Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n°15BX02811 du 13 avril 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux, avant de statuer sur l'appel formé par M. A...B...dit D'Costa contre le jugement n° 1201715 du 17 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2012 du ministre de la défense rejetant sa demande d'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite des essais nucléaires réalisés en Polynésie française et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la défense et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de l'indemniser intégralement de ces préjudices, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) L'entrée en vigueur du I de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique est-elle immédiate ou subordonnée à l'intervention de mesures d'application '
2°) Le I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 trouve-t-il à s'appliquer aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur '
3°) Dans l'hypothèse d'une réponse positive à la question précédente, le juge doit-il inviter les parties à débattre des conséquences de l'application de ce nouveau texte '
4°) Le premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée crée-t-il une présomption irréfragable de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires et la survenance de la maladie '
5°) Dans l'hypothèse d'une réponse négative à la question précédente, quels sont les éléments susceptibles d'être pris en compte pour renverser la présomption de causalité '
6°) Quelles que soient les réponses apportées aux questions précédentes, le juge peut-il, compte tenu de son office de pleine juridiction en la matière, se borner à renvoyer la victime devant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires pour la fixation du montant de son indemnisation '
Des observations, enregistrées le 8 juin 2017, ont été présentées par la ministre des armées.
Des observations, enregistrées le 12 juin 2017, ont été présentées par M. B....
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Charline Nicolas, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M.B....
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Charline Nicolas, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
- La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M.B....
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ (...) ". L'article 4 de cette même loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 février 2017, disposait : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) ". Enfin, aux termes de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés./ II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi./ III.- Une commission composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées propose, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures destinées à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Elle formule des recommandations à l'attention du Gouvernement ".
2. L'entrée en vigueur des dispositions précitées du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n'est pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application. Elle est dès lors intervenue le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française. Ces dispositions sont applicables aux instances en cours à cette date.
3. Il résulte du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, cité au point 1 ci -dessus, d'une part, que le législateur a confié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au CIVEN une nouvelle demande d'indemnisation. Compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point. En revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande.
4. Les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 1 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010. Le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements. Les dispositions du III de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, qui se bornent à instituer une commission chargée de proposer au Gouvernement des mesures destinées " à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires ", sont, en tout état de cause, dépourvues d'incidence sur cette présomption de causalité.
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Bordeaux, à M. A... B...dit D'Costa, au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à la ministre des armées. Il sera publié au Journal officiel de la République française.