Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E...a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler la décision du 2 mai 2015 par laquelle le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales lui a demandé de restituer l'intégralité des remboursements qu'elle a perçus en subrogation des assurés sociaux, au titre des années 2013 et 2014, pour un montant de 112 189,74 euros, ainsi que la décision de ce même directeur du 27 juillet 2015 ramenant le montant des sommes réclamées à 94 239,40 euros et, d'autre part, de condamner la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales à lui verser la somme de 194 434 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'intervention de ces décisions.
Par un jugement n° 1602937 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a annulé les décisions du 2 mai 2015 et du 27 juillet 2015 et a condamné la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales à verser à Mme E... la somme de 47 365 euros.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés les 2 mai 2018, 6 septembre 2018 et 12 décembre 2018 sous le n° 18MA02030, la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales, représentée par la SCP Cauvin Leygue, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande de Mme E... comme présentée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande de première instance de Mme E... comme infondée ;
4°) de condamner le syndicat Infin'idels à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice imputable à son intervention irrégulière ;
5°) de mettre à la charge de Mme E... et du syndicat Infin'idels la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son directeur n'a pris aucune sanction à l'encontre de Mme E... et s'est borné à recouvrer le préjudice subi du fait de remboursements au titre de soins prodigués à tort ;
- le contentieux né de cette décision relève de la juridiction judiciaire ;
- Mme E... ayant créé un cabinet fictif méconnaissant les règles d'installation imposées aux infirmiers libéraux, les décisions du 2 mai 2015 et du 27 juillet 2015 sont fondées ;
- le syndicat Infin'idels a abusé de son droit d'intervenir à l'instance.
Par des mémoires en défense enregistrés le 8 août 2018 et le 11 janvier 2019, Mme E..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement en ce qu'il a limité à 47 365 euros le montant de l'indemnité qui lui est due et de porter cette indemnité à la somme de 194 434 euros, majorée des pertes de revenus subies à compter du jour du jugement ;
3°) de mettre une somme de 6 000 euros à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la caisse primaire d'assurance maladie a pris à son encontre une sanction de déconventionnement dont le contentieux relève des juridictions administratives ;
- cette sanction est irrégulière faute de consultation des instances et de respect de garanties prévues par l'article 7.4.1 de la convention nationale des infirmiers ;
- cette sanction méconnaît les dispositions de l'article L. 162-12 du code de la sécurité sociale ;
- elle est en droit de soigner des patients en dehors de la zone où elle est installée et elle n'a commis aucune faute susceptible de conduire à un partage de responsabilité ;
- ne pouvant toujours pas travailler, elle devait être indemnisée de la perte de revenus au-delà de la date de l'intervention du jugement du Tribunal, jusqu'à la reprise de son activité.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 octobre 2018, le syndicat Infin'idels, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales sont infondés.
Par ordonnance du 17 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 février 2019.
II. Par une requête enregistrée le 10 juin 2018 sous le n° 18MA02680, Mme E..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 avril 2018 en ce qu'il lui a imputé 50 % de la responsabilité des préjudices et a limité à 47 365 euros le montant total de la réparation due par la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales ;
2°) de porter à 100 000 euros le montant de l'indemnité due au titre du préjudice moral et à 45 315 euros l'indemnité due en compensation de la perte de patientèle ;
3°) d'étendre le calcul de la perte de revenu jusqu'à la reprise de son activité professionnelle ;
4°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales a pris à son encontre une sanction de déconventionnement dont le contentieux relève des juridictions administratives ;
- cette sanction est irrégulière faute de consultation des instances et de respect de garanties prévues par l'article 7.4.1 de la convention nationale des infirmiers ;
- cette sanction méconnaît les dispositions de l'article L. 162-12 du code de la sécurité sociale ;
- elle est en droit de soigner des patients en dehors de la zone où elle est installée et elle n'a commis aucune faute susceptible de conduire à un partage de responsabilité ;
- le Tribunal a fait une évaluation insuffisante de son préjudice moral ;
- ne pouvant toujours pas travailler, elle devait être indemnisée de la perte de revenus au-delà de la date de l'intervention du jugement du Tribunal, jusqu'à la reprise de son activité.
Une mise en demeure a été adressée le 20 décembre 2018 à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales, qui n'a produit aucun mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... Grimaud, rapporteur,
- les conclusions de M. D... Thiele, rapporteur public,
- et les observations de Me F... représentant Mme E... et de Me A..., représentant le syndicat Infin'idels.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., infirmière libérale, a créé un cabinet pour l'exercice de son activité libérale à Port-Vendres. A la suite d'un contrôle de son activité professionnelle diligenté par la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales le 27 août 2014, le directeur de cet organisme lui a adressé, le 2 mai 2015, un courrier exigeant la restitution de remboursements perçus en subrogation des droits des assurés sociaux et le reversement, à ce titre, de la somme de 112 189,74 euros. Par une décision du 27 juillet 2015 intervenue à la suite d'un recours gracieux formée par Mme E..., le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales a ramené le montant de cette créance à 94 239,40 euros.
2. Aux termes de l'article 35 du décret du 27 février 2015 : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. (...) ".
3. Selon l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale : " Il est institué une organisation du contentieux général de la sécurité sociale. / Cette organisation règle les différends auxquels donnent lieu l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, et qui ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux (...) ".
4. En vertu des dispositions de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale : " En cas d'inobservation des règles de tarification ou de facturation : / 1° Des actes, prestations et produits figurant sur les listes mentionnées aux articles L. 162-1-7, L. 162-17, L. 165-1, L. 162-22-7, L. 162-22-7-3 et L. 162-23-6 ou relevant des dispositions des articles L. 162-22-1, L. 162-22-6 et L. 162-23-1 (...) / l'organisme de prise en charge recouvre l'indu correspondant auprès du professionnel ou de l'établissement à l'origine du non-respect de ces règles et ce, que le paiement ait été effectué à l'assuré, à un autre professionnel de santé ou à un établissement. (...) ". En application de l'article L. 161-1-5 du code de la sécurité sociale : " Pour le recouvrement d'une prestation indûment versée ou d'une prestation recouvrable sur la succession et sans préjudice des articles L. 133-4 du présent code et L. 725-3-1 du code rural et de la pêche maritime, le directeur d'un organisme de sécurité sociale peut, dans les délais et selon les conditions fixés par voie réglementaire, délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d'un jugement et confère notamment le bénéfice de l'hypothèque judiciaire ". Enfin, aux termes des dispositions de l'article L. 162-15-1 de ce code : " La caisse primaire d'assurance maladie peut décider de placer un professionnel de santé hors de la convention pour violation des engagements prévus par celle-ci ; cette décision doit être prononcée selon les conditions prévues par la convention, lui permettant notamment de présenter ses observations ; elle ne fait pas obstacle à l'application éventuelle des dispositions de l'article L. 133-4 et du chapitre V du titre IV du présent livre. (...) ".
5. Il résulte des dispositions de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale que l'organisation du contentieux général de la sécurité sociale règle les différends auxquels donne lieu l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole et qui ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux. Relèvent toutefois, par leur nature, de la juridiction administrative les litiges nés des sanctions prononcées à l'encontre des praticiens et auxiliaires médicaux qui constituent l'exercice de prérogatives de puissance publique.
6. Il résulte des termes et de la portée des décisions du 2 mai 2015 et 27 juillet 2015 ainsi que des écritures de la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales que le directeur de cet organisme a entendu recouvrer, en vertu des dispositions de l'article L. 133-4 ou de l'article L. 161-1-5 du code de la sécurité sociale, les sommes que la caisse estimait avoir indûment versées à Mme E..., en appliquant à ceux des actes réalisés par cette infirmière en dehors de la zone d'installation qui lui avait été assignée le tarif de responsabilité prévu à l'article L. 162-12 du code de la sécurité sociale, cette décision ne caractérisent en elle-même l'exercice d'aucune prérogative de puissance publique. Toutefois, il résulte des termes de la décision et du contexte dans lequel elle est intervenue que la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales a également entendu infliger à Mme E... une forme de sanction à raison du non-respect des stipulations de l'article 2.2 de la convention nationale des infirmiers dans sa rédaction résultant de l'avenant n° 4 du 19 décembre 2013. Cet aspect de la décision est quant à lui susceptible de révéler l'exercice, par la caisse, de prérogatives de puissance publique.
7. Le litige né de l'action de Mme E... tendant à la contestation des décisions du 2 mai 2015 et 27 juillet 2015 et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime imputables à cette mesure, ainsi que des conclusions reconventionnelles présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales à l'encontre du syndicat Infin'idels, qui n'est pas détachable de la procédure engagée par Mme E..., présente ainsi à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du 27 février 2015. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir si l'action introduite par Mme E... devant le tribunal administratif de Montpellier relève ou non de la compétence de la juridiction administrative et de surseoir à statuer, jusqu'à la décision de ce Tribunal, sur les requêtes d'appels présentées par la Mme E... et par la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales.
D É C I D E :
Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes n° 18MA02030 et 18MA02680 jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur ce litige.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C...E..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales et au syndicat Infin'idels.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- M. G... Grimaud, premier conseiller,
- M. Allan Gautron, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 juin 2019.
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N° 18MA02030-18MA02680