Cour suprême du Canada
Martineau c. La Reine, [1966] S.C.R. 103
Date: 1965-12-14
Gérald Martineau Appelant;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1965: 26, 27 octobre; 1965: 14 décembre.
Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson et Ritchie.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, écartant un verdict d'acquittement et ordonnant un nouveau procès. Appel rejeté.
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Joseph Cohen, C.R., Fred Kaufman, D. Dionne et C. Rioux, pour l'appelant.
Laurent E. Bélanger, C.R., pour l'intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE FAUTEUX: — Le 8 octobre 1963, le Juge Gérard Simard, de la Cour des Sessions de la Paix, condamnait l'appelant à subir un procès sur un acte d'accusation contenant onze (11) chefs dont chacun l'accuse d'avoir, directement ou indirectement, dans le district de Québec, entre le 1er janvier 1955 et le 30 juin 1960, étant un fonctionnaire — soit Conseiller Législatif pour la division des Laurentides et Lauzon, dans le Gouvernement de la Province de Québec, — exigé, accepté, ou offert, ou convenu d'accepter de la compagnie Peinture Sico Limitée, pour une personne désignée, une somme d'argent indiquée, en considération d'une collaboration, d'une aide, d'un exercice d'influence ou d'un acte ou omission concernant la conclusion d'affaires avec le Gouvernement de la Province de Québec ou au sujet d'affaires ayant trait audit Gouvernement, le tout contrairement aux dispositions des articles 102(1) (a) (ii) (iii) et 21 du Code Criminel.
L'appelant fit option pour être jugé par un juge sans jury, et après un long procès présidé par le Juge Albert Dumontier, de la Cour des Sessions de la Paix[1] , fut acquitté le 26 novembre 1964. Cet acquittement repose exclusivement sur deux motifs de droit. Aux vues du juge au procès un conseiller législatif n'est pas un fonctionnaire au sens de l'art. 102 du Code Criminel et de plus, ajoute-t-il,
comme les démarches que l'accusé a entreprises auprès de la Compagnie 'La Peinture Sico Ltée' d'une part, et le directeur des achats dans le gouvernement de la province de Québec d'autre part, n'ont pas été faites en sa qualité de conseiller législatif, les actes criminels contenus dans l'acte d'accusation ne pouvaient, en droit, lui être reprochés.
En somme, un conseiller législatif ne serait pas un fonctionnaire au sens de l'art. 102 du Code Criminel, et même s'il l'était, cet article, dit-on, ne peut s'appliquer que si les actes incriminants qui lui sont reprochés ont été posés par lui en sa qualité de conseiller législatif.
Porté en appel, ce jugement fut infirmé par une décision unanime de la Cour du banc de la reine. Dans leurs raisons
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de jugement MM. les Juges Casey et Brossard, avec l'accord de M. le Juge Pratte, rejettent comme mal fondés en droit les deux motifs de droit sur lesquels se fonde l'acquittement de l'appelant. L'appel de la Couronne fut donc accueilli et le verdict d'acquittement fut écarté. La Cour d'Appel ayant dès lors à considérer et décider, ainsi que l'exigent les dispositions de l'art. 592(4) (b) du Code Criminel, si elle devait consigner un verdict de culpabilité ou ordonner un nouveau procès, opta pour cette dernière alternative.
S'autorisant des dispositions de l'art. 597(2) (a) du Code Criminel l'appelant se pourvoit maintenant à cette Cour pour faire rétablir le jugement d'acquittement prononcé en première instance.
Sur le premier point de droit: — Les dispositions pertinentes de l'art. 102 sur lesquelles reposent les accusations logées contre l'appelant se lisent comme suit:
102. (1) Commet une infraction, quiconque,
(a) directement ou indirectement,
(i)
(ii) étant fonctionnaire, exige, accepte ou offre ou convient d'accepter de quelqu'un pour lui-même ou pour une autre personne,
un prêt, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature que ce soit en considération d'une collaboration, d'une aide, d'un exercice d'influence ou d'un acte ou omission concernant
(iii) la conclusion d'affaires avec le gouvernement ou un sujet d'affaires ayant trait au gouvernement,
ou
(iv)
que, de fait, le fonctionnaire soit en mesure ou non de collaborer, d'aider, d'exercer une influence ou de faire ou omettre ce qui est projeté, selon le cas.
L'expression « fonctionnaire » ou l'expression « official » dans la version anglaise ont, pour les fins de l'art. 102 et des autres articles de la Partie III du Code Criminel, le sens que leur attribuent les dispositions ci-après de l'art. 99(e).
99. Dans la présente Partie, l'expression
***
e) 'fonctionnaire' désigne une personne qui
(i) détient une charge ou un emploi, ou
(ii) est nommée pour remplir une fonction publique;
99. In this Part,
***
e) 'official' means a person who
(i) holds an office, or
(ii) is appointed to discharge a public duty;
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La Cour d'Appel ayant d'abord noté que les membres du Conseil Législatif, nommés par le Lieutenant-Gouverneur au nom de la Reine, participent de par leur fonction à la discussion et à l'adoption des lois, considéra qu'il est difficile de concevoir une fonction qui plus que celle-là ait le caractère et la nature d'une fonction publique, que donnant au texte de l'art. 99(e) (ii) son sens ordinaire, il s'ensuit que la compréhensibilité de la disposition demande d'y inclure et non d'en exclure la fonction de conseiller législatif, ou « official » au sens de l'art. 102. Avec ces vues je suis et que partant le conseiller législatif est un « fonctionnaire » respectueusement d'accord.
A l'audition devant nous, l'appelant, au soutien de la proposition contraire, a d'abord soumis l'argument suivant: L'article 102 doit être interprété à la lumière de la Common Law; sous la Common Law, il n'y a pas d'offense de corruption (bribery) à moins que l'officier public concerné soit, suivant le langage des traités et de la jurisprudence « a judicial or a ministerial officer » ce qui exclut toute personne — tel un conseiller législatif — dont la fonction publique est ni judiciaire ni ministérielle. A mon avis cet argument ne peut être retenu. Nous ne pouvons en effet nous substituer au Parlement pour ajouter à la définition de l'art. 99(e) (ii) les mots « judiciaire ou ministérielle », dans la version française, et les mots « judicial or ministerial », dans la version anglaise, comme qualificatifs des expressions « fonction publique » et « public duty » respectivement. D'ailleurs nous ne pourrions attribuer au mot « ministerial » dans le contexte jurisprudentiel de l'expression « judicial or ministerial officer » le sens restreint que suggère l'appelant mais que rejette la Common Law, ainsi qu'il appert de la décision de la Cour d'Appel d'Angleterre dans Rex. v. Whitaker[2], où un argument similaire a été soumis et rejeté. Il convient de citer l'extrait suivant pris aux pages 1296 et 1297 du Rapport.
Then it was argued that the appellant was not a 'public and ministerial officer'. A public officer is an officer who discharges any duty in the discharge of which the public are interested, more clearly so if he is paid out of a fund provided by the public. If taxes go to supply his payment and the public have an interest in the duties he discharges, he is a public officer. The addition of the words 'and ministerial' does not affect the matter. In our view he is also a ministerial officer. The Attorney-General was right in his contention that the word 'ministerial'
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is here used in contrast with 'judicial'; every officer who is not a judicial is a ministerial officer. No other word would aptly qualify the position of the appellant as a public officer, and it is clear that the colonel of a regiment is a public ministerial officer.
L'appelant soumet de plus que si le Parlement avait eu l'intention d'inclure les législateurs dans le cadre de l'art. 102, il aurait manifesté cette intention en mentionnant, dans la définition de l'art. 99(e) (ii), la personne élue aussi bien que la « personne nommée pour remplir une fonction publique ». Je doute sérieusement qu'en se servant du mot « nommée » le Parlement ait eu l'intention d'attribuer à ce mot, dans le contexte de la définition de l'art. 99(e) (ii), le sens purement juridique et strictement restreint ainsi que la portée qu'il faudrait lui donner, si en fait — ce qui n'est pas — il apparaissait que le mot « nommée » est utilisé, dans la définition, en contraste avec le mot « élue ». Il me paraît difficile de concilier avec la notion fondamentale de l'offense de corruption (bribery) la proposition qu'uniquement en raison de la méthode par laquelle on accède à une fonction publique, on puisse, suivant qu'on a été nommé ou élu, être coupable ou innocent du crime de corruption même si dans les deux cas la conduite de celui qui remplit la fonction publique est identiquement répréhensible. Ce qui est certain, c'est que le texte de la définition est inéluctable en ce qui concerne la personne qui est « nommée pour remplir une fonction publique ». Et c'est clairement là le cas du conseiller législatif — le seul que nous ayons à décider en l'espèce — qui, aux termes de l'art. 72 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, est nommé par le Lieutenant-Gouverneur. Cet argument ne peut être accepté.
Enfin, s'appuyant sur le fait que le texte de l'art. 100 mentionne spécifiquement les membres du Parlement du Canada ou d'une Législature, l'appelant prétend que le cas de celui qui est conseiller législatif est exclusivement régi par l'art. 100 et que les dispositions de l'art. 102 ne sauraient jamais lui être appliquées. Je ne puis admettre cette façon de voir. Bien que ces deux articles visent un même mal, soit la corruption, chacun d'eux envisage une situation différente et rien ne s'oppose à ce que, par sa conduite, un conseiller législatif qui est aussi, pour les fins de la partie III, un « fonctionnaire » ou « official », se trouve, soit dans la situation décrite à l'art. 100, où l'acte incriminant doit, tel que l'exige le texte de cet article, avoir été posé par lui en sa qualité
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officielle de membre de la Législature, ou dans la situation décrite à l'art. 102 où une telle exigence n'est pas indiquée et où il suffit que l'acte incriminant soit posé par un « fonctionnaire » ou « official »,
Sur le deuxième point de droit: — Pour rejeter la prétention que l'art. 102 ne s'applique au conseiller législatif que dans le cas où les actes incriminants qu'on lui reproche ont été posés par lui en sa qualité officielle, la Cour d'Appel considéra que l'art. 102 est d'application générale; que cet article vise l'usage impropre que fait ou prétend faire, de l'influence réelle ou présumée dont il jouit, celui qui est nommé pour remplir une fonction publique; que le marchandage d'influence constitue l'essence de l'offense et que le but de la disposition est de prévenir ce genre de corruption dans au moins une sphère de la vie publique; que rien n'exige que, pour être atteint par les dispositions de l'article, le marchand d'influence agisse en sa qualité officielle et qu'il suffit qu'il soit « fonctionnaire » ou « official », puisque c'est de ce fait que certaines personnes pourraient être conduites à présumer qu'il a quelque chose à vendre, soit de l'influence. Avec cette façon de voir, je suis aussi respectueusement d'accord. J'ajouterai que, dans ses termes, l'art. 102 n'exige pas, comme le fait l'art. 100, que l'acte incriminant soit posé en la qualité officielle de celui à qui il est reproché.
Pour les raisons donnés par MM. les Juges Casey et Brossard et celles qui précèdent, je dirais, comme la Cour d'Appel, que les deux points de droit sur lesquels le Juge au procès s'est fondé pour acquitter l'appelant sont mal fondés. C'est donc à bon droit que l'appel logé par la Couronne à la Cour du banc de la reine a été accueilli et que le verdict d'acquittement a été écarté.
Reste à considérer l'ordonnance de nouveau procès rendue par la Cour d'Appel au regard de la demande faite par l'intimée en cette Cour d'écarter cette ordonnance et de consigner à la place un verdict de culpabilité.
L'appelant a déclaré qu'il ne niait pas qu'en principe cette Cour avait le pouvoir d'accorder semblable demande, mais il s'est opposé à ce qu'elle soit accordée en l'espèce en s'appuyant sur les raisons données en Cour d'Appel au soutien de l'ordonnance de nouveau procès.
Sur la question, M. le Juge Casey avec l'accord de ses collègues, MM. les Juges Pratte et Brossard, a noté que le
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choix que donne l'art. 592(4) (b) du Code Criminel n'en est pas un qu'il est toujours facile d'exercer et en ce qui concerne le présent cas, il a particulièrement déclaré ce qui suit
This case deals with corruption in public life, a matter of extreme gravity. For this reason it is highly desirable — more so than in any other type of case — that the facts and, if it goes that way, the sentence be discussed in the Court of first instance.
Tenant compte de cette déclaration de la Cour d'Appel et ayant considéré la question, je croirais judicieux de ne pas intervenir pour modifier l'ordonnance de la Cour d'Appel. Et vu cette conclusion il convient de n'en dire davantage sur le point.
Je renverrais l'appel.
Appel rejeté.
Procureur de l'appelant: Joseph Cohen, Montréal.
Procureur de l'intimée: Ivan Mignault, Québec.
[1] (1965), 45 C.R. 322.
[2] [1914] 3 K.B. 1283. 10 Cr. App. Rep. 245.