Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 22 novembre 2018, 23 mai et 16 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France nature environnement demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret n° 2018-458 du 6 juin 2018 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement en tant qu'il modifie les rubriques 2517, 2710-2, 2711, 2712-1, 2712-3, 2713, 2714 et 2716 de la nomenclature en supprimant le régime de l'autorisation, qu'il modifie les seuils des rubriques 2780 et 2781, qu'il maintient un seuil de surface à la rubrique 2712-1 et enfin qu'il maintient divers seuils aux rubriques 3510 et 3520, ainsi que la décision tacite de rejet opposée à sa demande tendant au retrait de ce décret ;
2°) d'enjoindre au Gouvernement d'adopter sous 6 mois à compter de la lecture de la décision à intervenir des mesures supprimant :
- tout seuil de surface à la rubrique 2712-1 de la nomenclature ;
- tout seuil étranger à ceux permis par l'annexe I de la directive aux rubriques 3510 et 3520 de la même nomenclature ;
et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 300 euros par jour de retard ;
3°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de déterminer si un Etat peut, en application de la directive 2011/92/CE modifiée par la directive 2014/52/UE, d'une part, prévoir que l'autorité compétente pour statuer sur une demande d'autorisation peut exercer l'examen au cas par cas destiné à déterminer si le projet doit faire l'objet d'une évaluation environnementale, d'autre part, prévoir que l'examen au cas par cas ne soit pas effectué au vu de l'ensemble des critères prévus à l'annexe III de la directive ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à France nature environnement au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de la justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Calothy, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 septembre 2019, présentée par l'association France nature environnement.
Considérant ce qui suit :
1. L'association France nature environnement demande l'annulation partielle du décret du 6 juin 2018 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement en ce qui concerne diverses activités en relation avec la valorisation des déchets.
Sur le cadre juridique :
2. En application du premier alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement, la soumission des installations classées pour la protection de l'environnement à l'un des régimes d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration résulte de leur inscription, suivant la gravité des dangers et des inconvénients que peut présenter leur exploitation pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, dans les rubriques correspondantes d'une nomenclature. La répartition entre ces différents régimes est opérée, en référence à la nomenclature, en fonction de seuils et de critères, prenant en compte notamment les caractéristiques de ces installations et leur impact potentiel sur l'environnement. Ainsi, en vertu de l'article L. 512-1 du même code, " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 " tandis que le premier alinéa de l'article L. 512-7 du même code permet de soumettre " à autorisation simplifiée, sous la dénomination d'enregistrement, les installations qui présentent des dangers ou inconvénients graves pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, lorsque ces dangers et inconvénients peuvent, en principe, eu égard aux caractéristiques des installations et de leur impact potentiel, être prévenus par le respect de prescriptions générales édictées par le ministre chargé des installations classées ". Le deuxième alinéa de l'article L. 512-7 précise que " Les activités pouvant, à ce titre, relever du régime d'enregistrement concernent les secteurs ou technologies dont les enjeux environnementaux et les risques sont bien connus, lorsque les installations ne sont soumises ni à la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles au titre de son annexe I, ni à une obligation d'évaluation environnementale systématique au titre de l'annexe I de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ". L'article L. 512-7-2 du code de l'environnement prévoit cependant que le préfet peut décider que la demande d'enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour les autorisations environnementales, c'est-à-dire selon le régime de l'autorisation, au vu de trois séries de considérations tenant à la sensibilité environnementale du milieu, au cumul des incidences du projet avec celles d'autres projets d'installations, ouvrages ou travaux et à la nécessité, à la demande de l'exploitant, d'aménager les prescriptions générales applicables à l'installation.
Sur la méconnaissance de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 :
3. D'une part, en vertu du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, les projets énumérés à l'annexe I de la directive sont soumis à une évaluation systématique, sous réserve des exemptions exceptionnelles prévues au paragraphe 4 de l'article 2. Sous la même réserve, le paragraphe 2 de l'article 4 de la directive prévoit que " pour les projets énumérés à l'annexe II, les Etats membres déterminent si le projet doit être soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10. Les Etats membres procèdent à cette détermination : / a) sur la base d'un examen cas par cas ; / ou / b) sur la base des seuils ou critères fixés par l'État membre. / Les Etats membres peuvent décider d'appliquer les deux procédures visées aux points a) et b). " Enfin, en vertu du paragraphe 3 du même article : " Pour l'examen au cas par cas ou la fixation des seuils ou critères en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l'annexe III. Les États membres peuvent fixer des seuils ou des critères pour déterminer quand les projets n'ont pas à être soumis à la détermination prévue aux paragraphes 4 et 5 ou à une évaluation des incidences sur l'environnement, et/ou des seuils ou des critères pour déterminer quand les projets font l'objet, en tout état de cause, d'une évaluation des incidences sur l'environnement sans être soumis à la détermination prévue aux paragraphes 4 et 5. " L'annexe III de la directive fixe trois séries de critères visant à déterminer si les projets figurant à l'annexe II devraient faire l'objet d'une évaluation des incidences sur l'environnement, relatifs à la caractéristique des projets, à leur localisation et aux types et caractéristiques de l'impact potentiel.
4. Par ailleurs, en vertu du paragraphe 1 de l'article 6 de la même directive, " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement ou de leurs compétences locales et régionales, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation, en tenant compte, le cas échéant, des cas visés à l'article 8 bis, paragraphe 3. A cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. Celles-ci reçoivent les informations recueillies en vertu de l'article 5. Les modalités de cette consultation sont fixées par les Etats membres. " En outre, aux termes de l'article 9 bis de la même directive : " Les États membres veillent à ce que l'autorité ou les autorités compétentes accomplissent les missions résultant de la présente directive de façon objective et ne se trouvent pas dans une position donnant lieu à un conflit d'intérêts. / Lorsque l'autorité compétente est aussi le maître d'ouvrage, les États membres appliquent au minimum, dans leur organisation des compétences administratives, une séparation appropriée entre les fonctions en conflit lors de l'accomplissement des missions résultant de la présente directive ".
5. D'autre part, en vertu du II de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive du 13 décembre 2011, " Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. / Pour la fixation de ces critères et seuils et pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive 2011/92/ UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. " En vertu du I de l'article R. 122-2 du même code, " Les projets relevant d'une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l'objet d'une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l'article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau ". Le tableau annexé à cet article prévoit, à sa ligne 1, que les projets d'installations classées pour la protection de l'environnement soumises à enregistrement relèvent de l'examen au cas pas, en précisant que, pour ces installations, " l'examen au cas par cas est réalisé dans les conditions et formes prévues à l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement ".
6. Ainsi qu'il a été dit au point 2, l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement prévoit que le préfet peut décider que la demande d'enregistrement sera instruite selon le régime de l'autorisation au vu de trois séries de considérations, et notamment " 1° Si, au regard de la localisation du projet, en prenant en compte les critères mentionnés au point 2 de l'annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, la sensibilité environnementale du milieu le justifie ".
7. L'association requérante soutient que le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive 2011/92/UE en ce qu'il soumet des activités relevant de son annexe II au régime de l'enregistrement prévu aux articles L. 512-7 et suivants, alors que l'examen au cas par cas de la nécessité d'une évaluation environnementale que comporte ce régime ne satisfait pas aux objectifs de cette directive, d'une part, parce que cet examen est effectué par le préfet par ailleurs compétent pour statuer sur la demande d'autorisation, d'autre part, parce ce qu'il ne prend pas en compte l'ensemble des critères définis dans l'annexe III de la directive, visant à déterminer si le projet d'exploitation doit faire l'objet d'une évaluation de ses incidences sur l'environnement.
8. En premier lieu, il résulte de la combinaison de l'article L. 512-7-2 et du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement que le préfet, par ailleurs compétent pour statuer sur la demande d'enregistrement effectuée au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, est chargé d'effectuer l'examen au cas par cas propre à ce type de projets, destiné à déterminer s'ils doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences sur l'environnement. Si les dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 citées au point 4 ont pour finalité de garantir que l'avis sur l'évaluation environnementale des plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement soit rendu, avant leur approbation ou leur autorisation afin de permettre la prise en compte de ces incidences, par une autorité compétente et objective en matière d'environnement, il résulte clairement de ces mêmes dispositions que cette autorité, est distincte de celle mentionnée à l'article 4, chargée de procéder à la détermination de la nécessité d'une évaluation environnementale par un examen au cas par cas. Par ailleurs, aucune disposition de la directive ne fait obstacle à ce que l'autorité chargée de procéder à cet examen au cas par cas soit celle compétente pour statuer sur l'autorisation administrative requise pour le projet sous réserve qu'elle ne soit pas chargée de l'élaboration du projet ou en assure la maîtrise d'ouvrage.
9. En second lieu, si, dans le cadre du régime de l'enregistrement, la nécessité d'une évaluation environnementale résulte d'un examen au cas par cas réalisé par le préfet dans les conditions et formes prévues à l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement et si, par ailleurs, ce dernier article ne mentionne à son 1° que le critère de la localisation du projet, il résulte tant de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, qui précise de façon générale que, pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive du 13 décembre 2011, que des dispositions citées au point 1, dont il résulte que la répartition entre les différents régimes d'installations classées pour la protection de l'environnement est opérée, en référence à la nomenclature, en fonction de seuils et de critères, qui sont au nombre de ceux qui sont mentionnés à l'annexe III de la directive, prenant en compte notamment les caractéristiques de ces installations et leur impact potentiel sur l'environnement, que le préfet, saisi d'une demande d'enregistrement d'une installation, doit se livrer à un examen du dossier afin d'apprécier, tant au regard de la localisation du projet que des autres critères mentionnés à l'annexe III de la directive, relatifs à la caractéristique des projets et aux types et caractéristiques de l'impact potentiel, si le projet doit faire l'objet d'une évaluation environnementale, ce qui conduit alors, en application de l'article L. 512-7-2, à le soumettre au régime de l'autorisation environnementale.
10. Il résulte de ce qui précède que le moyen analysé au point 7, qui porte sur la conformité du régime de l'enregistrement avec les objectifs de la directive du 13 décembre 2011, peut être écarté.
Sur la méconnaissance du principe de non-régression :
11. Aux termes du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les autorités s'inspirent, dans le cadres des lois qui en définissent la portée, du " principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ".
12. Le décret a pour effet de soumettre certaines des activités susceptibles d'affecter l'environnement au régime de l'enregistrement, les soumettant ainsi à l'obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas par le préfet. Alors même que certaines d'entre elles étaient auparavant au nombre des activités devant faire l'objet d'une évaluation environnementale de façon systématique, le décret ne méconnaît pas, par lui-même, le principe de non-régression de la protection de l'environnement énoncé au II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement dès lors que, dans les deux cas, les activités susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement doivent faire l'objet, en application de l'article L. 122-1 du code de l'environnement combinées avec celles de l'article L. 512-7-2 s'agissant de celles soumises au régime de l'enregistrement, d'une évaluation environnementale. Le moyen tiré de l'atteinte au principe de non régression peut, par suite, être écarté.
Sur les autres moyens :
13. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Comme il a été dit au point 2, la soumission des installations classées pour la protection de l'environnement à l'un des régimes d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration résulte de leur inscription, suivant la gravité des dangers et des inconvénients que peut présenter leur exploitation pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, dans les rubriques correspondantes de la nomenclature.
14. En premier lieu, le décret attaqué prévoit, à la rubrique 2714 de la nomenclature portant sur les activités d'installation d'entreposage, dépollution, démontage ou découpage de véhicules hors d'usage ou de différents moyens de transports hors d'usage, à l'exclusion des installations visées à la rubrique 2719, de soumettre à enregistrement, dans le cas de véhicules terrestres hors d'usage, celles dont la surface de l'installation est supérieure ou égale à 100 m2, les activités dont la surface d'installation est inférieure à ce seuil n'étant pas soumises à procédure au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. Eu égard à la dimension ainsi retenue, restreignant considérablement l'ampleur des activités en cause par ailleurs soumises à agrément en application de l'article R. 543-162 du même code, le décret n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation sur ce point.
15. En second lieu, il ne peut être utilement soutenu que le décret serait illégal en ce qu'il laisserait subsister des lacunes dans la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement s'agissant des activités d'élimination des déchets dangereux couvertes par les rubriques 3510 et 3520, ces dernières n'étant pas au nombre de celles que le décret a pour objet de modifier.
16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles, que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation partielle du décret attaqué. Ses conclusions tendant à l'annulation de la décision tacite de rejet opposée à sa demande tendant au retrait du décret ainsi que celles présentées à fin d'injonction doivent, par suite, être rejetées.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de France nature environnement est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à France nature environnement, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique et solidaire.