Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 et 28 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le GIE " Groupement des poursuites extérieures ", dont le siège est 26 bis rue Kléber à Montreuil (93100) ; le GIE " Groupement des poursuites extérieures " demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1203190 du 26 juillet 2012 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 29 juin 2012 par laquelle le directeur départemental des finances publiques du Lot a rejeté sa candidature, et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au directeur départemental des finances publiques du Lot de poursuivre la procédure de passation en considérant qu'il est recevable à déposer une offre ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 novembre 2012, présentée par le ministre de l'économie et des finances ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;
Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 et notamment son article 128 ;
Vu le décret n° 56-222 du 29 février 1956 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Celice, Blancpain, Soltner, avocat du GIE " Groupement des poursuites extérieures ",
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Celice, Blancpain, Soltner, avocat du GIE " Groupement des poursuites extérieures " ;
1. Considérant que le GIE " Groupement des poursuites extérieures " a reçu notification de l'ordonnance attaquée le 30 juillet 2012 ; que son pourvoi contre cette ordonnance a été présenté par télécopie enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 14 août 2012, suivie d'une régularisation, soit dans le délai franc de quinze jours prévu par les dispositions de l'article R. 523-1 du code de justice administrative ; qu'il suit de là que la fin de non recevoir opposée par le ministre de l'économie et des finances et tirée de la tardiveté du pourvoi doit être écartée ;
2. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, avant la conclusion d'un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d'un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 13 février 2012, la direction départementale des finances publiques du Lot a, sur le fondement de l'article 128 de la loi du 30 décembre 2004 de finances rectificatives pour 2004, lancé un appel à candidatures pour la passation d'un marché, selon une procédure adaptée, ayant pour objet l'intervention d'huissiers et de structures d'huissiers de justice en vue du recouvrement amiable de créances, amendes, condamnations pécuniaires et produits locaux pris en charge par les comptables de la direction générale des finances publiques ; que le 29 juin 2012, le directeur départemental des finances publiques du Lot a rejeté l'offre présentée par le GIE " Groupement des poursuites extérieures " au motif que ce groupement ne pouvait être assimilé à un huissier de justice pour le recouvrement amiable des créances des produits locaux, hospitaliers et des amendes ; que, par l'ordonnance attaquée du 26 juillet 2012, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande du GIE " Groupement des poursuites extérieures " tendant notamment à l'annulation de cette décision ;
4. Considérant qu'aux termes du I de l'article 128 de la loi du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004 : " Lorsque le comptable du Trésor public est autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires à procéder au recouvrement forcé d'une créance ou d'une condamnation pécuniaire, il peut, préalablement à la mise en oeuvre de toute procédure coercitive, demander à un huissier de justice d'obtenir du débiteur ou du condamné qu'il s'acquitte entre ses mains du montant de sa dette ou de sa condamnation pécuniaire. / Les frais de recouvrement sont versés directement par le débiteur ou le condamné à l'huissier de justice. / Le montant des frais, qui restent acquis à l'huissier de justice, est calculé selon un taux proportionnel aux sommes recouvrées fixé par arrêté conjoint des ministres chargés des finances et de la justice (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers : " Les huissiers de justice peuvent (...) procéder au recouvrement amiable (...) de toutes créances " ; qu'aux termes de l'article 5 du décret du 29 février 1956 relatif au statut des huissiers : " Les actes prévus aux alinéas 1er et 2 de l'article premier de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (...) sont faits concurremment par les huissiers de justice dans le ressort du tribunal de grande instance de leur résidence (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 251-1 du code de commerce : " Deux ou plusieurs personnes physiques ou morales peuvent constituer entre elles un groupement d'intérêt économique pour une durée déterminée. / Le but du groupement est de faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même. / Son activité doit se rattacher à l'activité économique de ses membres et ne peut avoir qu'un caractère auxiliaire par rapport à celle-ci " ; qu'aux termes de l'article L. 251-2 du même code : " Les personnes exerçant une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé peuvent constituer un groupement d'intérêt économique ou y participer " ;
5. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que si les groupements d'intérêt économique, constitués entre plusieurs personnes physiques ou morales titulaires d'offices d'huissier de justice, ne peuvent eux-mêmes procéder au recouvrement amiable de créances ou de condamnations pécuniaires préalablement à la mise en oeuvre de toute procédure coercitive, ils peuvent se porter candidat à l'obtention d'une commande publique pour le compte de leurs membres, dans le cadre de l'article 128 de la loi du 30 décembre 2004, dès lors que seuls ces derniers exécutent les prestations objet du contrat et à la condition de préciser dans l'acte de candidature quels sont les huissiers membres du groupement qui s'engagent ainsi à exécuter les prestations dans les conditions prévues par l'ordonnance du 2 novembre 1945 et le décret du 29 février 1956, notamment celles relatives à la compétence territoriale des huissiers de justice ; que, par suite, en rejetant la demande présentée par le GIE " Groupement des poursuites extérieures " au motif que " cette structure ne saurait être regardée comme permettant, comme telle, l'exercice de la profession au sens des dispositions susmentionnées et par conséquent la réalisation des actes, missions et activités en relevant ", sans rechercher si ce groupement n'avait pas présenté sa candidature pour le compte de ses membres, seuls ces derniers étant susceptibles d'exécuter les prestations qui faisaient l'objet du contrat, le juge du référé précontractuel a commis une erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le GIE " Groupement des poursuites extérieures " est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
7. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par le GIE " Groupement des poursuites extérieures " ;
8. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 5, que si les groupements d'intérêt économique, dont les membres sont titulaires d'offices d'huissier de justice, ne peuvent
eux-mêmes procéder au recouvrement amiable de créances ou de condamnations pécuniaires, ils peuvent se porter candidat à l'obtention d'une commande publique, dans les conditions indiquées ci-dessus, pour le compte de leurs membres, dès lors que seuls ceux-ci exécutent les prestations objet du contrat ; qu'en l'état de l'instruction, les pièces soumises au juge des référés ne permettent pas d'établir que le GIE " Groupement des poursuites extérieures " se serait porté candidat en son nom propre en vue de réaliser lui-même les prestations objet du marché ; qu'il suit de là qu'en rejetant la candidature du GIE " Groupement des poursuites extérieures " au seul motif que ce groupement ne pouvait lui-même être assimilé à un huissier de justice pour le recouvrement amiable des créances et amendes, le directeur départemental des finances publiques du Lot a manqué à ses obligations de publicité et de mise concurrence ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la demande, le GIE " Groupement des poursuites extérieures " est fondé à demander l'annulation de la décision du 29 juin 2012 rejetant sa candidature ;
9. Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 551-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au directeur départemental des finances publiques de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures et de vérifier notamment que l'offre présentée par le GIE " Groupement des poursuites extérieures " permettrait à ses seuls membres d'exécuter les prestations du marché visant à obtenir des débiteurs ou des condamnés qu'ils s'acquittent entre leurs mains du montant de leurs dettes ou de leurs condamnations pécuniaires, dans des conditions conformes aux règles posées par l'ordonnance du 2 novembre 1945 et par le décret du 29 février 1956 et notamment celles relatives à la compétence territoriale des huissiers de justice ;
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser au GIE " Groupement des poursuites extérieures " au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 26 juillet 2012 du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse est annulée.
Article 2 : La décision du 29 juin 2012 du directeur départemental des finances publiques du Lot est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au directeur départemental des finances publiques du Lot de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures conformément aux motifs de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros au GIE " Groupement des poursuites extérieures " en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au GIE " Groupement des poursuites extérieures " et au ministre de l'économie et des finances.