aucun document établissant qu'il perçoit l'allocation aux adultes handicapés ni qu'il a été reconnu inapte à travailler ; que les difficultés provoquées par l'homonymie avec un condamné par contumace sont étrangères au préjudice moral lié à la détention ; qu'il convient, dès lors, de n'apprécier celui-ci, pour lequel il offre la somme de 10 000 euros, qu'eu égard à l'âge de la personne, à la durée d'incarcération et à son déroulement dans trois établissements pénitentiaires successifs ; que le préjudice matériel, qui ne peut être que symbolique, ne saurait justifier de réparation excédant la somme de 2 000 euros ;

Attendu que le procureur général, par des écritures déposées le 8 juillet 2014, a retenu, sur les mêmes bases, que la réparation du préjudice moral allouée par le premier juge apparaît quelque peu surévaluée et que le préjudice matériel lié à la perte de chance n'est pas établi ;

Par décision avant dire droit du 13 janvier 2015, la Commission nationale de réparation des détentions a ordonné une expertise contradictoire sur le fondement des articles 149, 156 et suivants du code de procédure pénale qu'elle a confiée à un expert psychiatre qui a rendu, le 18 septembre 2015, un rapport parvenu au greffe le 21 octobre 2015, par lequel il conclut

que :

"1°) L'incarcération et la détention non suivies de condamnation de M. Mohamed X... ont entraîné un état anxiodépressif puis une décompensation psychotique d'un état de stress, avec nécessité d'hospitalisation.

2°) S'il n'existe pas d'état antérieur au sens médico-légal dans la mesure où il n'y avait pas de soins, on peut retenir une vulnérabilité de personnalité avec un état sensitif sur lequel a réagi plus directement le fait d'être pris pour un autre que le fait même d'être incarcéré.

3°) La constatation de l'état d'incapacité dans le cadre de la réglementation et des modalités de prise en charge du handicap ne peuvent être considérées comme directement imputables à la détention.

4°) Il persiste une incapacité permanente de 3 % liée à la situation de détention.

5°) Il est difficile d'identifier de façon objective ce qui relève en terme de préjudice moral de l'existence d'un homonyme condamné pour crimes sexuels et ce qui relève de l'incarcération elle-même qui paraît un préjudice plus symbolique que réel.

6°) Les perturbations dans la poursuite des études de M. Mohamed X... sont imputables à la décompensation psychotique et non directement à l'incarcération non suivie de condamnation. Elles sont indemnisées par la reconnaissance d'un taux d'incapacité temporaire par la MDPH".

Par observations écrites parvenues le 5 novembre 2015, M. X... expose pour l'essentiel que le rapport expertal comporte des contradictions, notamment entre l'appréciation d'une détention pénible et celle d'un séjour carcéral "assez court et par lui-même peu traumatique", et en combat certaines conclusions, en particulier la 5°, selon laquelle "l'incarcération elle-même paraît un préjudice plus symbolique que réel".

Il propose en conséquence à titre principal que soit demandé à l'expert de s'expliquer sur ces points ou bien qu'une contre-expertise soit ordonnée, et, à titre subsidiaire, réitère ses demandes indemnitaires.

L'agent judiciaire de l'Etat, aux termes d'observations parvenues céans le 18 novembre 2015, relève que les constatations et conclusions de l'expert ne permettent pas de déterminer avec certitude l'origine des troubles psychologiques présentés par M. X... après son incarcération, ce qui exclut qu'ils puissent être pris en compte dans l'appréciation de ses préjudices matériels et moral.

Il demande en conséquence que lui soit adjugé le bénéfice de ses écritures antérieures tendant, d'une part, au rejet de la demande d'indemnisation présentée au titre du préjudice matériel, d'autre part, à la minoration de l'indemnité allouée en réparation du préjudice moral.

Par des observations complémentaires émises le 12 janvier 2016, le procureur général conclut au rejet des recours sur le préjudice moral tel qu'indemnisé par le premier président mais à l'accueil de celui de l'Agent judiciaire de l'Etat sur le préjudice matériel, sans toutefois que l'indemnisation ne puisse être inférieure à la somme de 2 000 euros qu'a offert celui-ci, dès lors que M. X... ne produit à ce jour qu'un courrier du 13 juin 2001 émanant de l'université de Nantes relative à une demande d'inscription en deuxième cycle de faculté des lettres et sciences humaines, mais non l'original du diplôme lui permettant d'accéder à ce cycle.

SUR CE,

Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;

Attendu que, par ces textes, le législateur a instauré le droit pour toute personne d'obtenir de l'Etat réparation du préjudice subi à raison d'une détention provisoire fondée sur des charges entièrement et définitivement écartées ;

Qu'en l'espèce, confondu avec un accusé dont la condamnation prononcée par contumace n'était pas irrévocable, M. X... a été mis hors de cause par une décision judiciaire désormais définitive, de sorte que le préjudice issu de la détention provisoire qu'il a subie doit être réparé sur le fondement des textes susvisés ;

Attendu que la Commission étant suffisamment éclairée par les travaux de l'expert pour se déterminer, il n'y a lieu, ni à complément d'expertise, ni à nouvelle expertise ;

Attendu qu'au constat opéré par l'expert, selon lequel l'incarcération et la détention de M. X... ont entraîné un état anxiodépressif puis une décompensation psychotique d'un état de stress, avec nécessité d'hospitalisation alors qu'il n'existait pas d'état antérieur au sens médico-légal, dans la mesure où il n'y avait pas de soins, la réparation du préjudice moral doit prendre en compte, outre la durée de détention subie par cette personne exempte d'antécédent carcéral, sa détresse psychique subséquente matérialisée par des hospitalisations psychiatriques répétées, dont sept sont recensées entre le 12 décembre 2002 et le 20 juin 2006, ainsi que par la nécessité de se soumettre à un traitement lourd à visée antidélirante ; qu'en conséquence une somme de 60 000 euros sera allouée de ce chef ;

Attendu que M. X... justifie d'une lettre officielle de l'université de Nantes lui annonçant que sa demande d'inscription en deuxième cycle était accordée par le président de cette université et l'invitant à accomplir diverses formalités pour concrétiser cette inscription ainsi qu'à produire l'original de son diplôme ; qu'il s'infère de cet écrit que l'intéressé avait alors nécessairement produit la copie de son titre universitaire dont aucun élément du débat ne démontre qu'il s'agissait d'une forgerie, tandis que le trouble qu'il a subi dans ses conditions d'existence peut expliquer son incapacité à le produire à présent en original ou d'autres pièces ; qu'en cet état, le premier président a exactement fixé l'indemnisation de la perte de chance avérée du demandeur de poursuivre le cursus universitaire qui s'ouvrait ;

Attendu que le recours de M. X... prospérant pour partie, il échet de lui allouer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure exposés devant la commission de céans ;

PAR CES MOTIFS :

ACCUEILLE pour partie le recours de M. X...

Lui ALLOUE en conséquence :

- la somme de 60 000 euros (soixante mille euros) en réparation de son préjudice moral ;

- celle de 3 000 euros (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles de procédure exposés devant la Commission nationale de réparation des détentions ;

REJETTE, pour le surplus, le recours de M. X... ;

REJETTE le recours de l'agent judiciaire de l'Etat DAR ;

LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;

Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 10 mai 2016 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;

En foi de quoi la présente décision a été signée par le président et le greffier présent lors des débats et du prononcé.

Le président et rapporteur Le greffier

Christian Cadiot Rania Boudalia


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 4C-RD007
Date de la décision : 10/05/2016
Sens de l'arrêt : Accueil du recours

Analyses

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice moral - Etendue - Décompensation psychique ayant fait suite à l'incarcération - Conditions - Etat antérieur au sens médico-légal (non)

Dès lors qu'il n'existe pas d'état antérieur au sens médico-légal, la décompensation psychique ayant fait suite à l'incarcération doit être prise en compte au titre de la réparation intégrale du préjudice moral, aucune demande d'indemnisation d'un préjudice corporel n'étant par ailleurs présentée


Références :

article 149 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 06 janvier 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 10 mai. 2016, pourvoi n°4C-RD007, Bull. civ.Commission nationale de réparation des détentions 2016, n° 3
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Commission nationale de réparation des détentions 2016, n° 3

Composition du Tribunal
Président : M. Cadiot (président et rapporteur)
Avocat général : Mme Le Dimma
Avocat(s) : Me Berna, Me Meier-Bourdeau

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:4C.RD007
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