Vu la requête, enregistrée le 4 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Karamoko A, élisant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'État :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1201897 du 3 février 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de la décision implicite du 25 janvier 2012 par laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France a rejeté sa demande d'hébergement en urgence et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de lui assurer un hébergement d'urgence, jusqu'à ce qu'il soit orienté vers une structure d'hébergement stable ou de soins ou vers un logement adaptés à sa situation, conformément aux dispositions de l'article L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
il soutient que sa requête est recevable ; que la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'immeuble où il habitait a été entièrement détruit le 17 janvier 2012 par un incendie ; qu'étant sans-abri et dans une situation de grande détresse reconnue par les agents de la ville de Gentilly, il ne peut se protéger des intempéries et des agressions ; qu'en ayant méconnu les dispositions des articles L. 345-2, L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles, l'administration a porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'accéder à tout moment à une structure d'hébergement d'urgence ; que la décision attaquée méconnaît le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation ; qu'en ayant méconnu le principe d'interdiction des traitements inhumains et dégradants énoncé à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'administration a entaché d'illégalité la décision attaquée ; que, dès lors qu'elle porte atteinte à son droit à mener une vie privée normale, garanti par l'article 8 de la même convention, la décision litigieuse est entachée d'illégalité manifeste ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 février 2012, présenté par le ministre des solidarités et de la cohésion sociale, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que le droit du requérant à un hébergement d'urgence n'a pas été méconnu dans des conditions qui constitueraient une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que l'accès au dispositif de veille sociale étant ouvert de droit et à tout moment, il n'est nullement nécessaire de solliciter le préfet de région pour bénéficier de plein droit d'un accueil en structure d'hébergement ; que l'absence de réponse de l'administration ne pouvait empêcher le requérant de s'adresser directement à une structure d'hébergement d'urgence ; que, dans un contexte de demande particulièrement forte, rien n'interdit à l'administration d'établir une hiérarchie dans les situations d'urgence en fonction des dispositions relatives à la maîtrise des entrées, des personnes placées dans des situations différentes pouvant être traitées différemment ; que, dès lors, l'administration doit pouvoir établir un ordre de priorité d'accès à l'hébergement d'urgence, au regard duquel les hommes seuls et sans difficulté de santé peuvent être considérés comme étant les moins vulnérables ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre des solidarités et de la cohésion sociale ainsi que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 8 février 2012 à 16 heurs 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Chevallier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;
- M. A ;
- le représentant de M. A ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la cohésion sociale ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 9 février à 15 heures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 février 2012, présenté par le ministre des solidarités et de la cohésion sociale, qui précise les conditions de mise en oeuvre du dispositif de la veille sociale, et indique que les services de l'Etat ont, à la suite de l'audience du 8 février 2012, fait le nécessaire pour trouver une place d'hébergement pour M. A ; le ministre soutient qu'aucun refus de prise en charge n'a été opposé au requérant ; que le droit d'hébergement n'a pas été méconnu ; qu'il n'a été porté atteinte à aucune liberté fondamentale ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 février 2012, présenté pour M. A, qui reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; il soutient qu'il a été privé du bénéfice de l'hébergement d'urgence ; que la hiérarchie des priorités définie par l'administration méconnaît les exigences qui découlent de la loi ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. "
Considérant que l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse " ; qu'en vertu de l'article L. 345-2-1, un dispositif unique de veille sociale est mis en place en Ile-de-France sous l'autorité du préfet de région ; que l'article L. 345-2-2 précise que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) " ; qu'aux termes enfin de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) " ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Karamoko A, ressortissant de Côte d'Ivoire, réside en France depuis de nombreuses années ; que l'immeuble où il habitait à Gentilly (Val-de-Marne) a été détruit par un incendie dans la nuit du 17 au 18 janvier ; qu'après avoir été hébergé une nuit par la mairie de Gentilly puis une nuit par le service de veille sociale de la région d'Ile-de-France, il s'est retrouvé sans abri et n'a pas pu obtenir d'hébergement avant sa saisine du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
Considérant qu'il appartient aux autorités de l'Etat de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale ; qu'une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette tâche peut, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés de première instance, faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ; qu'il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que les services de l'Etat ont mis en place un dispositif de veille sociale qui comprend un numéro d'appel téléphonique à partir duquel les orientations appropriées peuvent être données, assure la mise en réseau des différents partenaires, publics et privés, qui interviennent en matière d'hébergement d'urgence, et comprend des équipes mobiles ainsi que des structures d'accueil ; qu'il a été précisé au cours de l'audience publique que le nombre de places disponibles pour assurer l'hébergement d'urgence a été accru de manière significative au cours des dernières années et que des moyens supplémentaires, comprenant, le cas échéant, un hébergement en hôtel, sont mobilisés durant les périodes de grand froid ; que, d'autre part, il appartient aux services chargés, sous l'autorité du préfet, de prendre en charge les demandes qu'ils reçoivent et de déterminer, parmi les différents moyens d'intervention dont ils disposent, les modalités de prise en charge adaptées à chaque cas, compte tenu notamment de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ;
Considérant qu'en l'espèce, M. A a été pris en charge, après l'intervention d'une équipe mobile, la veille de l'audience devant le juge des référés du Conseil d'Etat ; qu'à la suite de l'audience, et durant la prolongation de l'instruction décidée, à l'issue de celle-ci, par le juge des référés, des possibilités d'hébergement journalières lui ont été ouvertes dans le département du Val-de-Marne ; que les services de l'Etat assurent, avec le concours de partenaires associatifs, le suivi de sa situation ; que, dans ces conditions, les conclusions tendant à la prescription par le juge des référés de mesure de sauvegarde dans les conditions d'urgence particulière définies par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ont perdu leur objet ; qu'il n'y a pas lieu, en conséquence de statuer sur l'appel introduit par M. A;
O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur la requête de M. A.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Karamoko A et au ministre des solidarités et de la cohésion sociale.
Copie en sera adressée au préfet de la région d'Ile-de-France.