N° C.20.0447.N
D. V. D. M.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. D. B., avocat, en qualité de curateur à la faillite de DVDM TOTAALINRICHTINGEN, s.r.l.,
2. J. P.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 juin 2020 par la cour d'appel de Gand.
Le conseiller Sven Mosselmans a fait rapport.
Le premier avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
1. La règle d'ordre public énoncée à l'article 4, alinéa 1er, du préambule du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, selon laquelle l'examen de l'action civile qui n'est pas effectué en même temps que l'action publique par le même juge doit être suspendu tant que l'action publique n'a pas été définitivement jugée se justifie par le fait qu'en règle, à l’égard de l'action civile formée séparément, la décision pénale a l'autorité de la chose jugée sur les points communs à l'action publique et à l'action civile.
L'obligation de suspendre l'examen de l'action civile, que la disposition légale précitée impose au juge appelé à en connaître, ne s'applique que s’il existe un risque d’incompatibilité ou de contradiction entre la décision du juge pénal et celle du juge civil.
Le cas échéant, le juge appelé à connaître de l'action civile doit en suspendre l’examen même si toutes les parties à la cause civile ne sont pas également parties à la cause publique.
La Cour peut vérifier si le juge a pu légalement déduire des faits qu’il a constatés s’il existe un risque d'incompatibilité ou de contradiction entre la décision du juge pénal et celle du juge civil.
2. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- le demandeur exerçait les fonctions de gérant statutaire de DVDM TOTAALINRICHTINGEN, s.r.l., qui a été déclarée en faillite par le jugement du tribunal de commerce de Gand, section de Termonde, en date du 16 décembre 2016 ;
- le premier défendeur, curateur de la faillite, a, par citation du 25 septembre 2018, engagé la présente procédure civile en paiement de dommages-intérêts contre le demandeur sur le fondement de la responsabilité des administrateurs ;
- le premier défendeur a ainsi reproché au demandeur d’avoir, à la mi-2012, alors que DVDM TOTAALINRICHTINGEN, s.r.l., était déjà virtuellement en faillite, mis sur pied une construction mouroir par la constitution d'une nouvelle société qui a repris les actifs de l'ancienne société, y compris les véhicules et le fonds de commerce, sans verser aucune indemnité pour ceux-ci, tandis que le passif, principalement les dettes fiscales, est resté dans l'ancienne société ;
- le premier défendeur a fait valoir que, ce faisant, la nouvelle société a poursuivi les activités de l'ancienne société sous sa raison sociale, tandis que l'ancienne société est restée une coquille vide, de sorte que les créanciers ont perdu leurs droits de recours ;
- par le jugement interlocutoire rendu le 9 septembre 2019, le premier juge a constaté qu'une information pénale était en cours à la diligence du ministère public, de sorte que, à défaut d’action publique, il n'y avait pas lieu de suspendre pour lors l'examen de l'action civile ;
- après que les parties ont répondu aux questions soulevées dans le jugement interlocutoire du 9 septembre 2019, le premier juge a décidé, par un jugement interlocutoire du 30 décembre 2019, que la responsabilité pour faute du demandeur était engagée « du fait de transférer de facto les activités de [l'ancienne société] à la nouvelle société [...] au moyen d'une construction impliquant la création d’[une] nouvelle société [...], sachant que les créanciers de [l'ancienne société] se retrouveraient avec une quasi ‘coquille vide’, sur laquelle ils ne pourraient plus exercer aucun droit de recours », l'a condamné à payer des dommages-intérêts provisionnels d'un montant de 50.000 euros et a ordonné une expertise « pour évaluer le préjudice causé par la mise en place de la construction mouroir et le transfert feutré vers la nouvelle société » ;
- par requête du 14 février 2020, le demandeur a interjeté appel des jugements interlocutoires des 9 septembre 2019 et 30 décembre 2019 ;
- par citation du 4 mars 2020, le ministère public a engagé une action publique contre le demandeur également sur le fondement du détournement frauduleux ou préjudiciable des actifs sociaux (articles 489ter, alinéa 1er, 1°, et 490 du Code pénal), en créant le 25 juin 2012 une nouvelle société qui a poursuivi les activités de l'ancienne société, qui était virtuellement en faillite, sous sa raison sociale, sans compensation pour la reprise du fonds de commerce et de la clientèle ;
- le demandeur a demandé au juge d’appel de suspendre l’examen de l’action civile en attendant une décision judiciaire définitive sur l'action publique.
3. Le juge d’appel a constaté que :
- le 4 mars 2020, le plaignant a été cité à comparaître devant le juge pénal le 20 avril 2020 pour un certain nombre d’infractions en matière de faillite, dont le détournement des actifs ;
- dans le jugement interlocutoire rendu le 30 décembre 2019, le premier juge a condamné le demandeur, à la demande du premier défendeur, à verser des dommages-intérêts provisionnels d'un montant de 50 000 euros à la masse faillie sur le fondement de la responsabilité des administrateurs pour avoir, notamment, mis sur pied une construction mouroir ;
- il s'agit d'un jugement exécutoire par provision, de sorte que le premier défendeur peut l'exécuter à ses risques et périls ;
- l’action publique engagée dans l'intervalle est l'initiative du ministère public ensuite de l’information menée contre le demandeur en tant qu'ancien gérant de la société faillie, dans l'intérêt de la collectivité en général ;
- le premier défendeur ne s'est pas constitué partie civile et n'est pas davantage partie à la procédure pénale susmentionnée.
4. Le juge d’appel qui déduit de ces constatations qu'il n'existe pas de risque d'incompatibilité entre la décision du juge pénal et celle du juge civil et refuse de surseoir à statuer sur l'action civile dans l'attente d'une décision judiciaire définitive sur l'action publique, viole l'article 4, alinéa 1er, du Titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour,
statuant à l’unanimité,
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Koen Mestdagh, président, le président de section Geert Jocqué et le conseiller Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du cinq mars deux mille vingt et un par le président de section Koen Mestdagh, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marielle Moris et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.