N° P.21.0114.N
M. M.,
interné,
demandeur en cassation,
Me Peter Verpoorten, avocat au barreau d'Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 19 janvier 2021 par le tribunal de l'application des peines de Bruxelles, chambre de protection sociale.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la recevabilité du pourvoi :
1. Il résulte de l’article 78 de la loi du 5 mai 2014 sur l'internement que la décision de placement dans une section de défense sociale et concernant l’octroi de permissions de sortie n’est pas susceptible de pourvoi.
Dans cette mesure, le pourvoi est irrecevable.
Sur le premier moyen :
2. Le moyen est pris de la violation des articles 5, § 1er, e), 5, § 4, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : le jugement rejette, à tort, les demandes formulées par le demandeur tendant à sa libération définitive et à la fin de son internement ; le motif selon lequel l’article 5, § 1er, de la Convention n’est pas applicable dépasse tout entendement ; eu égard au fait que le demandeur ne souffre plus d’un trouble mental grave nécessitant un traitement, il est établi de manière irréfragable que le maintien de sa détention est illégal.
3. L’article 5, § 1er, de la Convention prévoit que toute personne a droit à la liberté et à la sûreté et que nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : e) s’il s’agit de la détention régulière d’un aliéné. L’article 5, § 4, de la Convention précise que toute personne privée de sa liberté par détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention est illégale.
4. Il résulte des articles 5, § 1er, e), et 5, § 4, de la Convention que :
- la privation de liberté d'un aliéné n'est régulière que lorsque (a) il ressort d'une expertise objective et médicale que la personne concernée souffre d'un trouble mental réel et permanent, (b) la nature de ce trouble justifie sa privation de liberté et (c) la privation de liberté ne se prolonge pas au-delà de ce qui est nécessaire ;
- l'évaluation susmentionnée tient compte non seulement d'éléments d'ordre purement médical mais également du danger que la personne représente pour la société ;
- lorsqu'un aliéné privé de liberté recouvre la santé, il doit, en principe, être libéré. La constatation que l'intéressé ne souffre plus d'un trouble mental n’implique toutefois pas que cette mise en liberté doive avoir lieu immédiatement et inconditionnellement, pour autant que la libération reportée soit conforme aux finalités énoncées à l’article 5, § 1er, e), de la Convention et que cette libération ne soit pas reportée pendant un délai non raisonnable.
5. Il appartient à la chambre de protection sociale :
- de se prononcer, s’agissant des décisions relatives à l’exécution de l’internement, sur la persistance d’un trouble mental, si elle y est invitée par l'interné ;
- s’il apparait que l’état de l'interné a évolué de telle sorte qu'il ne présente plus de troubles mentaux, d’apprécier si, à la lumière du risque de commettre à nouveau des infractions visées à l’article 9, § 1er, 1°, de la loi du 5 mai 2014, de même qu’en tenant compte des finalités prévues à l’article 5, § 1er, e), de la Convention, un placement demeure nécessaire et si le risque précité ne peut être écarté par des mesures d'exécution de l'internement moins contraignantes, comme une libération à l'essai ;
- s’il apparait que l'état d'un interné a évolué de telle sorte qu'il ne présente plus de troubles mentaux et qu'il n'y a plus raisonnablement lieu de craindre qu’il commette des infractions visées à l'article 9, § 1er, 1°, de la loi du 5 mai 2014, la chambre de protection sociale doit accorder la libération définitive à l'interné, même si le délai d’épreuve prévu à l'article 42, § 1er, de ladite loi n'a pas encore expiré.
6. Il ne résulte pas des dispositions conventionnelles précitées que la chambre de protection sociale, en tant que juridiction pluridisciplinaire et spécialisée en matière d'internement, soit liée par l’avis d'un expert concernant la persistance d'une maladie mentale grave, le caractère actuel du danger que l’intéressé représente et les possibilités de traitement. Il ne résulte pas davantage de ces dispositions que la chambre soit tenue d’ordonner la mise en liberté définitive d’un interné au seul motif qu’un expert psychiatre serait d’avis que toutes les possibilités de traitement sont épuisées et qu’il ne s’attend pas à ce que les traitements puissent continuer d’avoir un effet sur le trouble de la personnalité.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
7. Le jugement énonce les considérations suivantes :
- il ressort de l’examen diagnostique, qui a seulement pu être mené en 2011, qu’il était question d'une problématique grave, à savoir un trouble de la personnalité antisociale avec des tendances narcissiques et paranoïaques et un niveau élevé de psychopathie ;
- les diagnostiques précédents ont été confirmés par le Dr Gerritsen, psychiatre, et par le psychologue van Giessen ;
- ils en sont arrivés à la conclusion, dans leur rapport ultérieur du 1er janvier 2019, que le demandeur souffrait toujours d'un trouble de la personnalité antisociale avec des tendances narcissiques et paranoïaques et un niveau élevé de psychopathie ;
- il ne peut être souscrit à l’allégation du demandeur selon laquelle il ne souffrirait plus d’un trouble de la personnalité grave et il ne serait plus nécessaire de poursuivre son traitement ;
- le trouble de la personnalité grave du demandeur, éventuellement en combinaison avec d’autres facteurs de risques, comporte le danger qu'il commette à nouveau un crime ou un délit portant atteinte à ou menaçant l'intégrité physique ou psychique de tiers ;
- tous les experts s’accordent pour dire que le demandeur souffre toujours d'un trouble de la personnalité grave qui ne peut pas être simplement « soigné », bien que le traitement n’ait plus d’effet sur celui-ci ;
- le risque de commettre des faits punissables est toujours présent et ne peut plus être réduit par un traitement clinique ou ambulatoire, comme le décrit le Dr Gerritsen dans son dernier rapport ;
- les facteurs protectionnels jouent un rôle déterminant à cet égard, mais il ne peut être admis avec certitude que ces composants protectionnels, comme un emploi et une relation stable, soient présents ;
- il n’est donc pas satisfait aux conditions requises pour l’octroi d’une mise en liberté définitive.
Par ces motifs, le jugement ne considère pas que le demandeur ne peut pas bénéficier de la protection que les articles 5, § 1er, e), et 5, § 4, de la Convention lui offrent, mais il décide qu’il ne résulte pas de ces dispositions que la situation concrète qui est celle du demandeur nécessite de mettre fin immédiatement à son internement. Cette décision est légalement justifiée.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
14. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Ilse Couwenberg et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du seize février deux mille vingt et un par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Dirk Schoeters, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.