AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2003) que par acte reçu par la société civile professionnelle Blanchet, notaire, le 20 novembre 1997, la société Gepa a promis de vendre aux consorts X... divers lots dans un immeuble en copropriété avec levée de l'option fixée au 30 octobre 1998 et déclaration par la venderesse de ce que les biens vendus n'étaient grevés d'aucune hypothèque ; que les parties sont convenues, le 7 décembre 1998, de proroger les effets de la promesse jusqu'au 31 janvier 1999 ; que les consorts X... n'ont pas levé l'option à cette date à raison de la découverte d'une inscription d'hypothèque légale prise par le Trésor public les 24 mai et 11 juin 1996 et ont formé une demande de dommages-intérêts contre la société Gepa et le notaire ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Gepa fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 ) que la mise en jeu de la responsabilité du fait personnel suppose que soit caractérisée l'existence d'une faute ; qu'en se fondant, pour retenir la faute de la société Gepa, sur l'accord que cette dernière aurait donné à la constitution d'une hypothèque sur ses biens sans s'expliquer sur les mentions de la fiche d'immeuble d'où il résultait que l'hypothèque grevant l'immeuble de la société Gepa avait été inscrite par le Trésor public sur le fondement d'un avis de mise en recouvrement d'impositions et non sur celui d'un acte volontaire de constitution d'une hypothèque conventionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 ) qu'il appartient au demandeur à l'action en responsabilité de rapporter la preuve de la faute qu'il invoque pour obtenir des dommages et intérêts ; qu'en se fondant sur l'absence de preuve par la société Gepa de l'ignorance dans laquelle elle se trouvait de l'inscription hypothécaire grevant les biens qui faisaient l'objet de la promesse, pour considérer sa faute établie, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;
3 ) qu'en se fondant, pour retenir la connaissance par la société Gepa des inscriptions hypothécaires, portant sur son bien, sur l'obligation faite au Trésor public de notifier l'avis d'inscription de l'hypothèque légale au contribuable, sans rechercher si concrètement l'avis d'inscription de l'hypothèque légale avait été notifiée à la société Gepa, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
4 ) qu'une prorogation ne peut être accordée que pour un contrat en cours ; qu'elle ne peut avoir lieu après l'expiration du terme ;
qu'en l'espèce à défaut de levée de l'option, par ses bénéficiaires, la promesse de vente conclue le 20 septembre 1997 était devenue caduque à l'expiration du délai d'option fixé au 30 octobre 1998 ; qu'en effet, faute d'être intervenue dans le délai d'efficacité de la promesse, la lettre du 7 décembre 1998 constatant l'accord de la société Gepa à la prorogation du délai d'option n'avait pu emporter prorogation de la promesse de vente au-delà du 30 octobre 1998 ; que dès lors, en décidant, pour retenir la responsabilité de la société Gepa dans la survenance du dommage prétendument subi ultérieurement par les bénéficiaires de la promesse, que la promesse de vente conclue entre la société Gepa et les consorts X... et autres avait été expressément prorogée par lettre du 7 décembre 1998 jusqu'au 30 mai 1999 puis tacitement jusqu'à la date de la restitution de l'indemnité d'immobilisation, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu qu'aux termes d'une lettre du 5 mai 1999 le receveur des impôts avait indiqué que l'hypothèque légale inscrite les 24 mai et 11 juin 1996 avait été proposée en garantie d'impositions contestées par la société Gepa, que la promesse de vente qui expirait le 30 octobre 1998 avait été prorogée expressément jusqu'au 30 janvier 1999 par lettre du 7 décembre 1998, puis tacitement, jusqu'en mai 1999, par le maintien de relations et de pourparlers, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant tiré de l'envoi d'un avis d'inscription de l'hypothèque légale, par le Trésor public, et sans inverser la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision en retenant que la société Gepa avait connaissance de l'inscription d'hypothèque légale du Trésor public lors de la promesse de vente et avait commis une faute génératrice d'un préjudice qui s'était poursuivi, pour les consorts X..., jusqu'en mai 1999 ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Gepa fait grief à l'arrêt d'écarter la responsabilité du notaire, alors, selon le moyen :
1 ) que le notaire est tenu d'une obligation de conseil et qui lui impose, en sa qualité de rédacteur d'un acte, d'éclairer les parties sur la portée et les conséquences de l'acte qu'il dresse ; qu'il lui appartient notamment de conseiller les parties sur l'opportunité de l'opération juridique envisagée par elles ; qu'ainsi, dans le cadre d'une promesse unilatérale de vente immobilière, le notaire doit requérir, préalablement à la signature de la promesse, un état hypothécaire révélant la situation juridique exacte du bien vendu afin de permettre aux bénéficiaires de la promesse d'apprécier l'opportunité de l'opération envisagée ; qu'en en décidant autrement, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2 ) qu'il appartient au notaire de vérifier les déclarations qui lui sont faites afin d'assurer la sincérité et l'efficacité des actes qu'il dresse ; que les déclarations éventuellement mensongères des parties ne sauraient dégager le notaire de la responsabilité qu'il encourt en cas de manquement à son obligation d'assurer la sincérité des actes qu'il dresse ; que, dès lors la cour d'appel, qui a constaté que le notaire s'était dispensé de lever un état hypothécaire des biens, lequel aurait pourtant permis de révéler la fausseté des déclarations de la société Gepa, relatives à l'absence d'hypothèque grevant ses biens, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il s'évinçait que le notaire avait failli à son obligation de vérifier la sincérité des déclarations des parties ; qu'en écartant toute faute du notaire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit qu'il ne pouvait être imposé au notaire d'obtenir la délivrance d'un état hypothécaire préalablement à la conclusion d'une promesse unilatérale de vente, qui constitue un avant-contrat destiné à arrêter la volonté des parties de vendre et d'acquérir ou de renoncer à l'acquisition sans attendre l'expiration des délais utiles à l'obtention des documents administratifs et hypothécaires nécessaires à la perfection de la vente, la cour d'appel en a exactement déduit que le notaire n'avait commis aucune faute à l'égard des signataires de la promesse de vente ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi provoqué éventuel :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Gepa aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Gepa à payer aux consorts X..., Y..., Z..., A..., B..., C..., née D..., E..., F..., G... et H... ensemble, d'une part, et à la SCP Blanchet et Blanchet, d'autre part, la somme de 1 900 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Gepa ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille quatre.