Vu la procédure suivante :
Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'institut médico-éducatif (IME) de Saint-Georges-sur-Baulche à lui verser la somme de 12 501,40 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'une éviction illégale. Par un jugement n° 1102190 du 10 mai 2012, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 12LY01765 du 11 avril 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par Mme A...contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 27 août et 27 novembre 2013 et le 16 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'institut médico-éducatif (IME) de Saint-Georges-sur-Baulche le versement à la SCP Yves Richard, son avocat, de la somme de 3 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union européenne du 28 juin 1999 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Leïla Derouich, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de Mme A...et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de l'institut médico-éducatif de Saint-Georges-sur-Baulche ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B...A..., agent d'entretien, a été recrutée le 5 novembre 2001 sous contrat à durée déterminée par l'institut médico-éducatif Saint-Georges du Baulche pour remplacer un salarié en congé maladie ; que, jusqu'au 4 février 2009, elle a été employée de façon presque continue par l'établissement dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs, pour remplacer des salariés absents ou exerçant temporairement à temps partiel ; qu'estimant que la conclusion de ces contrats successifs présentait un caractère abusif et qu'elle devait être regardée comme titulaire d'un contrat à durée indéterminée, si bien que la décision de ne pas renouveler son dernier contrat constituait un licenciement prononcé dans des conditions illégales, elle a recherché la responsabilité de son employeur en vue de la réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de son éviction du service et du recours abusif, par son employeur, à des contrats à durée déterminée ; que sa demande indemnitaire a été rejetée par un jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 mai 2012 confirmé par un arrêt du 11 avril 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon, contre lequel elle se pourvoit en cassation ;
2. Considérant que l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, et l'article 9-1 de la même loi, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, qui sont applicables au litige, autorisaient le recrutement d'agents contractuels pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires hospitaliers indisponibles ou autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel, dans le cadre de contrats dont l'article 9-1 précisait qu'ils étaient d'une durée déterminée, pour faire face temporairement pour une durée maximale d'un an à la vacance d'un emploi qui ne pouvait être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par le titre Ier de la loi ou encore pour exercer des fonctions occasionnelles pour une durée maximale d'un an ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (ci-après la directive) : " La présente directive vise à mettre en oeuvre l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les Etats membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. Ils en informent immédiatement la Commission. (...) " ; qu'aux termes des stipulations de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive, relative aux mesures visant à prévenir l'utilisation abusive des contrats à durée déterminée : " 1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme "successifs" ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée " ;
4. Considérant que ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, imposent aux Etats membres d'introduire de façon effective et contraignante dans leur ordre juridique interne, s'il ne le prévoit pas déjà, l'une au moins des mesures énoncées aux a) à c) du paragraphe 1 de la clause 5, afin d'éviter qu'un employeur ne recoure de façon abusive au renouvellement de contrats à durée déterminée ; que lorsque l'Etat membre décide de prévenir les renouvellements abusifs en recourant uniquement aux raisons objectives prévues au a), ces raisons doivent tenir à des circonstances précises et concrètes de nature à justifier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs ;
5. Considérant qu'il ressort également de l'interprétation de la directive retenue par la Cour de justice de l'Union européenne que le renouvellement de contrats à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement temporaire d'agents indisponibles répond, en principe, à une raison objective au sens de la clause citée ci-dessus, y compris lorsque l'employeur est conduit à procéder à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et alors même que les besoins en personnel de remplacement pourraient être couverts par le recrutement d'agents sous contrats à durée indéterminée ; que, toutefois, si l'existence d'une telle raison objective exclut en principe que le renouvellement des contrats à durée déterminée soit regardé comme abusif, c'est sous réserve qu'un examen global des circonstances dans lesquelles les contrats ont été renouvelés ne révèle pas, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées par l'agent, au type d'organisme qui l'emploie, ainsi qu'au nombre et à la durée cumulée des contrats en cause, un abus ;
6. Considérant que les dispositions des articles 9 et 9-1 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière mentionnées au point 2 ci-dessus subordonnent la conclusion et le renouvellement de contrats à durée déterminée à la nécessité de remplacer des fonctionnaires temporairement ou partiellement indisponibles ; qu'elles se réfèrent ainsi à une " raison objective ", de la nature de celles auxquelles la directive renvoie ; qu'en outre, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un renouvellement abusif de contrats à durée déterminée ouvre à l'agent concerné un droit à l'indemnisation du préjudice qu'il subit lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ; que, dès lors, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ces dispositions ne méconnaissaient pas, en elles-mêmes, les objectifs poursuivis par la directive ;
7. Considérant, toutefois, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus qu'il incombe au juge, pour apprécier si le recours, en application des dispositions mentionnées au point 2, à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause ; qu'à cet égard, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Lyon que MmeA... a exercé des fonctions d'agent d'entretien au sein de l'institut médico-éducatif Saint-Georges du Baulche entre le 5 novembre 2001 et le 4 février 2009 ; que si ces fonctions ont été exercées en remplacement d'agents indisponibles ou autorisés à travailler à temps partiel, elles ont donné lieu à vingt-huit contrats et avenants successifs ; qu'en jugeant que l'institut médico-éducatif n'avait pas, dans ces conditions, recouru abusivement à une succession de contrats à durée déterminée, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon qu'elle attaque ; que Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Yves Richard, avocat de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'institut médico-éducatif de Saint-Georges-sur-Baulche la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Yves Richard ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 11 avril 2013 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'institut médico-éducatif de Saint-Georges-sur-Baulche versera à la SCP Yves Richard, avocat de MmeA..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A...et à l'institut médico-éducatif (IME) de Saint-Georges-sur-Baulche.
Copie sera adressée pour information à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de femmes.