N° P.20.0672.N
N. Y.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Mes Kris Beirnaert et Johan Vangenechten, avocats au barreau d’Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 6, § 1er et 6, § 3, b, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 149 de la Constitution : l’arrêt rejette la demande de report formulée par le nouveau conseil du demandeur et considère que le droit du demandeur à un procès équitable a été respecté, sur la base de la constatation qu’il disposait de suffisamment de temps et de facilités pour opposer sa défense, mais il omet d’examiner si ce nouveau conseil a quant à lui bénéficié de suffisamment de temps et de facilités pour préparer la défense du demandeur et il ne constate pas davantage que la demande de report est formulée à des fins purement dilatoires ou implique un abus de procédure ; en ce qu’il ne comporte pas les constatations nécessaires pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de la légalité, l’arrêt ne répond pas davantage à l’obligation constitutionnelle de motivation.
2. Selon l’article 6, § 1er, de la Convention, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Selon l’article 6, § 3, b, de cette même Convention, tout accusé a droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Selon l’article 6, § 3, c, de la Convention, tout accusé a droit à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix.
3. Il résulte de ces dispositions qu’un prévenu et son conseil doivent disposer du temps et des facilités pour préparer la défense. Ce principe vaut également lorsque le prévenu fait le choix d’un nouveau conseil.
4. Le juge est ainsi tenu, en principe, de reporter l’examen d’une cause pénale si cela s’avère nécessaire pour permettre au conseil choisi par un prévenu ou à celui nouvellement désigné, de préparer la défense.
5. Les droits susmentionnés n’accordent cependant pas au prévenu le droit absolu d’obtenir le report de l’examen de sa cause s’il choisit un conseil ou en désigne un autre. Un prévenu, informé de la date à laquelle la cause pénale sera examinée, est effectivement censé prendre lui-même en temps utile les dispositions nécessaires afin de permettre à son conseil ou au conseil nouvellement choisi de préparer sa défense. En effet, il est également responsable du plein exercice de ses droits.
6. Pour apprécier une demande visant le report de l’examen d’une cause pénale au motif qu’un prévenu a choisi un conseil ou en a désigné un nouveau, et la question de savoir si ce report est nécessaire à la préparation de la défense du prévenu par ledit conseil, le juge peut tenir compte du fait que le prévenu avait déjà été informé depuis un certain temps de la date à laquelle l’examen de la cause était fixé, qu’il avait déjà été assisté par des conseils antérieurement et qu’il n’a fait le choix d’un conseil ou n’en a désigné un nouveau que peu avant la date déjà connue fixée pour l’examen de la cause et que, par conséquent, il est lui-même responsable du temps limité dont dispose son conseil ou le conseil nouvellement désigné pour préparer la défense. Le juge peut ainsi rejeter une demande visant le report par ce motif, sans qu’il doive expressément constater que le choix d’un conseil ou la désignation d’un nouveau constitue une mesure dilatoire ou un abus de procédure.
7. Dans la mesure où il est déduit d’autres prémisses juridiques, le moyen manque en droit.
8. Il ressort des constatations de l’arrêt (…) que :
- le demandeur a pour la première fois été mis en cause le 19 mars 2012 par son audition et en raison du mandat d’arrêt décerné par le juge d’instruction ;
- le demandeur pouvait scrupuleusement suivre l’instruction avec l’assistance de son conseil (le premier avocat) ;
- la procédure devant le premier juge a été menée contradictoirement en ce qui concerne le demandeur, ce dernier ayant été représenté par son conseil à l’audience ;
- la procédure en appel s’est déroulée par défaut en ce qui concerne le demandeur, ce dernier ayant ensuite formé opposition par exploit d’huissier de justice et ayant bénéficié de l’assistance d’un conseil nouvellement désigné en cette procédure (le deuxième avocat) ;
- à l’audience introductive du 22 août 2019, le demandeur a obtenu, par le truchement de son conseil nouvellement désigné, un délai important pour conclure, à savoir jusqu’au 22 novembre 2019 ;
- ce conseil du demandeur a déposé des conclusions le 21 novembre 2019 ;
- par courrier du 21 avril 2020, ce conseil du demandeur a informé la cour d’appel qu’il ne représentait plus le demandeur ;
- un avocat nouvellement désigné (le troisième avocat) a annoncé le 22 avril 2020 avoir été consulté par le demandeur et il a demandé à la cour d’appel de bien vouloir tenir compte de son intervention ;
- dans son courrier du 29 avril 2020, à savoir la date à laquelle la cause a été examinée par la cour d’appel, l’avocat nouvellement désigné du demandeur a indiqué n’avoir été consulté que la semaine précédente.
9. L’arrêt considère, sur la base des constatations susmentionnées, que le demandeur a bénéficié du temps et des facilités nécessaires pour pouvoir assurer sa défense de la manière qu’il souhaitait et qu’il a pu prendre connaissance, in extenso avec l’assistance d’un conseil, de tous les éléments du dossier régulièrement transmis à la cour d’appel et qu’il a pu contredire. Il décide par ailleurs que le simple fait que le demandeur a estimé nécessaire de changer de conseil est sans effet à cet égard et que le choix d’opérer ce changement était pleinement imputable au demandeur lui-même. Par ces motifs, qui n’empêchent pas la Cour d’exercer son contrôle de la légalité, la décision selon laquelle le droit du demandeur à un procès équitable et ses droits de défense ont été respectés et qu’un report de l’examen de la cause n’est pas accordé, est légalement justifiée.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
10. Le moyen invoque la violation des articles 66 et 67 du Code pénal, 1er, 2bis et 6 de la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes, 3, 11, 26bis et 28 de l’arrêté royal du 31 décembre 1930 réglementant les substances soporifiques et stupéfiantes, et relatif à la réduction des risques et à l'avis thérapeutique, 3, 6, § 1er, 50 et 61 de l’arrêté royal du 6 septembre 2017 royal réglementant les substances stupéfiantes et psychotropes : l’arrêt qui déclare le demandeur coupable des faits des préventions B.II et B.IV portant sur l’importation de drogues sur la base de la simple constatation de l’agissement matériel consistant en un engagement pris par le demandeur de venir enlever les drogues au port après leur importation et qui constate également que cet enlèvement n’a pas eu lieu, ne peut légalement décider que le demandeur est coauteur de l’importation ; la simple circonstance qu’une personne s’engage à venir chercher de la drogue postérieurement à son importation, ne constitue pas une participation punissable à cette infraction préalable consistant en l’importation de drogues ; cet engagement ne constitue pas une forme de participation à l’infraction préalablement commise d’importation de drogues, dès lors que cet engagement ne contribue pas en soi matériellement à la concrétisation de l’importation.
11. L’article 66, alinéa 3, du Code pénal punit ceux qui, en tant qu’auteurs d’un crime ou d’un délit, auront prêté, par un fait quelconque pour l’exécution, une aide telle que le crime ou le délit n’aurait pu être commis sans leur assistance.
12. L’engagement pris préalablement de prendre part à une infraction peut, en tant que tel, constituer un acte de participation au sens de l’article 66, alinéa 3, du Code pénal. Le fait que l’engagement n’ait finalement pas été honoré n’y change rien.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
13. L’arrêt (…) statue notamment, en ce qui concerne les faits de la prévention B.II, ainsi qu’il suit :
- l’engagement pris préalablement par le demandeur à prendre part à une infraction constitue une aide essentielle à la commission de ladite infraction ;
- une telle collaboration ne constitue pas un élément potestatif, mais représente un rouage essentiel dans l’ensemble du trafic de drogue, sans lequel l’importation de cocaïne ne serait indubitablement pas mise sur pied, compte tenu des intérêts financiers mis en jeu par le ou les organisateurs/le ou les dirigeants de l’association ou de l’organisation criminelle ;
- le fait que le groupe des personnes engagées, dont le demandeur, attendait l’arrivée par bateau de la livraison litigieuse de cocaïne au port d’Anvers et que leur engagement à prendre part à l’infraction remontait ainsi à un certain temps avant l’arrivée du bateau, ressort de l’ensemble des résultats de l’instruction, dont les contacts téléphoniques entre le co-prévenu A.C. et le demandeur et d’autres co-prévenus au cours de la période courant du 24 juillet 2011 au 28 juillet 2011 inclus ;
- le fait qu’en raison des circonstances, il a été décidé par la suite de ne pas procéder à l’enlèvement matériel au port d’Anvers de la livraison de cocaïne n’y fait pas obstacle.
L’arrêt (…) statue en des termes similaires en ce qui concerne les faits des préventions B.IV.
Ainsi, l’arrêt justifie légalement la déclaration de culpabilité du demandeur en tant que co-auteur au sens de l’article 66, alinéa 3, du Code pénal, des faits des préventions B.II et B.IV.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
14. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
Sur l’arrestation immédiate :
15. Ensuite du rejet du pourvoi dont il fait l’objet, l’arrêt acquiert force de chose jugée. Dans la mesure où il est également dirigé contre la décision ordonnant l’arrestation immédiate du demandeur, le pourvoi n’a plus d’objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Erwin Francis, Sidney Berneman et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du trois novembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Alain Winants, avec l’assistance du greffier délégué.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.