LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
NL4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 juillet 2021
Cassation
Mme AUROY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 499 F-B
Pourvoi n° Y 20-15.994
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2021
La République démocratique du Congo, dont le siège est [Adresse 1] (République Démocratique du Congo), a formé le pourvoi n° Y 20-15.994 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [W] [P],
2°/ à Mme [A] [F], épouse [P],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la République démocratique du Congo, de la SCP Ortscheidt, avocat de M. et Mme [P], après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme [W], conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 janvier 2020), M. et Mme [P] bénéficiaires d'une sentence rendue sous les auspices du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) à l'encontre de la République démocratique du Congo (RDC), ont assigné celle-ci en vente forcée d'un bien immobilier acquis en France pour y loger son personnel diplomatique.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La RDC fait grief à l'arrêt d'ordonner la vente des biens aux enchères, alors « que, suivant l'article L. 111-1-2, alinéa 1er, du code des procédures civiles d'exécution, les « mesures d'exécution forcée visant un bien appartenant à un État étranger ne peuvent être autorisées par le juge que si l'une des conditions suivantes est remplie : / [...] / 3° Lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'État concerné et que le bien en question, est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée » ; que, suivant l'alinéa 2 du même texte, « pour l'application du 3°, sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État à des fins de service public non commerciales les biens suivants : / a) Les biens [...] utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'État » ; qu'enfin, l'article 30 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 précise que « la demeure privée de l'agent diplomatique jouit de la même inviolabilité et de la même protection que les locaux de la mission » ; qu'en validant la saisie immobilière pratiquée par M. et Mme [W] [P]-[F], quand elle constate que « l'ambassade de la République démocratique du Congo près la République française a informé, par note verbale du 7 juillet 2014, le service du protocole du ministère des affaires étrangères du transfert de la résidence officielle de l'ambassadeur, précédemment située dans les locaux de la chancellerie, [Adresse 3], à [Localité 1] (Hauts-de-Seine) au 7e étage, porte a/d et 2/d de l'immeuble [Adresse 4] » et que « ce caractère officiel de la résidence de l'ambassadeur a été reconnu par le service du protocole à compter du 2 août 2014 », la cour d'appel, qui reconnaît ainsi que les biens immobiliers saisis sont, sinon spécifiquement utilisés, du moins destinés à être utilisés, par la République démocratique du Congo, comme résidence de son agent diplomatique auprès de la République française, a violé les articles L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, dans la rédaction que leur a donnée la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, et 30 de la convention de Vienne du 18 avril 1961. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 30, paragraphe 1, de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution :
3. Aux termes du premier de ces textes, la demeure privée de l'agent diplomatique jouit de la même inviolabilité et de la même protection que les locaux de la mission.
4. Selon le second, lorsqu'une sentence arbitrale a été rendue contre un Etat étranger, des mesures conservatoires ou d'exécution forcée visant un bien appartenant à l'Etat concerné ne peuvent être autorisées par le juge que si le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée. Sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat à des fins de service public non commerciales, les biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'Etat.
5. Pour ordonner la vente forcée du bien immobilier litigieux, après avoir constaté que le caractère officiel de la résidence de l'ambassadeur de la RDC dans ces lieux a été reconnu par le service du protocole du Ministère des affaires étrangères à compter du 2 août 2014, l'arrêt retient qu'en réalité, ils ne constituent pas la résidence personnelle de l'ambassadeur et ne sont pas affectés à la mission diplomatique de cet Etat. Il ajoute que, fut-il affecté au logement du personnel diplomatique de la RDC, son acquisition ne constitue pas une prérogative ou un acte de souveraineté mais seulement une opération habituelle de gestion relevant du droit privé.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. et Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la République démocratique du Congo
La République démocratique du Congo fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR :
. validé la procédure de saisie immobilière que M. et Mme [W] [P]-[F] ont pratiquée sur les biens immobiliers dont elle est propriétaire au [Adresse 5], à [Localité 1] ;
. liquidé la créance de M. et Mme [W] [P]-[F] au 21 juillet 2017, à la somme, en principal, intérêts et frais, de 2 811 553 € 74 ;
. ordonné la vente des biens saisis aux enchère publiques sur une mise à prix de 200 000 € ;
1. ALORS QUE, suivant l'article L 113-1-2, alinéa 1er , du code des procédures civiles d'exécution, les « mesures d'exécution forcée visant un bien appartenant à un État étranger ne peuvent être autorisées par le juge que si l'une des conditions suivantes est remplie : / [...] / 3° Lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'État concerné et que le bien en question, est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée » ; que, suivant l'alinéa 2 du même texte, « pour l'application du 3°, sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État à des fins de service public non commerciales les biens suivants : / a) Les biens [...] utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'État » ; qu'enfin, l'article 30 de la convention de Vienne du 18 avril 1961 précise que « la demeure privée de l'agent diplomatique jouit de la même inviolabilité et de la même protection que les locaux de la mission » ; qu'en validant la saisie immobilière pratiquée par M. et Mme [W] [P]-[F], quand elle constate (arrêt attaqué, p. 5, 2e alinéa) que « l'ambassade de la République démocratique du Congo près la République française a informé, par note verbale du 7 juillet 2014, le service du protocole du ministère des affaires étrangères du transfert de la résidence officielle de l'ambassadeur, précédemment située dans les locaux de la chancellerie, [Adresse 6]) au 7e étage, porte a/d et 2/d de l'immeuble [Adresse 4] » et que « ce caractère officiel de la résidence de l'ambassadeur a été reconnu par le service du protocole à compter du 2 août 2014 », la cour d'appel, qui reconnaît ainsi que les biens immobiliers saisis sont, sinon spécifiquement utilisés, du moins destinés à être utilisés, par la République démocratique du Congo, comme résidence de son agent diplomatique auprès de la République française, a violé les articles L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, dans la rédaction que leur a donnée la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, et 30 de la convention de Vienne du 18 avril 1961 ;
2. ALORS QUE la République démocratique du Congo faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, p. 5, dernier attendu, et p. 6, attendus nos 1 à 4, que « la décision d'affecter un bien dans le domaine public de l'État relève des autorités étatiques internes ; que c'est dans son pouvoir souverain que l'État congolais, par le biais de son ambassadeur en France, a décidé que les appartements sis [Adresse 7], seront destinés à être utilisés comme résidence officielle de l'ambassadeur ; que cette décision a été communiquée au ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui, à son tour, a reconnu les immunités diplomatiques auxdits appartements, et ce, à compter du 2 août 2014 ; que cette reconnaissance a été confirmée de nouveau par note verbale n° 2017-3041101/pro/pidc2 du 3 août 2017 ; que, dans sa lettre n° 2017-323103 du 31 octobre 2017 aux époux Lahoud, la sous-direction des privilèges et immunités diplomatiques et consulaires a confirmé aux intéressés que ces appartements jouissaient des immunités diplomatiques, que l'État congolais ne peut y renoncer que de façon expresse et spéciale, et que leur inviolabilité s'oppose à ce qu'ils ne fassent l'objet d'une quelconque mesure de contrainte [...] ; que, dans une lettre du 4 octobre 2018, le ministère des affaires étrangères a encouragé la République démocratique du Congo à faire valoir devant le juge de l'exécution l'insaisissabilité de ce bien ; qu'il ressort de ces éléments que la volonté de l'État congolais de destiner l'utilisation de ce bien comme résidence officielle de l'ambassadeur est claire, nette et précise, de sorte qu'elle ne souffre aucune ambiguïté ; qu'en conséquence, il est justifié, comme le sous-entend la décision du 10 janvier 2019, que l'État congolais "dans les rapports qu'il entretient avec l'État français" doit être regardé comme ayant fixé la résidence officielle de son ambassadeur dans les appartements litigieux ; que cette volonté du reste [est] certifiée par les différentes correspondances susmentionnées, suffit à conférer une immunité à ce bien et à le rendre insaisissable, conformément aux dispositions de l'article L. 111-1-2, 3°, du code des procédures civiles d'exécution » ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces conclusions, et, en particulier, sur la force obligatoire, à l'endroit du juge français, de la décision formellement prise par la République démocratique du Congo et entérinée comme telle par la République française, la cour d'appel, qui se borne à indiquer que « l'acquisition par la République administrative démocratique du Congo de ce bien [celui qui est saisi], fût-il affecté au logement de son personnel diplomatique, ne constitue pas une prérogative ou un acte de souveraineté, mais seulement une opération habituelle de gestion relevant du droit privé, de sorte que la République que du Congo ne pourra pas opposer son immunité d'exécution» à M. et Mme [W] [P]-[F], créanciers poursuivants, a violé l'article 455 du code de procédure civile.