Cour suprême du Canada
Tremblay c. La Reine, [1969] R.C.S. 431
Date: 1969-01-28
Marcel Tremblay Appelant;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1968: Décembre 2; 1969: Janvier 28.
Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Judson, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, confirmant une déclaration de culpabilité pour recel d’obligations volées. Appel rejeté.
Lawrence Corriveau, c.r., pour l’appelant.
Roch Lefrançois, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE FAUTEUX: — L’appelant a été déclaré coupable, à Québec, par un jury présidé par M. le Juge Lacroix, du recel de dix obligations de la St. Lawrence Corporation Limited, dont huit de $1,000 et deux de $500, le tout d’une valeur de $8,714.19, en contravention de l’article 296 du Code criminel.
Il appela de cette déclaration de culpabilité et son appel fut rejeté par une décision unanime de la Cour du banc de la reine (division d’appel)1, alors composée de MM. les juges Hyde, Rinfret et Choquette.
Il obtint par la suite, en vertu de l’article 597(1)(b) du Code criminel, la permission d’appeler de ce jugement sur les deux questions de droit suivantes:
1. Les directives données au jury, en ce qui concerne le caractère de l’explication susceptible en droit de repousser la présomption résultat de la possession récente d’objets volés, sont-elles conformes à la loi?
2. Le juge au procès a-t-il erré en droit alors que, la défense ayant déclaré sa preuve close et la couronne ayant commencé sa contre-preuve, il a permis à la couronne, nonobstant l’objection de la défense, d’appeler l’accusé à la barre des témoins et de procéder à le contre-interroger?
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Il convient d’exposer brièvement les faits. Les obligations mentionnées dans l’acte d’accusation ont été volées, à Montréal, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1964, à l’occasion d’une effraction commise à la résidence de M. et Mme Charles A. Davison. Dès le lendemain du vol, soit dans la matinée du 12 novembre 1964, ces obligations sont, dans la cité de Québec, en la possession de l’appelant, homme d’affaires y exerçant différents commerces. Les circonstances dans lesquelles l’appelant raconte avoir reçu ces débentures le 12 novembre et en avoir disposé dès le jour suivant, sont relatées en détail aux raisons de jugement de M. le juge Choquette, auxquelles ses collègues ont donné leur accord. Il suffit de résumer. Au cours de la matinée du 12 novembre, l’un des employés de l’appelant, R.C. Handy, présente à celui-ci, comme étant un représentant d’une maison de courtage de Montréal, un soi-disant courtier du nom de Jimmy Bundy. Cette présentation faite, celui-ci expose qu’un de ses clients, détenteur des obligations en question, a des problèmes avec l’impôt et pour cette raison, est prêt à vendre ces valeurs à 10 pour cent de moins que le prix parce que s’il était déclaré, il perdrait 50 pour cent, soit plus de $4,000; et Bundy d’ajouter que son client insiste pour que la vente soit faite immédiatement, loin de Montréal, au nom d’une autre personne et dans des circonstances ne laissant aucune trace susceptible d’alerter le ministère du Revenu national. L’appelant ne veut pas acheter directement parce que il n’a pas le temps de s’occuper de cette affaire mais songeant qu’un nommé Michel Camirand, ancien vendeur d’obligations, a tout le temps voulu, il s’informe de ce dernier pour savoir si la proposition de Bundy l’intéresse. Camirand lui conseille alors de ne pas acheter ces obligations avant que leur valeur et le fait qu’il ne s’agit pas d’obligations volées, ne soient vérifiés. Il suggère à l’appelant de se les faire remettre par Bundy et de les lui transmettre ensuite aux fins de cette vérification. Bundy consent à remettre les titres à l’appelant en échange d’un récépissé. L’appelant porte alors les obligations à Camirand. Dès le lendemain, soit le 13 novembre, Camirand vend les obligations à une maison de courtage, au nom d’un client fictif, nommément Marcel Larue, 333, rue Notre‑Dame, Thetford Mines, P.Q. — Notons incidemment que Camirand a témoigné qu’il avait fait la vérification précitée, alors que, d’après la preuve, plusieurs jours sont requis pour vérifier si des
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obligations ont été rapportées comme volées. — La vente étant faite, la maison de courtage émet un chèque au montant de $8,714.19 au nom de la personne fictive; un employé endosse le chèque, l’encaisse à la banque, en remet le produit à Camirand qui le remet ensuite à l’appelant, moins une commission de 5 pour cent, soit environ $435, qu’il garde pour lui-même. L’appelant, à son tour, remet le solde à Bundy, moins une commission de 5 pour cent. Ainsi donc et dans toute cette affaire, il ressort que le nom de l’appelant, celui de Handy, celui de Bundy, celui du véritable propriétaire des débentures n’apparaissent aucunement dans la transaction; le reçu que l’appelant dit avoir donné à Bundy, lorsque celui-ci lui a remis les débentures, n’est pas produit; Camirand ne donne aucun reçu à l’appelant lorsque ces débentures lui sont remises pour être vendues ou pour la commission de $435 qu’il a gardée; Bundy ne donne aucun reçu à l’appelant pour les $7,842.78 que celui-ci lui a remis; l’appelant ne donne aucun reçu à Bundy pour sa commission ou celle de Camirand; et une commision totale de 10 pour cent, soit environ $871, est payée alors que la commission régulière, suivant la preuve, est de 2½ à 3 pour cent. Enfin, ni Bundy, ni Handy sont entendus comme témoins et les seuls exhibits produits dans la cause consistent dans les obligations en question, trois états de compte émanant des courtiers où elles furent vendues et un certificat attestant le décès de Charles A. Davison. En somme, déclare M. le juge Choquette, avec l’accord de ses collègues, l’explication de l’appelant consiste à avouer qu’il a aidé, moyennant finance, un inconnu de Montréal à frauder le fisc d’une somme d’au moins $4,000 et à nier que Bundy lui ait déclaré ou que lui-même ait pensé qu’il s’agissait d’obligations volées. Et M. le juge Choquette de conclure:
Sur le tout, les circonstances sont tellement suspectes que l’on peut dire qu’elles auraient convaincu tout homme raisonnable qu’il s’agissait d’obligations volées; que si l’appelant ne l’a pas réalisé, c’est qu’il s’est délibérément refusé à le savoir, qu’il a volontairement fermé les yeux à une évidence que tout homme ordinaire eut clairement perçue. Il y a dans sa conduite plus que de l’insouciance ou de la simple négligence; on y trouve tous les éléments permettant au jury de conclure à sa culpabilité. Armstrong v. La Reine (1966) B.R. 695; Kenny’s Outlines of Criminal Law, 18e édition, 1962, n° 360, note 2, p. 357.
Il va sans dire que les seules questions de droit que nous sommes appelés à considérer et déterminer en cet appel sont celles sur lesquelles la permission d’appeler fut accordée.
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Le premier grief de l’appelant est que, au cours de ses instructions aux jurés, relativement au caractère de l’explication susceptible de repousser la présomption résultant du fait de la possession récente, le juge a parlé d’explications raisonnablement vraies au lieu de parler d’explications qui peuvent être raisonnablement vraies et il a de la sorte, dit-on, — et c’est là l’essence même du grief — placé l’accusé dans l’obligation de prouver hors de tout doute raisonnable que son explication était raisonnablement vraie. La Cour d’appel a rejeté ce grief et avec cette décision, nous sommes tous, pour les raisons ci-après, respectueusement d’accord.
La possession récente des obligations par l’appelant était l’un des faits qui, à la lumière des circonstances incriminantes concernant leur réception et leur disposition, devait, avec le reste de la preuve, être pris en considération, comme élément de preuve, dans l’examen de la question de savoir si l’appelant savait qu’il s’agissait d’obligations volées. La loi sur la possession récente est exposée de façon complète, concise et fidèle dans la 10e édition de Phipson on Evidence, à la page 53, au n° 106:
On charges of stealing or receiving, proof of recent possession of the stolen property by the accused, if unexplained or not reasonably explained, or if, though reasonably explained, the explanation is disbelieved, raises a presumption of fact, though not of law, that he is the thief or receiver according to the circumstances; and upon such unexplained, or not reasonably explained, possession, or disbelieved explanation, the jury may (though not must) find him guilty. It is not, however, for the accused to prove honest dealing with the property, but for the prosecution to prove the reverse; and if an explanation be given which the jury think may be true, though they are not convinced that it is, they must acquit, for the main burden of proof (i.e. that of establishing guilt beyond reasonable doubt) rests throughout upon the prosecution, and in this case will not have been discharged.
D’où l’on voit qu’un des dangers contre lequel le juge doit se garer, en formulant ses directives de droit sur la question et particulièrement sur le caractère de l’explication donnée par l’accusé, est que son adresse aux jurés, considérée comme un tout, laisse ou puisse raisonnablement laisser aux jurés l’impression que dès que la possession récente est établie, le fardeau de la preuve passe de la poursuite à la défense et que c’est alors à l’accusé de satisfaire les jurés qu’il a une explication raisonnable à offrir, que cette explication est vraie ou que ses agissements en ce qui concerne les objets volés étaient honnêtes. Le juge doit inviter les jurés à considérer, à la lumière de toutes les circonstances de la cause,
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si l’explication donnée par l’accusé peut être vraie et les directives qu’il doit alors leur donner doivent traduire (i) l’obligation qu’ils ont d’acquitter l’accusé s’ils sont d’avis que l’explication donnée peut être vraie bien qu’ils ne soient pas convaincus qu’elle le soit et (ii) le droit, mais non l’obligation, qu’ils ont, en se fondant sur la présomption découlant de la possession récente, de trouver l’accusé coupable s’ils ne croient pas ou trouvent déraisonnable de croire en l’explication donnée. Dans le cas qui nous occupe, l’appelant a raison de dire que le juge au procès a parlé d’explications raisonnablement vraies au lieu de parler, à l’instar de cette Cour dans Richler v. Le Roi[2] et dans Ungaro v. Le Roi[3], d’explications qui peuvent être raisonnablement vraies. Cependant, et ainsi qu’on s’en est exprimé aux raisons de jugement en Cour d’appel, ces mots n’ont pas de valeur sacramentelle. En fait, ni cette Cour dans ces causes, ni la Cour d’appel d’Angleterre dans Rex. v. Schama[4], sur laquelle se fondent ces décisions, n’ont alors prétendu innover en ce qui a trait à la substance du droit et, à la vérité, la Cour d’appel dans Rex v. Schama, supra, s’est servie tantôt de l’expression which may reasonably be true et tantôt de l’expression which might be true. Ce qui importe, c’est que dans leur substance, sinon dans leur forme, les directives correspondent adéquatement aux exigences de la loi. Dans l’espèce, le savant juge de première instance a expliqué aux jurés ce qu’il fallait entendre par une explication qui est raisonnablement vraie et leur a exposé qu’il s’agit d’une explication qui, au regard des circonstances révélées par la preuve, peut avoir du bon sens, est vraisemblable ou qui engendre un doute; il leur a dit que, pour repousser la présomption résultant de la possession récente, l’accusé n’était pas obligé de les convaincre hors de tout doute que son explication était vraie et, plusieurs fois, il leur a déclaré que l’accusé était présumé innocent et que dans tous les cas, la Couronne gardait toujours le fardeau absolu de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Après avoir considéré l’adresse dans son entier, nous sommes tous d’avis que l’appelant n’est pas justifié de reprocher au juge d’avoir déplacé le fardeau de la preuve.
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Le second grief de l’appelant est né du fait qu’après que l’accusé eut été entendu comme témoin en défense, que la défense eut déclaré sa preuve close et que la Couronne eut commencé sa contre-preuve, la Couronne a demandé et obtenu du juge, nonobstant l’objection de la défense, la permission de rappeler l’accusé pour lui poser quelques questions additionnelles. En ce faisant, dit l’appelant, le juge a commis une erreur de droit. La Cour d’appel a rejeté cette prétention en considérant que tant que l’instruction n’est pas terminée, le juge a discrétion pour permettre que de nouvelles questions soient posées à un témoin déjà entendu. L’appelant nous a soumis que si tel peut être le cas quand il s’agit d’un témoin ordinaire, la situation est différente quand il s’agit de l’accusé. Il n’est pas nécessaire que nous nous arrêtions à considérer la question car nous sommes tous d’opinion que ce nouvel interrogatoire de l’accusé n’a rien ajouté qui puisse nous empêcher de conclure que le verdict aurait nécessairement été le même si cet incident n’eût pas eu lieu.
Pour ces raisons, nous sommes tous d’avis que cet appel doit être rejeté.
Appel rejeté.
Procureurs de l’appelant: Corriveau, Bertrand, Gauvin & Bouchard, Québec.
Procureur de l’intimée: R. Lefrançois, Québec.
[1] [1967] B.R. 784.
[2] [1939] R.C.S. 101, 72 C.C.C. 399, [1939] 4 D.L.R. 281.
[3] [1950] R.C.S. 430, 9 C.R. 328, 96 C.C.C. 245, [1950] 2 D.L.R. 593.
[4] (1914), 84 L.J.K.B. 396, 11 Cr. App. R. 45, 24 Cox C.C. 591.