Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les 19 février et 19 juin 2002, présentés pour la S.A ETABLISSEMENTS NOUGEIN, dont le siège est ... ; la requérante demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 4 décembre 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux l'a rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés de chacune des années 1982, 1984 et 1985 à raison des droits supplémentaires et pénalités dont le tribunal administratif de Limoges, par jugement du 26 juin 1997, lui avait accordé la décharge ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré présentée le 24 décembre 2003 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la S.A. ETABLISSEMENTS NOUGEIN,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Bordeaux que la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN, qui a pour principale activité la distribution de produits de consommation courante dans les magasins de grande surface, a, au cours de ses exercices clos en 1982, 1984 et 1985, versé à des sociétés d'investissements pour le commerce et l'industrie (SICOMI), en exécution de protocoles conclus avec celles-ci, et comportant leur engagement à financer la construction de supermarchés destinés à lui être donnés en crédit-bail, des préloyers dits, soit de financement, soit d'engagement ; qu'elle a porté les sommes ainsi versées parmi les charges déduites des bénéfices de ces exercices ; que les droits litigieux, compris dans les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles, à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN a été assujettie au titre de chacune des années 1982, 1984 et 1985, procèdent de la réintégration à ses bénéfices desdites sommes, que l'administration a regardées comme représentatives d'avances sur les loyers qui commenceraient à courir, au profit des SICOMI, lorsque les immeubles, achevés, lui seraient remis en crédit-bail ; que la cour administrative d'appel a, par l'arrêt attaqué, jugé cette réintégration fondée, et rétabli les droits litigieux, dont le tribunal administratif de Limoges avait prononcé la décharge ;
Considérant que les dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicables pour la détermination des bases de l'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 du même code, et selon lesquelles le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ...notamment : 1° les frais généraux de toutes nature ..., s'entendent, eu égard au principe de l'indépendance des exercices qui résulte des dispositions du 2 de l'article 38 dudit code, comme autorisant la déduction des charges payées par l'entreprise au cours de l'exercice dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, à l'exception de celles constatées d'avance, c'est-à-dire correspondant au paiement d'un bien ou d'une prestation de service dont la livraison ou la fourniture n'interviendra qu'au cours d'un exercice ultérieur, sur les résultats duquel il y aura lieu de l'imputer ;
Considérant que, pour statuer ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que les préloyers versés par la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN pendant les périodes de construction des supermarchés destinés à lui être donnés en crédit-bail n'avaient eu la contrepartie d'aucune prestation de service reçue par elle des SICOMI au cours de ces périodes, et ne pouvaient, dès lors, qu'être regardés comme des paiements effectués d'avance au titre des loyers devant rétribuer la prestation future de location, convenue sous forme de crédit-bail, des immeubles ; qu'en se prononçant en ce sens, alors qu'il ressortait des éléments relevés par elle que les préloyers litigieux, déterminés, pour ceux dits de financements, en fonction des coûts de construction déjà supportés par les SICOMI lors de leur échéance, et, pour ceux dits d'engagement, en fonction du montant total prévisionnel de l'investissement entrepris, constituaient le prix, acquitté par la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN, du service que lui fournissaient les SICOMI en finançant l'édification, afin de les mettre à sa disposition par voie de crédit-bail, de supermarchés conformes à ses propres spécifications, la cour a donné à ces préloyers une qualification juridique inexacte ; que la S.A. ETABLISSEMENTS NOUGEIN est, par suite fondée à demander que l'arrêt attaqué soit annulé en tant que la cour, après avoir évoqué sa demande de première instance, en a rejeté les conclusions ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que les préloyers supportés par la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN au cours des exercices clos en 1982, 1984 et 1985 ont, comme il a été ci dessus, eu pour contrepartie le service que lui ont fourni, durant ces exercices, les SICOMI assurant le financement de la construction des supermarchés répondant à ses propres spécifications et destinés à lui être donnés en crédit-bail lorsqu'ils seraient achevés ; que c'est, par suite, à tort que l'administration a regardé ces préloyers comme des charges constatées d'avance et non déductibles, à ce titre, des bénéfices des exercices au cours desquels la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN les a engagées ;
Considérant, en second lieu, qu'aucune règle du plan comptable général de 1982 ou du plan professionnel des entreprises à commerces multiples qui a fait l'objet de l'avis de conformité n° 2 du 21 décembre 1982, ni aucune autre disposition applicable au cours des années d'imposition, n'imposait aux entreprises de différer l'imputation de charges exposées au cours d'un exercice pour les rattacher aux exercices au cours desquels seraient comptabilisés les produits correspondants ; que, par suite, la circonstance, invoquée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, que les préloyers litigieux ne concourraient à la réalisation de recettes commerciales qu'à compter de l'ouverture des supermarchés en voie de construction, n'est pas de nature à justifier les réintégrations auxquelles a procédé l'administration ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN est fondée à demander que les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de chacune des années 1982, 1984 et 1985 soient réduites à concurrence des droits et pénalités résultés du rapport à ses bénéfices imposables de charges de préloyers s'élevant à, respectivement, 564 236 F, 42 230 F et 143 693 F ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à la S.A. ETABLISSEMENTS NOUGEIN, en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, la somme de 2 300 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 4 décembre 2001 est annulé.
Article 2 : Il est accordé à la S.A. ETABLISSEMENT NOUGEIN la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de chacune des années 1982, 1984 et 1985, à concurrence des droits et pénalités résultés du rapport à ses bénéfices imposables des sommes respectives de 564 236 F, 42 230 F et 143 693 F.
Article 3 : L'Etat versera à la S.A. ETABLISSEMENTS NOUGEIN, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 300 euros.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la S.A. ETABLISSEMENTS NOUGEIN et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.