Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 11 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CARTO RHIN, dont le siège social est situé 2, rue Jules Grosjean à Guebviller (68500) et Me Y, commissaire à l'exécution du plan de la dite société dont le cabinet est situé ... ; la SOCIETE CARTO RHIN et Me Y demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 10 mai 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a annulé, d'une part, le jugement du 22 juin 1999 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant la demande présentée par M. X tendant à l'annulation de la décision du 29 mai 1998 de l'inspecteur du travail et de celle du 2 novembre 1998 du ministre de l'emploi et de la solidarité autorisant son licenciement et, d'autre part, ces deux décisions ;
2°) de mettre à la charge de M. X la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yves Struillou, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat de la SA CARTO-RHIN et de Me Y et de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de M. Alain X,
- les conclusions de Mme Anne-Françoise Roul, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, la SOCIETE CARTO RHIN a engagé en 1995 des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, bénéficiant de la protection exceptionnelle instituée par le législateur en sa qualité de conseiller prud'homme ; qu'à la suite de l'entretien préalable auquel elle avait convoqué l'intéressé, elle a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement qui a été rejetée le 20 novembre 1995 au motif que, par un jugement du 12 octobre 1995, le conseil de prud'hommes de Créteil avait prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. X à sa demande ; que ce jugement a été réformé sur ce point par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 février 1998, devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi en cassation dont il avait fait l'objet ; que, par ailleurs, par un jugement du 10 septembre 1996 du tribunal administratif de Strasbourg, confirmé le 13 janvier 2000 par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, les conclusions à fin d'annulation de la décision du 20 novembre 1995 présentées par l'employeur ont été rejetées ; que, par une décision du 14 novembre 2001, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cette décision ainsi que le jugement du tribunal administratif et l'arrêt de la cour administrative d'appel ; que, à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 février 1998, la SOCIETE CARTO RHIN a convoqué le 17 mars 1998 M. X à un nouvel entretien en vue de son licenciement ; que, à la demande de la société présentée le 30 mars 1998, celle ;ci a été autorisée à licencier M. X par une décision du 29 mai 1998 de l'inspecteur du travail, confirmée le 2 novembre 1998 par le ministre chargé du travail ; que, par un jugement du 22 juin 1999, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions présentées par M. X tendant à l'annulation de ces décisions ; que, par un arrêt du 10 mai 2004, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement et ces décisions ; que la SOCIETE CARTO RHIN et Me Y se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 122 ;44 du code du travail : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au ;delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance (…) » ;
Considérant que le délai ainsi prévu peut être soit interrompu, lorsque l'employeur a engagé des poursuites dans le délai de deux mois, soit suspendu si une cause extérieure à l'employeur fait obstacle aux poursuites ; qu'il en va ainsi notamment au cas où, postérieurement à l'engagement par l'employeur dans le délai légal d'une action disciplinaire, le juge décide, à la demande du salarié, la résiliation judiciaire du contrat de travail ; que toutefois, lorsque la résiliation judiciaire est elle ;même annulée, le délai de prescription reprend son cours à compter de la notification à l'employeur de la décision juridictionnelle annulant le jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 122 ;44 du code du travail ne faisaient pas obstacle à ce que l'employeur de M. X puisse invoquer à l'appui de sa seconde demande d'autorisation de licenciement, présentée postérieurement à l'arrêt du 17 février 1998 de la cour d'appel de Paris, des motifs invoqués à l'appui de la demande du 11 octobre 1995, dès lors que la procédure disciplinaire ayant précédé cette demande avait elle ;même été engagée avant l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article L. 122 ;44 et qu'elle avait été reprise dans les deux mois suivant la notification de l'arrêt de la cour d'appel ; que, par suite, en jugeant que les faits invoqués à l'appui de la demande d'autorisation datée du 30 mars 1998 étaient prescrits au seul motif qu'ils avaient été connus de l'employeur plus de deux mois avant l'engagement de la seconde procédure de licenciement, sans rechercher si, comme le soutenait l'employeur, ils avaient donné lieu en 1995 à l'engagement de poursuites disciplinaires dans les conditions prévues par l'article L. 122 ;44, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit ; qu'il suit de là que la SOCIETE CARTO RHIN et Me Y sont fondés à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative, et dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L. 514 ;2 et L. 412 ;18 du code du travail le licenciement des salariés légalement investis des fonctions de conseiller prud'hommes, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exercice des fonctions dont il est investi ;
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient M. X, la circonstance qu'était pendant, à la date de la présentation de la demande d'autorisation du 30 mars 1998, l'appel formé par l'employeur contre le jugement du 10 septembre 1996 du tribunal administratif de Strasbourg, rejetant la demande tendant à l'annulation de la décision du 20 novembre 1995 de l'inspecteur du travail refusant d'accorder l'autorisation de licenciement, ne faisait pas obstacle à ce que l'inspecteur du travail statuât sur cette demande ;
Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de ce que la convocation à l'entretien préalable fixé le 2 octobre 1995 aurait été irrégulière est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien ;fondé ;
Considérant, en troisième lieu, que, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que, d'une part, les faits invoqués à l'appui de la demande d'autorisation datée du 11 octobre 1995 et repris à l'appui de la demande d'autorisation datée du 30 mars 1998, avaient donné lieu à l'engagement en 1995 de poursuites disciplinaires dans le délai de deux mois fixé par l'article L. 122 ;44 et, d'autre part, que l'employeur avait repris la procédure disciplinaire dans le délai de deux mois courant à compter de la notification de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 février 1998, les faits en cause ne peuvent être regardés comme prescrits ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 122 ;44 du code du travail auraient été méconnues doit être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'employeur, qui était tenu de convoquer M. X à un nouvel entretien préalable, dès lors qu'il entendait également invoquer à l'appui de sa seconde demande d'autorisation de nouveaux faits, a satisfait à cette obligation ;
Considérant, en cinquième lieu, que le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail n'aurait pas été compétent pour statuer sur cette seconde demande, manque en fait ;
Considérant, en sixième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'antérieurement à la notification du jugement du 12 octobre 1995 du conseil de prud'hommes de Créteil statuant sur la demande de M. X aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, l'intéressé s'est rendu dans les locaux d'une entreprise concurrente de la SOCIETE CARTO RHIN afin de discuter avec le responsable de cette entreprise de l'éventualité de son recrutement ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cet entretien ait été porté à la connaissance de l'employeur par des moyens de preuve illicites ; que M. X, qui ne pouvait ignorer qu'il était tenu, par les stipulations de son contrat, de respecter une clause de non concurrence, a ainsi manqué à son obligation de loyauté ; qu'en outre, la cour d'appel de Paris a relevé dans son arrêt du 17 février 1998 que les décisions et le comportement de la SOCIETE CARTO RHIN n'étaient pas de nature à justifier, comme le soutenait M. X, la rupture de son contrat de travail ; que, dans les circonstances de l'espèce, la faute ainsi commise par M. X était d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
Considérant, enfin, que, contrairement à ce que soutient M. X, la loi d'amnistie du 6 août 2002 est sans influence sur la légalité de la décision du 29 mai 1998 autorisant son licenciement qui a été entièrement exécutée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 22 juin 1999, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande dirigée contre les décisions de l'inspecteur du travail et du ministre du travail autorisant son licenciement ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SOCIETE CARTO RHIN, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. X les sommes demandées tant en appel qu'en cassation par la SOCIETE CARTO RHIN au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 10 mai 2004 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. X devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE CARTO RHIN est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CARTO RHIN, à Me Y, à M. Alain X et au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.