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19/01/2021 | BELGIQUE | N°P.20.1031.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 janvier 2021, P.20.1031.N


N° P.20.1031.N
1. AANNEMINGSBEDRIJF N. B., société anonyme,
2. N. N.,
3. J. N.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Luc Arnou, avocat au barreau de Flandre occidentale,
contre
ÉTAT BELGE, service public fédéral Finances, représenté par le ministre des Finances,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, également assisté de Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 16

septembre 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent cinq mo...

N° P.20.1031.N
1. AANNEMINGSBEDRIJF N. B., société anonyme,
2. N. N.,
3. J. N.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Luc Arnou, avocat au barreau de Flandre occidentale,
contre
ÉTAT BELGE, service public fédéral Finances, représenté par le ministre des Finances,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, également assisté de Me Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 16 septembre 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L’avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
(…)
Sur le quatrième moyen :
Quant à la première branche :
11. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 227 de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises, 419, f), 429, § 5, et 437 de la loi-programme du 27 décembre 2004, dans sa version applicable, ainsi que de la méconnaissance des règles en matière de motivation : l’arrêt déclare les demandeurs coupables du chef de la prévention A, libellée comme suit : « s’être rendus coupables de l’introduction indue de demandes, comportant de fausses indications, de remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial sur le gasoil qui a été utilisé après le 1er janvier 2004 comme carburant pour les véhicules automobiles dans le cadre de l’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004 et de la perception indue de ces remboursements relatifs au droit d’accise spécial pour un montant total de 122 042,66 EUR, à savoir (...) » ; la prévention ne montre aucun lien entre l’introduction de demandes indues de remboursement comportant de fausses indications et la perception de ces remboursements, d’une part, et la tenue incorrecte et insuffisante d’une comptabilité des stocks, d’autre part ; le caractère punissable des faits poursuivis est pourtant lié à la tenue d’une comptabilité des stocks ; il n’est nulle part mentionné que cet élément constitutif est présent ; le fait punissable n’est dès lors pas qualifié en tous ses éléments légaux.
1. En vertu de l’article 429, § 5, 1), de la loi-programme du 27 décembre 2004, le gasoil prévu par l’article 419, f, i) de cette loi – soit le gasoil relevant du code GN 2710 19 41, d’une teneur en poids de soufre n’excédant pas 10 mg/kg, utilisé comme carburant – est exonéré de l’augmentation du droit d’accise après le 1er janvier 2004, au moyen d’un remboursement, lorsque ce gasoil est utilisé notamment pour le transport de marchandises prévu au point c).
L’article 429, § 5, 2), alinéa 1er, de la loi-programme du 27 décembre 2004 dispose : « Par dérogation à l’article 10 de la loi du 22 décembre 2009 relative au régime général d’accise, le remboursement visé sous 1) est accordé, sur demande écrite déposée auprès des services désignés par l’administrateur général des douanes et accises, à la personne qui procède aux transports concernés. » Le deuxième alinéa requiert que cette personne se fasse enregistrer préalablement à la demande de remboursement. Le troisième alinéa dispose que la preuve de paiement du droit d’accise spécial est apportée par la facture établie par le fournisseur de gasoil.
Lorsque le ravitaillement en gasoil s’effectue auprès d’une station-service, la facture établie par le fournisseur doit comporter certains éléments déterminés (article 429, § 5, 3)).
Lorsque le ravitaillement en gasoil s’effectue au départ d’un dépôt de carburant mis à la consommation appartenant à la personne qui procède aux transports concernés, celui-ci tient une comptabilité des stocks et des mouvements de gasoil. Cette comptabilité des stocks doit aussi comporter des éléments déterminés (article 429, § 5, 4)).
En vertu de l’article 437 de la loi-programme du 27 décembre 2004, toute infraction aux dispositions du chapitre XVIII est punie d’une amende allant de 625,00 euros à 3 125,00 euros. Les dispositions qui précèdent sont contenues dans ce chapitre.
2. La tenue d’une comptabilité des stocks correcte et suffisante n’est pas un élément constitutif de l’infraction visée à l’article 437 de la loi-programme du 27 décembre 2004, lorsque celle-ci consiste uniquement en l’introduction indue de demandes de remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial, visées à l’article 429, § 5, 2), de cette loi-programme, et en la perception indue de ce droit d’accise. Cette infraction peut en effet exister indépendamment du fait que l’auteur tienne ou non une comptabilité des stocks correcte et suffisante.
Déduit d’une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
3. L’arrêt (…) déclare les demandeurs coupables du chef de la prévention A parce qu’il ressort d’un ensemble de données factuelles qu’ils ont, sciemment et volontairement, demandé et perçu le remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial pour des combustibles et carburants destinés à des utilisations industrielles et commerciales, pour lequel ils n’entraient pas en ligne de compte sur la base de l’article 419, f), i), de la loi-programme du 27 décembre 2004. Cette déclaration de culpabilité est légalement justifiée sans que l’arrêt ne doive établir de lien avec la manière dont les demandeurs ont tenu la comptabilité des stocks, celle-ci ne constituant pas l’objet de la prévention.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(…)
Quant à la troisième branche :
18. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 12 et 14 de la Constitution : même en admettant qu’il est également question d’un acte punissable, au sens des articles 419, f), 429 et 437 de la loi-programme du 27 décembre 2004, lorsqu’aucun lien n’existe entre la demande et la perception indues du remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial et la tenue d’une comptabilité des stocks correcte et suffisante, l’arrêt est illégal car il condamne uniquement sur la base de la demande et de la perception incorrectes du remboursement ; il n’existe en effet aucune base légale pour la déclaration de culpabilité fondée sur ces faits ; en effet, la lecture des dispositions susmentionnées ne permet pas suffisamment au justiciable d’évaluer la conséquence du simple fait d’introduire une demande écrite de remboursement incorrecte ; le législateur a en effet omis d’ajouter le mot « correcte » à la « demande écrite », pour que les erreurs soient également punies ; c’est d’autant plus le cas pour l’incrimination de la perception du remboursement demandé, étant donné que le terme « perception » n’apparaît pas en tant que tel à l’article 429, § 5, 2), de la loi-programme du 27 décembre 2004 ; par conséquent, l’article 437 de cette loi-programme est, selon cette interprétation, contraire au principe de légalité.
Il est demandé à la Cour de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « L’art. 437 de la loi-programme du 27 décembre 2004, lu en combinaison avec les articles 419, f), i), et 429 de cette même loi-programme, viole-t-il les articles 12 et 14 de la Constitution, 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dès lors que, d’une part, ces dispositions n’énoncent pas les faits incriminés en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, de sorte que celui qui a demandé un remboursement incorrect en vertu de l’art. 429, §5, 2) de la loi-programme du 27 décembre 2004 et/ou perçoit indûment un remboursement, ne pouvait évaluer préalablement, de manière satisfaisante, la conséquence pénale de cette demande incorrecte de remboursement ou de la perception indue du remboursement, et, d’autre part, ces mêmes dispositions laissent au juge un pouvoir d’appréciation excessif ».
4. Le principe de légalité en matière pénale consacré par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, est un droit fondamental garanti de manière totalement ou partiellement analogue par les articles 7, § 1er, de la Convention et 15, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
5. Conformément à l’article 26, § 4, alinéa 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour peut examiner si la disposition pénale contestée ne viole manifestement pas les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution.
6. La légalité d’une disposition pénale requiert qu’elle soit suffisamment accessible et, lue en tant que telle ou en combinaison avec d’autres dispositions, qu’elle décrive de manière suffisamment précise le comportement qualifié de punissable, de sorte que sa portée soit raisonnablement prévisible. La condition de la prévisibilité raisonnable est remplie lorsqu’il est permis à la personne à laquelle s’applique la disposition pénale de connaître sur la base de celle-ci et, pour autant que de besoin, à la lumière de son interprétation par la jurisprudence, les agissements et omissions pouvant entraîner cette responsabilité pénale.
7. L’article 437 de la loi-programme du 27 décembre 2004 a, selon ses termes, une portée générale et incrimine l’application incorrecte de toutes les dispositions du chapitre XVIII de cette loi. Ainsi, l’introduction d’une demande incorrecte de remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial est également punissable. Il n’est pas requis à cette fin que l’article 429, § 5, 2), de ladite loi-programme indique expressément que la demande y visée doit être correcte. En outre, les dispositions visées ici s’adressent à des personnes familiarisées avec ce domaine. En effet, elles servent principalement l’intérêt de transporteurs professionnels. Par ailleurs, la personne qui introduit la demande de remboursement doit se faire enregistrer préalablement à celle-ci, conformément aux modalités définies par l’administrateur général des douanes et des accises. Les personnes auxquelles s’adresse l’article 437 de la loi-programme sont dès lors supposées connaître les dispositions légales applicables et savoir qu’elles sont passibles des peines prévues dans cet article, lorsqu’elles demandent le remboursement d’accises pour des combustibles qui n’y sont pas éligibles.
8. Il s’ensuit que l’article 437 de la loi-programme indique d’une manière qui, manifestement, est suffisamment précise, pour toute personne à laquelle il est applicable, le caractère punissable de l’introduction d’une demande incorrecte de remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial, prévu par l’article 429, § 5, 2), de la loi-programme. Par conséquent, l’article 437 de la loi-programme ne viole manifestement pas les articles 12, alinéa 2 et 14 de la Constitution, 7, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en droit.
9. La demande indue de remboursement suffit à incriminer les demandeurs sur la base de l’article 437 de la loi-programme. Le fait que la prévention A fasse également mention de la perception indue de ce remboursement ne saurait leur infliger grief.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable, à défaut d’intérêt.
10. Eu égard, d’une part, à l’article 26, § 4, alinéa 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle et, d’autre part, à l’irrecevabilité du moyen au motif qu’il n’est pas déduit d’une norme faisant l’objet de la question préjudicielle proposée, cette dernière ne doit pas être posée.
Sur le cinquième moyen :
Quant à la première branche :
11. Le moyen est pris de la violation de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 50 du Code pénal, 1382 et 1383 de l’ancien Code civil et 266 et 311 de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises, ainsi que de la méconnaissance des règles en matière de motivation : l’arrêt considère que les demandeurs, conformément à l’article 311 de la loi générale sur les douanes et accises, sont tenus solidairement au paiement des intérêts de retard au taux de 9,6 p.c. par an sur les impôts dus qui font l’objet des actions fiscales du défendeur ; cet intérêt peut uniquement être dû en cas de paiement tardif, notamment, d’accises perçues par l’administration ; tel n’est pas le cas en l’espèce dès lors que la prévention A consiste précisément en la demande et la perception indues de remboursements de l’augmentation du droit d’accise spécial ; cette prévention n’implique donc pas la méconnaissance d’une règle concernant le paiement d’accises perçues par l’administration, résultant du caractère tardif de ce paiement ; l’article 311 de la loi générale sur les douanes et accises n’est donc pas applicable.
12. L’article 311, § 1er, de la loi générale du 18 juillet 1977 dispose : « En cas de retard dans le paiement des sommes dues en matière de droits, de droits d’accise ou d’autres impositions recouvrées par l’Administration générale des douanes et accises, il est dû un intérêt de 9,60% l’an. ».
13. Le retard de paiement visé par cette disposition porte à la fois sur le paiement de droits d’accises dus et sur le paiement de droits d’accises indûment remboursés. Dans les deux cas, l’administration ne peut en effet pas disposer des droits d’accises qui lui sont dus au moment de leur exigibilité, en raison du paiement tardif.
Le moyen, qui, en cette branche, procède d’une autre prémisse juridique, manque en droit.
(…)
Le contrôle d’office
32. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Erwin Francis, Sidney Berneman, Eric Van Dooren et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt et un par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.1031.N
Date de la décision : 19/01/2021
Type d'affaire : Droit fiscal - Droit international public - Droit constitutionnel

Composition du Tribunal
Président : JOCQUE GEERT
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL, BIRANT AYSE
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-01-19;p.20.1031.n ?

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