Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 26 juillet 2021, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, de porter à quatre années la durée des sanctions prononcées à l'encontre de M. L... I... par l'article 1er de la décision CS 2021-12 du 15 février 2021 de la commission des sanctions de l'AFLD d'interdiction de participer directement ou indirectement à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive autorisée ou organisée par une fédération sportive française délégataire ou agréée, ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou l'un des membres de celle-ci et d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport, ainsi que toute fonction d'encadrement au sein d'une fédération agréée ou d'un groupement ou d'une association affiliés à la fédération ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision du 15 février 2021 en tant qu'il limite à deux années la durée des interdictions prononcées ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée dans son ensemble, et le cas échéant son article 5, et prononcer des sanctions appropriées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code du sport ;
- le décret n° 2018-6 du 4 janvier 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage :
Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 janvier 2022, présentée par la présidente de l'AFLD ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que M. I..., sportif de nationalité, qui a participé à six compétitions organisées sous l'égide de la fédération internationale du triathlon entre le 20 juin 2014 et le 8 juillet 2018, a fait l'objet le 30 mai 2018 d'un contrôle anti dopage à son domicile temporaire à Font-Romeu, lequel a révélé la présence de clenbutérol. M. I... n'étant pas licencié de la Fédération française de triathlon, l'AFLD a été saisie de ces faits sur le fondement du 1° de l'article L. 232-22 du code du sport alors en vigueur. Par une décision du 15 février 2021, la commission des sanctions de l'AFLD a prononcé à l'encontre de M. I... la sanction d'interdiction de participer pendant deux ans directement ou indirectement à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive autorisée ou organisée par une fédération sportive française délégataire ou agréée, ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou l'un des membres de celle-ci et d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport, ainsi que toute fonction d'encadrement au sein d'une fédération agréée ou d'un groupement ou d'une association affiliés à la fédération. La présidente de l'AFLD conteste cette décision en tant qu'elle limite à deux ans la durée de l'interdiction prononcée.
2. Aux termes de l'article L. 232-9 du code du sport, dans sa rédaction applicable aux faits litigieux : " Il est interdit à tout sportif : / (...) 2° D'utiliser ou tenter d'utiliser une ou des substances ou méthodes interdites figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article. / L'interdiction prévue au 2° ne s'applique pas aux substances et méthodes pour lesquelles le sportif : / a) Dispose d'une autorisation pour usage à des fins thérapeutiques ; (...) / c) Dispose d'une raison médicale dûment justifiée / La liste des substances et méthodes mentionnées au présent article est celle qui est élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait. " Selon le 1° du I de l'article L. 232-23 du code du sport dans sa version alors applicable, l'AFLD peut prononcer à l'encontre d'un sportif ayant enfreint les dispositions de l'article L. 232-9 : " b) Une interdiction temporaire ou définitive de participer à toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, de même qu'aux manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou l'un des membres de celle-ci ; / c) Une interdiction temporaire ou définitive de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement des manifestations sportives et des entraînements mentionnés au b (...). / La sanction prononcée à l'encontre d'un sportif (...) est complétée par une décision de publication nominative de la sanction, dans les conditions fixées par l'article L. 232-23-3-1 ". Aux termes de l'article L. 232-23-3-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " I.- La durée des mesures d'interdiction mentionnées au 1° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 : / a) Est de quatre ans lorsque ce manquement est consécutif à l'usage ou à la détention d'une substance non spécifiée. Cette durée est ramenée à deux ans lorsque le sportif démontre qu'il n'a pas eu l'intention de commettre ce manquement ". Aux termes de l'article L. 232-23-3-10 du même code, dans sa version alors applicable : " la durée des mesures d'interdiction prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-8 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité ".
3. En premier lieu, s'il ne saurait interdire de fixer des règles assurant une répression effective des infractions, le principe de nécessité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Si les dispositions de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport fixent en principe la durée des mesures d'interdiction susceptibles d'être prononcées à raison des manquements à l'article L. 232-9 du même code, les dispositions de l'article L. 232-23-3-10 ouvrent à l'autorité compétente la possibilité de prendre en compte des circonstances propres à chaque espèce et de réduire, le cas échéant, la durée des mesures d'interdiction prononcées à titre de sanction.
4. Contrairement à ce que soutient la présidente de l'AFLD, la circonstance que le sportif, qui a fait usage de substances non spécifiées, ne démontre pas qu'il n'a pas eu l'intention de commettre le manquement en cause, et ne peut en conséquence bénéficier de la réduction de quatre à deux ans de la durée de la sanction d'interdiction encourue, prévue par les dispositions de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport, ne saurait limiter la faculté pour la commission des sanctions de l'AFLD, dans l'hypothèse où elle ferait application de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, de réduire la durée de la mesure d'interdiction lorsque les circonstances particulières de l'espèce le justifient au regard du principe de proportionnalité. Par suite, en mettant en œuvre les dispositions de l'article L. 232-23-3-10, la commission des sanctions n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En second lieu, il résulte de l'instruction que les analyses effectuées par le département des analyses de l'AFLD sur un échantillon prélevé lors du contrôle anti dopage du 30 mai 2018 ont fait ressortir la présence, dans les urines de M. I... de clenbutérol, substance non spécifiée appartenant à la classe S1 des agents anabolisants figurant sur la liste des substances interdites en permanence annexée au décret du 4 janvier 2018 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, à une concentration de 0,1 nanogramme par millilitre. Devant l'AFLD, l'intéressé a affirmé avoir absorbé cette substance sans le savoir, en soutenant que sa présence dans l'échantillon pouvait être issue soit de la prise de compléments alimentaires ou de médicaments, dont il a fourni les noms et des photographies, utilisés pour traiter des allergies et des douleurs dorsales, soit de la consommation de viande contaminée, tout en indiquant que les moyens dont il disposait ne lui permettaient pas de prouver ces circonstances. Si la commission ne pouvait, en l'absence de démonstration de l'absence de caractère intentionnel du manquement, se fonder sur les dispositions de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport pour réduire à deux ans la durée des mesures d'interdiction qu'elle prononçait, elle pouvait néanmoins, sans erreur de droit, retenir le fait que l'intéressé avait fourni des explications crédibles qui permettaient de penser que le manquement ne présentait pas un caractère intentionnel parmi les circonstances particulières de nature à justifier une réduction de la durée des mesures d'interdiction en application des dispositions de l'article L. 232-23-3-10 de ce code. En l'espèce, au regard du principe de proportionnalité, la très faible concentration de la substance prohibée pouvait constituer, avec la plausibilité des explications avancées, des circonstances particulières permettant à la commission, sans que sa décision puisse être regardée comme entachée d'erreur de qualification juridique, de réduire, en application des dispositions de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, à deux ans de la durée des mesures d'interdiction prononcées à l'encontre de M. I.... Dans l'ensemble des circonstances de l'espèce, le moyen tiré de ce que la commission des sanctions aurait commis une erreur d'appréciation en infligeant à ce sportif une sanction d'interdiction de participer aux manifestations et entraînements et d'exercer les fonctions mentionnées au point 1 pendant une durée de deux ans doit ainsi être écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède que l'AFLD n'est pas fondée à demander la réformation de la décision attaquée. Sa requête doit par suite être rejetée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'Agence française de lutte contre le dopage est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, à M. L... I... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... H..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. B... F..., Mme A... J..., M. E... K..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat, M. Clément Tonon, auditeur et M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 7 février 2022.
Le président:
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur
Signé : M. Yves Doutriaux
La secrétaire:
Signé : Mme C... D...