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26/06/2018 | FRANCE | N°17MA05032-17MA05031

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 26 juin 2018, 17MA05032-17MA05031


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2017 par lequel le préfet du Var a décidé sa remise et son transfert aux autorités italiennes afin qu'elles prennent en charge l'instruction de sa demande d'asile ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Var a décidé de l'assigner à résidence dans le département du Var pour une durée de 45 jours.

Par un jugement n° 1704459 du 2 décembre 2017, le magistrat désigné par le président

du tribunal administratif de Toulon a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la Cour :

I. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2017 par lequel le préfet du Var a décidé sa remise et son transfert aux autorités italiennes afin qu'elles prennent en charge l'instruction de sa demande d'asile ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Var a décidé de l'assigner à résidence dans le département du Var pour une durée de 45 jours.

Par un jugement n° 1704459 du 2 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulon a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 17MA05032 le 26 décembre 2017 et le 19 mars 2018, le préfet du Var demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulon du 2 décembre 2017 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Toulon.

Il soutient que son arrêté du 16 novembre 2017 par lequel il a décidé la remise et le transfert aux autorités italiennes de M. A... n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de ce dernier garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 février 2018, M. A..., représenté par Me Prévostat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros à verser à son conseil soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet du Var n'est pas fondé.

Par ordonnance du 17 avril 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 mai 2018 à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 juin 2018.

II. Par une requête enregistrée sous le n° 17MA05031 le 26 décembre 2017, le préfet du Var demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulon du 2 décembre 2017.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ;

- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables.

Par ordonnance du 17 avril 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 mai 2018 à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 avril 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Izarn de Villefort.

1. Considérant que les requêtes susvisées n° 17MA05031 et n° 17MA05032, présentées par le préfet du Var, sont dirigées contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt ;

2. Considérant que, par arrêté du 16 novembre 2017, le préfet du Var a décidé la remise de M. A..., ressortissant guinéen, et son transfert aux autorités italiennes afin qu'elles prennent en charge l'instruction de sa demande d'asile ; que, par arrêté du même jour, le préfet a décidé de l'assigner à résidence dans le département du Var pour une durée de 45 jours ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. A..., âgé de 26 ans, célibataire et sans charge de famille, a déclaré être entré en France le 10 juin 2017 ; qu'en dépit de la présence en France du fils de ses parents adoptifs, de son action entreprise depuis son entrée sur le territoire français en faveur de mineurs étrangers isolés d'origine africaine et de son inscription à l'Institut d'études politiques de Grenoble à compter du 15 janvier 2018 jusqu'à la fin de l'année universitaire en cours et de la blessure dont il a souffert à la jambe gauche, le préfet du Var n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels les arrêtés attaqués ont été pris ;

3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler les arrêtés du préfet du Var du 16 novembre 2017 ;

4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulon et devant la Cour ;

5. Considérant que, par arrêté n° 2017/68/PJI du 20 septembre 2017, publié au recueil des actes administratifs spécial du 29 septembre 2017, M. C... B..., sous-préfet, secrétaire général de la préfecture du Var, a reçu délégation du préfet du Var à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département du Var, à l'exception des déclinatoires de compétence et arrêtés de conflit, des réquisitions du comptable public et des actes pour lesquels une délégation a été conférée à un chef de service de l'Etat dans le département ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. B... pour signer l'arrêté attaqué portant transfert aux autorités italiennes doit être écarté ;

6. Considérant que l'arrêté décidant le transfert de M. A... aux autorités italiennes vise les différentes dispositions dont il fait application ; qu'il relève que l'intéressé a présenté une demande d'asile en Italie ; qu'il énonce les raisons pour lesquelles il doit lui être fait application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; qu'il constate que M. A... ne démontre pas avoir fixé durablement en France le centre de sa vie privée et familiale et que celui-ci n'établit pas l'existence d'un risque en cas de transfert en Italie ; qu'ainsi, alors même que l'arrêté ne donne pas le détail de l'ensemble des éléments de fait qui caractérisent la situation particulière de l'intéressé, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes est insuffisamment motivé ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 5. L'entretien a lieu dans les conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) " ;

8. Considérant que si le compte-rendu de l'entretien individuel dont M. A... a bénéficié le 24 juillet 2017 ne mentionne pas l'identité et la qualité de l'agent de la préfecture des Alpes-Maritimes qui l'a mené, les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'imposent pas une telle mention, pas plus que l'indication d'une éventuelle délégation de signature consentie par le préfet dès lors qu'il n'est pas établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale au sens de l'article 20, paragraphe 2. / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale / 4. Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement (...) " ;

10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le relevé d'empreintes décadactylaire auquel a été soumis M. A... le 24 juillet 2017 et la consultation du système Eurodac ont permis d'établir que l'intéressé avait été enregistré en tant que demandeur d'asile auprès des autorités italiennes le 5 mars 2017 et le 23 mars 2017 ; que M. A... a d'ailleurs reconnu au cours de l'entretien cité au point 8 qu'il avait déjà demandé l'asile en Italie avant d'en faire de même en France ; qu'une demande de prise en charge mentionnant expressément l'Italie comme l'Etat de destination de la demande a été établie le 25 juillet 2017 par les services de la préfecture des Alpes-Maritimes ; que les autorités italiennes n'ayant pas répondu, dans le délai de quinze jours prévu dans ce cas par les dispositions de l'article 25 dudit règlement, à la requête aux fins de reprise en charge du requérant, elles doivent être regardées comme ayant implicitement accepté cette reprise en charge ; que, dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas demandé l'asile en Italie et qu'ainsi il ne pouvait faire l'objet d'une procédure de reprise en charge en application de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

11. Considérant qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. " ;

12. Considérant que si l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; que les allégations de portée générale formulées par M. A... tenant aux conditions d'accueil en Italie ne suffisent pas à établir que sa réadmission par l'Italie serait constitutive d'une atteinte grave au droit d'asile du fait de l'existence de défaillances systémiques par cet Etat dans l'accueil des demandeurs d'asile ;

13. Considérant qu'il résulte des motifs énoncés aux points ci-dessus que M. A... ne démontre pas que l'arrêté du 16 novembre 2017 par lequel le préfet du Var a décidé sa remise et son transfert aux autorités italiennes est illégal ; que, dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du même jour par lequel le préfet l'a assigné à résidence est illégal par voie de conséquence de l'illégalité de cet arrêté ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet du Var est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulon a annulé ses arrêtés du 16 novembre 2017 ;

15. Considérant que la Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet du Var tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 17MA05031 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet ; qu'il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer ;

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Me Prévostat, avocate de M. A..., demande au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que M. A... aurait exposés si l'aide juridictionnelle totale n'avait pas été accordée à ce dernier ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulon du 2 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulon et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 17MA05031.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A....

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2018, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- Mme D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 26 juin 2018.

N° 17MA05032, 17MA05031 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA05032-17MA05031
Date de la décision : 26/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : PREVOSTAT ; PREVOSTAT ; PREVOSTAT

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-06-26;17ma05032.17ma05031 ?
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