AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 22 avril 2002), que les époux X..., victimes à 13 reprises entre septembre 1987 et mars 1999 de cambriolages du fonds de commerce de parfumerie qu'ils exploitent à Vitry-le-François, en dépit de l'existence d'un système d'alarme directement relié au commissariat de police, ont saisi le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, pour obtenir une expertise permettant de déterminer dans quelles conditions les services de police avaient été dans l'incapacité d'intervenir pour mettre fin à ces vols ; que, par ordonnance du 23 mai 2000, le président du tribunal administratif a rejeté leur requête, au motif que, relative au fonctionnement de la police judiciaire, elle relevait exclusivement de la compétence des tribunaux judiciaires ; que les époux X... ont alors fait assigner en référé le préfet de la Marne et l'agent judiciaire du Trésor devant le président du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne, sollicitant à la fois une expertise et une provision ; que le préfet de la Marne, après avoir produit, le 21 août 2000, un déclinatoire de compétence s'est rétracté le 2 octobre 2000 ; que, par ordonnance de référé du 14 octobre 2000, le président du tribunal de grande instance a rejeté les demandes des époux X... au motif qu'il existait des contestations sérieuses ; que, sur appel des époux X..., la cour d'appel de Reims a confirmé l'ordonnance en ce qu'elle avait rejeté leur demande d'expertise in futurum, mais condamné l'Etat à payer une provision de 15 246,90 euros à valoir sur le préjudice subi du fait du fonctionnement défectueux des services de police judiciaire ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait grief à l'arrêt de les avoir condamnés à payer la somme susindiquée, alors, selon le moyen :
1 / que d'une part, les mesures de police visant à préserver la sécurité des citoyens et l'ordre public constituent des mesures de police administrative ressortissant de la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; d'où il résulte qu'en reprochant aux services de police de n'avoir pas été en mesure de prévenir la commission de cambriolages et de n'avoir pu obvier à leur perpétuation pour en déduire l'existence d'une faute lourde commise par la police judiciaire, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble les articles L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, 14 du Code de procédure pénale et 809 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que d'autre part, la police judiciaire est chargée de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs ; d'où il résulte que la cour d'appel qui constate l'intervention des services de police et leur reproche exclusivement l'absence d'arrestation des malfaiteurs, ne pouvait juger que la faute lourde était constituée, sans violer l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 14 du Code de procédure pénale ;
3 / qu'en tout état de cause en jugeant que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde en ne prévenant pas la commission de cambriolages et en ne pouvant arrêter les malfaiteurs après des interventions tardives ou inefficaces, la cour d'appel a tranché une contestation sérieuse sur l'existence d'une faute lourde commise par les services de police judiciaire et violé l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt attaqué ayant constaté que les intimés ne contestaient pas la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître des prétentions des époux X... en application de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, le moyen, en sa première branche, contraire aux conclusions soutenues devant la cour d'appel par l'agent judiciaire du Trésor, ne peut être accueilli ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a constaté que les services de police n'avaient pas été en mesure d'intercepter les auteurs des méfaits en cause ou de les arrêter et que l'action des policiers du commissariat n'avait jamais été sérieusement relayée par les autres services ;
Attendu, enfin, que, prenant en considération l'ensemble des comportements dénoncés par les époux X..., la cour d'appel a constaté que, bien que le système d'alarme eut fonctionné normalement à chaque effraction et que le mode opératoire employé par les malfaiteurs eut été, à chaque fois, quasiment identique, il n'était pas établi que les services de police aient pris des mesures topiques pour obvier à la perpétuation de ces cambriolages et en arrêter les auteurs ; que les interventions des policiers du commissariat de Vitry-le-François avaient toujours été tardives et totalement inefficaces, et que leur action n'avait jamais été sérieusement relayée par les autres services de police et de gendarmerie ; que, prenant en considération l'ensemble des comportements dénoncés par les époux X... dont elle a ainsi estimé qu'ils se rattachaient au fonctionnement de la police judiciaire, elle a jugé à bon droit qu' aucune contestation sérieuse n'était soulevée sur l'existence d'une faute lourde commise par les services chargés de cette mission engageant la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé dans les deux dernières ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne l'agent judiciaire du Trésor à payer aux époux X... la somme de 2 000 euros ; rejette la demande de l'agent judiciaire du Trésor ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille cinq.