Vu la procédure suivante :
M. D...B...et Mme C...A...épouse B...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Etat et au département du Puy-de-Dôme de leur assurer un hébergement d'urgence adapté et digne.
Par une ordonnance n° 1600740 du 4 mai 2016, le juge des référés a enjoint au préfet du Puy-de-Dôme d'attribuer à M. et Mme B...le bénéfice d'un hébergement d'urgence approprié pour eux-mêmes et leurs enfants, au plus tard dans les 48 heures à compter de la notification de son ordonnance, et rejeté le surplus de leur demande.
Par un recours et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mai et 20 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des affaires sociales et de la santé demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'accueillir les conclusions de M. et Mme B...dirigées contre le département du Puy-de-Dôme et de rejeter le surplus de leur demande de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et MmeB..., ressortissants albanais, parents de trois enfants mineurs, ont été hébergés et pris en charge par l'Etat durant l'instruction de leur demande d'asile, au titre du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile ; que cette prise en charge a cessé le 21 avril 2016, à la suite de la confirmation du rejet de leur demande d'asile par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile du 18 mars 2016 ; qu'ils ont saisi d'une demande d'hébergement d'urgence le " 115 ", service téléphonique de coordination de l'hébergement d'urgence, et, par courrier du 30 avril 2016, le département du Puy-de-Dôme ; que, n'ayant bénéficié d'un hébergement que pour quelques nuits isolées, ils ont, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'enjoindre à l'Etat et au département du Puy-de-Dôme de leur fournir un hébergement d'urgence ; que le ministre des affaires sociales et de la santé relève appel de l'ordonnance du 4 mai 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint au préfet du Puy-de-Dôme de leur attribuer le bénéfice d'un hébergement d'urgence approprié pour eux-mêmes et leurs enfants, au plus tard dans les 48 heures à compter de la notification de son ordonnance, tout en rejetant le surplus de leurs conclusions ;
Sur l'intervention de l'Assemblée des départements de France :
3. Considérant que l'Assemblée des départements de France justifie, eu égard à son objet statutaire et aux questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions du département du Puy-de-Dôme ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
Sur l'appel de l'Etat :
4. Considérant que l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse " ; que l'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée ( ...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) " ;
5. Considérant qu'il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ; qu'une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ; qu'il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ; que, les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en oeuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles ; que constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que l'Etat a accompli des efforts très conséquents pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence dans le département du Puy-de-Dôme au cours des années récentes et, pour faire face à l'insuffisance des places disponibles compte tenu de l'augmentation du nombre de demandes, a également recours de façon importante à l'hébergement hôtelier, sans pour autant parvenir à répondre à l'ensemble des besoins les plus urgents ; que, d'autre part, M. et Mme B...ont bénéficié, avec leurs enfants nés en 2005, 2008 et 2012, d'un hébergement pendant la période nécessaire à leur départ après le rejet de leur demande d'asile et n'ont pas accepté l'aide au retour qui leur a été proposée ; qu'ils ne font état d'aucune circonstance exceptionnelle, au sens du point précédent ; que, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève, le ministre des affaires sociales et de la santé est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a estimé que l'Etat avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en n'assurant pas l'hébergement d'urgence de M. et Mme B...et de leurs enfants ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler l'article 1er de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 mai 2016 ;
Sur les conclusions de M. et Mme B...dirigées contre le département :
7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 222-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes " ; qu'aux termes de l'article L. 222-3 du même code : " L'aide à domicile comporte, ensemble ou séparément : (...) - le versement d'aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d'allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement, éventuellement délivrés en espèces " ; qu'aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile (...) " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-1 du même code que les prestations légales versées au titre de l'aide sociale à l'enfance sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours ou, à défaut, dans lequel ils résident au moment de leur demande d'admission à l'aide sociale ;
8. Considérant que la compétence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence n'exclut pas l'intervention du département par la voie d'aides financières destinées à permettre temporairement l'hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l'exigent, sur le fondement de l'article L. 222-3 précité du code de l'action sociale et des familles ; que, toutefois, de telles prestations ne sont pas d'une nature différente de celles que l'Etat pourrait fournir en cas de saturation des structures d'hébergement d'urgence ; que les besoins des enfants ne sauraient faire l'objet d'une appréciation différente selon la collectivité amenée à prendre en charge, dans l'urgence, l'hébergement de la famille ; qu'ainsi, dès lors que ne sont en cause ni des mineurs relevant d'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article L. 222-5 du même code, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans mentionnées au 4° du même article, l'intervention du département ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où l'Etat n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d'une procédure d'urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l'autorité principalement compétente, les diligences qui s'avéreraient nécessaires ;
9. Considérant qu'il ne ressort pas, en tout état de cause, de leurs écritures que M. et Mme B...entendraient invoquer les dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles pour demander la prise en charge de leurs enfants par le département ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le département du Puy-de-Dôme ne saurait être regardé comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en ne prenant pas en charge, par l'octroi d'aides financières, l'hébergement en urgence de leur famille ; que, par suite, M. et Mme B...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leurs conclusions dirigées contre le département ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par le département du Puy-de-Dôme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Assemblée des départements de France est admise.
Article 2 : L'article 1er de l'ordonnance du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 mai 2016 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. et Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, en tant qu'elle est dirigée contre l'Etat, et leurs conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par le département du Puy-de-Dôme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre des affaires sociales et de la santé, à M. D...B...et Mme C...B..., au département du Puy-de-Dôme et à l'Assemblée des départements de France.