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29/06/2012 | FRANCE | N°335771

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 29 juin 2012, 335771


Vu 1°), sous le n° 335771, la requête, enregistrée le 21 janvier 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'association Promouvoir, dont le siège est BP 48 à Pernes-les-Fontaines (84210) ; l'association Promouvoir demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de la culture et de la communication en date du 26 novembre 2009 accordant un visa d'exploitation au film intitulé "Antichrist" ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative ;

Vu 2°), sous le n° 335911, la requête enregistrée le 25 ...

Vu 1°), sous le n° 335771, la requête, enregistrée le 21 janvier 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'association Promouvoir, dont le siège est BP 48 à Pernes-les-Fontaines (84210) ; l'association Promouvoir demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de la culture et de la communication en date du 26 novembre 2009 accordant un visa d'exploitation au film intitulé "Antichrist" ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 335911, la requête enregistrée le 25 janvier 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'association Action pour la dignité humaine, dont le siège est au 48, rue de la Charité à Lyon (69002) ; l'association Action pour la dignité humaine demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de la culture et de la communication en date du 26 novembre 2009 accordant un visa d'exploitation au film intitulé "Antichrist" ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du cinéma et de l'image animée ;

Vu le décret n° 90-174 du 23 février 1990 modifié par le décret n° 2001-618 du 12 juillet 2001 et par le décret n° 2003-1163 du 4 décembre 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boutet, avocat de la société Slot machine, de la SCP Gaschignard, avocat de l'association Promouvoir et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du ministre de la culture et de la communication ;

- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boutet, avocat de la société Slot machine, à la SCP Gaschignard, avocat de l'association Promouvoir et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du ministre de la culture et de la communication ;

1. Considérant que les requêtes des associations Promouvoir et Action pour la dignité humaine tendent toutes deux à l'annulation de la décision de la ministre de la culture et de la communication accordant un visa d'exploitation avec interdiction aux mineurs de 16 ans au film " Antichrist ", réalisé par Lars von Trier ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les interventions :

2. Considérant d'une part que l'association Renaissance catholique et M. et Mme A ont intérêt à l'annulation de la décision attaquée ; que leurs interventions sont recevables ;

3. Considérant d'autre part que l'intervention enregistrée le 12 mars 2010 au soutien de la requête de l'association Promouvoir ne comporte pas les nom, prénom et domicile de son auteur ; qu'elle n'est, par suite, pas recevable ;

Sur les conclusions des requêtes :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. / Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine. (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 23 février 1990 modifié : " Sous réserve des dispositions de l'article 15 ci-après, tout avis tendant à une décision comportant une restriction quelconque à l'exploitation d'une oeuvre cinématographique ne peut être donné qu'en assemblée plénière. En ce cas, l'avis est obligatoirement motivé et peut être rendu public par le ministre chargé de la culture " ; qu'aux termes de l'article 4 du même décret : " Au vu de l'avis émis par la commission de classification, le ministre chargé de la culture prend l'une des mesures prévues aux articles 3 et 3-1. S'il prend l'une des mesures mentionnées aux b à e de l'article 3 et à l'article 3-1, sa décision doit être motivée. " ;

5. Considérant d'une part qu'il ressort de l'avis rendu le 28 mai 2009 par la commission de classification qu'elle s'est bornée, pour justifier sa proposition d'interdiction du film " Antichrist " aux mineurs de 16 ans, à faire état du " climat violent " du film, sans préciser en quoi cette violence justifiait l'interdiction proposée ; qu'un tel avis ne peut, comme l'avait d'ailleurs déjà relevé le Conseil d'Etat dans sa décision du 25 novembre 2009 par laquelle il avait prononcé l'annulation du visa précédemment délivré pour l'exploitation de ce film, être regardé comme l'avis motivé exigé par les dispositions précitées de l'article 2 du décret du 23 février 1990 modifié ; que, dès lors, les associations requérantes sont fondées à soutenir que le nouveau visa d'exploitation accordé à ce film le 26 novembre 2009, au vu du même avis insuffisamment motivé, est intervenu au terme d'une procédure irrégulière ;

6. Considérant d'autre part que cette irrégularité prive le ministre d'un élément essentiel pour déterminer, dans l'exercice du pouvoir de délivrer les visas d'exploitation des oeuvres cinématographiques qu'il tient des dispositions précitées de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée, le choix qui lui incombe entre les différentes restrictions qu'il peut éventuellement imposer à la diffusion de l'oeuvre, au regard des nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse, du respect de la dignité humaine et de la liberté d'expression, la motivation de l'avis de la commission devant lui permettre, compte tenu de la pluralité de sa composition reflétant les différents intérêts en cause, d'apprécier les modalités de conciliation entre ces nécessités ; que l'absence de motivation est également susceptible de priver le public d'un élément d'information sur les circonstances qu'il a prises en considération pour délivrer le visa si, comme l'article 2 du décret du 23 février 1990 lui en donne la faculté, le ministre rend public l'avis de la commission ; qu'ainsi, l'insuffisance de motivation de l'avis de la commission est susceptible d'exercer une influence sur la décision du ministre et de priver les différents intéressés d'une garantie au regard des limitations à la liberté d'expression que constitue toute mesure restreignant la diffusion d'une oeuvre cinématographique ; que les associations requérantes sont, par suite, fondées à demander l'annulation pour ce motif de la décision attaquée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant d'une part que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des associations Promouvoir et Action pour la dignité humaine qui ne sont pas, dans la présente instance, les partie perdantes, le versement de sommes au titre des frais exposés par la société Slot Machine et par l'Etat et non compris dans les dépens ; qu'elles font également obstacle à ce que soient accueillies les conclusions présentées au même titre par l'association Action pour la dignité humaine, qui ne justifie d'aucun frais particulier ;

8. Considérant d'autre part qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Slot Machine le versement à l'association Promouvoir des sommes de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les interventions de l'association Renaissance catholique et de M. et Mme A sont admises.

Article 2 : L'intervention enregistrée le 12 mars 2010 n'est pas admise.

Article 3 : La décision du 26 novembre 2010 du ministre de la culture et de la communication accordant au film " Antichrist " un visa d'exploitation avec interdiction aux mineurs de 16 ans est annulée.

Article 4 : L'Etat et la société Slot Machine verseront chacune 1 500 euros à l'association Promouvoir au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Action pour la dignité humaine et les conclusions de la société Slot Machine et du ministre de la culture et de la communication tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'association Promouvoir, à l'association Action pour la dignité humaine, à l'association Renaissance catholique, à M. et Mme A, au ministre de la culture et de la communication et à la société Slot machine.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 335771
Date de la décision : 29/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - PROCÉDURE CONSULTATIVE - DÉCISION D'OCTROI DE VISA D'EXPLOITATION D'UN FILM - AVIS DE LA COMMISSION DE CLASSIFICATION NON MOTIVÉ OU INSUFFISAMMENT MOTIVÉ [RJ1] - CONSÉQUENCES - 1) IRRÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE - 2) ANNULATION DE LA DÉCISION ACCORDANT LE VISA EN APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE DITE DANTHONY - EXISTENCE - DÈS LORS QUE L'INSUFFISANCE DE MOTIVATION DE L'AVIS DE LA COMMISSION EST SUSCEPTIBLE D'EXERCER UNE INFLUENCE SUR LA DÉCISION DU MINISTRE ET DE PRIVER LES DIFFÉRENTS INTÉRESSÉS D'UNE GARANTIE AU REGARD DES LIMITATIONS À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION [RJ2].

01-03-02 1) Un avis par lequel la commission de classification se borne, pour justifier sa proposition d'interdiction d'un film aux mineurs de 16 ans, à faire état du « climat violent » de ce film, sans préciser en quoi cette violence justifie l'interdiction proposée, ne peut être regardé comme l'avis motivé exigé par les dispositions de l'article 2 du décret n° 90-174 du 23 février 1990 pris pour l'application des articles 19 à 22 du code de l'industrie cinématographique et relatif à la classification des oeuvres cinématographiques. Par suite, le visa d'exploitation accordé à ce film au vu de cet avis insuffisamment motivé est intervenu au terme d'une procédure irrégulière. 2) Cette irrégularité prive le ministre d'un élément essentiel pour déterminer, dans l'exercice du pouvoir de délivrer les visas d'exploitation des oeuvres cinématographiques qu'il tient des dispositions de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée, le choix qui lui incombe entre les différentes restrictions qu'il peut éventuellement imposer à la diffusion de l'oeuvre, au regard des nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse, du respect de la dignité humaine et de la liberté d'expression, la motivation de l'avis de la commission devant permettre au ministre, compte tenu de la pluralité de sa composition reflétant les différents intérêts en cause, d'apprécier les modalités de conciliation entre ces nécessités. L'absence de motivation est également susceptible de priver le public d'un élément d'information sur les circonstances que le ministre a prises en considération pour délivrer le visa si, comme l'article 2 du décret du 23 février 1990 lui en donne la faculté, il rend public l'avis de la commission. Ainsi, l'insuffisance de motivation de l'avis de la commission est susceptible d'exercer une influence sur la décision du ministre et de priver les différents intéressés d'une garantie au regard des limitations à la liberté d'expression que constitue toute mesure restreignant la diffusion d'une oeuvre cinématographique. Par suite, annulation de la décision d'octroi du visa d'exploitation.

ARTS ET LETTRES - CINÉMA (VOIR SPECTACLES - SPORTS ET JEUX) - AVIS DE LA COMMISSION DE CLASSIFICATION NON MOTIVÉ OU INSUFFISAMMENT MOTIVÉ [RJ1] - CONSÉQUENCES - 1) IRRÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE AU TERME DE LAQUELLE EST INTERVENU LE VISA D'EXPLOITATION - 2) ANNULATION DE LA DÉCISION ACCORDANT LE VISA EN APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE DITE DANTHONY - EXISTENCE - DÈS LORS QUE L'INSUFFISANCE DE MOTIVATION DE L'AVIS DE LA COMMISSION EST SUSCEPTIBLE D'EXERCER UNE INFLUENCE SUR LA DÉCISION DU MINISTRE ET DE PRIVER LES DIFFÉRENTS INTÉRESSÉS D'UNE GARANTIE AU REGARD DES LIMITATIONS À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION [RJ2].

09-05-01 1) Un avis par lequel la commission de classification se borne, pour justifier sa proposition d'interdiction d'un film aux mineurs de 16 ans, à faire état du « climat violent » de ce film, sans préciser en quoi cette violence justifie l'interdiction proposée, ne peut être regardé comme l'avis motivé exigé par les dispositions de l'article 2 du décret n° 90-174 du 23 février 1990 pris pour l'application des articles 19 à 22 du code de l'industrie cinématographique et relatif à la classification des oeuvres cinématographiques. Par suite, le visa d'exploitation accordé à ce film au vu de cet avis insuffisamment motivé est intervenu au terme d'une procédure irrégulière. 2) Cette irrégularité prive le ministre d'un élément essentiel pour déterminer, dans l'exercice du pouvoir de délivrer les visas d'exploitation des oeuvres cinématographiques qu'il tient des dispositions de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée, le choix qui lui incombe entre les différentes restrictions qu'il peut éventuellement imposer à la diffusion de l'oeuvre, au regard des nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse, du respect de la dignité humaine et de la liberté d'expression, la motivation de l'avis de la commission devant permettre au ministre, compte tenu de la pluralité de sa composition reflétant les différents intérêts en cause, d'apprécier les modalités de conciliation entre ces nécessités. L'absence de motivation est également susceptible de priver le public d'un élément d'information sur les circonstances que le ministre a prises en considération pour délivrer le visa si, comme l'article 2 du décret du 23 février 1990 lui en donne la faculté, il rend public l'avis de la commission. Ainsi, l'insuffisance de motivation de l'avis de la commission est susceptible d'exercer une influence sur la décision du ministre et de priver les différents intéressés d'une garantie au regard des limitations à la liberté d'expression que constitue toute mesure restreignant la diffusion d'une oeuvre cinématographique. Par suite, annulation de la décision d'octroi du visa d'exploitation.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 25 novembre 2009, Association Promouvoir et association action pour la dignité humaine, n°s 328677 328769, T. p. 964.,,

[RJ2]

Cf., CE, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, à publier au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2012, n° 335771
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Gilles Pellissier
Rapporteur public ?: Mme Delphine Hedary
Avocat(s) : SCP BOUTET ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:335771.20120629
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