Arrêt n° 603 P + B + R + I Pourvoi n° X 10-14. 688
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. Abdelkader X..., domicilié ...,
contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2010 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la Société d'économie mixte des transports de l'agglomération grenobloise (SEMITAG), société anonyme, dont le siège est 15 avenue Salvador Allende, 38130 Echirolles,
défenderesse à la cassation ;
M. X...s'est pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble en date du 12 septembre 2007 ;
Cet arrêt a été cassé le 31 mars 2009 par la chambre sociale de la Cour de cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Chambéry qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 19 janvier 2010 ;
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, la chambre sociale a, par arrêt du 11 juillet 2011, décidé le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière ;
Le demandeur invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Laugier et Caston, avocat de M. X...;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société SEMITAG ;
Le rapport écrit de M. Le Dauphin, conseiller, et l'avis écrit de M. Foerst, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 16 décembre 2011, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, Mme Favre, MM. Lacabarats, Louvel, Charruault, Loriferne, Terrier, présidents, M. Le Dauphin, conseiller rapporteur, MM. Pluyette, Dulin, Trédez, Petit, Mme Bellamy, MM. Barthélemy, Garban, Mmes Robineau, Masson-Daum, MM. Struillou, Fossier, conseillers, M. Foerst, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de M. Le Dauphin, conseiller, assisté de Mme Massiot, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Laugier et Caston, de la SCP Gatineau et Fattaccini, l'avis de M. Foerst, avocat général, auquel les parties invitées à le faire ont répliqué, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 19 janvier 2010), rendu en matière de référé, sur renvoi après cassation (chambre sociale, 31 mars 2009, pourvoi n° 07-44. 791), que M. X..., employé par la Société d'économie mixte des transports de l'agglomération grenobloise (la société Sémitag) en qualité de conducteur receveur, affecté en dernier lieu sur des lignes de tramway en soirée, s'est vu retirer son habilitation à la conduite des tramways par son employeur le 22 novembre 2006 à la suite d'un incident survenu le 15 octobre, et a été affecté à la conduite d'une ligne d'autobus en journée ; que, faisant valoir que cette décision constituait une sanction disciplinaire et, qu'ayant été mise en oeuvre sans consultation du conseil de discipline, elle caractérisait un trouble manifestement illicite, le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir des mesures de remise en état ;
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une sanction disciplinaire toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter ou non, la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; que la lettre du 22 novembre 2006 par laquelle M. X...a été informé de la décision de la Sémitag de lui retirer son habilitation à conduire des tramways a pour seul motif son erreur de conduite commise le 15 octobre 2006 ; qu'en considérant, cependant, que cette décision n'était pas constitutive d'une sanction, la cour d'appel a violé l'article L. 122-40 devenu L. 1331-1 du code du travail ;
2°/ que l'article 49 de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs dispose que les sanctions du deuxième degré que constituent la suspension temporaire sans solde, la mutation ou le changement d'emploi par mesure disciplinaire, la rétrogradation et le licenciement doivent être prises après un avis motivé du conseil de discipline ; que l'article 6 du titre 3 du règlement intérieur de la Sémitag prévoit que la mutation est une sanction du deuxième degré et qu'elle est prise après avis motivé du conseil de discipline ; que de façon plus générale l'article 7 de ce même titre prévoit que toute sanction est entourée des garanties de procédure arrêtées par la convention collective dont dépend l'entreprise et par le code du travail ; que la prise d'une sanction disciplinaire sans respect de la procédure disciplinaire préalable constitue, même en présence d'une contestation sérieuse, un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ; qu'en considérant que celui-ci n'était pas caractérisé en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-6 du code du travail, ensemble l'article 49 de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs, les articles 6 et 7 du titre 3 du règlement intérieur de la Sémitag ;
Mais attendu que ne constitue pas une sanction disciplinaire le changement d'affectation d'un salarié consécutif au retrait de son habilitation à la conduite de certains véhicules dès lors qu'il a pour seul objet, conformément au règlement de sécurité de l'exploitation d'un système de transport public guidé, d'assurer la sécurité des usagers, du personnel d'exploitation et des tiers ; qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le retrait par la société Sémitag de l'habilitation de M. X...à la conduite des tramways et son affectation sur une ligne d'autobus étaient intervenus après que ce salarié, à qui aucune réprimande n'avait été adressée en raison de cet incident, eut conduit une rame à contresens de la circulation, et qu'il n'en était pas résulté une modification de son contrat de travail mais seulement de ses conditions de travail, la cour d'appel a pu en déduire que le trouble invoqué n'était pas manifestement illicite ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que la troisième branche ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du six janvier deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Laugier et Caston, avocat aux Conseils pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance rendue le 7 mars 2007 par la formation des référés du conseil de prud'hommes de Grenoble et d'avoir, par conséquent, débouté M. X...de l'intégralité de ses demandes ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE M. X...fonde sa première demande sur les dispositions de l'article R. 1455-6 du code du travail aux termes duquel la formation de référé du conseil de prud'hommes peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; en l'espèce, le trouble manifestement illicite dont M. X...prétend être victime n'est pas caractérisé ; qu'en effet, la SEMITAG pouvait retirer l'habilitation dont il disposait, ce qu'il ne conteste d'ailleurs pas et la société n'a pas agi de manière intempestive pour avoir notamment respecté la procédure prévue en la matière par le règlement de sécurité et l'exploitation ; qu'en conséquence, que ce soit sur le fond ou la forme, elle n'a pas agi dans des conditions manifestement illicites, ainsi que l'a parfaitement caractérisé le premier juge par des motifs qu'il convient d'adopter ; que la cour observe, d'ailleurs que les mesures de remise en état sollicitées, sur la nature desquelles M. X...est totalement imprécis, auraient toutes consisté à annuler, directement ou indirectement, le retrait d'habilitation à la conduite des tramways notifié le 22 novembre 2006 ; qu'or, l'annulation de cette décision excède manifestement les pouvoirs du juge des référés ; que la demande en paiement de provisions présentée par M. X...est fondée sur les dispositions de l'article R. 1455-7 du code du travail, selon lesquelles dans le cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé du conseil de prud'hommes peut accorder une provision au créancier de cette obligation ; qu'en l'espèce, l'obligation de la SEMITAG à maintenir à M. X...un salaire d'un montant effectivement égal à celui qu'il percevait avant le retrait de l'habilitation de conduite des tramways est sérieusement contestable ; qu'en effet, il ressort clairement des fiches de salaire de M. X..., dont la plus récente produite aux débats est de mars 2007, que les éléments du calcul de sa rémunération n'ont subi aucune modification postérieurement au 22 novembre 2006 : coefficient 215, valeur du point égale à 7, 743, temps de 35 heures par semaine soit 151, 66 heures par mois ; que si les salaires perçus à compter de décembre 2006 ont été moindres, c'est exclusivement en raison de la variation du nombre des heures supplémentaires ou des heures de nuit effectuées et des samedis, dimanches ou jours fériés travaillés ; qu'outre que l'habilitation à conduire des tramways ne garantissait nullement la conduite effective et exclusive de ce type de véhicules, les premiers juges ont justement observé que l'affectation d'un conducteur-receveur à telle ou telle ligne de transport n'emportait pas modification de son contrat de travail, mais seulement modification de ses conditions de travail, notamment au regard des horaires de la ligne, et que M. X...ne pouvait nullement se prévaloir d'un droit acquis à la réalisation d'heures supplémentaires ou à travailler les jours fériés ou les week-ends, sujétions auxquelles il reste soumis ; qu'en conséquence, quelle que soit la qualification de la décision du 22 novembre 2006, qualification qui ne relève pas de l'évidence et qui suppose un examen au fond de sa cause et de ses effets, lesquels sont sérieusement discutés et discutables, M. X...ne peut pas prétendre au paiement d'une quelconque provision ;
ET AUX MOTIFS EXPRESSEMENT ADOPTES DES PREMIERS JUGES QU': (…) aucun élément ne vient caractériser l'existence d'une voie de fait ou d'un trouble manifestement illicite, alors que la décision d'affecter M. X...sur une ligne de bus ne constitue pas une sanction disciplinaire même déguisée, mais qu'elle correspond à l'exercice du pouvoir de gestion normal de l'employeur, libre d'affecter un salarié à une autre tâche sauf abus de droit non invoqué en l'espèce et qui serait infondé, puisque l'incident survenu le 15 octobre 2006 n'est pas sérieusement contestable, pourvu qu'elle corresponde à sa classification professionnelle et sans perte concernant le salaire de base, la perte de revenus provenant d'une diminution des heures supplémentaires, des nuits et des week-ends travaillés, n'étant que la conséquence de l'exercice du pouvoir de gestion de l'employeur de faire effectuer ou non ses heures venant en plus de l'horaire de travail normal ;
1°) ALORS QUE constitue une sanction disciplinaire toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter ou non, la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; que la lettre du 22 novembre 2006 par laquelle M. X...a été informé de la décision de la SEMITAG de lui retirer son habilitation à conduire des tramways a pour seul motif son erreur de conduite commise le 15 octobre 2006 ; qu'en considérant, cependant, que cette décision n'était pas constitutive d'une sanction, la cour d'appel a violé l'article L. 122-40 devenu L. 1331-1 du code du travail ;
2°) ALORS QUE l'article 49 de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs dispose que les sanctions du deuxième degré que constituent la suspension temporaire sans solde, la mutation ou le changement d'emploi par mesure disciplinaire, la rétrogradation et le licenciement doivent être prises après un avis motivé du conseil de discipline ; que l'article 6 du titre 3 du règlement intérieur de la SEMITAG prévoit que la mutation est une sanction du deuxième degré et qu'elle est prise après avis motivé du conseil de discipline ; que de façon plus générale l'article 7 de ce même titre prévoit que toute sanction est entourée des garanties de procédure arrêtées par la convention collective dont dépend l'entreprise et par le code du travail ; que la prise d'une sanction disciplinaire sans respect de la procédure disciplinaire préalable constitue, même en présence d'une contestation sérieuse, un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ; qu'en considérant que celui-ci n'était pas caractérisé en l'espèce, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-6 du code du travail, ensemble l'article 49 de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs, les articles 6 et 7 du titre 3 du règlement intérieur de la SEMITAG ;
3°) ALORS QUE les demandes pécuniaires formées en référé par M. X...ne pouvaient se confondre, en raison de leur objet, avec une demande au fond tendant à l'annulation de la décision du 22 mars 2006 par laquelle la SEMITAG lui a retiré son habilitation à conduire un tramway ; qu'en considérant que celles-ci excédaient la compétence du juge des référés, la cour d'appel a également violé les dispositions de l'article R. 1455-6 du code du travail.