Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 12 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marylise C agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure Sarah, demeurant ... et M. Jean Charles Pierre D, demeurant ... ; Mme C et M. D demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09VE00268 du 11 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement n° 0609400 du 9 décembre 2008 du tribunal administratif de Versailles et rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye à réparer les préjudices nés de l'infection nosocomiale contractée dans cet établissement par M. Jean Arthur Joseph D ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à la requête qu'ils ont présentée devant la cour administrative d'appel de Versailles ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner avocat du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, de la SCP Gatineau, Fattaccini avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. D et de Mme C ;
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner avocat du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, à la SCP Gatineau, Fattaccini avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et à la SCP Waquet, Farge, Hazan avocat de M. D et de Mme C ;
1. Considérant que M. Jean Arthur Joseph D, alors âgé de 66 ans et présentant une polyarthrite rhumatoïde sévère, a subi, le 25 septembre 2001, une infiltration articulaire à la cheville gauche au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye puis, le 18 octobre suivant, une arthroscopie du genou droit dans une clinique privée de Versailles ; que, le 31 octobre 2001, un examen cytobactériologique réalisé à la suite de l'apparition de signes d'infection a mis en évidence la présence d'un staphylocoque doré sensible à la méthicilline, à l'origine d'une arthrite septique ; que M. D a présenté par la suite d'importantes complications infectieuses qui ont nécessité de nombreuses hospitalisations ; qu'attribuant ces complications à l'infiltration réalisée le 25 septembre 2001, M. D, agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de Sarah D, sa fille mineure, ainsi que M. Jean Charles Pierre D, son fils majeur, ont recherché la responsabilité du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye ; qu'à la suite du décès de M. D survenu le 23 septembre 2007, ses ayants droit ont poursuivi l'instance, Sarah D étant représentée par Mme C, sa mère ; que par un jugement du 9 décembre 2008, le tribunal administratif de Versailles, retenant l'origine nosocomiale de l'infection et l'absence de preuve d'une cause étrangère au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, a condamné celui-ci à verser diverses indemnités aux consorts D-C, en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de M. D, ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines ; que les consorts D-C se pourvoient en cassation à l'encontre de l'arrêt du 11 mai 2010 par lequel la cour d'appel de Versailles, a annulé le jugement du 9 décembre 2008 et rejeté leur demande indemnitaire ainsi que celle de la caisse ;
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; qu'en vertu de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002, ces dispositions sont applicables aux infections nosocomiales consécutives à des soins réalisés à compter du 5 septembre 2001 ;
3. Considérant qu'après avoir relevé que lors de son admission au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye M. D présentait, du fait de sa maladie et des traitements auxquels il était astreint, une immuno-dépression l'exposant particulièrement à des complications infectieuses, la cour a estimé qu'à supposer que l'intéressé ait été victime d'une infection nosocomiale à la suite de l'infiltration pratiquée le 25 septembre 2001, ce dommage était exclusivement imputable à son état initial et procédait par suite d'une cause étrangère au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; qu'en statuant ainsi, alors qu'une infection provoquée par un acte médical invasif pratiqué au sein du centre hospitalier ne pouvait être regardée, alors même qu'elle aurait été favorisée par l'état initial du patient, comme résultant d'une circonstance extérieure à l'activité de cet établissement, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, les consorts D-C sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 11 mai 2010 ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de régler l'affaire au fond par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye :
5. Considérant que, si M. D a subi le 18 octobre 2001 une arthroscopie du genou droit réalisée dans un établissement privé, l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a retenu que l'infection diagnostiquée le 31 octobre était due à l'infiltration qui avait été pratiquée le 25 septembre au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye ; que, cette infection ayant été provoquée par un acte médical et ne résultant donc pas d'une circonstance extérieure à l'activité du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, cet établissement n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait écarté à tort l'existence d'une cause étrangère ;
Sur le préjudice de M. D :
6. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines exerce sur les réparations dues au titre du préjudice subi par M. D le recours subrogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale telles qu'elles ont été modifiées par l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, dispositions qui s'appliquent à la réparation des dommages résultant d'événements antérieurs à la date d'entrée en vigueur de cette loi dès lors que, comme en l'espèce, le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixé avant cette date ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
Quant aux dépenses de santé :
7. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines justifie avoir pris en charge, en raison des complications résultant de l'infection nosocomiale, des frais médicaux et pharmaceutiques, ainsi que des frais d'hospitalisation du 2 novembre 2001 au 6 février 2002, pour un montant total de 88 109,32 euros ; que les consorts D ne justifient pas de frais médicaux restés à la charge de M. D ;
Quant aux frais liés au handicap :
8. Considérant que les consorts D font valoir que M. D a dû déménager pour un logement plus fonctionnel avec un ascenseur, qu'il est devenu dépendant pour la toilette, l'habillage et les repas et qu'il a dû recourir aux services d'une tierce personne à partir de l'année 2004 ; qu'il résulte toutefois du rapport d'expertise que les complications de l'infection nosocomiale survenue au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye ont été jugulées en décembre 2003 et n'ont eu pour séquelle permanente qu'une raideur de la cheville gauche entraînant une invalidité de 15 à 20 % ; que les frais mentionnés ci-dessus n'étaient pas la conséquence de cette infirmité mais résultaient de handicaps liés à la polyarthrite rhumatoïde ; que, par suite, les consorts D ne sont pas fondés à demander une indemnisation à ce titre ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
9. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise et des pièces versées au dossier que M. D, qui était à la retraite depuis 1993, a subi, compte tenu des hospitalisations liées à l'arthrite infectieuse, une incapacité temporaire totale de 139 jours et gardé, à l'issue de sa consolidation fin décembre 2003, une incapacité permanente partielle comprise entre 15 et 20 % ; qu'il a enduré des souffrances évaluées à 3,5/7, un préjudice esthétique évalué à 1/7 ; que l'arthrite infectieuse a contribué à l'interruption d'activités de loisir telles que le golf, à une limitation de ses déplacements et à l'impossibilité de continuer à assumer la prise en charge de son fils dont la résidence avait été fixée chez lui par le juge aux affaires familiales ;
10. Considérant qu'au vu de ces éléments il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis jusqu'à son décès par M. D en raison de son incapacité temporaire totale et de son incapacité permanente partielle incluant le préjudice d'agrément en les évaluant à la somme de 10 000 euros ; que les souffrances physiques et morales peuvent être évaluées à 4 000 euros et le préjudice esthétique à 800 euros ;
Sur le préjudice des enfants de M. D :
11. Considérant que les deux enfants de M. D, âgés de 7 et 15 ans lors de la survenue de l'infection, ont souffert des hospitalisations de leur père et de l'altération de son état de santé consécutive à cette infection ; qu'il sera fait une juste appréciation de leur préjudice en leur allouant à chacun la somme de 1 500 euros ;
Sur le total des indemnités à la charge du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye :
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, comme l'a jugé le tribunal administratif, le centre hospitalier doit verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines la somme de 88 109,32 euros ;
13. Considérant que les consorts D-C sont fondés à demander que les indemnités que devra verser le centre hospitalier soient portées, s'agissant des préjudices éprouvés par M. D, à la somme totale de 14 800 euros et, s'agissant des préjudices de Sarah D et de M. Jean Charles Pierre D, à la somme de 1 500 euros chacun ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
14. Considérant que, comme l'a jugé le tribunal administratif, la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines a droit aux intérêts au taux légal sur la somme qui lui est due à compter du 8 décembre 2006 ;
15. Considérant que les consorts D-C ont droit aux intérêts au taux légal sur les sommes qui leur sont dues à compter du 24 avril 2006, date de réception de leur réclamation préalable ; qu'ils ont demandé la capitalisation des intérêts le 5 octobre 2006 ; qu'il y a lieu d'ordonner cette capitalisation au 24 avril 2007, date à laquelle a été due une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye la somme de 6 000 euros à verser aux consorts D-C au titre des frais non compris dans les dépens exposés par eux devant la cour administrative d'appel de Versailles et le Conseil d'Etat et la somme de 3 000 euros à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines au titre des frais non compris dans les dépens exposés par elle devant le Conseil d'Etat ; que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la caisse et des consorts D-C, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, les sommes que demande à ce titre le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 mai 2010 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye est condamné à verser aux ayants droit de M. D la somme de 14 800 euros, à Mme C en qualité de représentante légale de sa fille mineure Sarah la somme de 1 500 euros et à M. Jean Charles Pierre D la somme de 1 500 euros. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2006. Les intérêts échus à la date du 24 avril 2007 puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du 9 décembre 2008 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision. Le surplus des conclusions de la requête d'appel des consorts D et l'appel incident du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye sont rejetés.
Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 6 000 euros aux consorts D-C et la somme de 3 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Marylise C, M. Jean Charles Pierre D, au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye et à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.